REPRESENTATION DU PARANORMAL ET DE LA TELEPATHIE DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE (suite)

Marie-Christine Combourieu – 1985

1/ Freud, l’homme privé

Freud n'avait pas échappé, à sa naissance, aux prédictions occultes de plusieurs voyant(e)s. Sa mère avait ardemment désiré pour lui, une renommée exceptionnelle, et le jeune Freud - inconsciemment - n'y était pas resté insensible.

. . . " Je pense à ce qu'on m' a raconté si souvent dans mon enfance : Lors de ma naissance, une vieille paysanne avait prophétisé à ma mère, fière de son premier enfant, que ce serait un grand homme"... ,

écrit Freud dans L' Interprétation des rêves (ibid, p. 171-172).

Quelques lignes plus loin, il raconte un autre épisode du même genre :

…"Mes parents m'avaient emmené un soir, alors que j'avais déjà onze ou douze ans, dans un des cafés du Prater. Ils virent un homme qui allait de table à table et, pour quelques sous, improvisait des vers sur le thème qu'on lui donnait. Ils m'envoyèrent quérir le poète à notre table, et celui-ci (... ) prédit que je serais un jour ministre. Je me rappelle fort bien l'impression que me produisit cette seconde prophétie"...

Voilà deux exemples prouvant que Freud fut - inconsciemment ? – marqué par des prédictions "occultes" relatives à son destin.


 

Certes,  il explique aussitôt au lecteur, dans un mouvement de dénégation :

. . . ",il y a tant de mères remplies d'espoir" ...

Sans doute ces anecdotes constituent-elles un point de départ pour l' étude ce qu'il appellera plus tard le "transfert de pensée".

a/ La superstition :

Dans une lettre du 4 Juillet 1882, il recommande à sa fiancée, Martha, de mettre une pièce d'argent dans sa tirelire et lui écrit :

.."Tout métal a le pouvoir magique d'en attirer d'autre ; le papier est emporté par le vent. Tu sais que je suis devenu superstitieux. La raison est terriblement austère et sombre ; une petite superstition a quelque charme". . .

Voilà un exemple illustrant le "principe de contiguïté" dont nous parlions p.37 .

Dans une autre lettre à Martha, datée du 26 Août 1882, il lui demande si elle ne l'en avait pas moins aimé...

. . . "jeudi dernier, à onze heures ...

Freud venait de se cogner la main contre une table chez un chirurgien qui lui incisait un abcès de la gorge. Il avait brisé son anneau de fiançailles.

Au même moment Martha mangeait du gâteau, paraît-il (in C. Moreau, ibid, p.26).

Un même mouvement de dénégation s'ensuit :

..."Je dois avouer que mon coeur n'a pas défailli, je ne fus pas saisi de pressentiment sur la fin malheureuse de nos fiançailles ( . . . ) . Un homme sensible aurait ressenti tout cela, mais ma seule pensée fut que la bague devait être réparée et que de tels accidents ne peuvent guère être évités" ... (lettre à Martha du 26 Août 1822).

Au chapitre XII de La Psychopathologie de la vie quotidienne, il écrit :

. . ."Le fait d'avoir été conduit devant une maison qui n'était pas celle de ma malade, signifierait-il quelque chose ? Pour moi, non, c'est certain. Mais si j'étais superstitieux, j'aurais aperçu dans ce fait un avertissement, une indication du sort, un signe m'annonçant que la vieille dame ne dépasserait pas cette année" ...

Quelques pages avant ce passage, il reconnaissait en lui :

. . . »une tendance à la superstition dont l'origine m'est restée longtemps inconnue"...

Par contre, quelques pages plus loin, il insistera pour que le lecteur reconnaisse en lui

... "tout ce qui le distingue d'un homme superstitieux". . .

b/ L' efficacité symbolique/magique :

Dans La Psychopathologie de la vie quotidienne, il nous rapporte plusieurs anecdotes à propos d'actions "magiques" auxquelles il se serait livré.

Un jour, il brisa le couvercle en marbre d'un encrier pour obtenir un cadeau de sa soeur.

Une autre fois, sa fille aînée était en danger de mort à la suite d'une opération. Freud visa avec une pantoufle une statuette de marbre - qu'il brisa - en signe de sacrifice propitiatoire.

Une figurine égyptienne subit le même sort, plus tard, pour préserver une amitié.

Enfin, une fois, Anna, sa fille aînée devait rentrer à Vienne par le train. Freud écrit à Ferenczi :

. . . "Pendant la nuit, il y eut un accident de chemin de fer sur la ligne qu'elle devait emprunter. Aussi à titre de protection - je perdis mon pince-nez et son étui en me penchant dans les bois "…

(lettre à Ferenczi du 14 Août 1925; in C. Moreau, ibid, p.28)

Ces exemples illustrent, cette fois, le "principe de similitude" régissant la "pensée magique" (voir, p.37 ).

c/ La numérologie :

Freud était également très superstitieux à l'égard des nombres "fatidiques". Ce penchant remonte à sa relation avec W. Fliess (1887-1902) et à la croyance en la périodicité des chiffres 23 et 28 que celui-ci développa, à laquelle Freud crut pendant longtemps. [5]

_(F1, 23) évoque cet aspect caché de la personnalité de Freud.

Par exemple, Freud nourrissait une superstition privilégiée pour le chiffre 17 qu'il avait tiré, un jour, dans une tombola ; ce chiffre devait révéler le caractère : le mot "fidélité" lui était associé. Aussi Freud prit-il soin de se fiancer un 17.

Cette superstition pour les nombres aurait commencé en 1899, date à laquelle un nouveau numéro de téléphone lui avait été attribué (in C. Moreau, ibid, p. 30) .

Freud crut mourir à 41 ans - en 1897 - selon les calculs périodiques de W. Fliess ; puis à 51 ans, en 1907. Cette date est "fatidique" pour une autre raison : C'est celle de la 2ème édition de La Psychopathologie de la vie quotidienne, dans laquelle Freud ajoute de nombreuses remarques concer­nant la superstition et, par ailleurs, supprime une note (qui ne se trouve que dans la Standard Édition) disant sa crainte de mourir précisément cette année là - en 1907 ! (in C. Moreau, ibid) .

Puis ce fut la crainte de mourir à 61-62ans ,en 1917,etc... .

Comme précédemment, Freud ne veut pas paraître superstitieux aux yeux du lecteur et use d'un stratagème. Cette fois, c'est sur le mode de la distanciation impersonnelle qu'il relate une anecdote dans La Psychopathologie de la vie quotidienne.

…"Un monsieur qui a une préférence particulière pour les nombres 17 et 19 se rappelle, après quelques instants de réflexion, qu'à 17 ans, il a conquis la liberté académique en devenant étudiant, et qu'à 19ans , il a fait son premier grand voyage et, bientôt après sa première découverte scientifique. Mais la fixation de cette préférence ne s'est effectuée que deux lustres plus tard, lorsque les mêmes nombres eurent acquis une certaine importance pour sa vie amoureuse"…

Il s'agit, bien sûr, de lui-même.

Il serait, trop long d'évoquer l'intérêt que Freud portait aux tarots et à la Kabale dans la tradition mystique juive. D. Bakan (in Freud et la tradition mystique juive, Paris, Payot, 1964 ; C.Moreau, ibid, p. 24) pense que cet arrière-fond culturel hassidique n’est pas innocent au regard de la superstition que Freud nourrissait pour les nombres.

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