REPRESENTATION DU PARANORMAL ET DE LA TELEPATHIE DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE (suite)

Marie-Christine Combourieu – 1985

2/ Freud, le théoricien

W. Granoff et J.M Rey, dans le chapitre de leur ouvrage qui s'intitule : "Science, hasard, croyance" (ibid, pp. 107-138) disent que la réflexion de Freud sur la superstition devait servir de préambule à celle sur le "Zufall" (le hasard), en général.

Récapitulons quelques jalons essentiels de cette réflexion.

En 1910, dans la 3° édition de La Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud déclare :

. . . "Faut-il refuser à la superstition toute base réelle ? Est-il bien certain que les phénomènes connus sous les noms d'avertissement, de rêve prophétique, de manifestation de force supra-sensibles, etc... ne soient que de simples produits de l'imagination, sans aucun rapport avec la réalité ? Loin de moi l'idée de formuler un jugement aussi rigoureux et absolu sur des phénomènes dont l'existence a été attestée par des hommes très éminents au point de vue intellectuel. Tout ce que nous pouvons en dire c'est que leur étude n'est pas achevée et qu'ils ont besoin d'être soumis à de nouvelles recherches, plus approfondies"... (ibid, p.278).


 

En 1919, il ne perd pas de vue le dessein de formuler les lois - le déterminisme - de tels phénomènes, incluant au nombre de ces derniers l' "inquiétante étrangeté".

Dans L'Inquiétante étrangeté (1919), Freud fait donc allusion à l'ouvrage d'un savant, Kammerer, qui écrit un essai théorique sur les coïncidences (en allemand, Das Gesetz der Serie). Freud commente à son sujet :

…"Un savant a entrepris dernièrement de ramener à certaines lois les événements de ce genre, ce qui supprimerait nécessairement toute impression d'inquiétante étrangeté. Je ne me risquerai pas à décider s'il l’a fait avec succès" ...

L' ouvrage de Kammerer était paru en 1919 aussi. Ce savant, contemporain de Freud, prouvait que ce que nous appelons communément une "coïncidence ou une "série de coïncidences" est en réalité la manifestation d'un principe universel de la nature opérant indépendamment de la causalité physique.

Pour Kammerer, les "coïncidences" dépendent d'un autre principe, celui de la « sérialité", c'est-à-dire la récurrence dans le temps de processus pério­diques ou cycliques qui se propagent comme des ondes sur l'axe du temps dans le continuum espace-temps ; mais nous ne percevons que les crêtes de ces ondes perçues alors comme des "coïncidences" isolées .

_(F2,35) parle en des termes similaires des avancées de la science mainte­nant toujours comme résidu au-devant d'elle le phénomènes "para" -physiques , "para"-psychologiques, etc... dans un sens contraire : s' agissant des lois établies par la science, cette fois, et non des « coïncidences » : « (que le phénomène "para") soit comme une frange qui se tienne au devant de ce problème de la science et qui ressemble à une vague qui déferle. Il y a la crête de la vague et puis il y a l’écume au-devant de la vague. Ca continue de déferler avec l'écume qui est devant... Hein ? Le phénomène « para » est, peut-être, cette espèce d'écume qui est devant la vague, et qui sera toujours devant : En ce sens que toutes les fois que l’on fait une loi statistique, on fait une loi causale" (F2,35).

Freud s'est intéressé aux hypothèses de Kammerer parce qu’il retrouvait chez lui des exemples similaires à ceux qu'il affichait lui-même  concernant les nombres.

En effet, Kammerer écrit, par exemple :

..."Mon beau-frère va au concert ; il a le fauteuil 9 et son ticket de vestiaire est aussi le 9. Le lendemain, nous allons ensemble au concert de l' orchestre philharmonique ; il a le fauteuil 21

et le ticket de vestiaire  21" ... (in C. Moreau, ibid, p.150) .

Pour Freud, les théories de Kammerer ne pouvaient que lui rappeler celles de W. Fliess sur la périodicité des nombres.

En revanche, les lois de la "sérialité" de Kammerer ont pour écho les formulations méta-psychologiques de Freud au sujet de la "compulsion de répétition", principe irréductible dirigeant notre existence "au-delà du principe de plaisir" (1920 )            et fournissant l'explication dernière, selon lui, à la fois du "Zufall" (hasard), des coïncidences étranges" et de la superstition. Mais aucun arrière-fond mystique, pour Freud, n' entre en ligne de compte.

Dès 1919, il écrit dans L'Inquiétante étrangeté :

"Le facteur de la répétition involontaire nous fait paraître étrangement inquiétant ce qui par ailleurs serait innocent, et par là nous impose l'idée du néfaste, de l'inéluctable, là où nous n'aurions autrement parlé que de "hasard". Ainsi, par exemple, c'est un incident certes indifférent qu'on vous donne à un vestiaire un certain numéro - disons le 62 - ou que la cabine du bateau qui vous est destinée porte ce numéro. Mais cette impression se modifie si ces deux faits, indifférents en eux-mêmes, se rapprochent au point que l'on en vient, par aven­ture, à faire l'observation de tout ce qui porte un chiffre, adresses, chambre d’hôtel, wagon de chemin de fer, etc. . .ramène toujours le même chiffre ou du moins ses composantes. On trouve cela étrangement inquiétant et quiconque n'est pas cuirassé contre la superstition sera tenté d' attribuer un sens mystérieux à ce retour obstiné du même chiffre, d'y voir par exemple, une allusion à l'âge qu' il ne dépassera pas"...

(ibid, p.189).

Il importe de préciser avec Messieurs W.Granoff et J. M.Rey les positions de Freud concernant le hasard.

Dans la première édition de la Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Freud déclare :

..."Je crois en effet au hasard extérieur (réel) , mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique) ".

(in W. Granoff et J. M.Rey, ibid, p 109 ) .

W. Granoff et J.M Rey commentent : "Je crois , je ne crois pas, telles sont les assertions (des actes de foi) dont Freud en 1901 martèle ses phrases" (ibid, p. 109).

Or, ce sont des "coïncidences" répétées au cours d'une même séance d'analyse avec M.P qui conduiront Freud à émettre l'hypothèse de la télé­pathie, en 1921, à propos du "cas Vorsicht" (voir plus loin p. 123).

En conclusion de ce chapitre, nous dirons que Freud explique le "zufall" (hasard) par des mécanismes psychiques relevant de la paranoïa :

. . . "Les différences entre le superstitieux et moi sont au nombre de deux. Premièrement, il projette à l' extérieur une motivation, que je cherche à l'intérieur, deuxièmement il interprète un hasard à travers un événement, alors que je le ramène à une pensée" ...

(in W. Granoff et J. M.Rey, ibid, p. 109) .

La frontière entre l' "intérieur" et l' "extérieur" du "Psychische" constitue le point délicat, central, de la "problématique freudienne de la télépathie". Toute la question, en effet, est de savoir quel statut accorder aux "coïncidences" (F1,7,27).

Pour Freud, il ne fait pas de doute, cependant, que celle de l' occult (e) - isme se réduit à la projection de la psyché sur le monde matériel :

..."Je pense que, pour une bonne part, la conception mythologique du monde qui anime jusqu'aux religions les plus modernes n'est autre chose qu'une psychologie projetée sur le monde extérieur. L'obscure connaissance des facteurs et de faits psychiques de l'inconscient se reflète dans la construction d'une réalité supra-sensible, que la science retransforme en une psychologie de l'inconscient"...

(La Psychopathologie de la vie quotidienne, p.276).

Le rôle de la Psychanalyse est de "déchirer le voile de ces imaginations " illusoires en parcourant à rebours les connexions inconscientes.


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