REPRESENTATION DU PARANORMAL ET DE LA TELEPATHIE DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE (suite)

Marie-Christine Combourieu – 1985

c/ L'animisme, la magie, la pensée primitive

Nous regroupons ces trois modes de pensée/penser sous la même rubrique parce qu'ils procèdent, pour Freud, d'un même stade d'évolution de la mentalité - anthropologiquement appelée : . "pensée magique".

Dans Totem et tabou (1913 ; trad ; franç. , Paris ,Payot, 1968, 3ème chap. ) Freud s'inspire, en effet, des théories ethnologiques évolutionnistes de Tylor et Frazer sur la "pensée primitive", corollaire de la magie et/ou de la pensée magique.

Celle-ci a pour caractéristique la surestimation des processus psychiques aux dépens de la réalité extérieure, matérielle et objective.

La pensée magique, pour Freud, est une pensée subjective, résiduelle d' une époque préscientifique. [2]

C' est en quelque sorte, selon lui, la matrice de la pensée occult (e) - iste ,

... "de ces productions d'une époque où l'ignorance humaine était encore très grande, où l' esprit scientifique ne faisait que balbutier" ...

(Rêve et occultisme, ibid, p.47).


La particularité de la thèse de Freud réside dans le parallélisme ontogénétique et phylogénétique qu' il établit entre la pensée primitive - magique - chez l' enfant, l'homme primitif et le névrosé ; comme il existe des stades dans l' évolution de la libido (oral, anal, géni tal, in Trois Essais sur la sexualité, 1905) et une possible régression, chez le névrosé, à ce stade archaïque du développement psychique.

a/ Avant Totem et tabou,

c' est en effet lors de l' analyse de l' Homme aux rats (in Freud (S. ) , Cinq psychanalyses, Paris, P. U. F, 1970) que Freud examine au jour les mécanismes de la pensée magique, présente aussi chez l'obsessionnel.

Une anecdote vient illustrer la coloration psychologique particulière de ce mode de pensée à la fois primitif, magique et névrotique, selon Freud.

"L'homme aux rats" attribuait, donc, une "toute-puissance" à ses pensées, à ses sentiments, aux bons et mauvais souhaits qu’il pouvait formuler.

Il se basait sur une histoire qui lui était arrivée, lorsque retournant pour la seconde fois dans un établissement hydrothérapique il avait souhaité la mort d'un vieil homme qui occupait sa chambre habituelle.

-" Qu' il meurt d'apoplexie ! "…,

s’était-il écrié.

Or, quinze jours plus tard, un cauchemar l'éveille dans la nuit : il voyait un cadavre dans son rêve. Le matin, il apprit que la personne avait réellement succombé à une attaque d'apoplexie.

Le souhait de "l'homme aux rats" se double ici d'un "précognitif" ", au sens où (D,20) en fournit un exemple (la pensée de mort en moins ).

Freud ne croit pas à la "toute-puissance" efficiente des pensées de "l' homme aux rats" . Pour lui, la haine est "toute-puissante" dans la "réalité psychique (def. in J. Laplanche et J.B. Pontalis, ibid, p.391), non dans la réalité matérielle. Il s'agit là, pour Freud, d'une coïncidence, d'un hasard.

_(F1, 14-15 et 50-51) évoque la perdurance de la "pensée magique" comme risque majeur pour la science contemporaine si elle cherche à tout prix à établir des analogies entre les diverses disciplines qui la constituent- comme la. psychologie, la physique, la parapsychologie...

b/ Dans Totem et tabou (ibid, 3ème chap.) , Freud envisage aussi la problème de l' animisme et de la magie comme corollaires de la croyance en la "toute-puissance" des idées.

_Nous avons interrompu cette analyste, (A4,5), dont la réponse déviait vers le thème de la magie, lui signifiant qu' il s' agissait là d'un "cercle élargi"de notre recherche.

Pour Freud, la sorcellerie et la magie sont les applications pratiques, techniques de l'animisme.

L'intérêt de sa réflexion théorique réside dans la reprise de la distinction que fait Frazer entre deux principes fondamentaux régissant la fonctionnement de la pensée magique : Le principe de similitude et le principe de contiguité .

Freud établit un parallélisme, cette fois entre ceux-ci et ceux qui régissent le rêve, que nous avons appelés plus haut : "rhétorique du rêve" (principes de condensation, de déplacement, d'inversion) qui ne sont autres d'ailleurs, que les "figures" que J. Lacan appellera plus tard : métaphore et métonymie.

1° / Le principe de similitude (métaphore )

Ce principe de rhétorique inconscient(e) veut que "le semblable appelle le semblable". Il s'agit de la magie "homéopathique ou imitative". Faisons référence ici, par exemple, au film de J. Rouch : Les faiseurs de Pluie.

L'anthropologue, l'ethnologue (A1, 18 /A2,6,18) sont journellement confrontés sur le terrain à ce type de pratiques .

De même, dans la fabrication des effigies ou des figurines, lèse-t-on la partie de leur corps de cire ou d' argile que l' on veut blesser chez l' ennemi, c'est lui «  jeter un sort ».

La "toute-puissance" des idées sous forme de projections issues de l'Inconscient trouve donc, ici, un support matériel.

Nous avons signalé dans notre introduction une émission télévisée récente concernant ces phénomènes de magie (p. 6 ).

_(H2,43) établit une distinction entre le "sorcier" et la "mage" : le premier utilisant des instruments, le second se contentant d'aller dans la sens de "l' évolution naturelle" ("du bois", "de l' arbre", "de la graine").

(G, 12) évoque, lui, les "sourciers".

2°/ Le principe de contiguïté (métonymie)

Ce second principe veut que les choses qui ont été en contact une fois continuent d'agir l’une sur l'autre, même sans contact ultérieur.

C. Moreau évoque à titre d'exemple les rognures d'ongles et de cheveux ayant appartenu à quelqu'un et que l' on détruit si l' on veut du mal à cette personne (ibid p. 157).

_(D 10)    fait référence spontanément au "principe de contiguité lorsqu'elle parle des objets, des cadeaux offerts par une personne que l'on sort, précisément, le jour où l'on apprend un événement (heureux ou malheureux) la concernant : "et c'est en relation" (D, 10).

Freud donne divers exemples destinés à illustrer les principes de "similitude" et de "contiguité" dans Totem et tabou.

Nous citons quelques extraits où il expose ses considérations théoriques :

. . ."Comme la similitude et la contiguïté sont les deux principes essentiels des processus d'association, toute l'absurdité des propositions magiques est dominée, pour ainsi dire, par l'association d'idée. Nous voyons combien est vraie la définition que Tylor a donné de la magie : prendre par erreur un rapport idéal pour un rapport réel"...

(ibid, chap.3 ).

D' un point de vue psychanalytique, ces deux principes relèvent du "processus primaire" (affects) et non du "processus secondaire" (pensée logique, causale) . Ce qui tendrait à démontrer que la magie, comme la toute-puissance des idées, repose, elle aussi, sur la "réalité psychique" et non matérielle, extérieure, objective.

Pour Freud, par conséquent, l'homme primitif (au sens de Levy-Brühl), comme l'enfant et le névrosé, a une confiance démesurée dans ses désirs et

non dans la réalité : " Prendre ses désirs pour des réalités" est une expression du langage commun caractérisant l' attitude spécifique à la fois du primitif, de l'enfant et du nevrosé :

. . . "S'en tenant aux apparences, il est persuadé que c'est l' action magique qui, grâce à sa ressemblance avec ce qu'il désire, amène la réalisation de l' événement désiré". . .

(Totem et tabou, p. 99).

c/ Freud résume ainsi la question de la pensée primitive/magique et obsessionnelle :

. . . " (Il s'agit d') une surestimation générale de tous les processus psychiques, c'est-à-dire d'une attitude à l'égard du monde qui, d'après ce que nous savons concernant les rapports entre la réalité et la pensée, doit nous apparaître comme une surestimation de cette dernière. Les choses s'effacent devant leurs représentations ; tous les changements imprimés à celles-ci doivent atteindre celles-là. (... ) En nous résumant, nous pouvons dire que le principe qui régit la magie, la technique du mode

de pensée animiste, est celui, de la toute-puissance des idées:'…  (ibid, p. 101) .

De même, d'un point de vue général :

…"Il semble que nous ayons tous, au cours de notre développement individuel, traversé une phase correspondant à cet animisme du primitif, que chez aucun de nous elle n'ait pris fin sans laisser en nous des restes et des traces capables de se réveiller, et que tout ce qui aujourd'hui nous semble étrangement inquiétant remplisse cette condition de se rattacher à ces restes d'activité psychique animiste et de les inciter à se manifester" . ..

(L'Inquiétante étrangeté, in Freud (S.) , Essais de psychanalyse appliquée, Paris,Gallimard,1971,p. p. 163-210) .

_Les phrases extraites de (A2,4-7) que nous avons mises en tête de chapitre p.29 nous semblent aller dans le sens de la pensée de Freud.

(A2, 4, 5, 6, 7) formule en effet, une théorie de la "libido narcissique" remontant au stade pré-oedipien de la psyché, noeud de toutes les "identifications primaires" [3] , inscrites dans la mémoire du sujet., donc, à un stade très ancien - archaïque - du développement psychique.

En effet, dans les moments de "régression" ou "retour du refoulé" (du "barbare" en nous ou de l'"étranger" dit (B4, 15), les frontières entre l'imaginaire et la réalité s 'estompent :

..."Ce que nous avons tenu pour fantastique s'offre à nous comme réel, le symbole prend l'importance et la place de ce qui. était symbolisé"…

(ibid, ,p. 198).

Freud en personne connut un épisode de ce genre qu'il relate dans Un Trouble de mémoire sur l' Acropole (lettre à R. Rolland, trad. M. Robert, L' Éphémère, Edition de la Fondation Maeght, Paris,n°2, avril1967,3-13), lors de son voyage en Grèce avec son frère, en 1904. [4]

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