Marie-Christine Combourieu – 1985
Nous retrouvons un schéma identique. Peu
d'analystes connaissent avec précision la position des autres Ecoles que la
leur sur la question de la télépathie (ou acceptent tout simplement d'en parler,
peut-être : Les analystes de la série A, B1 / B2 / B3 /, C , D, E1 / E2, F1
/ F2, G, H2, I, répondent confusément ou très vaguement à ce point de notre
questionnaire.
1°/ Seul, le contrepoint
dépréciatif entre les Écoles freudo-lacaniennes et jungienne(s) est véritablement
abordé par les analystes de la première catégorie (voir "Réflexions sur
la catégorisation", p.) .
A l'intérieur de cette dernière, E1 et
E2, affichaient une position moins méprisante à l'égard de Jung et/ou de la
théorie jungienne, ainsi que nous l'avons vu.
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_(E2,16-20,23-27,30), elle, dit franchement "ne pas aimer Freud",
(E2,17) et n'être pas la seule (femme) parmi des analystes très connues à ressentir
cette aversion. "Ce sont des femmes . Ca s’explique ! Et elles ont raison
. . ." , ajoute-elle.
Outre les positions des diverses Ecoles
prises dans des clivages institutionnels, cette analyste en introduit un supplémentaire
: le clivage homme/femme, par rapport à la doctrine freudienne.
2°/ Les analystes jungiens, en revanche,
font preuve d'une assez bonne connaissance, même approfondie, de l'oeuvre et
de la personne de Freud : (F1 , 22-27, 33-34 et F2,12-16 ; sauf F3,3-4, qui
ne les connaît pratiquement pas ; F4 est une émission radiodiffusée).
En général, les analystes interviewés
d'appartenance extra-catégorielle freudo-lacanienne tombent d'accord pour dire
que Freud a voulu instituer la Psychanalyse comme une science, d'abord, et s'est
senti contraint de repousser son intérêt
pour les phénomènes dits paranormaux :
"Il est certain que Freud était porté
à connaître des expériences et à se pencher sur ces problèmes là. Seulement,
il a voulu... Il faut aussi se remettre dans le contexte historique. Il a voulu,
comme il le dit, "se garder à droite et à gauche". Il avait tout le
champ à défricher (et à déchiffrer) en même temps. Il a bien fallu qu'il reste
dans des paramètres très stricts pour essayer de faire une oeuvre scientifique.
A cette époque là, ce qu'on appelait science, c'était encore pire ! Il faut
bien tenir compte du contexte historique. ( ... ). Je pense que fatalement Freud
a connu ... Plus qu'il n'en a dit, à mon sens. Seulement, il avait d'autres
sujets de préoccupation. ( ... ). Dans son esprit, je pense que c'était ça.
Sinon, l'analyse... S'il s'était lancé d'emblée dans ces phénomènes là, je ne
suis pas sûr -du tout- qu'il aurait réussi à structurer un corpus cohérent de
travail à mettre au point une technique, à faire des élèves. Enfin, l'aventure
analytique aurait été différente. Je ne sais pas ce qu'elle aurait été ? Peut-être
moins dogmatique, mais elle serait partie dans tous les sens . Elle serait quelque
chose dont on ne parlerait pas -ou peu-
tellement il y aurait peu de références, de grandes lignes. Il a peut-être sacrifié
une part de ses intérêts pour faire émerger quelque chose qui puisse, justement,
être employé par le plus grand nombre", dit (F1, 25-27).
- "Je pense qu'il voulait, effectivement,
protéger la psychanalyse naissante et faire un corpus doctrinaire qui tienne
devant toutes les attaques dont il, dont elle, étaient l'objet ; qu'il n'a pas
voulu se laisser entraîner dans les choses trop aléatoires. C'est une réaction
assez compréhensible, d'ailleurs. Pourtant, d'un autre côté, qu'il ait été intéressé,
intrigué, c'est très possible. Qu'il n'ait pas voulu le montrer, c'est possible
aussi", répond (F2, 13).
-"Je ne pense pas que ce soit au
titre de la psychanalyse, il me semble ! étant donné son type de rationalité
! Il a dû être scientifique, regarder cela avec beaucoup de recul et avec une
certaine frayeur. Dans ce qu'il dit à Jung, on sent qu'il y a tout de même une
peur.... Une peur ... Vous savez, il parlait de la "marée noire de l'occultisme",
il me semble. (...).
Freud a toujours cherché à affirmer la
psychanalyse comme une science. En démenti, il ne pouvait rien donner, donc,
à tout ce qui ne pouvait pas s'expliquer, se regarder, dont on ne pouvait pas
faire l'expérience", explique (F3, 4).
-"Freud est l'homme
d'une époque. Des gens disent : "Freud n'est pas allé assez loin dans ses
écrits sur la parapsychologie". Il a eu une attitude de son époque qui
est un raisonnement mécaniste en termes de tensions et décharge de tensions
-et il a essayé d'appliquer ça aux phénomènes paranormaux. Il baignait dans
une époque qui sortait d'un 18ème et 19ème siècles imprégnés de spiritisme.
Il s'en défendait, donc. Je respecte cette attitude. c'est tout à fait naturel
. . . Moi, à son époque, j'en aurais fait presque autant", dit (H2,16)
. (D,27- 28 tient des propos apparentés )
-"En fait, il a hésité parce qu'il était
pris, à mon avis, entre d'une part, le positivisme auquel il se référait comme
nouveau physiologiste qui avait pour ainsi dire "malgré lui" bifurqué
vers le psychologisme ; mais au départ il était surtout neurophysiologiste,
à une époque où cela signifiait mécanisme, purement et simplement. Par ailleurs,
constatant un certain nombre de choses qui l'étonnaient, il était amené à essayer
de les interpréter mécanique mais n'y arrivait pas toujours. Donc, il fut amené
à douter, à hésiter. . ." , confirme(I,10) .
Voilà un point important, à notre avis.
La démarche et l'ambivalence de Freud ont très bien été perçues, et non seulement
par les analystes ci-dessus, mais aussi par ceux d'obédience plus orthodoxe
: A2, 8 / A3, 2/ B1, 2 / B2, 9 / B3, 10/ E1, 2 / E2, 18-19.
3°/ Parmi les disciples de Freud et /ou
théoriciens dissidents "relecteurs" du maître, Jacques Lacan fait
l'objet de critiques de la part de (A3, 21), parce qu'il réduit tout au langage,
au verbal, et présente,
selon elle, une incapacité à "communiquer
avec les parties extrêmement
archaïques du sujet, (en
parlant du psychanalyste) mais aussi avec ses propres parties archaïques"
identifiées, nous l'avons vu, à la matrice des phénomènes dits paranormaux.
_(A4,16-17) , critique également J. Lacan,
qui n'a rien apporté de plus que les autres à la théorie psychanalytique depuis
Freud, selon elle. Elle lui adresse cette réflexion désobligeante : "La
psychanalyse, c' est une praxis . Ce n' est pas un phallus qui rend tout puissant",(A4,
16).
Inversement, les analystes de l'École
lacanienne, marquent un profond respect pour la personne et l'oeuvre de Freud
comme fondatrices :
_(B1, 13 / B3, 10, 15-16, 18-20 / B4, 13 ; sauf B2, 1, qui, dénonce
le sectarisme de Freud et son attitude de rejet de certains de ses disciples,
comme E2,27 : Comme cette dernière, d'ailleurs , nous avons vu que B2 présentait
un exemple de mouvance dans son cursus personnel et déontique ; comme cette
dernière, enfin, elle s’oriente vers la théorie kleinienne ; (B2, 3, 19) : Sans
doute, faut-il voir ici une convergence dans les orientations théoriques, perçue
comme un indicateur de sensibilité et de tendance, actuellement.
Les analystes de la série F ne connaissent
pas J.Lacan ; sauf (F1,48).
_(G, 6-7), lui, apprécie "la fécondation
mutuelle par les autres" au sein de l'Université : "Essentiellement,
l'université est un lieu. L' Université, c'est un endroit où il y a les Jungiens, les
Freudiens, des gens de l'Ecole de Lacan, etc. Et puis les étudiants écoutent l'un, écoutent l'autre ; et puis deviennent
eux-mêmes à partir de là. (...). Dans, la pratique, oui, c'est cela : Je m'intéresse
beaucoup plus aux relations, aux tensions et à la fécondation mutuelle par les
autres . Aux développements des points de vue ... plus "jungiens que Jung",
"plus freudiens que Freud" !", dit-il.
_(H2, 4-5, 33) aime bien
la personne de J.Lacan mais ne connaît pas sa théorie ; il répercute, par ailleurs,
certaines opinions disant que J. Lacan était un "escroc", (H2, 33).
4°/ W. Reich fait l'objet d'une connaissance
très partielle /et partiale de (A2,14), sous un jour rationaliste .
_ (B3,27) cite également W. Reich et développe
un peu sa théorie dans le cadre d'une "culture personnelle" , plutôt,
pensons-nous .
_Les analystes de la série F ne le mentionnent
pas du tout.
5°/ (B1, 13) nous semble résumer à la fois le souci, de l'orthodoxie freudienne
et sa défense : " (. . . ). La psychanalyse, c'est la mise en place du
terme "Libido". Avec ce que ça veut dire. Et Freud n'a jamais ...
Bon ! La mise en place par Freud, soi-même, de ce terme là :
“J’intitule, etc (…)”
En effet, selon elle, toutes les autres
orientations ou Ecoles ne rentrent pas dans la Psychanalyse : "A ce moment
là, on parle de psychanalyse adlérienne, psychanalyse (jungienne), psychothérapie...
Quoi encore ? Effectivement, c'est n'importe quoi !.."
Elle assimile toutes les autres praxis
à "la pratique sauvage", (B1, 14).
En conclusion, l'attitude et les opinions
exprimées par les analystes de notre échantillonnage, à propos des autres Ecoles
psychanalytiques, dénotent de forts clivages et une méconnaissance, voire une
non-reconnaissance inter-formations.
La doctrine freudienne reste le pilier
de référence, même pour les Ecoles dissidentes, nous l'avons vu, (séries B,
F, H2); alors que les disciples dissidents ou "relecteurs" de cette
dernière, fondateurs à leur tour d'une nouvelle doctrine, ne sont pas toujours
à l'abri des critiques ni d'une "relecture" également: (E1,1,
22) nous semble un exemple remarquable. En effet, il fut analyste (didacticien)
de l'Ecole Freudienne de Paris (E.F.P.), dont il a hâté la dissolution, (E1,
1) ; or, présentement, il tient les propos suivants au sujet de J. Lacan : (.
. . ) "Tous les concepts créés par Freud n'en restent pas moins essentiels
et opératoires. Je n'en dirai pas autant de Lacan, vous savez, pas du tout,
pas du tout ! Encore que beaucoup de concepts promu par Lacan restent opératoires
dans une conception épistémologique de l'analyse . Les champs qu'il a su caractériser,
ou créer..." (E1, 22).
Nous constatons qu'il critique à son tour
J. Lacan, dont il fut un adepte.
[7]
Par ailleurs, nous avons dit que cet analyste
présentait aussi un cas remarquable de mouvance dans son cursus théorique (voir
p.19 ).
Enfin, il est intéressant de voir que
la critique intervient, en général, dans le sens maître-disciple(s); tandis
que ceux-ci observent un respect de la théorie du maître et ne le critiquent
qu'après l' avoir, en quelque sorte, "dépassé" ou "innové"
par rapport à sa théorie, (E1, 22 / H1 et H2).