Marie-Christine Combourieu – 1985
Parlant de la télépathie, Freud dit en effet :
"On est amené à penser que ce fut là le mode primitif, archaïque de communication entre les êtres et qu'il céda ensuite la place à la méthode par signes perceptibles à l' aide des organes sensoriels. Mais l'ancienne méthode peut continuer à subsister à l'arrière-plan et à se manifester en certaines circonstances, par exemple dans les foules animées de quelque passion. Tout cela est encore obscur, plein d'énigmes non résolues, mais il n' y a pas lieu de s'en épouvanter" . . .
(Rêve et occultisme, p. 76).
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_(A3,27) et (I,21) pensent que la propagande politique est un cas de "passion"' susceptible, en effet, d' utiliser cette modalité de communication. Sans doute est-ce parce que le Moi perd ses limites (Psychologie collective et Analyse du Moi, 1921).
Freud poursuit : Pour ce qui est de la télépathie :
. . . « Nous ne serions pas surpris de la découvrir justement dans la vie de l'enfant. L'enfant ne se figure-t-il pas fréquemment que les parents connaissent toutes ses pensées sans qu'il leur en ait fait part ? Et la croyance des adultes en l'omniscience de Dieu est peut-être l'équivalent de cette idée enfantine dont elle découle d'ailleurs sans doute »…
(Rêve et occultisme, p.76).
_(A2, 10) évoque en effet le stade du : "Mon petit doigt me l'a dit... ! ", chez l'enfant et dit : "Cela fait partie de la vie humaine d'être assujetti a cette pérennité des positions archaïques".
_(F1, 20-21) évoque, lui, l'enfant avant 7 ans (l'âge dit de "raison", période pendant laquelle il reçoit parfois "des paires de claques" parce que ses parents supposent qu'il a "écouté aux portes", alors qu'il s'agit d'une information dite télépathique de "transmission de pensées", en fait, entre ces derniers et lui (voir plus loin p.142).
Dans la majorité de nos entretiens, les phénomènes dits paranormaux sont mis en relation, en effet, avec la résurgence dans le psychisme de couches anciennes, pré-oedipiennes. La référence théorique alors mentionnée est celle à M. Klein (B2,19 /I, 13), Winnicott (A1,9, 15, 16 /I, 13) ou K.Abrahm (B2);
_(A1, 19) dit que l' analyse « mobilise, sans doute, des couches de la vie mentale qui ne sont pas habituellement mobilisées ».
Tout au long de l'entretien, il s'appuie pour illustrer l'occurrence de phénomènes soi-disant mystérieux, sur la relation, primitive mère-enfant (A1, 2- 16). Il dit qu'il devient par moments "métaphorique" (A1,7) ; que les patients le qualifient de "magicien" (A1, 6, 15) ou lui disent qu'il est "magique".
Les phénomènes dits paranormaux, pour lui, "ont des éléments très, très proches des interactions précoces entre la mère et le bébé! Et pour moi, c' est ça, la vraie nature des phénomènes mystérieux en analyse", dit-il, (A1,9).
_(A2, 4-9) illustre avec force sa théorie selon laquelle le paranormal, qu'il assimile à l'"étrangeté freudienne", (A2, 1), prend ses racines dans la période fusionnelle archaïque "où le Moi et le non-Moi étaient indistincts, où entre la bouche du nourrisson et le sein de sa mère [on ne sait pas] où commence l'un et où finit l'autre", (A2,4).
Pour, lui, le paranormal remonte à l'époque des "premières relations magique avec la mère" (A2, 16) et il pense : "Il est certain que, plus l'ordre archaïque a une part importante dans une psyché, plus celle-ci est exposée à des phénomènes étranges." (A2,12).
De même, son hypothèse est que les individus qui sont le "siège" de phénomènes dits paranormaux ont une "sexualité portant la marque de l'archaïque (... ) : "C'est quelque chose d'océanique : On se trouva en communication avec le "Grand Tout" " (A2,13).
Enfin, pour lui, "les phénomènes paranormaux font partie de la portion immergée de l'iceberg", si l'on compare celui-ci à l'Inconscient. Il ne pense pas que l'on parvienne un jour à mettre en formules, en lois, cette partie immergée, lieu des résidus archaïques et du surgissement des phénomènes "paranormaux "(A2, 19) .
Lorsqu'un scientifique s'intéresse à ces phénomènes, il est sujet à un « clivage du Moi »(A2,21).
(A3,11-12,16-17,26-27) évoque aussi la relation mère-enfant post-natale comme le prototype de la relation analytique impliquant une "régression" - normale - dans ce cadre là - de part et d'autre : analyste/analysant(e). Pour elle les phénomènes dits paranormaux s' originent dans cette "régression" . "On a tout lieu de penser que c'est lié à des régressions. C'est difficile de l'imaginer autrement : A un certain état de "régression" qui doit favoriser ces phénomènes - encore une fois s’ils existent" (A3, 27-28).
_(B1, 13-14) évoque le cas d'enfants mutiques prévenus une heure à l'avance de l'arrivée de leurs parents : "Qu'est-ce qui communiquait ? entre la mère et le gosse? L'inconscient de la mère et celui du gosse ?… ". Elle fait allusion à l'étrange "pouvoir de diagnostic" de Françoise Dolto (B1, 10) .
_(C, 17 /A1, 8) parlent également de Françoise Dolto et de la relation immédiate, qu'elle est capable d’établir avec les enfants qui, de leur côté, "comprennent les affects maternels et le tonus maternel" (A1, 8).
_(B2, 12) mentionne comme source génératrice de phénomènes soi-disant paranormaux "une forme assez archaïque (d'identification à l'analyste par incorporation, selon la théorie de Karl Abraham) antérieure à l'identification oedipienne".
_(E2) base le surgissement de phénomènes dits paranormaux sur des éléments clivés des générations antérieures (parentales) : "C'est vrai que certains d'entre eux (de ses patients) font des rêves prémonitoires, se retrouvent dans quelque chose de magique… . En fait, ils se rapprochent, dans leur réalité interne, de quelque chose de clivé qui appartenait à une génération antérieure (E2,2).
Cet entretien présente cette théorisation de façon récurrente. Les hypothèse qu'il contient se rapprochent de celles de S. Ferenczi (voir p.34 ) à propos du clivage psychique : par exemple, (E2, 3) dit : "Je veux dire qu'au niveau de leur fonctionnement psychique, toute une partie d'éléments de représentation(s) était présente sans être englobée dans ce fonctionnement. Chacun agissait de son côté, parallèlement."
Une des causes principales des occurrences dites paranormales réside dans le fait que nous sommes porteurs d'un "parent intérieur mort" . « Nous sommes plusieurs psychanalystes comme ça, à travailler sur le deuil, sur le "mort que les patients portent en eux » (E2,8). Pour elle, ces phénomènes sont relatifs à la mélancolie, donc également à un stade très archaïque de "l'identité primaire. De l' unité duelle primaire, je dirai. La relation mère-enfant" (E2,21). Ainsi lorsqu'un patient vient à sa séance avec "deux chaussettes différentes", elle dit : "Je pense qu' il amenait quelqu'un d' autre avec lui, quand il venait avec deux chaussettes différentes. Je pense qu'il était porteur d'un "parent intérieur", qu'il venait avec une image : Un parent "internalisé" , incorporé. Mais pas encore mis en position d'objet interne. Et il le montrait bien !"(E2,9).
En conclusion, (E2) construit toute son approche du paranormal par rapport à l'archaïque, dans la relation analytique. (D,37, à propos des "récepteurs du cerveau" supposés réceptionner ou émettre des phénomènes télépathiques - disons « paranormaux », en général - faisait référence au"paléo-cortex" (paléo-cerveau) , c' est-à-dire les centres nerveux les plus anciens) .
__(F1, 12. . . ) mentionne que les phénomènes "synchronistiques", dans la théorie jungienne, font appel à : "l' Inconscient collectif, des événements constitutifs de la psyché humaine extrêmement profonds, tellement archaïques ! Qui à ce moment là, bien sûr sont chargés d'émotivité, dans la mesure où ils sont archaïques".
_(F2,18-19) parle de "l'identité archaïque" et de la "commune inconscience" comme contenu du transfert/contre-transfert : "Il se fait un retour dans cette identité archaïque pour une part importante. La relation entre l'analysant et l'analyste est vécue dans une identité archaïque. C'est ça, le transfert pour Jung : C'est la "commune inconscience". C'est sensiblement différent de ce qui se passe dans le transfert pour Freud."
_(F4) n'est pas un entretien puis qu' il s'agit de la retranscription d'une émission radiophonique. Toutefois, cet analyste évoque directement le fond culturel que constituent "les savoirs censurés" à la source d'une culture. Or, ces derniers ne sont autres que les savoirs dits "traditionnels" plus ou moins ésotériques comme les mancies, l'astrologie, l'alchimie – comme principe philosophique. Il s'agit d'un arrière-fond de "pensée magique" qui nous "tisse". (B3,3) fait allusion à ce "réservoir, dépôt de savoir(s). Comme un dépôt de traditions, de choses… qui nous tissent, quoi ! Qui nous tient... Qu'on a relativement peu l'occasion de rencontrer, finalement". Nous nous demandons dans quelle mesure la sensibilisation actuelle et le retour aux divers traditionalismes régionaux n'en constituent pas un aspect : En effet, ceux- ci comportent des légendes, des mythes . . ., ce que disent (C,9-10) et (D,18 ... ) à propos se "l'arrière-fond magique" celte et breton.
_(H2, 12-13) est un exemple adéquat pour illustrer la théorie du "narcissisme primaire", évoqué en (A2, 4-9).
Il cite plusieurs exemples de phénomènes dits paranormaux en relation avec son vécu personnel et sa pratique de psychothérapeute.
_ (I, 11 -13, 18-19) enfin, fait allusion aussi à la "régression" qui s' opère dans la relation analytique, susceptible de provoquer des occurrences dites paranormales: "Surtout si le transfert est très régressif, si le patient
revit une situation pré-oedipienne. A ce moment là, on peut très facilement avoir ces phénomènes. A mon avis, beaucoup plus que dans d'autre cas.
Je pense que ça rejoint ce que les Soviétiques ont fait sur les lapins.
Dans la relation de la mère et du bébé, je pense que ces phénomènes doivent être - à mon avis - constants . On parle de l'"intuition des mères". Je pense qu'on parlerait de ça",(I, 12).
Toutefois, pour ce psychothérapeute, cette modalité de fonctionnement psychique n'est pas incompatible avec d'autres modalités considérées comme plus rationnelles, structurées à un stade ultérieur du développement mental. "Ce comportement peut intervenir chez des gens qui sont tout à fait matures ! Ce n'est pas forcément l' indice d'un comportement régressif ( ... ). Je pense que chacun de nos sens s'est structuré à un certain moment de notre évolution et celui-ci, si c'en est un, a pu se structurer à des périodes très anciennes de cette évolution. Dans les tous premiers stades oraux (Winicott, Mélanie Klein)…Avant le stade oedipien" (I, 13).
En conclusion, quelque soit l'Ecole d'appartenance ou la distinction que nous avons opérée entre psychanalyste et psychothérapeute, tous tombent d'accord pour dire que le paranormal - et les phénomènes de cette catégorie - s'articulent sur la perdurance activée de couches psychiques très anciennes, archaïques, à mettre en relation avec le stade de la "pensée magique" et partant primitive, voire animiste, ayant pour condition la relation affective.
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