REPRESENTATION DU PARANORMAL ET DE LA TELEPATHIE DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE (suite)

Marie-Christine Combourieu – 1985

1/ Événements synchronistiques et archétypes

 

Les phénomènes synchronistiques sont à mettre en relation avec ce que Jung et (F2,3,19,24,29) appellent l’”effraction” d’un archétype, inconscient jusque-là, dans le conscient, grâce à un "abaissement du niveau mental", (F2, 10).

 

..."Là où un archétype s'impose, on peut s'attendre à des phénomènes de synchronicité"    (cité en F2, 14).(.. . ). La plupart des cas de perception "psi" est due à la présence d'un archétype constellé, qui produit un "abaissement du niveau mental (cité en F2 , 10, qui commente : (Il) veut dire que, pour qu’un contenu de l'Inconscient puisse pénétrer dans la conscience, il faut que le seuil en soit abaissé, que l'énergie potentielle du conscient soit diminuée. A ce moment là, ­l'énergie de l'Inconscient peut franchir. (D,31,33,35-36 appelait cet état dans lequel le niveau mental conscient est abaissé "état de conscience altérée" ou “modification de l'état de conscience" , "psi") .


"Cette condition permet au contenu inconscient de se manifester, c’est-à-dire d'être perçu par les organes sensoriels normaux. (…) Ces phénomènes peuvent être de nature purement psychique aussi bien que matérielle. Ce qui indiquerait que psyché et matière ne sont pas fondamentalement incommensurables et que ce sont peut-être des qualités d’un seul et même existentiel.”…

 

(cité en F2,10).

 

En effet, pour Jung, les "archétypes" sont en quelque sorte un “réservoir de représentations collectives” transcendant l'individu qui en est dépositaire.

Nous avons ici une divergence théorique fondamentale entre l'Inconscient personnel tel que le conçoit Freud et l’Inconscient collectif selon Jung.

 

C’est ce qui permet à (F2,3), par exemple, de dire (à propos de l'exemple synchronistique n°1 concernant le couple de fiancés qui l'avait abordé) : "Ils débarquaient" (à Paris); de la même façon que "débarquait" en moi, à ce moment là, le problème du couple dans mon analyse.” C’est-à-dire que l'archétype du couple avait été “activé/constellé” parallèlement chez cet analyste et dans une situation extérieure à lui.

 

L'ensemble des archétypes, que nous avons comparé à un "réservoir de     représentations collectives" - parce que chacun d'eux - présente un "noyau figuratif imagé" - sont communs à un groupe, une ethnie, une culture, voire à l’humanité, selon Jung.( Voir F1, 29, l'archétype du père, de la mère…) Ce sont eux qui se mettent en branle lors de l’occurrence de phénomènes dits paranormaux/parapsychologiques ou "psi" :

 

... "Dans les expériences sur la perception extra-sensorielle, on peut parler de miracle : Tout se passe comme si le caractère collectif des archétypes pouvait aussi se manifester dans des coïncidences significatives. C'est comme si l'archétype ou l'inconscient collectif était aussi bien à l’intérieur de l'individu qu’à l’extérieur. C'est-à-dire dans son environnement. Comme si le transmetteur et le récepteur partageaient le même espace psychique ou le même temps, dans les cas de prémonitions"... .(cité en F2, 14) .

De même l'archétype n'est pas évoqué par un acte de volonté consciente. L'expérience nous a montré qu'il est activé indépendamment de la volonté (…)  On pourrait même parler d'in­tervention spontanée de l'archétype. Le langage religieux appelle ces événements "La volonté divine". Ce qui est essentiellement correct dans la mesure où cela fait allusion au comportement particulier de l’archétype, sa spontanéité et son rapport effectif à la situation donnée"... (cité en F2,9).

 

 

En résumé, le concept d’archétype conduit Jung à postuler l'existence d'un Inconscient collectif comme véritable inducteur de phénomènes parapsy­chologiques, dont le sujet n'est que le support - ou "médium"- au sens où des énergies très puissantes contenues dans l'Inconscient font "effraction" dans son conscient et offrent simultanément une similitude signifiante avec une situation matérielle - objective - extérieure à lui,  mais dont il est le nœud d’articulation et l'enjeu.

 

La condition en est l’affectivité :"C’est tout de même une situation affective. Qui dit affectivité. ...Dans l'affectivité existe une masse d'énergie qui monte à la surface, est employée. Même si on ne le sent pas, ça joue. À partir du moment où des énergies, très profondes, sont libérées, on peut penser que certainement il va se passer des choses inhabituelles ! D'ailleurs, les grandes histoires de synchronicité – même si on met d'autres termes sur ces expériences là - se produisent toujours à des moments de tensions. Ca peut se produire, bien sûr, dans une famille où survient une catastrophe ; où tout éclate ...A ce moment-là évidemment, les énergies, les archétypes, tout "entre dans la danse", mais... Ca c'est dans la vie courante. Mais ça peut se passer aussi - et à plus forte raison - dans le champ analytique. D’où la nécessité du "champ", à la limite. On parle bien du "champ freudien''. Mais il existe bien un champ privilégié pour l'apparition des phénomènes parapsychologiques" (F1, 19) .

 

_De même, (H2, 12) mentionne des situations de crise, de tension, ou des circonstances affectives comme condition de la production d’événements dits paranormaux/ parapsychologiques/ ”psi”/ synchronistiques : “Très souvent, je constate que lorsque de personne est mûre pour certains événements dans sa vie, des choses extérieures se produisent pour elle, positives ; auxquelles rien ne la prédisposait, indépendantes de sa volonté. Je vais vous donner un exemple : P... avait des problèmes sexuels. Il est venu me trouver parce que ça lui posait un problème dans sa vie. Et à un moment donné, au cours de la thérapie, alors qu'il avait un besoin fort de trouver une relation affective sur qui compter, avec qui être bien, il s’est retrouvé une femme - avec qui il vit depuis - qui l’a aidé vraiment à résoudre sa vie. Moi, là-dedans, je n'ai joué qu'un rôle de catalyseur. Je pense qu’il n’y a pas de coïncidence avec le fait qu'à ce moment là, et juste à un moment de décharge émotionnelle bien forte, à un moment bien précis, il ait rencontré cette personne qui, en plus, est allée vers lui indépendamment de sa volonté à lui! C'est rare...(H2,12).

 

Ce psychothérapeute oppose tout au long de son entretien la "voie de la raison" et la “voie cardiaque, la voie du coeur" ; seule la seconde, pour Iui, est susceptible de générer des phénomènes dits paranormaux (H2,11 ... ).

_De même (D, 42)  mentionne le rôle de l’émotion, de l’affectivité dans la survenue des phénomènes “psi”, synchronistiques /parapsychologiques : “C’est ce qui échappe aux gens des sciences, en laboratoire. Ils ratent leurs expériences parce qu'ils ne veulent pas tenir compte de l'essentiel ; de l'affectivité émotive. C'est terrible ! Les tests vont être ratés !".

 

2/ L'hypothèse de l’unité psyché-matière

 

Nous avons cité plus haut plusieurs extraits de la Correspondance de Jung que nous a lus (F2,8-10,14), dans lesquels était mise en relief la double nature de l’archétype, à la fois comme “forme  psychique" et "objet réel de l’environnement qui se comporte comme s’il était motivé ou évoqué par ou bien comme s'il exprimait une pensée correspondant à l'archétype".

De même, il est dit que l’archétype : “Ces phénomènes peuvent être de nature purement psychique aussi bien que matérielle. Ce qui indiquerait que psyché et matière ne sont pas fondamentalement incommensurables et que ce sont peut-être des qualités d’un seul et même existentiel”. (F2, 10)

 

L'exemple du "scarabée d'or" en est une illustration.

 

Ce qui fait le trait d'union, dès lors entre une "forme psychique" et un "objet réel de l’environnement”,  c'est la "coïncidence dotée de sens", (F2, 1),  ou encore la “coïncidence signifiante, porteuse d'une signification précise pour celui qui la vit. Car la synchronicité est parfois quelque chose qui délivre un sens extrêmement précis. Quand ça vous est arrivé une fois dans votre existence, vous n'allez pas l'oublier. Car c'est un sens comme "adressé personnellement”. C'est une rencontre de votre inconscient avec les possibilités et les champs extérieurs. “(F1,11-12).

 

Dans la théorie jungienne, cette correspondance du psychique et du physique conduit à l'hypothèse de l'existence d'un “psychoïde” comme texture à l'homme et à l'univers.

Nous ne développerons pas ici ce concept car aucun analyste Jungien interviewé ne l'aborde.

 

_En revanche (I,27) mentionne les travaux de d’Espagnat [1] qui se rapprocheraient de cette hypothèse par le biais du concept de "psychogenèse" :

 "C'est un peu le concept de d'Espagnat. Là, on est presque dans le domaine de la philosophie, au moins de l’épistémologie. Pour moi, je pense que c’est une approche. En mettant entre parenthèses les  opinions ou croyances métaphysiques qu'on peut avoir, il est sans doute intéressant de constater que les organismes complexes comme les êtres vivants au moins ont une force interne et externe, subjective et objective…”

 

Toutefois, (I,28) reste prudent : "De là, il ne me vient pas une expli­cation de la télépathie directement. Je ne la trouve cas. Il manque là quelque chose, il me semble", dit-il.

Sans doute nous faudra-t-il attendra des travaux plus avancés de recherches en physique quantique, en neurobiologie, en bio-physique... pour escompter découvrir les lois psycho-physiques de tels  phénomènes, encore énigmatiques.

 

_(F2, 31-32) pose le problème épistémologique de savoir si l'hypothèse de l'unité psyché-matière n'est pas le fait simplement de la structuration de l'intellect qui observe : "La similitude de la nature et de l’esprit peut être due à la psyché, à la structure de la psyché qui observe. La faculté de perception de la psyché peut être comme une grille à travers laquelle certaines perceptions, seulement, peuvent passer ; ce qui fait  que de l'autre côté, on retrouverait des ressemblances étonnantes qui soient uniquement dues à la grille. Scientifiquement on ne peut pas aller plus loin que ça, je pense. On bute sur les limites épistémologiques",(F2,32).

 

_(E1,9,12-14 / F1, 8,...,45) posent le problème d'une saisie parapsychologique de l'homme dans l'univers en termes d’épistémologie, mais différemment, à partir de l'Ecole de Copenhague et des incertitudes d’Heisenberg.

 

3/ Archétypes et instincts

 

Rappelons, comme dernier point théorique, que Jung assimile les archétypes à  nos « instincts » :

« Comme je suppose que nos instincts, c’est-à-dire les archétypes, sont des faits biologiques et non des opinions arbitraires, je ne pense pas que les phénomènes synchronistiques – ou “psi” – soient dus à des facultés supranormales, supra-psychiques. Mais plutôt qu’ils se produisent forcément dans certaines conditions, si on tient l’espace, le temps, et la causalité pour des vérités statistiques et non axiomatiques. Ils surgissent spontanément et non pas parce que nous possédons une quelconque faculté pour les recevoir” (cité en F2, 8_9).

_ Ce point de vue théorique, au premier abord, surprend : Par quel biais Jung peut-il rapprocher les archétypes de nos instincts, peut-il établir un lien entre ce qui est de l’ordre des “représentations collectives” – dirait Durkheim – et ce qui participe de l’ordre biologique, génétique ?

 

Nous avons précédemment vu (p. 91), que Freud et Ferenczi croyaient que l’hérédité des caractères acquis était réelle et que, selon cette conception, la croyance en la vie antérieure du psychisme (métempsycose) s’expliquait par l’irruption dans la conscience de traces mnésiques enfouies inconscientes, provenant de l’évolution de l’espèce humaine.

Autrement dit, la notion d’un Inconscient phylogénétique, à la date où Jung avance l’hypothèse de l’Inconscient collectif, prédomine.

Entre Freud, Ferenczi et Jung, l’écart se situe entre le biologique et le culturel.

Assimiler les archétypes à nos instincts, c’est supplanter chez l’homme l’ordre de la représentation à l’ordre bio-génétique.

Compte tenu de la prématuration du petit d’homme par rapport au petit d’animal, c’est transposer le concept d’instinct dans le registre du symbolique, dirait Jacques Lacan.

Mais encore faut-il préciser que pour Jung, cet ordre symbolique transcende le langage hérité de la culture. En effet, le premier inclut des images, des mythes, des symboles – au sens étymologique – et dépasse le « roc biologique de la castration », terme ultime de l’analyse, où s’articule l’objet A de Jacques Lacan, (B3, 18), (qui est un « mathème », non productible par l’analyse ».)

Par conséquent, il importe de souligner l’écart entre la conception freudo-lacanienne et jungienne. Nous pensons que (B3,18) commet une erreur lorsqu’il dit qu’en dernière instance, dans la théorie jungienne, tout peut être ramené à u langage : « Parce que la différence qu’il y a, par exemple, entre la psychanalyse et Jung – et les gens qui fonctionnent sur ce mode-là, de l’interprétation symbolique d’un Inconscient qui n’a rien de freudien – c’est l’idée que, quand même, tout peut se ramener à du signifiant. Même si on récuse la théorie du signifiant. Tout se ramène à des mots », dit-il.

 

Plus loin, il assimile Jung au « thérapeute qui sait » (B3,19), parce qu’il a réussi à élaborer un « dictionnaire des symboles » : « Une parenthèse à ce sujet, à propos de Jung. Si vous lisez l’Interprétation des rêves sur cette question de la symbolique – c’est-à-dire  l’idée qu’il y aurait, quand même, des choses qu’on pourrait « déchiffrer » chez le sujet – Freud, lui, considère que, si ces symboles sont peut-être communs, ils ne constituent pas un dictionnaire qu’on va appliquer pour un sujet. Il faut partir du sujet, voir les morceaux de ce qu’il dit, restant inanalysables ; c’est simplement à partir d’eux, parce que le sujet n’associe pas dessus, ne peut rien dire, qu’on est justifié à avoir recours à la signification que peut prendre cet élément dans d’autres cures. Et il appelle ça des « symboles muets ». Là on a recours à la symbolique au sens de Jung, donc, c’est là où le sujet ne parle pas. Il faut quand même s’en rappeler », dit-il .

Nous pensons que cet analyste est influencé par une théorie.

Ce n'est pas Jung qui "ramène tout à des mots", mais J. Lacan ; par conséquent, ici, le véritable clivage se situe au plan de l'acception à donner à l'ordre du signifiant et du symbolique : "Les symboles muets", qu'évoque(B3,19), pour Jung, "parlent" aussi, mais selon une modalité différente, modifiant par là également l'acception du concept d' Imaginaire,  chez J. Lacan.

Dépassant le fantasme (cf : "la réalité est un fantasme", déclare J. Lacan), l'ordre de l'Imaginaire, pour Jung, est plus proche, par le biais des archétypes puisés dans l'Inconscient collectif, d'un ordre symbolique structurant .

Les archétypes, en effet, dans la théorie jungienne, ont un double rôle : sur un versant, ils maintiennent l'ordre en place ; sur un autre ils sont des "organisateurs psychiques", dirait René Kaës [2] . "(L'archétype) a une double dynamique. D'un côté il veut rester semblable à lui-même, il est organisateur ; d'un autre côté, il est l'organisateur du désordre aussi ; il veut l'évolution vers la culture, que la nature soit frustrée,  contrainte, et souffre pour évoluer vous la culture (..) ", explique (F2, 19 ; il reprend cette idée plus loin, p. 29) .

Nous saisissons  mieux l'écart introduit entre l'ordre biologique (siège de nos "instincts" ou pulsions, habituellement, selon la théorie freudo-lacanienne, B3, 15-19), et l'ordre culturel,  structuré par le biais de représentions collectives archétypales -ou imagoïques-, ainsi que le sens étymologique nous invite, d'ailleurs, à le remarquer.

 

 

Nous comprenons mieux également pourquoi l'analyse, selon Freud, dans une perspective biologique des pulsions et de la libido, s'articule sur le “roc biologique de la castration", (B3, 18), remplaçant "l'impossible à supporter du symptôme" par " l'équivalent d'un impossible à dire" et a recours aux "symboles muets" (jungiens) - qui "parlent" nous l'avons vu, sur le mode figuratif, archétypal et structurant  tels des “organisateurs"  uniquement quand "le sujet n'associe pas, ne peux rien dire", dit (B3, 19).

 

En conclusion , nous dirons qu'une différence terminologique selon les théories semble désigner des référents identiques.

Cette réflexion de (F1, 29) nous paraît  pertinente : "C'est très curieux, d'ailleurs, lorsqu'on lit des  textes des Freudiens les plus stricts, ils ne prononcent pas le mot, mais ils sont obligés, sans arrêt... . Ils n'emploient pas le terme d’archétype, donc ... Je suis très frappé car j'ai un certain nombre de psychologues en formation, en études à la Sorbonne ou ailleurs, mais qui ont des cours et des séminaires  entiers avec des très doctes de l’Institut ou des Lacaniens. Ils arrivent et me disent (ils me sortent le cours ) : "Mais il n'a pas employé le mot d'archétype ! Mais il a bien été obligé, à un moment ou à un autre, pour exprimer quelque chose, de mettre un autre mot qui voulait dire exactement ça. . .", dit-il .

 

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