Marie-Christine Combourieu – 1985
Nous avons vu que, dans la théorie jungienne,
psyché et matière "ne sont pas fondamentalement incommensurables et que
ce sont peut-être des qualités d'un seul et même existentiel", (F2,10).
C'est pourquoi tout signifiant, ou symbole, peux se comporter aussi bien sur
le mode matériel que psychique (voir l'exemple du "scarabée d'or",
F1,11 et F2, 8 ; voir aussi p. 162).
Deux analystes de notre échantillonnage
ont appartenu au G.E.R.P. , (D, 15 et F1, 3, 13, 42, 44), Groupe d'Etudes
et de Recherches en Parapsychologie, formation qui réunit tant des physiciens
que des psychanalystes et des mathématiciens.
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D'autres institutions de recherches similaires
existent, par exemple en Allemagne, à Fribourg, avec Hans Bender, (F1, 16),
ou à Toulouse, avec. Yves Lignon, (B3, 25, 30 / F1, 44 / I, 3, etc.), qui se consacrent à l'étude
des phénomènes dits paranormaux/parapsychologiques ou télépathiques. Les recherches
des Américains et des Soviétiques sont parfois mentionnées aussi, par (A3,22
/ D,4,29 .../ F1,41 / G,1-2,9).
Cependant, seuls (F1 et I développent
longuement les problèmes que rencontre la méthodologie dans ce domaine d'exploration
.
_(I,11) évoque les expérimentations avec
la cage de Faraday, qui n'arrête pas ces ondes d'une nature encore énigmatique
: "( ...) Cela ne se transmet pas par ondes électromagnétiques, puisque
ça se passe même en cage de Faraday (il mentionne les travaux des Soviétiques,
précisément, sur les mères lapines que l'on sacrifie, provoquant du même coup
une réac tion à l' E . E . G . chez leurs petits, et inversement).
"Ceux qui le pensaient, croyaient
que ces ondes ne passeraient pas. Mais ça n'est pas le cas: Cela pose donc un
problème à l'origine, du fait que ces recherches semblent avoir été arrêtées
ou amoindries actuellement."
_(F1, 7-9, 13-17, 28,
32, 38-51) aborde en détail les difficultés que rencontrent actuellement les
physiciens-chercheurs et les psychanalystes lors d'expérimentations en parapsychologie,
en laboratoire : "Ca fait appel à des domaines constitués d'un maximum
de paramètres ! Alors, ou tous les paramètres sont réunis et ça fonctionne très
bien, ou les paramètres manquent et ça marche moins bien. Selon l'état de celui
qui reçoit, de celui qui envoie.( ... ). Si vous prenez la pensée scientifique
telle que Claude Bernard l'a définie ... Ca ne marche pas ! A moins de truquer.
On peut faire un "envoi" et une "réception" élémentaires,
envoyer un éclair lumineux mentalement : A chaque fois qu'on le "reçoit",
on fait "top top", "top top". (. . .) . Seulement, si vous
n'êtes pas en forme l'un ou l'autre, vous aurez beau vous entraîner, ça ne marchera
pas du tout.
( . . . ) . Ce n'est pas une question
de volonté. C'est une question d'état. Il y a des jours où ça ne marche pas
. Alors, si à ce moment là quelqu'un vient vérifier ce que vous venez de faire
: "Ce n'est pas possible ! Il délire complètement" , va-t-il penser..(
. . . ). Pour répondre aux critères scientifiques, alors là ! Mais cette pensée
scientifique telle qu'on la définie, est-elle applicable à la parapsychologie
? A un certain niveau, ne s'agirait-il pas plutôt d'une pensée "scientiste"
que scientifique ? ( ... ). Dans le domaine de la parapsychologie -disons que
ça ne marche pas", explique (F1, 7 ; 47).
_(F1, 27-28) évoque les techniques que
l'on peut apprendre dans le domaine de la télépathie, inspirées des travaux
de Warcollier : "Maintenant, il existe tout de même -depuis pas mal d'années-
des techniques qui n'ont rien de mystérieux ni d'occulte. On peut travailler
sur la télépathie si on a au moins un don pour ça, comme on peut apprendre à
jouer du piano ! ( ...) . C'est pris au "ras des pâquerettes", ce
sont des techniques de visualisation . Il y a des tas de techniques. Tout repose
sur la visualisation . Ca, on le sait . Dans l'Antiquité existait déjà une étude
de la visualisation", précise-t-il.
Actuellement, si "les
physiciens de la nouvelle génération, du moins ceux qui sont un peu ouverts,
n'ont pas l'air du tout -mais alors pas du tout- d'être déroutés par les phénomènes
de parapsychologie, quand on parle avec eux", dit (F1, 9), des inconnues
demeurent : "Car nous sommes confrontés à des phénomènes. On manque de
théories, d'éléments , on en est à un point où l'on recueille les phénomènes.
On tâche de trouver des noeuds, des points de rencontre, de faire -je ne dirai
pas des "réseaux" car ce serait déjà trop précis- enfin, on essaie
de s'y retrouver !"
Les physiciens pensent appréhender les
lois des phénomènes dits parapsychologiques et télépathiques en étudiant la
structure infra-atomique de la matière. C'est la théorie des quanta qui a ouvert
la voie : "Les problèmes que soulève la parapsychologie, on se demande,
d'ailleurs, s'il ne faudra chercher jusqu'au niveau infra-atomique pour en rendre
compte.
( . . . ). (Les chercheurs-physiciens
de la nouvelle génération qui s'intéressent à ces phénomènes n'ont pas d'a priori,
en général) : "D'abord, comme ils ne sont pas "contre", qu'ils
n'ont pas de résistances cruciales à cet endroit, les choses se passent très
bien. Ils constatent des expériences. Ils ne les expliquent pas encore. Mais
au moins, ils se posent le problème.
Alors qu'il est très difficile d'en parler avec des psychologues. Parce que
les psychologues, ça c'est leur drame ! Ils sont complètement enfermés dans
des théories", déclare (F1,9).
Les physiciens qui se penchent sur l'étude
de ces phénomènes, pour la plupart, ont été sensibilisés par le Colloque de
Cordoue (1979)
[10]
. "Il y
avait tous les jeunes physiciens du G. E . R. P. (. . .). Tous ceux qui viennent
et qui ne publient pas encore. Ceux qui ont participé au Colloque de Cordoue.)
Toute cette mouvance là", (F1,13).
Le problème dans ce domaine de recherches,
c'est que le sujet est à la fois observateur et objet. Cela conduit à nier une
entière objectivité. C'est à partir des incertitudes d'Heisenberg
[11]
, en effet, que
les phénomènes ont été mis en évidence : "En parapsychologie, vous savez,
il n'y a pas non plus de réalité objective. Ca fait
assez hurler les scientifiques stricts ...", dit ( F1,40) .
L'impression générale est que le phénomène
déborde de toutes parts les expérimentateurs : "Tout se passe comme si
le phénomène vous débordait toujours un peu plus. On n'a que des points de repères.
Plus vous posez de points de repères et plus le champ s'étend ! Ca recule d'autant
les possibilités ( ... ) Pour "échantillonner"
(comme on dit), pour faire des protocoles d'expériences ou de travail, ça
pose tout le problème de la méthodologie. Des groupes comme le G.E.R.P,
pluridisciplinaires (. . . ), se sont séparés faute de trouver (. . .) des possibilités
de protocoles d'expérience (s) ", ajoute (F1, 42) : "Mais on ne travaille
jamais que sur les modalités. Je ne pense qu'on travaille sur l'essence même
du phénomène".
Alors, l'ultime problème, selon (F1, 32,
49), c'est d'effectuer ce qu'il appelle "un saut psychotique", (F1,
49-50) : "Évidemment, on peut dire que la parapsychologie, c'est délirant.
A ce moment là, on n'en parle plus.
Vous comprenez, si l'on en croit le
champ psychiatrique pur ! ... ( ...
).Tout dépend de ce qu'on va définir sous le nom de "science". Si
vous posez la question à des jeunes physiciens, ils se posent eux, beaucoup
de problèmes. Pour eux, c' est scientifique. Il faut qu'on travaille sur les particules. Même la relation d' Heisenberg, si vous l'expliquez
à quelqu'un, c'est complètement fou ! C'est complètement psychotique. Un objet
: ou il est là et vous le prenez ; ou, si vous le placez là et que vous ne le
retrouvez pas, vous comprenez, c'est un peu fort ! Ca peut se démonter au niveau
des particules, cependant. Ce petit "saut" au niveau de la pensée,
ceux qui ne l'ont pas fait vous répondront : "Mais il est complètement
fou ! " En parapsychologie, c'est pareil. Il y a un saut qualitatif et
non pas quantitatif", explique-t-il, (F1, 50).
L'enjeu semble, donc, une redéfinition
du concept de l'"Ailleurs".
En effet, la divergence
entre Einstein et l' Ecole de Copenhague porte sut un point théorique essentiel
: "( ... ) On a deux "fois" : la foi absolument déterminisme
-d'Einstein- qui va, pour sauver le déterminisme, jusqu'à faire l'hypothèse
de variables cachées ! Qui va tout à fait contre ce qu'il affirmait quelques
temps avant, c'est-à-dire que : N'est digne d'appartenir à la physique que ce
qui est objectivable. Alors , pour sauver le déterminisme, il va inventer ... des variables cachées .( . . , ) . Mais
l'Ecole de Copenhague, elle, dit au contraire qu'il n'y a pas de déterminisme
! (. . .) . il est évident que les deux points de vue donnent, à un certain
moment, -assurément, à un certain moment-des conclusions vérifiables divergentes.
Alors, la foi de chacun fait qu'ils vont investir (l'un ou l'autre) dans le
développement de leur théorie. Jusqu'au moment où on pourra retrouver une expérimentation
cruciale. On dira, non pas "C'est telle théorie qui est vraie" ; mais
au moins : "C'était l'autre qui était fausse". Alors, on en est là
! Au point de chercher l'expérimentation, qui, probablement, va donner lieu
à une séparation", exprime l'analyste-physicien (G, 10), à propos du problème
épistémologique radical que soulève l'hypothèse de "la télégraphie dans
l'Ailleurs" du paradoxe E.P.R. (Eintein - Podolski - Rosen), qu'il n'aborde
pas personnellement.
Toutefois, d'autres analystes, comme (E1,12-14
et F1,46), eux, le développent et en tirent des conséquences essentielles :
Selon l'Ecole de Copenhague, -indéterministe-, nous échapperions à la détermination
universelle de la constante de la lumière établie par Einstein comme constante
absolue.
Le problème que pose l'étude scientifique
des phénomènes dits parapsychologiques (télépathiques) s'articule sur une redéfinition
épistémologique, où '"Ailleurs" prend son sens : "Actuellement,
on se heurte à un problème qui est que la pensée scientifique du 20ème siècle
n'est pas encore née alors qu'on arrive au 21 ème siècle ! Et on vit toujours
sur la pensée scientifique du 19ème siècle", dit (F1, 48).
Il semblerait que le langage mathématique
puisse servir de support théorique à la formulation de lois régissant ces phénomènes
; or, elles échappent aux catégories kantiennes de l'Espace et du Temps (comme
l'Inconscient, dans la théorie freudienne) : "Il y a, je pense, des problèmes
-effectivement- au niveau mathématique. Même si l' on ne connaît rien à la théorie
des quanta, on est bien obligé de reconnaître que ça existe" , poursuit
(F1, 48) . (...) ."Ce sont des phénomènes qui échappent complètement
aux données de l' Espace et du Temps . Tous les physiciens qui travaillent
là-dessus sont obligés de tenir compte des théories qui travaillent hors de
l'Espace et du Temps . Ils ont des paramètres, des hypothèses de travail au
niveau mathématique qui échappent totalement aux cadres de nos références stricts",
disait -il, ( F1,8). (I, 26 tient les mêmes propos en d'autres termes. . .)
En conclusion, pour (F1, 37-38) ,les phénomènes
dits parapsychologiques et télépathiques sont indissociables de l'Inconscient,
même s'ils empruntent une modalité physique. C'est pourquoi la parapsychologie
est, selon lui, située à l'intérieur de l'analyse. (Il compare les faits dits
parapsychologiques au rêve : "C'est un élément absolument comme le rêve.
La formation qui parait dans une expérience parapsychologique suit les mêmes
modalités, les mêmes modes d'apparition, d'émergence, d'expression et les mêmes
conséquences qu'un rêve. A la limite, le rêve est déjà un phénomène parapsychologique",
précise-t-il ; Freud, lui, n'est pas du même avis.
[12]
Dès lors, si, comme le dit (F1, 46); "L'Inconscient
est déjà un "ailleurs" : pour le Moi, c'est déjà un ailleurs , parce
qu'il désigne les couches profondes de la psyché, et si "la parapsychologie
est une des possibilités d'émergence mais entraînant des niveaux différents,
généralement très profonds ", (F1, 38), le "saut qualitatif psychotique"
dont il parle, (F1, 49-51), prend son sens épistémologique à partir de l'Ailleurs
de la physique quantique post-einstein ienne, c' est à dire de l'Ecole indéterministe
de Copenhague : "A partir du moment où est intervenu le principe d'indétermination
d'Heisenberg, ça a permis à des gens qui se disaient : "Je déraille complètement...",
de mieux comprendre ce qui se passait. Au niveau des particules des phénomènes
.se produisent avec lesquels les physiciens ont l'air bien ennuyés. C' est au
moins aussi subtil que ce qui se passe en analyse ! ( ... ). Quel rapport entretient une particule
avec l'ensemble du système auquel elle appartient ? L'individu est matière,
aussi. Ce qui est très intéressant, c'est de voir -et là, il n'y a pas de mystique-
le chemin des particules . (. . .) . On est frappé que ce ne soit pas, justement,
comme des trains sur des aiguillages. Il y a quand même une part de rêve, là
aussi ! Même s'ils n'emploient pas le terme. Tout ce qui est indéterminé. .
. ( ... ) . Cet impondérable qu'on n'arrive pas à saisir, pourtant nous travaillons
avec et il est toujours ailleurs que là où on est ! En parapsychologie, c'est
pareil. ( . . .) . Cet "Ailleurs" là, j'ai l'impression qu'il y a
une amorce, une porte qui veut s' ouvrir . Ca reste de plus à un niveau très
scientifique. Les physiciens font là du très beau travail, constate (F1, 45-46,
47) .
En conclusion de ce point du chapitre
IV, nous dirons que les phénomènes dits paranormaux ou télépathiques admettent
divers paradigmes explicatifs, selon la sensibilité, l’ "'option",
en quelque sorte, de la personnalité du psychanalyste interviewé, mais aussi
relatifs à la théorie en vigueur dans son Ecole d'appartenance ; cela est surtout
sensible pour les analystes jungiens (F1 et F2) .
Tous cependant, de quelque formation qu'ils
soient, accordent à l’intuition un rôle
prédominant et privilégié comme moyen d'accès à un "topos", que nous
avons désigné comme lieu d'émergence ou de production permanente des phénomènes
dits paranormaux et/ou télépathiques : L' Ailleurs (ou l' Autre, dans la théorie
lacanienne).
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