Marie-Christine Combourieu – 1985
4°/ Un Ailleurs du sens
Pour au moins deux analystes , (C et E 1) , l' “Ailleurs" est ce "topos"
philosophique, d'où se génère le sens : la "Semantein", (E1,35).
- "Je pense que la philosophie, si
vous voulez (puisque je suis philosophe d'origine), c'est que l'on pense et
que l'on vit avec la raison . Mais qu'il existe un arrière-plan, n'est-ce- pas
? -que la plupart des philosophes ont reconnu, même quand ils sont rationalistes
comme Kant. Il y a le "noumène", qui est au fond la réalité la plus
profonde derrière les phénomènes. Il existe. Ce n'est pas commode de le toucher,
hein !", rappelle (C,11) . (H2,45, de la même manière, s'exclamait : "
Parce que moi, mon cerveau, ma raison, elle est basée sur des expériences que
j'ai faites dans ma vie, matérielles, avec des objets que je touche. Je n'ai
jamais touché Dieu. Je n'ai jamais touché autre chose que ce que je touche dans
l'univers. Je raisonne sur de la matière. Je n'ai pas la prétention, avec un
outil totalement imprégné de mémoire et d'Histoire -diraient les Marxistes,
que je respecte dans leur analyse matérielle, très bien ! - d'appréhender quelque
chose qui est du domaine du divin" ).
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-"Soudain, dans la flaque d'eau,
que voit (l'anthropoïde qui se balade) ?
L' envers du monde. Ce monde-ci qui est
le même reflété dans ce monde autre. Du même dans l'autre (...) . Et soudain,
cette reconnaissance : La parole apparaît. C'est la médiation, qui permet de
dire MOI.(...).Cette identité dans l'autre, c'est lui-même ! Et ça, c'est, à
mon avis, le fondement de la parapsychologie", dit (E1, 7), en posant d'emblée
l'Autre ou l' "Ailleurs” comme le lieu (le "topos") générateur
d'un sens caché, autre, ontologique.
Pour cet analyste, l'"Expérience",
(E1, 15), synonyme de "conversion intérieure à la révélation d'une véri
té" , participe de l'expérience mystique "en substance" et non
"en prédicat" : "Mystique, oui... A condition que ce ne soit
pas un prédicat mais la substance de l'individu", dit (E1, 11).
Pour lui, cet "Ailleurs du sens"
procède du "réel", aussi, proche de la psychose, (E1, 16) ; qui n'est
autre cependant que la "vérité" , au-delà et en deçà de toute représentation
: "Tout ce qui est acceptation du réel est de l'ordre de l'acte, là où
la représentation démissionne. Nous approchons de la Réalité en démissionnant
le plus possible de la représentation. Et si au-delà de la Réalité, nous démissionnons
encore un petit peu pour nous approcher du Réel ... Eh ! bien, nous sommes dans
ce lieu des grands mystiques. Comme le Christ. Ce sont des gens qui se sont
frottés au Réel, au matériau dont sont constituées les choses . Ce sont des
gens qui se sont approchés du Réel. Dieu, c'est ça ! Seulement un "Hoc"
qui a pris son sens -sa promotion- à partir d'un Ailleurs constitué par la profondeur
de l'Autre sous la forme de l'Homme dans l'Univers. Toute la réalité est là",
dit-il : "Quiconque n'a pas le sens de "la chair du monde" ...
Voyez René Char, Soleil et chair, Le Soleil noir ; Rilke. L' animal ... "Got" ! Ca veut dire quoi ? C' est "chair"
C'est "Dieu".( . . . ). Un de mes articles, ce sera . “Le
Réel, puissance de Dieu". Ce sera un livre, -fait de plusieurs articles,
sur le tantrisme, etc ...", ajoute-il, (E1,18-19).
Comme nous le voyons, cet analyste s'intéresse
aux philosophies orientales (voir aussi E1, 8-9), berceaux du sens originel
... " ( ... ) La comme cela, de paroles qui viennent de l'Ailleurs, qui
fait que nous nous sentons être des existences traversées. ( ... ). La linguistique
nous montre qu'il y a un autre sujet ; que le signifiant constitue son propre
monde indépendamment du sujet qui croit être le sujet de la parole ( ... ) qui
fait que signifiant et signifié, en permanence, viennent justement se donner
une sorte d'appui réciproque", dit-il,(E1, 33).
Par conséquent, il existe
bien, pour cet analyste, un monde à part (échappant à la constante de la lumière,
selon lui, E1, 13-14), déjà là, transcendant et immanent à la fois, pour ainsi
dire, où se fait le sens qui nous constitue comme "ex-sistants" :
"Nous somme inscrits dans cet univers physique où nous sommes profondément
enracinés mais nous avons ouvert une toute autre dimension... Ca veut dire qu'avant
que nous l'ayons ouvert, c'était déjà ouvert . ( ... ) Alors , ce point, justement,
de rencontre où l'Ailleurs nous frappe, ce point d'impact d'un monde qui est
entièrement "ouverture" et qui vient, par l'antenne, se glisser en
nous et faire de nous une ouverture, ça, c'est merveilleux ! L'existence même
! "Ex-istence", c'est s'ouvrir, appeler "hors de soi", pose-t-il,
(E1,14;32). De même :
-"Le langage de l'enfant,
c'est un pont jeté vers le langage qu'il parlera, c'est une illusion de croire
que nous somme découpés, comme ça, dans l'espace.( ... ). Le temps, c'est pareil.
La parole aussi, il y a une sorte de spatialité impénétrable, alors qu'en réalité,
c'est un mouvement qui parle déjà avant de pouvoir parler. Alors là aussi, on
peut voir un rapport avec ce qu'on appelle "parapsychologie". Ce sont
des Ailleurs, tout ça, des Ailleurs des temps qui nous attendent. Nous somme
ouverts à de l'Ailleurs. Où en deçà de nous -même : Ailleurs qui vient produire
en nous une cohérence inattendue. Ou au-delà de nous-mêmes : Ailleurs d'un avenir
que nous ne pouvions ni programmer ni prévoir. (...). Ce que nous sommes "ici
et maintenant" n'est qu'une espèce d'apparence plupart des gens à qui je
dis ça, disent, comme ça ... Donc, ils n'ont pas encore trouvé ce qui a été
trouvé il y a pas mal de temps , hein
! un certain nombre de siècles ! (dans l'Orient traditionnel, avec les Pré-socratiques...
) ", (E1, 9) .
Ex-lacanien, et sympathisant de la théorie
jungienne, il continue toutefois de refuser les "mandalas" : "Pas
besoin de "mandalas", de grâce! Mais oui, il a raison ! Tout ça, c'est
là, pas besoin d'en faire tout un festin !", dit-il, (E1, 23).
Ainsi que plusieurs analystes précédents,
il accorde une connotation tout à fait particulière et privilégiée au concept
d' "intuition" , en relation avec la saisie immédiate d'un profil
psychologique par le biais de l'astrologie : "On parlait de moi tout simplement
à partir de l'astrologie. On ne peut pas, pas plus que devant un examen psychologique
bien fait (c'est bien meilleur qu'un examen psychologique) ne pas percevoir
qu'il y a de l'intuition qui circule quelque part. L'intuition qui circule ;
ça veut dire que ce n'est pas par la chaîne des causalités que nous allons savoir
pourquoi Me X..., en regardant mon horoscope, dit : "Oh ! la, là! Ce que
ça vous ressemble !" Elle m'avait donc déjà perçu ? Ca, cette perception
de quelqu'un par quelque un d' autre, c'est quelque chose qui est de l'ordre
de l'intuition. Après, on se sert des éléments ", déclare-t-il, (E1, 14-15).
En conclusion, pour (E1), ex-lacanien,
donc, cet "Ailleurs du sens" se confond avec un "Ailleurs du
signifiant" où le langage -la dimension linguistique- occupe une place
prédominante, et même, autonome : "Ah ? Qui, là-dedans, organise ? ( ...
) Qui c'est ? un dictionnaire à la place ?", interroge-t-il ,(E1,28-29).
Poète lui-même, "les mots viennent
tout seuls ", dit-il, (E1,30), en quelque sorte, surgissant de l'"Ailleurs"
: "Et la dimension de l'Ailleurs, telle qu'elle apparaît chez un poète,
un architecte, un artiste, elle est toujours là" , précise-t-il :
"Il y a des lieux de paroles "orgastiques", vide par rapport
à ce qu’il est dans ce mouvement d’en deçà et d’au-delà : Dans lequel nous sommes
des êtres en devenir : des “ex-sistants" . Alors, dans cette épistémologie
là, vous voyez bien que la parapsychologie, la télépathie... se resituent d'une
façon toute différente ! Si on a tellement de mal à accepter ça, c'est parce
qu'on se situe toujours dans un ordre de cause qui est une causalité élémentariste,
comme ça : Petit élément par petit élément", conclut-il, (E1, 33 ;. 34
; 35). Il prononce le terme "Soi", concept jungien, (E1, 32).
* Pour (F2, 26-29), le "Soi"
est également un "Ailleurs du sens", s'il déborde le langage proprement
dit, utilisant davantage les images et les symboles , démarche spécifique de
la théorie jungienne.
Le Soi est un "autre centre de la
personnalité" vers lequel l'individu est contraint d'évoluer, par l'évolution
"propre de l'archétype" : "Ce n'est pas un état paranormal. C'est
quelque chose de naturel, voulu par la nature. Ce n'est pas induit par le thérapeute
ou l'analyste . C'est un phénomène naturel (...). Ce n'est pas anormal ni paranormal.
C'est naturel, et en même temps contre nature, paradoxal", dit (F2, 27-28).
Cet analyste emploie des métaphores, plutôt,
pour exprimer ce qu'est le Soi et se réfère à la philosophie des alchimistes,
bien connue de Jung: “Il n'y a pas de stade du SOI. Du moins, ce serait de plus en plus quelque chose comme
ça qui s’installe et ça apparaît, par exemple, dans certains types de rêves
: Vous rêvez que vous avez votre maison et puis qu'il y a une pièce nouvelle
qui est à vous, ajoutée à la maison. Ca, c'est le processus d'identification
du MOI. Ensuite, dans cette pièce nouvelle, quelqu'un est devenu propriétaire
de la maison. Ce n'est plus vous le propriétaire. C'est le propriétaire qui
décide. Mais quand même, vous habitez là. Vous êtes en parfait accord avec lui...
Voilà. Le MOI contiue de régler les
affaires courantes , de s’adapter à la vie et de décider s'il va freiner au
feu rouge, s'il va faire sa déclaration d'impôts ... Mais il y a un autre centre
de la personnalité qui est là et qui prend de plus en plus d'importance",
explique-t-il, (F2, 26-27).
Ainsi est décrit le processus
d "'individuation", à l'issue duquel le MOI n'est plus que "le
serviteur de l'Oeuvre" , selon la doctrine alchimiste : "C'est-à-dire
que ce n'est pas Moi qui décide. Moi, je suis simplement là comme le gérant
de quelque chose d'autre (. . .) ", poursuit (F2, 26).
Le processus d "'individuation"
qui conduit à la réalisation du Soi est guidé par l’autonomie de ce dernier
: "Le MOI est conditionné par la causalité, justement, par l'ici et maintenant,
par le temps, par l'espace, par l'âge, par le corps , etc ... le SOI, pas. Par
conséquent, il peut être ressenti, par le MOI comme un "esprit" ou
"l'Esprit" (avec un
grand E) Disons que c'est une commodité de vocabulaire" , dit (F2, 28).
(Il évoquait les "esprits" formés
par les complexes autonomes, mis en évidence lors des expériences sur les associations
de Jung et de Bleuler : "Donc, que dans un certain mode de pensée, relativement
archaïque, ces complexes soient ressentis comme des "esprits", c'est
tout à fait possible. Et effectivement, quand un primitif parle des "esprits",
il parle en réalité de ses propres complexes. Ca, c'est net", concluait-il
, (F2, 28).
Dans la théorie jungienne, l'Inconscient
collectif constitue un réservoir -un Ailleurs - de sens : "Ce que Jung
a appelé l'Inconscient collectif -pour mettre dans une espèce d'endroit, de
lieu, un certain nombre d'éléments, de forces qui ne sont pas de l'Inconscient
personnel immédiat mais qui appartiennent au collectif, y compris les archétypes
- n'a rien de mystique ! ( . .. ). Quand on dépasse l'échelon individuel, dès
qu'on entre dans les couches profondes de la psyché, on est obligé d'y faire
appel -qu'on le baptise d'un autre mot, moi, ça m'est égal !", expliquait
(F1, 29) : "Effectivement, quand on parle de "phénomènes spirituels",
c'est ça. Les gens n'ont pas compris que ce que Jung décrivait était, en fait,
des phénomènes naturels qui se passent depuis des millions d'années. C'est "religieux",
si l'on prend le terme religion comme religere = quelque chose qui "relie
à". C'est l'essence du phénomène religieux, oui", élucide (F2, 28-29)
.
Nous voyons que pour ces analystes, (C
/ E1 / F1 / F2), le sens des évènements qui se déroulent "hic et nunc",
en réatité, se joue "ailleurs".
Toutefois, les théories permettant de
mettre en oeuvre leurs systèmes de représentations, diffèrent.