REPRESENTATION DU PARANORMAL ET DE LA TELEPATHIE DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE

Marie-Christine Combourieu – Mémoire de DEA – Année 1985

PSYCHOLOGIE SOCIALE

E.H.E.S.S

Sous la direction de Mme Denise Jodelet


AVANT-PROPOS

A/ OBJET DU MEMOIRE DE D.E.A.

B/ METHODOLOGIE

a/ Le matériel recueilli : Échantillonnage

b/ Réflexions sur la catégorisation

1°/ La Société Psychanalytique de Paris (L'Institut)

2°/ Les Ecoles lacaniennes (série B)

3°/ L'entretien C (Société Française de Psychanalyse, tendance W. Granoff).

4°/ L'entretien D

5 °/ Les entretiens E1 et E2

6°/ Les Ecoles jungiennes (série F)

7°/ L'entretien G (ex-Ecole jungienne de Paris)

8°/ Les entretiens H1 et H2 (inspiration reichienne)

9°/ L'entretien I

c/ Conclusions sur la catégorisation

I ‑ L'OCCULTE, OBJET RECURRENT DE LA PENSEE FREUDIENNE

A ‑ LA PSYCHANALYSE : NAISSANCE ET PERSEVERANCE DANS SON ETRE

a/ L'hypnose

b/ L’hystérie de possession

c/ Le rêve : « Voie royale » d’accès à l’Inconscient

B – APPAREIL THEORIQUE DES CONCEPTIONS FREUDIENNES DE L'OCCULTE

a/ La religion et l'occultisme

b/ La démonologie, le spriritisme, la médiumnité

c/ L'animisme, la magie, la pensée primitive

d/ Les rêves dits prémonitoires prophétiques , précognitifs

e/ Le "déjà-vu"-

f/ La croyance à la superstition et au hasard

LA PROBLÉMATIQUE FREUDIENNE DE LA TELEPATHIE

II - LA TELEPATHIE : "NOYAU RÉEL DE FAITS NON ENCORE RECONNUS"

a/ Le transfert/ la transmission de pensée(s)

b/ La télépathie

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 DE DIVERGENCES

a/ La croyance en l'existence d'un monde à part : un "Ailleurs" de la modalité dite paranormale et télépathique

1°/"Ailleurs " et psychose

2°/ Le monde de la magie

3°/ Un arrière-monde occult(e),-iste

4°/ Un Ailleurs du sens

b/ La modalité dite paranormale ou télépathique comme état de l'être ou propriété du monde psychique

1°/ Un état de l'être : La perception "psi"

2°/ La modalité dite paranormale ou télépathique comme propriété du monde physique

C O N C L U S I O N

B I B L I O G R A P H I E

I - BIBLIOGRAPHIE GENERALE

II - OUVRAGES DISPONIBLES A LA BIBLIOTHEQUE DE L'INSTITUT

III - ANNEXES


REPRESENTATION DU PARANORMAL

 ET DE LA TELEPATHIE

 DANS LE CHAMP PSYCHANALYTIQUE

« Que des faits bien établis viennent démontrer que la pensée peut se transférer à distance,
la difficulté que nous pouvons avoir à nous représenter un phénomène aussi déconcertant
ne sera pas une raison suffisante pour qu’on puisse en contester la réalité,
et il nous faudra bien admettre des ondes de pensée dont la notion
dépasse ou même contredit toutes nos connaissances actuelles. »
Emile Durkheim
(Sociologie et Philosophie, 1967, Paris, PUF, p26-27)

AVANT-PROPOS

Les résultats dégagés dans le présent mémoire doivent être lus comme un tout, pour leur signification qualitative et non statistique. En effet, nous avons procédé en l'espace de six mois, à un travail exploratoire dans les milieux psychanalytiques parisiens et toulousains, concernant une problématique peu connue : "La problématique freudienne de la télépathie".

La recrudescence actuelle de l'intérêt pour le paranormal et l'occulte, d'un point de vue sociologique, nous y a encouragée.

Paris offre, bien sûr plus de facilités pour une telle recherche : toutes les Ecoles y sont représentées et pour un fort contingent de leur membres.

Les sièges sociaux des Instituts et des différentes formations se trouvent également à Paris, excepté celui de la branche internationale de l'Ecole jungienne de Zurich, dont nous avons interviewé un représentant.

Le lecteur prendra donc connaissance des points de vue et opinions d'un plus fort pourcentage d'analystes parisiens .

Toutefois, il s 'agit là d'une étude exploratrice, nous l'avons dit. Elle doit être considérée, plutôt, comme un indicateur de tendances et de sensibilité actuelles .


A/ OBJET DU MEMOIRE DE D.E.A.

Comment les analystes se représentent-ils la télépathie ?

Compte tenu de l'objectivation dans le milieu psychanalytique que constitue, ces dernières années, la parution récente d'ouvrages ayant trait aux recherches de Freud sur la télépathie, ouvrages tels que : L'Occulte objet de la pensée freudienne (Paris, P. U. F. , mars 1983) par Messieurs Wladimir Granoff et Jean-Michel Rey, Télépathie (Cahiers Confrontation n°10), Aubier, automne 1983, recueil d'articles consacrés à ce sujet par des disciples, des successeurs ou des contradicteurs de Freud, mais dont certains sont écrits -très récemment : Michèle Montrelay, Lieux et génies, sur le concept de "non-séparabilité" en physique appliqué à la psychanalyse, René Major et Patrick Miller, Empathie, antipathie et télépathie..., ce mémoire de D.E.A. se présente comme une première évaluation, qualitative faite auprès d'analystes de différentes formations existant actuellement et principalement dans le milieu parisien, de l'intérêt que ceux-ci portent à la problématique freudienne de la télépathie, de leur sensibilisation aux phénomènes dits paranormaux et des systèmes de représentations qu'ils allèguent pour en rendre compte.

Sans doute ce phénomène d'objectivation dans la littérature psychanalytique correspond-il à un phénomène plus vaste d'ancrage dans la réalité sociologique quotidienne d'une fraction de la population traduisant, lui, l'intérêt porté par certains milieux sociaux au "paranormal" en général, et cela depuis environ une décennie, nous dit l'une des psychanalystes interviewés (B2,24-25).

Entendons par intérêt porté au paranormal, un attrait marqué pour toutes sortes de phénomènes relatifs à l'inexpliqué, à l'extraordinaire, au surnaturel, à l'occultisme, tels que la télépathie, la croyance aux dons supra-naturels de certains médiums (évoquons la distribution dans les boîtes aux lettres, à la sortie du métro principalement dans les quartiers populaires, d'affichettes pour la consultation de tel ou tel grand marabout, voyant extra-lucide de renommée mondiale et aux publicités dans ce sens qui ne manquent pas de figurer même dans les journaux réputés les plus sérieux), la croyance ancienne et plus générale, par le biais des phénomènes dits psychocinétiques, à l'action de l'esprit sur la matière... Restes de "pensée primitive" qui perdurent en nous ?

Le présent travail est une tentative d'évaluation de l’ampleur et de la teneur des champs associatifs que recoupe une telle problématique pour des psychanalystes .

Il n'est qu'à considérer d'un point de vue sociologique le matériel fourni par le nombre et les titres de films parus sur ce sujet ces dernières années, tels que, parmi les plus connus, "E.T", "Alien", "Rencontre du troisième type",  "Réincarnation"... et dont le plus récent à notre connaissance - qui vient de sortir - s' appelle "Scanners", traitant de la télépa­thie, pour se faire une idée des domaines auxquels les phénomènes dits paranormaux sont associés : Fatras de croyances en des lieux occultes (et communs, sommes-nous tentés de dire) où règnent des personnages mysti­ficateurs et mystifiés, incarnation du Mal le plus souvent, contre lesquels se battent, par effet de symétrie, des archanges de lumière salvateurs de l'univers ou de la race humaine... Bref ! la vieille croyance en un mani­chéisme métaphysique et occulte demeure.

De même, s'ajoutant aux films ou aux feuilletons destinés aux enfants, les chaînes de télévision diffusent sporadiquement sur nos écrans des émissions consacrées au "paranormal'', aux phénomènes non-expliqués et peut-être "inexplicables"… , comme l'émission du 19 Juillet 1985, pour citer la dernière en date et traitant de la mort mystérieuse en Normandie d'un troupeau de vaches dans l'estomac desquelles ont été retrouvées des épingles, par analogie avec les anciennes figurines des sorciers ou jeteurs de sorts.

Pour terminer ce tour d'horizon d'une partie de notre réalité où, nous le voyons, le surnaturel, l'occultisme, le paranormal ont leur place, il n'est que de nous rendre dans les librairies, parfois les grandes librai­ries,  pas seulement celles spécialisées dans les sciences dites occultes, pour nous persuader de l'ampleur sociologique du phénomène évoqué -en régression peut-être, cependant, littérairement parlant, par rapport à il y a deux ou trois ans où l'on voyait amoncelés sur les rayons de la F. N. A. C. , par exemple, à Paris ou ailleurs des ouvrages sur l'ésotérisme, l'hermétisme, l'occultisme, la Vie après la mort"... en un mot : sur la part d'irrationnel qui nous habite et sur laquelle s'articulent nos divers systèmes de romances qui, lorsqu'ils ne sont pas - idéologiquement par­lant - politiques ou scientifiques, demeurent mystiques au sens large du terme, incluant la religion et des résidus de superstitions. (H2,18-19).

Ce mémoire est en second lieu le fruit de l'intérêt personnel que nous portons à la télépathie, étudiée dans le champ de l'exploration freudienne de la "transmisson de pensée", encore appelée par Freud "transfert de pensée", ces trois termes étant synonymes sous sa plume.

Freud a écrit quatre articles sur ce sujet, où il dit que la télépathie est un phénomène probablement très fréquent, repérable dans la cure ana­lytique mais aussi en dehors.

Ces articles datent de :

-           1921, Psychanalyse et télépathie.

-           1922, Rêve et télépathie.

-         1925, La Signification occulte des rêves.

-         1932, Rêve et occcultisme.

Deux seulement de ces articles sont accessibles au lecteur de langue française, celui de 1921 traduit par Messieurs W.Granoff et J.M.Rey dans l'ouvrage déjà cité, L'Occulte objet de la pensée freudienne (1983) et celui de 1932, Rêve et occultisme (in Nouvelles conférences, Paris, Gallimard, 1936).

"II y a du transfert de pensée", écrit en effet Freud dans Psychanalyse et télépathie (1921) qui ne verra le jour qu'après sa mort, en 1941, par le soin des éditeurs de la Gesammelte Werke qui, du même coup, baptisèrent le manuscrit achevé le… "6 Aug. 21, (à) Gastein . . , pour la réunion de l'Exécutif central de l'Association psychanalytique internationale, qui s'est tenue dans le massif de la Harz au début du mois de Septembre 1921'; … note la préface de l'édition allemande (in W.Granoff

et J. M.Rey, ibid,p. 7). Le titre qu'ils lui donnèrent est celui que nous lui connaissons.

Freud avait l'intention de le présenter au Congrès de Berlin en 1922 mais Eitington et Jones l'en dissuadèrent.

Quelques années plus tard, le 5 Novembre 1926, Freud demanda à Eitington le manuscrit dans l'intention de le publier enfin ; mais celui-ci assura qu'il le lui avait personnellement rendu.

Il ne fut pas encore publié cette fois-Ià,   bien que non perdu. La traduction anglaise de cet article remonte à 1953, dans Psychoanalysis and the Occult, New-York, International Universities Press, 56-58, (trad. Georges Devereux).

C'est dire qu'entre temps cet article fut occulté, dirons-nous, pour des raisons internes à l'histoire du mouvement psychanalytique. L'époque était alors à l’"occultation de l'occultisme", en effet, puisque Freud, le premier, oublia pour ce manuscrit "un troisième cas", celui de M.P..., "M. Vorsicht", destiné à illustrer l'hypothèse de la transmission de pensée durant l'analyse ; ce dont il s'excuse auprès de ses lecteurs en ces termes :

. . . "J'avais préparé pour vous un exemple tiré d'un autre matériel, le cas d'un patient de particulière qualité qui, dans le cours d'une séance, me dit des choses qui recoupaient de la façon la plus remarquable ce que je venais de vivre immédiatement avant. Mais vous allez avoir une preuve tangible du fait qu'en m'occu­pant de cette question de l'occultisme je reste soumis à l'effet de la plus grande résistance. Lorsqu'à Gastein je cherchai les notes que j'avais rassemblées et emportées pour rédiger ce rapport, je ne trouvai pas la feuille sur laquelle j'avais noté cette dernière observation, mais une autre, emportée par erreur.

( ... ). Il n'y a rien àfaire contre une résistance aussi évi­dente"...

(Psychanalyse et télépathie, ibid, p. 39).

Signalons que Christian Moreau fit, le premier, une traduction inté­grale des articles de Freud sur la question de la télépathie, qu'il fait figurer en appendice de sa thèse : Moreau (C.), Freud et l'occultisme, Tours, thèse de médecine, 1974 , comporte une traduction des écrits de Freud sur la parapsychologie inédits en français) .

C'est à lui que nous emprunterons des passages extraits des articles encore non traduits :

-           1922, Traum und Telepathie, G. W.,13, 165-191 (Rêve et telépathie) .

-           1925, Die okkulte Bedeutung des Traumes, G.W, 1,561-67

(La Signification occulte des rêves).

Dans l'article traduit dès 1936, Rêve et occultisme (1932), Freud reprend en grande partie le matériel des articles précédents, en ajoutant cette fois le "cas Vorsicht".

Cette situation de la "problématique freudienne de la télépathie" sous un jour bibliographique et partiellement historique rendant compte du contexte de l'époque, vise à constituer pour le lecteur un point de départ et d'articulation pour notre recherche.

Celle-ci est un début d'enquête psychosociale.

Dans le chapitre I, nous éluciderons "la problématique freudienne de l'occulte", souvent confondue avec celle de la télépathie, objet du chapitre II.

Au cours du chapitre III, nous aborderons les "considérations post-freudiennes la télépathie" qui nous semblent essentielles pour le lecteur de 1985.

Enfin, le chapitre I V sera consacré aux bilans évaluatifs et comparatifs des degrés d'information de nos analystes à propos du textes freudiens sur la télépathie et les commentaires ou études critiques qui les ont suivis ; la connaissance qu'ils ont des positions théoriques des autres Ecoles à ce sujet ; enfin, les thèmes qui, dans notre matériel, traversent des diverses tendances ou formations - offrant du points de convergence - et ceux qui, en revanche, s'opposent, les points de divergences .

Nous opérerons sans cesse un va-et-vient entre notre matériel et la théorie freudienne.

B/ METHODOLOGIE

a/ Le matériel recueilli : Échantillonnage

Il se compose de 19 entretiens échelonnés du mois de janvier au mois de juillet 1985, réalisés auprès d'analystes des différentes formations représentatives en France.            Certains - au nombre de trois - ont été réalisés en province, à Toulouse.

A ce matériel s'ajoute la retranscription d'une émission radiophonique diffusée sur France Culture le13 janvier1978 (F4). En réponse à notre demande d'interview, cet analyste nous a simplement prêté l'enregistrement de cette émission, que nous avons jugée digne de figurer dans ce travail à titre documentaire seulement, aucun entretien n' ayant eu lieu. Numériquement, nous avons tenté de répartir, de façon égale (au nombre de 4) les prestations des analystes appartenant aux trois Ecoles les plus représentatives, soit La Société Psychanalytique de Paris - l'Institut - 187, rue Saint Jacques, 75005, d'obédience freudienne orthodoxe (série A ) ; L'Ecole de la Cause Freudienne (E. C. F.) ,1, rue Huysmans,75006, (B3), née de la dissolution par J.Lacan en janvier 1980 de l'École Française de Psychanalyse (École Freudienne de Paris), rue Claude Bernard, 75013, (B1 /B2) , dont l'Association Freudienne, 5, rue de la clé, 75005, est un groupe dissident (B4) ; La Société Française de Psychologie-Analytique, 1, Place de l'Ecole Militaire, 75007, (F2 /F3 /F4), branche française de L'Association Internationale de Psychologie-Analytique (A.I.P.A) de Zurich, d'obédience jungienne (F1).

Notre plus grand regret fut l'absence de réponse à notre demande d'entretien auprès de Messieurs W.Granoff et J.M.Rey à qui nous avons écrit et qui appartiennent, eux, à L'Association Psychanalytique de France (A.P.F.), 24, Place Dauphine, 75001.

Considérons que le commentaire qu'ils ont de l'article de Freud déjà mentionné, Psychanalyse et télépathie, dans L'Occulte, objet de la pensée freudienne ( P. U. F., 1983) tiendra lieu d'entretien détaillé sur la question !

Vous n'avons recueilli qu'un seul entretien pour cette formation (C).

Pour L'Organisation Psychanalytique de Langue Française, 72, rue Maurice Ripoche, 75014 - le IV° Groupe - nous avons eu un refus d'entretien de la part d'une "corneillère scientifique" de ce groupe ; une seconde personne analyste, également "conseillère scientifique", accepta de nous rencontrer après que nous l'ayons informée du refus de la première : "Cela m'ennuie que personne de notre formation ne vous ait reçue", nous dit-elle au téléphone. Aucun entretien n'a eu lieu, mais une discussion au cours de laquelle cet analyste nous dit n'avoir aucun matériel relatif à la transmission de pensée ; ce qui se révéla faux l'échange se poursuivant... Du moins ne croyait-il pas que certains fragments d'anecdotes, en particulier des appels téléphoniques le dimanche, s'intégraient dans cette catégorie.

Nous avons eu le sentiment que cet échange sensibilisait une prise de conscience "acceptée" à propos d'un matériel resté en suspens dans sa pratique, matériel du reste très récent.

Les portes ne nous ont pas été fermées, mais les diverses contraintes ont fait qu'aucun entretien n'a été réalisé. Il importe de signaler cepen­dant que cet analyste joua pleinement son role de "conseiller scientifique" en nous recommandant à nombre d'analystes, étrangers à sa formation souvent, dont certains nous ont reçue, effectivement.

Nous avons recueilli un témoignage verbal à propos du IV° Groupe : "Moi, j'ai souffert quand on m'a poussée à avoir mon habilitation au IV° Groupe ! Je vais bien depuis que je n'y suis plus! Ce sont des analystes qui ne se posent pas toutes ces questions qu'on est en train de se poser, par exemple. Et moi, je me suis aperçue depuis, que je m'entendais bien avec ces gens-là. Il y a beaucoup d'analystes qui se les posent", (E2,24-25).

 _(E2,26) dit aussi que certains de son confrères "changent de voie", c' est-à-dire parfois changent de formation .

Deux psychothérapeutes d'inspiration reichienne nous ont reçue. L'un est membre actif de L'Institut Wilhelm Reich, 28, rue des Acacias, 75017 (H1).L'autre est un bio-énergéticien appartenant maintenant "à son école" (H2, 2) , dit-il, mais ayant subi une analyse didactique reichienne. Son cursus est d'ailleurs compliqué (H2, 1-5).

Une 3ème personne membre de L'Institut Wilhelm Reich n'a pas répondu à notre courrier envoyé à Genève.

Une 4ème enfin, co-fondatrice de cet Institut, a été retenue au Mexique, et par conséquent n'a pu donner suite à son accord pour un entretien.

_(H2), dès le début de l' interview a évoqué les cures de guérissage philippin, à l' occasion desquelles il fut sensibilisé à plusieurs phénomènes dits paranormaux. Nous l'avons longuement questionné à ce sujet, ce qui eut pour conséquence de reporter à plus tard la seconde partie de l'en­tretien.

Parmi les 5 analystes restant, difficilement catégorisables, 2 peu­vent être regroupés en raison de leur appartenance commune au Collège de Psychanalyse, 36, rue Pierre Sémard, 75009.

Ce critère à première vue est contingent au regard de leur cursus personnel. L'un, en effet (E1) a d'abord appartenu comme membre titulaire à La Société Française de Psychanalyse (S. F. P.) - créée à l'instigation, en 1953, de D.Lagache et de J.Lacan - puis à L' Ecole Freudienne de Paris (E.F.P.) comme analyste de l'Ecole. Il appartient en outre actuellement au Centre de Formation et de Recherche psychanalytique ; la seconde est l'analyste qui a renoncé son habilitation au IV°Groupe (E2,24-25). Elle est psychologue de formation et professeur d'enseignement social, intéressée par la Littérature - "la littérature romanesque. "

Auteur d'un ouvrage en préparation sur Anna O., elle travaille également avec Maria Torok (auteur d'un article dans Confrontation n°10, ibid, p. 153-171 : "L' occulté de l' occultisme", à propos du "cas Vorsicht") .

Une psychanalyste est psychiatre de formation classique et cependant spécialiste de parapsychologie.  Sa clientèle est composée presque exclusivement de "sujets psi”. Elle a travaillé bénévolement à L'Institut Métapsychique, 1, place Wagram, 75017, et comme membre du G. E. R. P. (Groupe d'Etudes et de Recherches en Parapsychologie) , 8, rue Octave Dubois, Taverny, 95150, formation regroupant des chercheurs venus de divers horizons : médecins, psychanalystes, physiciens...

_( F1) a appartenu, lui aussi, au G. E . R. P.

Un psychanalyste (G) est de formation jungienne et physicien. Il dit avoir été "formé par l'Université", avant tout et considère l'apparte­nance à une École comme un moment inévitable dans un cursus didactique, c'est tout.

Un dernier psychothérapeute (I) s'inscrit nettement en marge des formations institutionnelles habituelles répertoriées ci-dessus.

Médecin et psychiatre de formation, sa pratique est celle du Rêve Eveillé Dirigé (G. I. R. E. D. , Groupe International Rêve Éveillé, 80, rue de Vaugirard, 75015 ; parallèlement il pratique la Méthode Tomatis, technique proche de la musicothérapie.

Il s'intéresse également aux techniques orientales de relaxation comme le yoga, sans toutefois l'imposer dans le cadre de son cabinet.

Très intéressé par la parapsychologie et principalement la télépathie, il est l'inventeur d'un appareil utilisé pour tester les capacités télé­pathiques chez l'enfant et l'adulte. Il aborde ces phénomènes par le biais des statistiques.

b/ Réflexions sur la catégorisation

Il faut dire dès à présent que nous nous attendions à trouver une certaine homogénéité dans les réponses et la façon de se représenter le "paranormal" chez les analystes d'une même formation. Les explications théoriques qu'ils avancent - ou les systèmes de représentations - au sein de la même École, divergent. Les points de vue sont pluriels, personnels, ce qui nous amène à citer (A4,16) :  "Je pense que c'est une questiion de structure personnelle plutôt qu'analyste ou pas analyste. Tous les analystes ne fonctionnent pas pareil, vous le verrez. Nous n'avons pas le même contact à la réalité ni à ces phénomènes-là, donc pas la même disposition à accepter leur potentialité d'existence ou pas.

Si les analystes étaient des gens aussi bien policés par leur formation, leur pratique, il n'y aurait pas autant de sociétés psychanalytiques dissidentes ! Il n'y en aurait pas quatre en France qui se tirent dans les pattes. Et, au sein d'une même Société, il n'y aurait pas autant de diffi­cultés à se comprendre".

Cela nous conduit à penser que les critères d’habilitation dans telle ou telle Ecole ne sont pas codifiés en fonction de la doctrine de référence "stricto sensu".

Nous avons évoqué plus haut les "changements de voies" et les cursus plutôt mouvants (E1), qui ne sont pas rares, semble-t-il (E2,26).

Toutefois (E2,25) dit : "On constate la façon dont fonctionnent les groupes. De façon très théorique et didactique. ll y a un terrorisme des groupes".

Plus loin, elle dit aussi : "Il faut pouvoir travailler avec des gens qui se consacrent, en dehors, à une recherche personnelle. Et c'est assez rare. Le temps manque. En fait, ça donne des gens qui sont très dépendants de l'Institution.( ... ) Dans les groupes d'analystes, il y a une façon de fonctionner qui fait qu'il y a toujours (et qu'il y a toujours eu) soit une disposition de salle, soit une façon de parler aux autres... qui fait qu'il y a toujours un "maître" qui parle. Mai s Freud, en fait, était comme ça" (E2,26). Nous savons que c'était le cas aussi de J.Lacan.

Faut-il considérer qu'il y a là une contradiction ? Nous pensons que les analystes interviewés sont en général plutôt discrets lorsqu'on leur demane de parler de leur formation/groupe/Ecole.

Toutefois, à l'intérieur d'une même "institution", il semble que la com­munication ne soit pas toujours facile : "peut-être qu'on ne se parle pas beaucoup", dit encore (E2,23).

Bien évidemment, le contrepoint théorique le plus important se situe entre les Ecoles freudo-lacaniennes et les Ecoles jungiennes, quant au mode de sensibilisation, puis d'intégration des phénomènes dits paranormaux, dans la manière de les percevoir et de (se) les représenter. Les appa­reils conceptuels et terminologiques diffèrent.

Les Jungiens disposent, par exemple, du concept de "synchronicité" pour objectiver certaines occurrences ou  "coïncidences signifiantes" - pour eux - que les autres formations théorisent différemment, notamment par le biais du mot "hasard" (Ecoles freudo-lacaniennes).

Des expériences dites paranormales se trouvent dans toutes les forma­ions, mais théorisées différemment.

De même, l'implication personnelle du psychanalyste ou du psychothéra­peute interviewé diffère : Des expériences dites paranormales peuvent avoir été vécues personnellement, rapportées par des patients, par des amis...

Les représentants de l'École lacanienne, malgré ses dissidences internes, présentent une certaine unité face au "paranormal", sauf (B2), cependant.

1°/ La Société Psychanalytique de Paris (L'Institut)

C'est peut-être la formation où ce que nous disions à propos du contraste des positions théoriques divergentes à l'intérieur d'une même Ecole, est le pus repérable dans notre échantillonnage.

_(A2,2) et (A3,10) par exemple, sont en désaccord sur la validité du concept freudien de "communication d'inconscient à inconscient", qui expliquerait la "transmission de pensée" et/ou la télépathie. Or, (A3,10-13) fait référence à plusieurs textes de Freud où ce concept est évoqué.

_De même (A1 , 17) et (A2, 9 ) se disent "matérialistes" et "athée", alors que (A3, 5, 29) et (A4, 13) affichent des positions moins catégoriques, sans se déclarer pour autant "croyantes" et/ou "religieuses" ni "mystiques" : certainement pas. Toutefois, nous relevons des expressions comme : "gratis pro Peo" (A3,5) et : "Je m'intéresse beaucoup aux problèmes mystiques. Très souvent, j’ai fait des analogies - pas des parallélismes - entre l'ex­périence analytique et l'expérience mystique.(...) C'est vrai qu'il y a un moment d'élévation - pas de lévitation ! – qui fait que, lorsqu’on est très, très content de ce qui s'est passé dans une séance d'analyse ou dans une relation humaine, tout simplement, après coup, on peut dire . "Il y avait Dieu là-dedans". C'est une lecture "après coup""(A4, 13).

Nous pensons que (A1,17) et (A2,9) expriment volontairement d’une manière orthodoxe, la doctrine freudienne (voir p. 23 ).

_(A 1, 19) et (A2, 18) déplacent le problème du "paranormal" dans d' autres cultures.

_(A3,5,29) et (A4,13 ... ) sont des femmes : Devons-nous considérer ce paramètre comme signifiant ? Dans la théorie freudienne, sans doute l’est-il (le point de vue de (E2, 18-19) : "Freud avait procédé par déni (. . .) . Ca lui a permis de théoriser mais au prix de ce clivage. Et au prix de tout ce qu'il a repoussé. (... ) Ca, je trouve que c'est le problème des hommes et des femmes ... les hommes théorisent à partir des émotions repoussées - je trouve. Ils théorisent aussi à partir des émotions des femmes, ça me semble évident !", nous semble intéressant à ce propos) .

2°/ Les Ecoles lacaniennes (série B)

Inversement à la précédente, le morcellement apparent des différents groupes ne contredit pas une

certaine unité de doctrine, voire même d'attitudes vis-à-vis du "paranormal" en général.

Conformément à la doctrine de J.Lacan, tout passe par le langage et le rapport que le sujet entretient avec lui et "l' ordre symbolique" (B1,3-4/ B3,13 / B4,8,11).

Dès lors, quelle place est laissée à l'extra-verbal, souvent considéré comme la matrice des phénomènes dits paranormaux (B1,3,14-15 à propos de l' enfant mutique; B1,7 / B4,1 à propos de la "fusion avec le non-dit de l'autre" - qu' elle ne considère pas comme paranormal cependant) ?

_(B2) se démarque des trois analystes précédents bien qu' elle ait appartenu à l' École Freudienne de Paris (E. F. P.) ; elle est restée sans adhésion depuis la mort de J.Lacan mais semble s' orienter vers la théorie Kleinienne (B2,3,19). Elle paraït moins "lacanienne" que (B1 /B3 /B4).  Nous pouvons peut-être parler dans son cas aussi de "changement de voie".

3°/ L'entretien C (Société Française de Psychanalyse, tendance W. Granoff).

Il s'agit d'un entretien pour ainsi dire non-directif. Son intérêt réside dans l'évolution hîstorique des idées qui nous est présentée (C,21...).

4°/ L'entretien D

La formation d'origine de cette psychanalyste est psychiatre. Elle dit avoir appartenu à une génération "proche de celle de Freud" mais n'avoir cependant pas intégré l’Institut (D,1).

Elle s'est specialisée, à la suite d'une sensibilisation personnelle à divers phénomènes dits paranormaux (rêves télépathiques) , dans la parapsychologie et dans l'analyse des sujets "psi” : “ça fait maintenant un recul de... onze ans... De pratique Psychanalytique presque exclusivement avec des sujets "psi". Parce que vous n'êtes pas sûre de pouvoir vous occuper de personnes ayant ces capacités particulières (qui posent en elles-mêmes souvent des problèmes psychologiques spéciaux," dit (D 7) .

Cet entretien ittustre, à partir d'expériences personnelles et/ou impersonnelles, diverses catégories de phénomènes dits paranormaux (rêves précognitifs, télépathie, transfert de pensée... ) et peut être considéré comme un support théorique - en partie - de notre recherche. (D,1-5,18-21).

5 °/ Les entretiens E1 et E2

Nous avons regroupé ici, deux entretiens d'analystes appartenant au Collège de Psychanalyse qui nous sembte moins une Ecole qu'un lieu de recherches et une Sociéte regroupant des analystes de toutes tendances ou de formations polyvalentes.

_C'est le cas notamment de (E1), analyste ayant d'abord appartenu à la Société Française de Psychanalyse (membre titulaire), puis à l'École Freudienne de Paris (analyste de cette Ecole). Il appartient maintenant, parallèlement, au Centre de Formation et de Recherche Psychanalytique.

Nous voyons là un exemple particulièrement frappant de mouvance dans le cursus personnel, théorique et déontique (E1, 1).

D'autre part, cet analyste nous semble "marginal" dans le sens où, ayant appartenu à plusieurs formations, il reste foncièrement original dans ses positions. Pour lui, il raisonne en termes d'"épistémologie" (E1,3-9,13-14, 24). Il cherche de nouvelles voies (E1,24-26,33-36).

_(E2, 9, 20. . . ) dénote, elle aussi, la même originalité. Elle a donc quitté IV° Groupe, dit s'intéresser à l’astrologie : "Je me suis aperçue depuis je m'entendais bien avec ces gens là. Il y a beaucoup d'analystes qui se  posent "(toutes ces questions qu'on est en train de se poser sur le paranormal (E2;24-25). Elle exprime une curiosité pour les travaux jungiens : "J'ai connu des analystes qui avaient pris peur de la fantaisie. Ils n'ont pas du tout exploité ce qui est mystérieux. Moi, je ne connais pas les Jungiens. Mais à ce que j'en entends par des amis... Ce ne sont pas des amis délirants, ce sont des amis qui ont pratiqué plusieurs thérapies : Lacanienne, freudienne... et qui maintenant se tournent vers les Jungiens. Les Jungiens et les astrologues. J'ai l'impression qu'il y a un va-et-vient entre les deux cheminements (... ). lls sont plus tolérants par rapport à la souffrance, je crois. C'est toujours ça qui revient" (E2,25). Elle dit d'autres Groupes:" (. . .) On ne supporte pas du tout l'ouverture à des phénomènes un petit peu étranges! Ca ferme la porte à l"'inquiétante étrangeté" (E2, 27) .

_(E1, 14-15), lui aussi, s'intéressait à l'astrologie : "Je suis assez près des faits pour voir, quand même! Quand vous prenez une consultation chez  astrologue.. . Moi, ça m'est arrivé plusieurs fois, justement, pour me mettre au contact des choses ... Il y a quelque chose qui ne peut pas être dénié. Ce n' est pas possible.'.'.

De même, il s'intéressait à la recherche jungienne, disant à propos de Jung : "J'en pense du bien. Comme je peux penser le plus grand bien des gens qui s' intéressent aux images , à la mythologie" (E1,22).

_(E2,9), pour en revenir à elle, travaille également dans des voies assez nouvelles, tentant de théoriser les "clivages appartenant aux générations antérieures". Pour elle, c'est la voie pertinente à suivre pour une recherche sur les phénomènes dits paranormaux, en analyse ou en dehors : "Moi, je pense que la parapsychologie est située, déjà (dans la Psychanalyse). Mais ça ne s'appelle pas comme ça. Elle est située sous la forme des incorporations et des fantômes... La théorisation d'Abraham et de Maria Torok est assez.. . fait penser à ça. Le cryptotome.. . On pourrait trouver des empreintes extrêmement archaïques, aussi, au niveau de l'attachement" (E2,28).

_(E1 et E2) semblent se démarquer d'orientations institutionnelles strictes. Leurs démarches paraisent élargir le champ des recherches dans le domaine de la Psychanalyse par des explorations diverses, originales et nouvelles ; ils recourent aussi, parfois, à d'autres théorisations moins connues.

_(E1) appartient, nous l'avons dit, au Centre de Formation et de Recherche Psychanalytique.

6°/ Les Ecoles jungiennes (série F)

Nous employons le pluriel à dessein parce qu'il ressort de notre échantillonnage que (F1) est affilié directement à l'Association Interna­tionale de Psychologie-Analytique (AIPA) de Zurich : Il critique assez violemment, par contre, l'Association Française de Psychologie-Analytique (F1,4).

_Excepté cette scission apparente, des entretiens (F1 et F2) sont très similaires du point de vue des expériences dites paranormales vécues à titre personnel et/ou impersonnel, et de la théorisation qui nous en est donnée.

_(F2) appartient au Groupe jungien de Paris. Il est enseignant dans cette formation ; il nous a lu plusieurs extraits de la Correspondance de Jung (F2,7- 10,14).

En revanche, (F3), analyste didacticienne du Groupe jungien de Paris surprend par l'absence de sensibilisation personnelle et par le désintérêt qu'elle affiche pour cette problématique du "paranormal", en général (F3,2,15). Toutefois, elle dit : "Si quelqu' un venait parce qu'il est sujet à des

phénomènes paranormaux (. . .) , je tâcherais de comprendre"      (F3, 16)

Nous nous demandons si cette attitude n'est pas cause du départ d'une de ses patientes venue la voir une première fois : "J'ai vu une fois quelqu' un : Je n'ai jamais très bien compris, d' ailleurs, les raisons de sa démarche. Elle est venue une fois. Cette personne qui est venue me voir me disait qu'elle vivait "des phénomènes de synchronicîté"" (F3,2).

Ou alors est-ce par un entendement presque naturel de ces phénomènes ? En effet, elle ajoute : "Une fois, c'est tout. Je ne pense pas qu' elle ait eu des raisons de faire une psychanalyse. Elle était très bien avec tout ça et partout... Ca ne demandait même pas d'explication (s )" (F2,3).

Ce qui nous a le plus frappée de sa part ce sont les positions théoriques qu'elle avance concernant la personne de Jung qui n'était, selon elle, pas mystique : "Il n'était pas mystique. C'est une erreur ! Jung mystique ? Ah! Nonl Ca, alors! ( . . . ) On l'accuse d'être mystique. C'est faux! Ce qu'il écrit. . . Si on le lit.. . Si on le lit vraiment (. . . ). Ce n'est pas un mystique. Absolument pas ! " (F3,12-13).

De même, en réponse à notre question sur les idées matérialistes ou spi­ritualistes de Jung, elle devint agressive et engagea un réquisitoire contre l'opinion publique donnant de Jung de fausses interprétations, faisant de lui "un paillasson"" : Ce n'est pas un spiritualiste! (. . .Vous voyez comme vous faites ! Vous me dites : "Ah! C'est un spiritualiste ou c'est un matérialiste" ! non, justement ! ( ... ) Il passe pour tout ce qu'on voudra. Tout ce qu'on voudra ! C’est extraordinaire ! C'est un véritable paillasson. Tout ce qu'on dit de Jung… Mais c'est faux !!!" (F3,14).

Ailleurs, elle disait de Jung : "Ce n'est pas un alchimiste. Mais non ! Il s'est intéressé à l'alchimie. Pour lui, l'alchimie a été une façon de réunir dans la suite des religions (si l'on peut dire) les Gnostiques et la Psychologie des Profondeurs. Mais c'est tout !" (F3, 13). Et elle rajoute "Ce n'est même pas un  "Jungien" (... ) Il n'y a pas l'ombre d'une partie mystique”. La théorisation de la "synchronicité" est toutefois présente, notamment à l'occasion d'un épisode personnel ; elle ne le considère pas cependant comme "paranormal" : "On se marie avec son problème. Est-ce qu'on peut appeler ça télépathie ? Je n'en sais rien. Je n'ai pas de définition de la télépathie (F3,5).(. . . ) Je me rappellerai toujours d'un cas( ... ). Je rentre de vacances. C'est mon premier patient qui me raconte... Enfin, exactement... Mais alors !(. . .) Il m' a semblé qu'il racontait ce que j'avais raconté moi-même quelques jours auparavant... C'était très évident dans ses paroles" (F3,7). Cet entretien contraste, donc, avec les deux autres. La problématique que nous soulevions lui semblait de la théorie pure - ce qui l' irritait - alors que son souci unique, disait-elle, était de "soigner", c'est tout. (F3, 17-17).

_(F4) n'est pas un entretien mais la transcription d'une émission radiophonique sur "Les savoirs censurés". Une analogie est établie entre ce qui se passe "au niveau de l'individu, c'est-à-dire du psychisme individuel, et ce qui se passe au niveau des grands phénomènes culturels collectifs", par rapport à la censure (F4,2). Dans notre "civilisation de l'avoir", les savoirs censurés sont "des formes de la vie psychique qui témoignent d'autres réalités que celles dominantes et mieux, ou brouillent ou doublent les lois fondamentales de l'ordonnance rationnelle : La loi de causalité, l'ordre du temps, l'unité de la personne. . . "(F4,4) .

Ces "savoirs censurés" forment l'arrière-fond culturel constitué par les "savoirs traditionnels" - au sens propre de ce terme - comme les mythes, les croyances ataviques en l'astrologie, les savoirs ésotériques (l'alchimie, le Yi-King en Orient, etc.. . ), (F4,6-8) . Ils sont en recrudescence actuellement.

7°/ L'entretien G (ex-Ecole jungienne de Paris)

Cet analyste, physicien et enseignant à l'Université, a quitté l'Ecole jungienne où il a fait son analyse didactique.

Nous pouvons nous demander si son départ de cette formation ne coïncide pas avec son entrée dans l'Université, qu'il préfère.

Il n'est pas très sensibilisé par la problématique du "paranormal", en général, et n'exprime pas une confiance réelle dans les découvertes éven­tuelles de la science dans ce domaine.

Nous nous demandons également si une incompatibilité n'existe pas entre les recherches et l'esprit scientifique universitaires et l'intért porté à la parapsychologie. En effet,voici ce que dit (I, 19-20) : "Il  faut distinguer ce qui est publié de ce qui est dit. C'est vrai pour les pscycha­nalystes et les physiciens. Ils ont des positions "rationalistes", au mauvais sens du terme. Les psychologues aussi. Leur position en privé est très différente de celle qu'ils affichent en/au public. C'est-à-dire qu'en privé ils accepteront assez facilement de considérer des faits dans leur intrprétatlon parapsychologique. Dans leur vie professionnelle de scientifiques reconnus, dans leurs publications, ils éviteront tout à fait d'aborder ces sujets, indiquant que ce serait dangereux pour leur avenir, leur carrière ! Les physiciens comme Costa de Beauregard n'hésitent pas à parler de parapsychologie. Mais il est "massacré” par ses confrères."

_(C, 14) tient à peu près le même propos.

_(G, 6) évoque l'ouverture que représente l'Université par rapport aux " formations initiatiques" des Ecoles psychanalytiques. "Essentiellement, Université est un lieu. L' Université, c'est un endroit où il y a les Jun­giens, les Freudiens, des gens de l'Ecole de Lacan etc... Et puis les étu­diants écoutent l'un, écoutent l'autre, et puis deviennent eux-mêmes à partir de là".

Il retrace les débuts de la Physique : "Il y avait des cabinets de physique (des Rose-Croix, dans le temps) qui, dans leur coin, avec des forma­tions très initiatiques - souvent secrètes - faisaient des choses...

Et à partir du moment où c'est arrivé à l'Université, ils étaient tous là et ça a démarré : C'est devenu la physique" (G,6).

Pour sa part, il n'aimerait pas participer à des expériences de recher­ches sur la "transmission de pensée" . "Ca ne m'intéresse pas, à vrai dire. Non pas que ça ne m'intéresserait pas en soi. Mais il y a tellement de choses qui... ( m' intéressent.). Je ne vais pas, en plus, m'intéresser à ce qui... Ce qui peut être intéressant, c'est de s'informer des expérimentations" (G, 18-19).

Il s'est en effet montré très curieux et intéressé par les résultas éventuels des expériences soviétiques dans ce domaine (G,1-2,9).

Pour lui, la question est de se donner une conceptualisation, des moyens d'appréhender le phénomène de la télépathie, par exemple : "Outils, pas seulement théoriques, hein ! Quand on cherche des preuves, la conceptua­lisation n'intervient pas seule. Il y a aussi une conceptualisation qui doit fournir un outillage qui va permettre de mettre en oeuvre. Alors, cet outillage, on ne l'a peut-être pas, à l'heure actuelle, pour étudier un peu sérieusement les phénomènes paranormaux ?"(G, 8) .

Il nous semble d'un parti-pris rationaliste mais toutefois curieux des recherches en cours.

8°/ Les entretiens H1 et H2 (inspiration reichienne)

Là encore, la catégorisation ne coïncide pas avec une unité de doctrine. Pour plusieurs raisons : Seul (H1) appartient à l'Institut W. Reich en tant que membre associé; (H2) a seulement effectué son analyse didactique dans ce groupe.

_(H1 et H2) connaissent tous deux Gérard Guash (H1,24), co-fondateur de cette Société , que nous n'avons pu interviewer parce qu'il avait été retenu au Mexique.

_(H1,2) n'applique cependant pas à la lettre la doctrine reichienne qu'il ne "reconnaît pas" à part entière - de même qu'il ne reconnaît entièrement aucune théorie, vraiment, mais s'intéresse à divers courants (H1, 1-3); il dit rechercher "les structures les plus souples possibles et les moins repérées comme structures de soi. Tout cela pour dire que, dans un domaine précis, je m'intéresse à plusieurs approches . Et même aux guérisseurs philippins".

_(H2, 1-4) fait preuve d'une curiosité et d'une diversité similaires, si elles ne vont pas dans le même sens : Il a opté pour la Bio-Energie et, à l'intérieur de cette pratique, pour le courant de J. Fliss - pas celui de Lowen, plus connu.

Il est par ailleurs chercheur à l' I.N.S. A. et attaché à l' E.N.S.

Il dit : "Je pratique ce qu'on appelle l'Ésotérisme et les Sciences Hermé­tiques, pour mon plaisir (H2,9). Il donne les définitions des termes "occultisme", "paranormal", "ésotérisme", "hermétisme", "magie", "sorcellerie" à la fin de son entretien (H2,41-43).

_(H1 et H2) ont en commun leur sensibilisation à des phénomènes dits paranormaux : (H1) a expérimenté sur lui les cures de guérissage philippin (H1, 16); et (H2) dit vivre des expériences "paranormales"  tous les jours et dans chaque groupe, presque, de Bio-Energie (H2,12-13). Pour lui, le fait d'être en vie constitue le premier phénomène "paranormal" : "Un premier phénomène paranormal, c'est le fait que je sois venu au monde (. . . ). Depuis, à chaque fois que je marche, j’y suis confronté. A savoir : Comment est-ce que je tiens debout à la surface de la terre, sur mes deux pieds ?

Sinon, dans ma pratiique,oui. Dans la vie quotidienne aussi. " (H2,5 ).

Nous nous demandons toutefois si la même inspiration reichienne n'est pas à l'origine de leur attrait pour les phénomènes mystérieux ou qui relèvent d'une "intuition cosmique" (H1,23), car W. Reich, lui, parlait d"'orgone" comme d'une substance fluidique, vitale - symbolisant l'énergie - et parcourant l'univers et les individus. Or, tous deux font référence à un modèle énergétique (H1, 8 / H2, 6-7).

En outre, ils ont en commun de ne pas vouloir se reconnaître dans un mouvement théorique unique, de façon institutionnelle : "Je me reconnais nulle part et partout" dit (H1, 2) ."J'appartiens à mon école" ; "Je suis de ma formation", dit (H2, 2,4).

9°/ L'entretien I

Cet entretien arrive en dernière position dans notre tentative de catégorisation par importance représentative, parce qu'il nous semble le plus marginal.

Ce psychothérapeute, psychiatre de formation, donc, médecin, pratique en effet des techniques peu reconnues institutionnellement : Le Réve Eveillé Dirigé (G. I . R. E.D.) , dont le protocole est proche de celui de la psychanalyse (1,2), et la Méthode Tomatis, proche de la musicothérapie. Nous ne lui avons pas posé de questions détaillées à propos de ces deux techniques puisque notre guide d'entretien était centré sur les phénomènes dits paranormaux .

Il est très intéressé par les phénomènes de cette catégorie, en particu lier la télépathie qu'il a tenté d'expérimenter lui-même chez les enfants (et les adultes), (I,3-5), à l'aide d'un instrument de son invention et par le biais des statistiques : "Il n'y a que les statistiques qui peuvent donner une certitude à ce genre de phénomènes et dans tous les autres cas, on en est réduit à des opinions, des impressions" , (I,6).

"Mais je pense que ce phénomène existe", dit-il, (I,7).

Il suit - bien que non physicien - les théorisations contemporaines de la physique quantique (I, 27-28) qui lui semblent une voie d'appréhension de ces phénomènes (comme F1,8-9 ... ), avec des réserves toutefois : "Ca a l'air - de mon point de vue - effectivement une approche intéressante... Mais pour moi, ce n'est pas une preuve. Le fait qu'un physicien dise ça, ou deux, ou trois, ou dix, ça ne veut pas dire qu'ils ont raison" (I,27).

Selon lui, les recherches sur la "transmission de pensée" et la télépathie succèderont à l'informatique : "Ca deviendra - après l'informatique - la prochaine étape. Il faudra trouver autre chose... Je pense que ce sera ce domaine qui sera exploré. Mais je doute que ce soit nécessairement par la psychanalyse" (I, 23), avance-t-il.

Il s'intéresse également aux recherches des Soviétiques dans ce domaine, (I,12).

c/ Conclusions sur la catégorisation

Au terme de la catégorisation de notre échantillonnage et des réflexions qu'elle suscite, nous dirons que l’ordre adopté ici reflète la hié­rarchisation traditionnellement admise dans/par l'institution psychanalytique.

Les séries A et B, auxquelles s'ajoutent les entretiens C et D, repré­sentent , en effet, l'ensemble plus vaste des Ecoles freudo-lacaniennes.

Nous partons, en effet, de l'Institut comme formation représentative de la doctrine orthodoxe de Freud (nous avons souligné, cependant, des contradictions dans les discours tenus) pour élargir ensuite par cercles concentriques à des Écoles qui, tout en se référant à Freud, "innovent" par rapport à la doctrine stricte (séries B, F,H), si l'on considère que les pères fondateurs - à leur tour - de ces formations furent des disciples/ "relecteurs" de Freud à divers degrés (Jung, Reich et, bien sûr, Lacan). Toutefois, les théories et les techniques s'éloignent parfois de la docrine fondatrice au point de paraître tout à fait originales, ne conservant que l'aspect extérieur du "protocole très similaire", comme dans le cas de (I,2).

1/ Le premier point remarquable, donc, est l'absence d'unicité des systèmes de représentations se référant à une doctrine identique au sein d'un même groupe dont le nom, dès lors, comme entité représentative, sert d'unifica­tion à des opinions divergentes, voire contradictoires (série A).

·         La Société Française de Psychanalyse - l'Institut - demeure, d'un point de vue représentatif, "la" référence valorisée/valorisante : "Certains changent de voie... Par exemple, une personne assez fermée, un jour, lors d'un travail de groupe, à une question s'est déclarée "non autorisée à népondre". Elle m'a téléphoné par la suite pour me dire qu'elle avait été acceptée à l'Institut de Psychanalyse. Qu'elle ne viendrait plus. Elle at­tendait cette tant attendue reconnaissance! . C'est comme ça sans arrêt. Je vous donne un aperçu", dit (E2,26).

·         Inversement, l'éclatement d'un groupe-"père" (si l'on peut dire), ne porte pas atteinte à l'homogénéité des doctrines, voire des systèmes de représentations allégués dans notre échantillonnage (série B ; sauf B2 qui présente un exemple de "changement de voie" et est moins lacanienne présentement ; elle se tourne vers les kleiniens B2, 3).

2/ Au sein des formations dissidentes et/ou hétérodoxes, telles les Ecoles jungienne et reichienne, le même phénomène se reproduit : Nous assistons à des divergences d'opinions, même d'orientation, par rapport à la théorie initiale(entretiens H1 et H2).

En revanche, la dissidence n'est qu'apparente entre les Ecoles jungienne de Zurich et de Paris (F1 et F2, par exemple).

3/ Nous avons vu qu'une ouverture du champ d'exploration psychanalytique se faisait jour très certainement par le biais de formations plus récentes, et regroupant des analystes de cursus tout à fait différents, qui ont pour objectif davantage la recherche : C'est le cas, semble-t-il, pour le Collège de Psychanalyse, dont la création date de 1979. (E1 et E2).

4/ Les vrais clivages, certes, demeurent entre des positons ou des systèmes de représentations antinomiques, telles les conceptions freudo-lacaninnes et jungiennes. En effet, tous les représentants des premières (sauf A4) qui ne parle pas de Jung et (B2, 3) plus ambivalente, nuancée dans ses opinions portent un jugement dépréciatif sur la théorie jungienne, voire sur la personne de Jung.

_"Je trouve que la lecture de Jung, déjà, est très peu intéressante, dit (A1,16). Il fait référence aussi à un article où Jung passe pour psychotique. "Je ne considère pas la théorie jungienne du tout. Mais il est inévitable qu'elle porte la trace de la personnalité du créateur qui était, justement, particulièrement concerné par les choses étranges (... ). Je crois que chez les Jungiens vous trouverez beaucoup plus d'échos à vos interrogations con­cernant la télépathie, l'étrange, le paranormal.... C'est leur domaine", précise (A2,8, 13).

_"En ce qui concerne les Jungiens, je pense,si l'on en juge d'après Jung (je connais mal Jung), je pense qu' ils sont beaucoup plus perméables à cette dimesion et je craindrais, moi, qu'ils la fassent, justement, tomber dans la mystique" (...), dit (A3,22).

_"Jung! mais ce n'est pas un psychanalyste ! (.. . ). Bien non ! Puisque la psy­chanalyse, c'est la mise en place du terme "libido". Avec ce que ça veut dire. Et Freud n'a jamais ... Bon ! La mise en place par Freud soi-même de ce terme là : "J'intitule, etc. . . " A partir du moment où Jung a fait une psychologie...; d'ailleurs, il ne lui a pas donné de nom à sa psychologie “, dit (B1, 12) ; toutefois, elle rappelle que c'est Jung qui a dénommé la Psychanalyse : "D'ailleurs, c'est curieusement lui qui a donné lieu au terme "psychanalyse". Parce que c'était la "Psycho-Analyse". Et c'est resté en Angleterre et en Allemagne. C'est lui qui a contracté le terme en "psychanalyse".

_"Parce que la différence qu'il y a, par exemple, entre la psychanalyse et Jung – et les gens qui fonctionnent sur ce mode-là - , de l'interprétation symbolique d'un Inconscient qui n'a rien de freudien, c'est l’idée que, quand même, tout peut se ramener à du signifiant. Tout se ramène à des mots, en dernière instance (.. . ) . Autrement dit, on ne peut pas parler de psychanalyse à propos de Jung : Puisque c'est "le thérapeute qui sait". Jung l’a généralisée, mais au détriment du sujet" (B3,16,18).

_"Je n'appellerais pas ça "mystique" : Ca participe du délire, de l'halluci­nation. . . (. . .).C'est possible… Mais , pour moi, dire que Jung était . ..Oui, peut-être, schizophrène ou paranoïaque. .. Ca n'est pas le classer de façon psychiatrique, en tout cas", dit (B4,10) aprés hésitations.

Les freudo-lacaniens continuent, donc, de ne pas considérer Jung comme un psychanalyste à part entière, ni la conception jungienne comme psycha­nalytique.

_C'est aussi l'opinion de (E1,23) : "Jung est psychanalyste en prédicat. ( . . . ) Jung, s'il était psychanalyste en substance, il laisserait tout ça tomber ! (. . .) , dit-il.

L'image de la psychanalyse, c'est la psychanalyse freudienne.

Le milieu psychanalytique semble donc compartimenté de façon très nette : (E2,27) souligne cet aspect :    "Il faut voir comment la parapsycholo­gie, dans le groupe des disciples de Freud, est venue contenir tout ce qui était occulté de phénomènes réels ! Par rapport à un mouvement, à sa constitution, sa fonction : comment ce qui a été occulté de suicides (Tausk.. . ) a pu être attribué à des phénomènes réels . . . Comment ça fonctionne ! L'attitude de Freud au niveau des rejets. Mais ça fonctionne toujours ; J'ai appris que dans un Groupe, un groupe de travail a disparu récemment. Comment voulez-vous, après, qu'on s'intéresse à la parapsychologie ? C'est tellement terroriste, aliénant que ne supporte pas du tout l'ouverture à des phénomè­nes un petit peu étranges ! Ca ferme la porte, dirons-nous, à l' "inquiétante étrangeté" . . . , dit( E2,2 7) .

Elle ne pense pas, pour sa part, que la parapsychologie constitue une catégorie du champ analytique distincte : "Je ne pense pas que c'est une catégorie (. . . ). Parce que, soit on est très libre par rapport à tout et on s'interroge soi-même de manière intellectuelle, soit on fait partie d'un corps. . .Alors, c'est déjà tellement catégoriel ! Il y a déjà tellement de catégories dans la psychanalyse ! Je ne pense pas qu'il faille faire une catégorie à part ( ... ). Je ne vois pas ce que ça apporterait (. .. ). Moi, je n'aime pas les catégories ( ... ) . Je pense que la parapsychologie est située, déjà, dedans. Mais ça ne s'appelle pas comme ça" (E2,27-28).

Il ne lui semble donc pas nécessaire d'opérer un clivage autour du "paranormal".

_(D,33) tient le même propos. La querelle entre Freud et Jung au sujet de la nature de la libido ne lui semble pas un point théorique susceptible de générer une scission d' Ecole : "Je me demande vraiment pourquoi ils se sont... Parce qu'il n'y a pas de quoi en faire du mon­tagnes ! Disons que ça a servi à régler des querelles ... Vous savez, les analysants réconcilient très bien les deux, hein ! Il faut interpréter (que ce soit Adler, Lacan ... ) comme ça vient : Pas selon les cadres conceptuels", dit-elle.

Médecin-psychiatre de formation classique freudo-lacanienne, (D, 1), elle dit avoir traversé "une période jungienne" : "Moi, j'ai eu ma période jungienne ; plutôt après mon analyse" (D, 33).

Il semblerait qu'un continuum, donc, plutôt qu'un clivage, s'instaure entre ces doctrines apparemment opposées, freudo-lacanienne et jungienne, si l'on en croit l'exemple de (D,33).

C'est pourquoi, si institutionnellement les clivages que nous avons soul ignés (séries A et B) demeurent, il semble que ce soit dû à "la persévérancer de positions acquises", comme le dit (A2, 10) en parlant de croyances qui perdurent à travers l'histoire (F1, 5, 33 et H2, 33, expriment, en d'autres termes, le même point de vue).

Plusieurs analystes, en effet, insistent sur le "caractère stratégique", soit de l'alliance de Freud et de Jung, (F2, 13-15), soit de leur désaccord (D, 33 / E2, 27 / F1, 23-27).

(B1,12), comme nous l'avons vu, rappelait que Jung avait donné lieu à la contraction du mot Psychanalyse.

(F2, 13), lui, rappelle que Jung avait été désigné par Freud comme son successeur : "Jung, à un moment donné, a été le dauphin de Freud puisqu'il avait été chargé par lui, de prendre sa succession".

Par conséquent, il semble que les vrais clivages se situent plus entre la sensibilité/sensibilisation personnelle et la codification théo­rique adoptée dans un groupe. Les phénomènes dits paranormaux sont reconnus mais les attitudes et les positions à leur égard diffèrent : Ils sont autrisés /ou non à figurer dans le champ expérentiel personnel ou instituti­onnel : "Entre analystes, il arrive qu'on en parle, entre collègues.. (...) de phénomènes étranges. En général, disons que nous avons une attitude à la fois amusée, intéressée et généralement sceptique... à l'endroit des phénomènes qui  nous arrivent et qui nous laissent perplexes. Mais c'est très rare que quelqu'un ait - je dirais, une conclusion radicalement en faveur de la transmission de pensée ou contre. Nous laissons cela en suspens..” , dit (A3, 1). A la fin de l'entretien, elle rapporte également une anec­dote survenue à un collègue qui est resté, dit-elle, "très bienveillant" ( . . . ) , à l'égard de cette chose ! (Rire). D'autres collègues à qui des histoires semblables sont arrivées en racontent. Je vous dis, on en parle de temps en temps..." (A3,28).

Aucune appréhension théorique systémique n'est entreprise. Les anec­dotes restent verbales ou personnelles, l'intérêt porté, "égoïste" (A2, 19).

_Chez les Lacaniens, si l’on en croit (B1, 18), l'indifférence totale est de mise face aux phénomènes dits paranormaux : "Les principales émanations, c'étaient les "Membres du Directoire de l'Ecole Freudienne" qui, depuis, se sont tapés dessus ... (. . .) . Nous , on tourne en cartels , mais hors constitution. On travaille hors institution. Car qu'est-ce que ça veut dire (... ).Toutes ces institutions là, voyez-vous, je ne pense pas qu'elle soient très "branchées" sur les phénomènes extraordinaires ou "accrochées" par eux...", A l'intérieur de cette formation, effectivement, aucun(e) analyste ne relate d'exemples de phénomènes dits paranornnaux qui leur soient arrivés personnellement et/ou impersonnellement. (B2, 8-11, elle, théorise ces phénomènes dans le cadre du transfert/contre-transfert, uniquement).

Nous avons dit plus haut que, selon la doctrine de J.Lacan, le langage seul prirne : "Evidemment, si l'on pense que tout passe par le langage, on est obligé de nier toute cette dimension qui, à moi, me parait tout à fait importante", dit (A3,21), à propos de l'extra-verbal et de la téfépathie. "Eh! bien, oui. Alors, comme pour nous le langage, c'est la clé. . .", confirme (B1,4).

_(C,3-4) a toujours porlé un intérêt personnel aux phénomènes dits pananormaux, mais opéré un clivage dans sa pratique analytique : "Moi, je disais simplement que ce n'est pas quelque chose - cela - du domaine de la psychanalyse que j'étais en train de faire. Je ne disais pas : "C'est impossible". Je n'avais pas une attitude. . . Là, alors, c'est mon caractère personnel. . . Mais je n'avais pas une atttitude de refus de cela. Je l’acceptais, tout en disant : "Le psychanalyste, de cela, ne peut rien faire, " n'est-ce pas? Ce n'est pas le sens de l'analyse. Et je crois d'ailleurs que c'est vrai", dit- elle.

Enfin, (F1, 5-6) expose peut-être le plus clairement la situation :

"Je ne parle pas seulement des praticiens. Mais des gens en général. L'ex­périence montre qu'ils recueillent toujours des phénomènes mais qu'ils le "mettent de côté"... A plus forte raison, à partir du moment où on commence à travailler comme analyste. Et même les neuropsychiatres qui y sont un peu ouverts, ou qui font attention à ce qui se passe d'un point de vue phénoménologique. Qui font attention à des faits ! Non pas à des théories, Soit ils constatent des choses, qu' ils ne peuvent pas expliquer - et à ce moment là, ils s'empressent de les oublier, parce que ça les gêne et qu'il est très gênant d'être gêné quand on veut être sûr de soi -  ou bien alors il se posent des questions, tâchent d'aller chercher un peu plus loin... Là aussi, ça fait deux domaines pour eux. C'est-à-dire qu' il y a le domaine parapsychologique (où on fait rentrer un tas de petites choses amusantes) et puis un travail sérieux - leur travail professionnel. Ou bien, ils essaient de se poser des questions et de faire se rencontrer les deux univers. Ce qui est plus créateur. Car je ne vois pas tout à fait comment dans le domaine psychologique large, on peut découper les êtres en rondelles" dit-il.

_(I, 19-20) fait état du même clivage (p.23) entre l'attitude person­nelle et la théorie affichée au public : "Il n'y a pas de position très officielle. Il y a des gens qui ont des opinions très variées. Il faut distinguer ce qui est publié de ce qui est dit. C'est vrai pour les psychanalystes et les physiciens . (... ). Leur position en privé est très différente de celle qu'ils affichent en/au public. C'est-à-dire qu'en privé ils accepteront assez facilement de considérer des faits dans leur interprétation parapsychologique. Dans leur vie professionnelle de scientifiques reconnus, dans leurs publications, ils éviteront tout à fait d'aborder ces su jets, indiquant que ce serait dangereux pour leur avenir, leur carrière", dit-il.

Un dernier clivage semble intervenuir entre la psychanalyse et la psychiatrie, induisant un clivage théorique, (A4,1-3 / F3,1-2).

_(C, 7) , en effet, pense que les catégories nosographiques ne sont pas identiques pour les deux spécialités : "Ce que nous avons, en psy­chiatrie, ce sont les "délires d'influence"". Mais ces délires, du point de vue psychanalytique... Il faut essayer de les faire entrer dans une autre catégorie, éventuellement" , dit-elle à propos des phénomènes dits télépathiques de "transmission de pensée (s) " . (F1, 32, neuropsychiatre également de formation, partage cet avis).

Ce n' est pas l'opinion, toutefois, de plusieurs analystes, tels (A2, 12 / B1, 2, 10, 13 / B3, 5-6, 11-12 / E2, 12).

Outre la diversité des "structures personnelles", comme le dit (A4, 16), les clivages nous semblent aussi institutionnels. Terminons par ces propos de (F1, 5 ; 33) : "Les Lacaniens ou les Freudiens "récitent" très bien Freud. Les Jungiens "récitent" très bien Jung. On a l'impression qu'ils ont leurs manies. Quelquefois, vous "récitez à côté" : sans "délirer", au sens clinique du terme, pour autant.(...). C'est le problème du écoles analytiques. Qui dit "Ecole" ... Tout groupe reproduit ce qu'on lui a appris. ( ... ) . Ce qui est très sécurisant."


CATEGORISATION ET HIERARCHISATION PAR IMPORTANCE REPRESENTATIVE

A1 – Membre titulaire

A2 – Membre titulaire

A3 – Membre titulaire

A4 – Membre affilié

SOCIETE FRANCAISE DE PSYCHANALYSE (INSTITUT DE PSYCHANALYSE)

FREUDIENS ORTHODOXES

ECOLES

 FREUDO-LACANIENNES

B1 – ex ECOLE FREUDIENNE de PARIS (E.F.P)
travaille en cartels hors institution (B1,17-18)

B2 – ex ECOLE FREUDIENNE de PARIS (E.F.P)
Suit des séminaires et travaille en groupe inter-Ecoles : tendance Kleinienne (B2,3)

B3 – ECOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE (E.C.F)
Membre associé

B4 – ASSOCIATION FREUDIENNE (A.F)

 

ECOLES LACANIENNES

C – ex SOCIETE FRANCAISE de PSYCHANANLYSE

-          ASSOCIATION PSYCHANALYTIQUE DE France (A.P.F)

-          Tendance Wladimir Granoff

 

D – Médecin-psychiatre : formation freudo-lacanienne

-          ex-membre du G.E.R.P

-          spécialiste des sujets-psi

 

E1 – ex SOCIETE FRANCAISE  de PSYCHANALYSE

-          Membre titulaire

-          ex ECOLE FREUDIENNE DE PARIS (E.F.P)

-          Analyste didacticien de l’Ecole

-          CENTRE DE FORMATION et de RECHERCHE PSYCHANALYTIQUE

-          COLLEGE DE PSYCHANALYSE

-          « inscription parmi des gens qui n’ont pas la même formation ou gardant aussi l’anonymat » (E1,1)

 

E2 – ex IV° GROUPE

-          COLLEGE DE PSYCHANALYSE

-          Assistante sociale de formation

-          Professeur d’enseignement social

-          Psychologue

Travaille avec Maria Torok (E2,24,30)

   

F1 – ASSOCIATION INTERNATIONALE de PSYCHOLOGIE-ANALYTIQUE (A.I.P.A)

-          Affiliation directe à Zurich (contrôles avec Marie-Louise von Franz, assistante de Jung, (F1, 3, 26)

-          Ex- membre du G.E.R.P

F2 – ASSOCIATION FRANCAISE de PSYCHOLOGIE-ANALYTIQUE (A.F.P.A)

-          Enseignant dans cette formation

F3 – ASSOCIATION FRANCAISE de PSYCHOLOGIE-ANALYTIQUE (A.F.P.A)

-          Analyste didacticienne dans cette formation

F4 – ASSOCIATION FRANCAISE de PSYCHOLOGIE-ANALYTIQUE (A.F.P.A)

-          Analyste didacticien dans cette formation

-          Traducteur de l’edition italienne de l’œuvre de Jung

 

ECOLES

JUNG I ENNES

G – ex ASSOCIATION FRANCAISE de PSYCHOLOGIE-ANALYTIQUE (A.F.P.A)

-          Physicien enseignant à l’Université

-          Analyste libre

 

H1 – INSTITUT WILHELM REICH

-          Membre associé de cette formation

H2 – ex - INSTITUT WILHELM REICH

-          Bio-énergéticien – tendance J. Fliss

-          Chercheur attaché à l’INSA et à l’ENS

 

ECOLES     

                    REICHIENNES

I – Médecin psychiatre/psychothérapeute

-          Technique du REVE EVEILLE DIRIGE (G.I.R.E.P)

-          METHODE TOMATIS

-          Inventeur d’un instrument pour mesurer la télépathie (I,3-5)

-          Approche statistique (I, 6)

   

GRILLE D'ENTRETIEN

1° - Vous êtes praticien (ne), clinicien (ne). Exercez-vous à titre de psychana­lyste, de psychiatre, ou les deux ?

A/ Pouvez-vous rappeler à quelle formation vous appartenez ?

2° - Avez-vous, dans le cadre de votre pratique ou en dehors, été sensibilisé(e) à des phénomènes dits paranormaux?

A/ Pouvez-vous relater ces faits ?

B/ Dans quelles circonstances ?

3° - Qu'est-ce qui vous a amené(e) personnellement, à penser qu'il s'agissait de phénomènes (dits) paranormaux ?

4° - Que pensez-vous des quatre articles de Freud au sujet de la transmission de la pensée et la telépathie ?

A/ Freud était-il ambivalent, à votre avis ?

5° - La situation analytique favorise-t-elle, selon vous, l'occurence de tels phénomènes ?

A/ Lesquels ?

B/ Pourquoi ?

C/ Comment ?

6° - Pensez-vous que ce que Hitschmann, un successeur de Freud qui s'est intéressé un moment à la télépathie, appelle un "complexe mystique" soit nécessaire de la part de l'analysant et/ou de l'analyste pour la production de telles occurrences ?

7° - Pensez-vous qu'un "terrain psychotique" soit nécessaire chez l'analysant ?

A/ Quelle(s) grande(s) psychose(s) alors incriminer ?

8° - Que pensez-vous de la position des autres Ecoles psychanalytiques au sujet de la télépathie ?

A/ Freudienne ?

B/ Lacanienne ?

C/ Jungienne ?

D/ Reichienne ?

E/ .......... ?

9° - L'approche - la démarche - psychanalytique favorise-t-elle, en général, la sensibilisation à des phénomènes dits paranormaux, à votre avis ?

10° - Peut-on concevoir, en théorie et pour la théorie, la parapsychologie (et essentiellement la télépathie) comme une catégorie, un paradigme, du champ analytique ?

A/ Oui/non . . . pourquoi ?

B/ La pratique y trouve(rait)-elle un bénéfice ? Lequel ?

C H A P I T R E    I

LA PROBLEMATIQUE FREUDIENNE DE L'OCCULTE

"Il ne semble plus possible de repousser l'étude de ce qu'on appelle  les phénomènes occultes, ces choses qui prétendument cautionnent l'existence même de forces  psychiques autres que celles que nous connaissons chez l'homme et chez l'animal, ou qui dévoilent chez l'un et chez l'autre des facultés auxquelles jusque-là on ne voulait pas croire. La pente vers ces recherches paraît irrésistible."

Freud

("Psychanalyse et télépathie", in W. Granoff et J.M. Rey, L'Occulte, objet de la pensée freudienne, Paris, P.U.F., mars 1983, "Rapport préliminaire", p.11)

"Il n'y a pas de doute qu'un travail sur les phénomènes occultes aura comme résultat de voir confirmée la factualité de nombre d'entre eux ; il est à supposer que beaucoup de temps passera avant que l'on ne parvienne à une théorie admissible de ces faits nouveaux.

Freud (ibid, p.17).

"D'après la plus vraisemblable de ces suppositions, il s'agirait dans l'occultisme d'un noyau réel de faits non encore retenus, autour desquels l'imposture, l'imagination ont étendu un voile difficile à déchirer. Mais comment approcher seulement ce noyau ? Par quel endroit aborder le problème ? Je pense que le rêve nous sera ici d'un grand secours, en nous incitant à tirer de tout ce fatras le thème de la télépathie."

(Rêve et occultisme, p. 50).

"Le plaisir que m'a donné ta lettre n'a pas été le moindre, sauf en ce qui concerne partie sur la magie, que je considère comme un replâtrage superflu tenté pour compenser tes doutes au sujet de la transmission de pensée. Je crois en la transmission de pensée et continue à douter de la magie."

Freud

(Lettre à W. Fliess, du 8 mai 1901, in Correspondance avec W. Fliess, Freud (S.) , La naissance de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1969)

Dans le premier chapitre qui sert d'appareil théorique à notre recherche, nous nous attachons à exposer "la problématique freudienne de l'occulte".

Nous ne pouvons éluder cette dernière ne raison des données que nous imposent nos entretiens.

En effet, pour la majorité d'entre eux, le point de départ des associations auxquelles le mot "paranormal" donne lieu est : voyance, astrologie, mystique, occultisme (obscurantisme), fantômes, OVNI, sectes ...

Même lorsqu'il s'agit de transposition culturelle, (A1 , 19, A2, 6, 18).

–(A2,4‑5, 10, 12, 16 / A3, 3‑4, 24,29 / A4,5 /B1, 6, 11 / B2,4‑6, 23, 25 / B3,2‑3, 12, 24, 29 / B4, 6-9, 14 / C, 19‑20 /E1, 36 / E2, 4‑6, 13, 24, 25, 28, 29 / F1, 14, 50 / F2, 37‑38 /F4 / H1 5, 7‑8 / H2, 6, 41‑43) : 16 analystes , donc, associent le paranormal et l'occultisme (au sens large)

_(D) est un cas à part. C'est en quelque sorte théoricienne des phéno­mènes "psi".

_(I) , lui, s'intéresse uniquement à la parapsychologie (à la télépathie) d'un point de vue scientifique et à l'aide des

statistiques. (I, 3-6).

Nous suivrons pas à pas des extraits de la correspondance ou d'oeuvres de Freud, en nous référant pour la plupart à l'ouvrage déjà  mentionné : Freud et l'occultisme (l'approche freudienne du spiritisme, de la divination, de la magie et de la télépathie), Privat, 1976, par Christian Moreau.

Psychiatre non-analyste - mais de formation psychanalytique - celui‑ci eut le mérite, le premier, de "de défricher et de déchiffrer", si l'on peut dire, voilà dix ans, l'immense correspondance de Freud et celle d'une grande partie de ses proches collaborateurs ou amis tels que Wilhelm Fliess, Sandor Ferenczi, Ernest Jones, Edward Hitschmann... dans une perspective d'essai historique et critique.

C'est à lui que nous emprunterons, aussi certains extraits de Rêve et télépathie, 1922, et de La Signification occulte des rêves, 1925, encore inédits en français.

La question de la télépathie "tourmenta" Freud de longues années, si l'on en croit ce qu'écrit Lou Andreas Salomé dans son Journal, au lendemain du Congrès de Munich de 1913 :

.."Le lendemain du Congrès de Munich (9 septembre 1913) avec Freud au Hofgarten. Longue conversation (confidentielle sur les curieux cas de transferts de pensée, qui le tourmentent beaucoup.

Il y a là un point duquel il espère qu'il ne lui sera pas nécessaire de s'occuper durant sa vie. J'espère le contraire"…

(in Andréas Salomé (L.), Correspondance avec Sigmund Freud et Journal d'une année 1912‑1913, Paris, Gallimard, 1970).

Disons dès à présent – cependant – que Freud n'a jamais eu le souci d'effectuer des recherches sur la transmission de pensée autrement que dans un but purement scientifique, afin d'étendre les connaissances psychanalytiques au "monde spirituel si difficilement saisissable" , comme il le dit dans son dernier article de 1932, où il résume l'ensemble de ses positions sur la question (Rêve et occultisme, p. 75).

De même, son unique préoccupation, à l'aube de ses recherches sur le "Psychisme" humain (W. Granoff et J.M. Rey, ibid, p. 156), fut‑elle de le vider de ceux de ses contenus, qui prêtaient encore à équivoque avec la "pensée magique" allégué pour expliquer de soi-disant faits surnaturels.

Son dessein fut d'instituer la psychanalyse naissante comme une science à part entière et reconnue à l'instar des autres sciences exactes de son époque – et de la nôtre – telles que les Sciences naturelles, la Physiologie, la Médecine, la Biologie…

L'optique de Freud,à cet égard, fut  bien :

"…d'éliminer une bonne fois pour toutes les créations du désir humain de la réalité matérielle"…

car, écrit-il clairement :

"Les psychanalystes sont fondamentalement d'incorrigibles mécanicistes et matérialistes, même lorqu'ils n'ont pas l'intention de priver les processus émotionnels et intellectuels de quelque caractéristique encore inconnue"…

(Psychanalyse et télépathie, in W. Granoff et J.M Rey, ibid, p.15)

Font écho à cette position (A1, 17) et (A2, 9) appartenant: à l'Institut

de Psychanalyse (Freudiens orthodoxes) ; mais aussi (F2) et des non-freudiens.

Nous évoquerons, donc, en premier la problématique freudienne de l'occult(e)-isme.

I ‑ L'OCCULTE, OBJET RECURRENT DE LA PENSEE FREUDIENNE

"Mystique, occultisme, qu'entend-on par ces mots ? (…) Nous savons tous de façon générale et confuse ce qu'il faut engendre par là. Il s'agit d'un monde différent du monde compréhensible et régi par des lois inexorables qu'a bâti pour nous la science".

(Rêve et occultisme, ibid, p.43).

"Ce faisant, j'attire l'attention sur ce fait qu'il ne se passe à vrai dire rien de nouveau dans le monde de l'occultisme.

On y retrouve tous les signes, miracles, prophéties, apparitions qui nous ont été annoncés aux époques anciennes et dans les vieux livres. Nous croyions nous être depuis longtemps débarrassé de ces créations d'une imagination débridée ou d'un tendancieux mensonge, de ces produc­tions d'une époque où l'ignorance humaine était encore très grande, où l'esprit scientifique ne faisait que balbutier."

(Rêve et occultisme, ibid, p.47).

"C'est qu'il n'y a guère d'autre domaine dans lequel notre pensée et nos sensations se soient aussi peu modifiées depuis les temps primitifs, où ce qui est ancien se soit aussi bien conservé sous un léger vernis, que nos relations avec la mort."

 (L'Inquiétante étrangeté, p. 195).

Nous voulons justifier par ce titre empruntant à Messieurs Granoff et J.M. Rey que, si l'on considère bien le problèrne et que nous couvrons d'un même regard l'ensemble de l'œuvre et de la démarche freudiennes, la psychanalyse comme science s'est toujours articulée sur une seule et même toile de fond recoupant, avant elle, des théories occultistes.

Aussi convient‑il de ne pas écarter les articles de Freud sur la télépathie comme des erreurs de parcours ou des aberrations manifestes à l'intérieur de son œuvre.

Une preuve en est que l'article : Die okkulte Bedeutung des Traumes (La Signification occulte des rêves), 1925, devait faire partie d'un ensemble a insérer dans la 7ème édition de l'Interprétation des rêves, remaniée à cette même date.

Or, comme le disent eux‑mêmes Messieurs Granoff et J.M. Rey :

"…Si un texte fonctionne comme réceptacle toujours ouvert à des idées nouvelles, comme sac à la limite sans fond qu'il est toujours indiqudé de remplir, c'est qu'à l'inverse aussi il fonctionne comme sac dans lequel on peut, qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou non, toujours penser. Ou encore, en d'autres termes, comme base et source de quelque chose qui conserve un fort potentiel de projection et donc de dispersion d'effets"..

(ibid, p. 111 ) .

Dans un premier temps, nous retracerons donc, brièvement, dans un souci historique et pour plus de clarté aussi, les conquêtes successives que mena Freud dans la "terra incognita" de l'Inconscient, encore considerée à l'époque comme lieu de surgissement ‑ou  de "médiation"- de phénomènes mystérieux comme les rêves, les superstitions, les pressentiments obscurs, en un mot, et à cette "partie aveugle" (P. Luquet, A4,12) qui réside au fond de chacun, et d'un point de vue anthropologique, au fond de l'homme.

A ‑ LA PSYCHANALYSE : NAISSANCE ET PERSEVERANCE DANS SON ETRE

"La psychanalyse : un morceau de terre inconnue gagnée sur croyances populaires et le mysticisme."

Freud

"La psychanalyse est encore aujourd'hui considérée comme suspecte de mysticisme et son inconscient tenu pour ces choses entre ciel et terre auxquelles la philosophie ne se permet pas de rêver".

Freud

(Psychanalyse et télépathie, în W. Granoff et J.M. Rey , ibid, p. 13) .

C'est, en quelque sorte, le parcours allant des re-formulations théoriques de Freud ser le rêve jusqu'à celles sur la télépathie, que nous évoquerons : puisque celle-ci peut-être considérée comme l'ultime objet

de de ses études dans le champ des phénomènes  mystérieux.

Il nous faudra encore la distinguer, cependant, de ceux relatifs aux "transmissions/transferts de pensés", pour lesquels  Freud avança des hypothèses purement psychanalytiques.

Ces trois termes sont en effet synonymes sous sa plume mais, comme tous les synonymes, admettent des nuances.

Avant de retraduire théoriquement le rêve, Freud retraduisit les phénomènes ayant trait à l'hypnose et à l'hystérie en mécanismes, en déterminismes inconscients ; cela à l'orée de la vaste entreprise qui devait être la sienne : L'"invention du psychique".

Nous citons dans ce sens Messieurs W. Granoff et J.M. Rey :

« …Depuis Freud et avec lui s’impose immédiatement un renvoi vers un autre plan. Cet autre plan, le seul qui permettent d’aller au-delà du constat qui est déposé dans la langue et dans la pensée, est celui que Freud véritablement invente, à savoir ce qu’il appellera le psychique, et dont la nature ne se définit pas autrement que d’être celle de l’appareil psychique de son invention" ...

(ibid, p. 152‑153).

Avant ses premières re-formulations systématiques,- systémiques – des phénomènes psychiques qui relevaient, eux aussi, dans les antiques croyances, du surnaturel – le rêve comme message de l’Au-delà, révélation des dieux, prophéties… - Freud s’était donc intéressé à l’hypnose et à l’hystérie, l’une étant d’ailleurs destinée à soigner l’autre.

a/ L'hypnose

Faut-il rappeler qu’elle était auréolée de surnaturel ?

Mesmer l’avait introduite à la fin du 18è siècle sous le nom de « magnétisme animal », accompagné d’une superstructure théorique ésotérique.

En gros, un « fluide universel », prolongement d’une influence cosmique, elle-même traduisant des influences astrales sur le monde, s’étendait non seulement à tout l’organisme mais aussi traversait tous les êtres vivants de l’univers.

La maladie relevait d’un défaut dans la libre circulation de ce fluide et se guérissait seulement en mettant le malade en contact avec la source de ce fluide.

 (H1,8‑9,19,22‑23) nous semble illustrer une rémanence de ces croyances thérapeutiques, s’agissant des guérisseurs philippins.

Nous n’irons pas plus loin dans le descriptif. L'hypnose, comme nous le voyons, s’articulait elle-même sur des théories occultistes et mystiques.

C’est pourtant elle que Freud pratiqua dans les années 1885‑1886 à la Salpétrière, à Paris, auprès du grand Charcot (B3,22).

Elle avait fait son entrée dans ce lieu par le biais de la « métallo-thérapie », procédé qui consistait à transférer les symptômes d’un sujet à un autre grâce à des aimants.

Freud, paraît-il, était doué pour cette pratique et souvent considéré comme un « magicien ». Ses malades, en retour, échappaient eux aussi à la compréhension de la médecine officielle. Ils étaient sujets à des symptômes capricieux, transgressant le code de la pathologie, paraît-il aussi.

(A3, 5) et (H1, 9) évoquent le cas de tels patients.

À la même époque 1885‑1896, Charles Richet, futur prix Nobel de physiologie – président de la Société de Psychologie Physiologique de Paris, s’intéressait aux travaux de Pierre Janet qui, en 1884, avait hypnotisé à distance une jeune paysanne, Léonie (à 500 m).

Les expériences de C. Richet avec la même Léonie confirmèrent celles de P. Janet qui en rendit compte devant Charcot à la Société de Psychologie Physiologique en 1885‑1886, donc, date à laquelle Freud était à Paris.

(E2, 10‑12) relate une expérience d'hypnose à laquelle elle s’est soumise et ce qu’elle a ressenti.

Freud nia avoir pris connaissance des travaux de P. Janet à cette époque. Connaissait-il ceux de C. Richet ? On sait qu’il rencontra celui-ci chez son maître en 1886…

Ce qui est certain, c’est que Freud en 1922, lut le Traité de Métapsychique de C. Richet, que Eitington lui envoya de France dès sa publication. Ce dernier, d’ailleurs, avait coutume d'envoyer des ouvrages sur l’occultisme à Freud, à la réception desquels il déclara, par exemple, dans une lettre du 4 Février 1921 :

« ... La pensée de cette pomme acide me fait frémir, mais il n’y a pas moyen d’éviter d’avoir à y mordre… »

A la réception du Traité de Métapsychique , il écrivit même, dans une lettre du 13 novembre 1922 :

« ... Tout cela me rend perplexe jusqu’à m’en faire perdre la tête… »

Léon Chertok pense que l’intérêt de Freud pour la télépathie aurait pris naissance en France en 1885-1886 (in Chertok L. et De Saussure R., Naissance du psychanalyste, Paris, Payot, 1973).

Rappelons que Freud traduisit dès 1889 le livre de Bernheim sur La suggestion et ses effets thérapeutiques et que, peu après, il  devint le collaborateur de Breuer.  Il publia avec celui-ci en 1895 les Etudes sur l’hystérie ; car, comme nous l’avons dit, l’intérêt de Freud pour l’hypnose n’allait pas sans celui pour ses applications pratiques dans les cas de traitement de l’hystérie.

-(B3,22) évoque l’apprentissage de l’hypnose par Freud auprès de Charcot.

Pour conclure sur les rapports que Freud entretint avec la métapsychique, au sens large, soulignons que, même s’il tenait à distance la recherche métapsychique en général, il n’en était pas moins membre correspondant – ou honoraire – de trois sociétés de recherches psychiques.

Il fut membre correspondant en premier de celle de Londres, par amitié pour W.F Myers, ; il en resta membre adhérent jusqu’à sa mort  et devint membre honoraire en 1938.

Puis, en 1915, ce fut la Société Américaine pour la Recherche Psychique qui le nomma membre honoraire, à son tour.

Enfin, celle de Grèce fit de même en 1923.

Bien que se contentant de lire leur courrier, Freud aurait-il accepté ces titres s’il ne portait pas, parallèlement et de loin, un intérêt pour leurs recherches ?

Et en 1921 n’écrit-il pas à Hereward Carrington, alors directeur de l’American Psychical Institute, lui disant qu’il déclinait son offre de collaboration dans une revue (voir l’allusion que fait Freud à ces offres de rédaction dans des revues métapsychiques au début de son article Psychanalyse et télépathie, in W. Granoff et J.M Rey , ibid, p.11 : « …durant ces courtes vacances j’ai eu trois fois l’occasion de refuser de collaborer à des périodiques de création récente consacrés à ces études »…), et ajoutant :

« Si j’avais ma vie à revivre, je la consacrerais à la Recherche Psychique plutôt qu’à la psychanalyse »… (lettre à H. Carrington du 24 juillet 1921, citée in Freud S. , Correspondance 1873-1939, Paris, Gallimard, 1966, p.364)

Nulle part ailleurs, peut-être, l’occulte comme objet récurrent de la pensée freudienne n’apparaît mieux qu’ici. Freud, en revanche, et contrairement à H. Carrington, choisit la voie du rationalisme. Nous citons in extenso un passage de cette lettre qui ne nous semble pas inintéressant :

« Je ne suis pas de ceux qui refusent dès l’abord l’étude des phénomènes psychiques dits occultes parce qu’elle est anti-scientifique, indigne d’un savant, voire dangereuse. Si je me trouvais au début de ma carrière scientifique au lieu d’être à sa fin, je ne choisirais peut-être pas d’autre domaine de recherches en dépits de toutes les difficultés qu’il présente. Je vous demanderai néanmoins de renoncer à mentionner mon nom dans vos travaux et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que je suis totalement profane et novice dans le domaine de l’occultisme et que je n’ai pas le droit de prétendre à la moindre autorité en cette matière.

Deuxièmement, parce que j’ai de bonnes raisons de vouloir établir une ligne de démarcation très nette entre la psychanalyse – qui n’a rien d’occulte – et ce champ de connaissance inexploré, et de ne pas donner occasion à des malentendus à ce sujet.

Enfin, parce que je ne puis me débarrasser de certains préjugés de matérialisme sceptique que j’apporterais avec moi dans la recherche  des faits occultes. Je suis donc totalement incapable de considérer « la survivance de la personnalité » après la mort, ne serait-ce que comme une possibilité scientifique ; et il n’en va guère mieux en ce qui concerne « l’Idroplasma ».

Je pense donc qu’il vaut mieux pour moi continuer à me limiter à la psychanalyse ».

 (lettre à H. Carrington du 24 juillet 1921, in Freud S. , Correspondance 1873-1939, Paris, Gallimard, 1966).

Les positions de Freud quant à son choix d’appréhension matérialiste et mécaniciste des phénomènes prétendus  occultes (p.43) sont confirmées, en dépit d’un irréel du présent.

_(D, 6, 17, 36) évoque ses travaux au sein de l’Institut Métapsychique de Paris, ou fait allusion à des travaux en relation avec le domaine de la métapsychique et de la re-traduction de certains phénomènes spirites en une psychologie de l’Inconscient (D,17). / ( B2, 9) parle du séjour de Freud à l’Institut Métapsychique d’Athènes.

b/ L’hystérie de possession

Le public connaît les reformulations de Freud sur l’hystérie, assimilée à cette époque à des cas de possessions ou de « névrose démoniaque » (Une névrose démoniaque au 17e siècle, 1923) : (B2,23) et (E1,2).

C’est dans le but de soigner celle-ci par l’hypnose et la suggestion, donc, qu’il s’initia à cette pratique, comme nous l’avons vu.

Freud écrivit aussi : Un cas de traitement efficace par hypnose, en 1892-1893.

Après sa collaboration avec Breuer (E2, 18) , déjà mentionnée, c’est en 1900 – l’année de la publication de L’Interprétation des rêves – qu’il entreprit l’analyse de Dola, de laquelle naquit la « talking cure », qui devait donner naissance à la psychanalyse proprement dite.

Convaincu que les névroses, et surtout l’hystérie, sont des affections psychiques sans lésions organiques causées par des chocs affectifs oubliés, il chercha une méthode capable de faire resurgir, par les libres associations, les traumatismes oubliés. Il employa donc, après l’hypnose et un traitement par questionnement, la technique analytique.

Nous illustrons cette partie consacrée à « l’hystérie dite de possession » par l’évocation de la figure centrale des théories occultistes – le Diable (B2, 5-6) – afin de montrer, encore une fois, à quel point la psychanalyse  s’articule sur ce que nous avons appelé plus haut «  une toile de fond occultiste » (p.45).

Freud expose des théories démonologiques dans l’Inquiétante étrangeté (1919), mais principalement, comme nous pouvons nous y attendre, dans son article : Une névrose démoniaque au 17e siècle, (in Freud S., Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1971).

Prenant comme support un vieux manuscrit de la librairies impériale de Vienne provenant d’un lieu de pèlerinage de Basse-Autriche, Mariazell, Freud étudie le cas d’un peintre qui s’était :

… « voué à Satan comme son propre fils, pour neuf ans»… 

Après la mort de son père, Freud analysa ce pacte comme le résultat d’un acte dépressif causé par la disparition du père en question. Il fait ainsi du Diable un substitut du père et de la possession un « retour du refoulé », expliquant qu’aux temps primitifs des religions,, Dieu et Diable étaient une personnalité unique (d’où l’ambivalence), scindée en deux figures opposées ultérieurement, seulement :

… « Il y a là un processus psychique qui nous est bien connu, la décomposition d’une représentation impliquant opposition et ambivalence en deux contraires violemment contrastés (…). Le père serait par conséquent le modèle primitif et individuel aussi bien de Dieu que du Diable »…(ibid, p227).

_(B2,4) évoque également le cas d’un patient juif tunisien qui, après deux ans de psychanalyse, voulait se faire exorciser ; (voir aussi B2, 5-6).

D. Bakan (in Freud et la tradition mystique juive, Paris, Payot, 1964), souligne le parrallélisme existant entre la situation de ce peintre et celle de Freud après la mort de son propre père, lorsque, en 1897, il se plongea dans la littérature démonologique et commença son auto-analyse. Il traversa une période de dépression accompagnée de soucis financiers.

c/ Le rêve : « Voie royale » d’accès à l’Inconscient

… « Je ne pense pas vous surprendre beaucoup en vous parlant des relations du rêve avec l’occultisme. Le rêve a souvent été considéré comme la porte qui donne accès au monde de la mystique et, aujourd’hui encore, beaucoup y voient un phénomène occulte.

(Rêve et occultisme, ibid, p. 43)

_(D, 18-21) illustre bien la relation existant entre le rêve et l’occultisme à travers une série de rêves télépathiques ou précognitifs (def . D, 7) sans relation aucune, toutefois, avec la mystique.

Pour ce qui est de l’invention de la Psychanalyse comme science du « psychische »(p.47), Freud, quant à lui, n’a pas attendu 1932 pour démystifier le rêve. En effet, ce sont : Die Traumdeutung, 1900 ( L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967), suivie un an plus tard de : Uber den Traum, 1901, (Le rêve et son interprétation, Paris, Gallimard, 1969) qui instituèrent véritablement la Psychanalyse comme science, à l’aube du 20e siècle (Voir B3, 15).

Après le romantisme allemand, avant, puis pendant le Surréalisme, (B4,15) et (C, 1), pendant toute cette période couvrant le 19e siècle finissant jusqu’au premier tiers du 20e siècle, Freud s’est attaché à re-traduire le rêve comme explication dernière du désir de l’Inconscient travesti sous des figures de rhétoriques (déplacement, condensation, inversion…). A l’heure actuelle, l’interprétation des rêves est sans doute ce qui perdure de façon essentielle dans/et pour la technique analytique.

Or, c’est encore le rêve qui sera le support privilégié de l’expérience télépathique, comme nous le verrons plus loin :

… « je pense que le rêve nous sera ici d’un grand secours, en nous incitant à tirer de tout ce fatras le thème de la télépathie »…

écrit Freud dans Rêve et occultisme, (ibid, p. 50). Remarquons que trois sur les quatre articles consacrés par Freud à la question de la « transmission de pensée » et à la télépathie  comportent le terme « rêve » dans leur titre.

Ainsi, pour mémoire :

            1922 Rêve et télépathie (Traum und Telepathie)

            1925 La signification occulte des rêves (Die okkulte Bedeutung des Traumes)

            1932 Rêve et occultisme.

C’est dire encore à quel point le rêve s’articule , lui aussi, à l’origine, sur cette « Terra incognita » , expression par laquelle nous avons désigné l’Inconscient (p.24 ).

_(A3,2) rappelle la signification en allemand de Die Traumdeutung : « La clé des songes » - si cette traduction est exacte.

Freud ne croit pas à l’existence des rêves dits prémonitoires ou prophétiques (« précognitifs »). Il se trouva très tôt confronté à cette catégorie de rêves.

Dès les premières pages de L’Interprétation des rêves (1900), par exemple, il passe en revue l’immense littérature qu’il connaissait à ce sujet et conclut :

… « La puissance divinatoire attribuée aux rêves est une cause de discussion où des assurances obstinées et répétées se heurtent à des doutes difficiles à dissiper. Il convient de ne pas refuser toute réalité à ce fait, parce que, pour toute une série de cas, la possibilité d’une explication psychologique naturelle est peut-être très proche »…

(ibid, p.64)

Dans une lettre du 6 octobre 1909 à S. Ferenczi, Freud n’écrira-t-il pas à son ami, toujours sur le thème de « l’à-venir », qu’il est inutile de consulter à son propos les voyants parce qu’

… « il se modifie toujours à nouveau et même le Tout-Puissant ne sait rien à l’avance »… ?

(in Christian Moreau, ibid, p. 65)

Freud démystifie le caractère surnaturel du rêve, comme il avait démystifié l’hystérie dite de possession, en montrant qu’il n’est pas un oracle des dieux ni quelque savoir prophétique sur l’Au-delà, mais un accomplissement du désir – sur une « Autre scène », imaginaire, certes – dont le scénario peut être réduit grâce au décodage de quelques mécanismes que nous avons qualifiés de rhétoriques, permettant sa lecture apparemment ésotérique.

L'existence des rêves prémonitoires (prophétiques/précognitifs) constitue, d'ailleurs, un point théorique – avec le pansexualisme de la libido, (F2,15) et (D, 32-33) – qui contribuèrent à la rupture de Freud et de Jung.

En 1912, dans Métamorphose et symboles de la libido, Jung soutenait, en effet, des thèses hétérodoxes à celles de Freud ; il affirmait, d'une part, que le concept de libido est :

…"assez étendu pour recouvrir toutes les manifestations les plus variées de la volonté, au sens de Schopenhauer"…

et, d'autre part, que le rêve est un pressentiment intense des tâches à venir plutôt qu'une réalisation du désir.

Libre à nous de penser que Jung pressentait, effectivement, la terrible crise morale qu'il allait traverser de 1913 à 1920 après sa rupture avec Freud. (F1, 25) et (F2,15).

B – APPAREIL THEORIQUE DES CONCEPTIONS FREUDIENNES DE L'OCCULTE

"Le zodiaque est le test de Rorschach de l'humanité enfant".

G. Bachelard

"L'occulte n'a rien de scientifique. C'est un système de croyances et d'interprétations magico-religieuses qui vient parasiter les recherches objectives".

(D,16)

"L'identité de tout un chacun n'est pas quelque chose d'aussi assuré qu'on l'imagine et il reste toujours, au fond de nous, des traces de la situation ancienne où le Moi et le non-Moi n'étaient pa parfaitement séparés (…).

Le passé lointain est toujours susceptible de faire retour et de s'immiscer "en contrebande" dans le présent".

(A2,4,7)

Pour plus de clarté et de commodité dans le repérage des thèmes, nous les classerons par rubriques.

a/ La religion et l'occultisme

Freud, dans les premières pages de Rêve et occultisme, soupçonne l'occultisme d'étayer les théories mystiques ou religieuses en déclin à cause de la civilisation avancée de nos cultures et sociétés :

…" Rappelons-nous maintenant que les traditions, les livres sacrés des peuples sont bourrés de récits miraculeux et que les religions s'appuient justement sur ces événements extraordinaires et prodigieux pour revendiquer la foi qui leur est due. Elles trouvent dans les-dits événements les preuves de l'action des puissances supra terrestres. Mais n'y aurait-il pas identité entre l'intérêt suscité par l'occultisme et l'intérêt porté aux choses religieuses ? Nous soupçonnons, en effet, que l'un des buts secrets de l'occultisme est de porter secours à la religion menacée par les progrès de la pensée scientifique. En découvrant ce but, nous sentons croître notre méfiance, notre répulsion à nous livrer à l'étude des prétendus phénomènes occultes. Cependant, il faut finalement surmonter notre répulsion"…

(ibid, p47-48)

Nous n'envisagerons pas l'ensemble des théories freudiennes sur la religion. Cela nous conduirait trop loin et ce n'est pas ici notre propos. Freud évoque souvent le problème religieux et principalement dans L'Avenir d'une illusion (1927).

Rappelons – ce n'est pas sans intérêt – que si Freud associe par contiguïté (p.77) les visées secrètes de l'occultisme et de la mystique avec celles de la religion, c'est par "un ordre reçu des connexions inconscientes", ce que Jacques Lacan, lui, appellerait "un déplacement du signifiant" dans son propre psychisme.

Ce témoignage de Jung en 1910, après que Freud lui ait fait promettre de rester fidèle à la théorie sexuelle de la libido, nous semble particulièrement intéressant :

…" Sans bien les comprendre alors, j'avais observé chez Freud une irruption de facteurs religieux inconscients. De toute évidence, il voulait m'enrôler en vue d'une commune défense contre des contenus inconscients menaçants. "…(in Jung C.G, Ma vie, Souvenirs, rêves et pensées recueillis par Aniela Jaffé, 1962, Paris, Gallimard, 1966, p.178).

Citer le passage en entier, finalement, n'est pas superflu : il est au cœur du sujet. Voici ce qu'écrit Jung :

…"J'ai encore un vif souvenir de Freud me disant : "Mon cher Jung, promettez-moi de ne jamais abandonner la théorie sexuelle. C'est le plus essentiel ! Voyez-vous, nous devons en faire un dogme, un bastion inébranlable". Il me disait cela plein de passion et sur le ton d'un père disant : "Promets-moi une chose, mon cher fils : va tous les dimanches à l'église !" Quelque peu étonné, je lui demandai : "Un bastion contre quoi ?" Il me répondit : "Contre le flot de vase noire de …" Ici il hésita un moment pour ajouter : "… de l'occultisme"…". (ibid, p177)

Suite auquel incident Jung ajoute :

…"Ce choc frappa au coeur notre amitié. Je savais que je ne pourrais jamais faire mienne cette position (…)".

Il n'est pas étonnant, dès lors, que Jung et Freud  se soient séparés à cause des positions que Jung soutenait sur la libido, précisément, dans l'ouvrage déjà mentionné : Métamorphose et symboles de la libido, 1912, - au titre significatif.

Freud, lui, associe les comportements religieux à des conduites obsessionnelles magico-superstitieuses, dans La psychopathologie de la vie quotidienne, (1910), et dans Totem et tabou, (1913).

Ces comportements sont colorés d'une teinte de Fatum (fatalité) en raison de l'action en sourdine de la compulsion de répétition (def. in J. Laplanche et J.B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, 1976, PUF, p86-88) donnant un caractère occulte à des forces obscures semblant s'acharner contre le sujet (névrose d'échec, de destinée…).

La rupture entre Jung et Freud nous paraît entériner la divergence profonde de leurs positions théoriques face au problème religieux, pris dans son sens large.

On sait que Jung suivit la voie mystique et occultiste. Considérons, en effet, le titre d'œuvres postérieures à sa rupture avec Freud : L'énergétique de l'âme (1928), Le secret de la fleur d'or (1929), Psychologie et religion (1940), Psychologie et alchimie (1944)…

Au regard des "connexions inconscientes" conduisant à poser le problème religieux sur un arrière fond mystique et occultiste – comme un déplacement de signifiants – la relation Freud/Jung nous semble particulièrement intéressante, significative.

Concernant cette même problématique, nos entretiens fournissent un matériel plutôt hétéroclite et non univoque.

Il est possible de repérer plusieurs tendances :

1/ La tendance freudienne orthodoxe (incluant les Lacaniens)

Elle consiste à concevoir la psychanalyse comme incompatible avec la religion et, par voie de conséquences, avec l'existence de phénomènes dits paranormaux  et/ou télépathiques. Mais là encore, les positions ne sont pas codifiées univoquement (A3/A4/B2).

_(A1,16-18) exprime une position classique orthodoxe face à la problématique de la religion et du paranormal. Toutefois, notons que cet analyste utilise le terme "intuition" à plusieurs reprises (A1,6,7,14) dans un sens connoté positivement quant à son utilisation dans la pratique analytique ; par ailleurs, il rapproche toute saisie "intuitive" du "domaine de la mystique" (A1,18).

_(A2,9) dit "être fidèle aux positions de Freud sur la religion" ; il considère celle-ci comme un "gestion collective" des névroses individuelles.

Tout au long de l'entretien, il s'applique à démystifier l'existence éventuelle des phénomènes paranormaux  en reconnaissant toutefois que ceux-ci se présentent dans le champ d'étude(s) des ethnologues et des anthropologues (A2,6,18) et, par ce biais, intéressent les psychanalystes par définition car, dit-il, "étant donné la position impérialiste de l'analyste, tout ce qui se passe à sa portée l'intéresse : n'importe quoi … en vue d'un examen, d'une mise en forme." Il rapproche des phénomènes bizarres dans son propre vécu expérentiel (A1,1) de "L'inquiétante étrangeté" freudienne et affirme qu'une appréhension rationaliste de ces phénomènes est possible.

Toutefois, il ne pense pas que la télépathie puisse devenir un jour un sujet exclusif d'étude pour la psychanalyse, "pour le sujet lui-même" (A2,19).

_(A3,2,18,22) exprime également une position freudienne orthodoxe en évoquant les "deux écueils de la psychanalyse" (A3,2), dont le premier est de "tomber dans la mystique et de finir dans l'occultisme". Elle considère implicitement que la psychanalyse est incompatible avec la croyance religieuse (A3,18) tout en ayant été personnellement sensibilisée à des phénomènes qu'elle pense d'ordre télépathique (A3,3-4). Elle pense que les Jungiens versent dans la mystique, eux (A3,22). Elle envisage toutefois  - et a confiance – que la science puisse un jour découvrir les lois de ces phénomènes (A3,23).

_(A4,13) bien que freudienne orthodoxe d'appartenance, très rigoureuse dans l'appréhension des phénomènes inhabituels (A4,5,8), établit une "analogie et non un parallèle entre l'expérience analytique et l'expérience mystique". Elle distingue, toutefois, celles-ci nettement de la religiosité/religion, qu'elle assimile à la crédulité.

_(B1,10,11,12) dit clairement que "la psychanalyse est incompatible avec la religion" ; mais elle envisage le cas de Françoise Dolto comme un cas limite entre la psychanalyse et la mystique( B1,12), éprouvant à la fois une certaine considération et un grand étonnement en face de la pratique de celle-ci et déclarant : "On ne peut pas lui ficher la paix ! La laisser être une sainte même si c'en est une ! Qu'est-ce" que ça peut faire ?". Elle n'exclut pas l'existence de phénomènes télépathiques entre des enfants mutiques et leurs parents (B1,14-15).

_(B2,20,25) pense que l'intrusion de la mystique dans la psychanalyse est une "faille" (B2,20) et qu'avec la mystique/religion, on peut devenir plutôt "prêtre ou exorciste". La psychanalyse, quant à elle, doit servir à démystifier l'Inconscient (B2,25).

_(B3,24,31-32…) dissocie absolument les expériences d'ordre parapsychologique ou télépathique de l'expérience dite religieuse. Les premières relèveraient plutôt de la psychose (B3,6,12). La problématique du paranormal en général, pour lui, s'apparente à celle de "l'obscurantisme" et "d'une aptitude à croire" (B3,31) généralement partagée – au sens où Descartes disait que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" – et il dit par ailleurs que "la religion rend bête" (B3,25-26).

Auteur d'une thèse intitulée Croire (Privat,  ; toutefois), il dit avoir hésité pour son étude sur la croyance et les processus spécifiques à celle-ci, entre "les tables tournantes et les témoins de Jéhovah" (B3,32) ; il a finalement choisi ces derniers.

_(B4, 15-16) : Pour cette analyste, la croyance au paranormal  est une "résistance au savoir de la psychanalyse" ; toutefois elle dit : "Je suis convaincue que nous sommes nécessairement religieux" dans le sens où le mot religion (religere en latin) signifie "établir un lien" avec les autres et ne réfère pas du tout à l'Eglise.

Nous sommes, donc, en présence d'un éventail d'opinions, voire d'attitudes divergentes bien que s'appuyant sur une même théorie initiale de référence (la théorie freudienne de l'occultisme et de la religion).

Peut-être est-il sur le point de surgir une nouvelle re-définition du terme "mystique" dans le cadre de cette appartenance théorique freudo-lacanienne ? au sens

"d'empathie intuitive" : A1,6,7,8,9,10,13,14,15 /A4, 6,13.

"d'intuition empathique"

2/ Les positions "parapsychologiques"

_(D9,38…) : Nous avons présenté (p.11 ) cette psychanalyste comme théoricienne, en quelque sorte, des phénomènes psi ; par conséquent, au cours de l'entretien elle s'applique à distinguer cette fonction de l'Inconscient des formations imaginaires produites dans le registre du "paranormal", au sens habituel de ce terme (D,15). Pour elle, les perceptions extra-sensorielles relèvent de l'Inconscient, certes, mais ne présentent intrinsèquement aucun caractère pathologique ni d'a-normalité (D,17,22…). Le problème vient, selon elle, du fait que les "sujets psi" manquent de référence(s) dans la société (D,9) et qu'on les catégorise généralement en se servant pour repère(s) de "systèmes imaginaires, magico-religieux, qui sont loin de les définir… De définir leur expérience."

Par ailleurs, la fonction télépathique et extra-sensorielle en général "n'a rien à voir avec la mystique" (D,38) ; "l'extase n'est pas forcément mystique" (ibid). Les "sujets psi" versant dans la mystique sont, d'après elle, peut-être plus "fragiles" ; oui, mais il est facile de les "exploiter", aussi.

Elle intègre l'expérience extra-sensorielle dans le cadre télépathique jungien (D,33,35), sans toutefois en faire une référence unique. Elle est "freudo-lacanienne" de formation (D,1) et médecin psychiatre.

Elle pense, d'un point de vue neurophysiologique et neurobiologique, que l'on n'a pas – tout simplement – encore trouvé les récepteurs de l'information extra-sensorielle, mais que la science y parviendra certainement. Des travaux (U.S.A) sont en cours.

Pour cette psychanalyste, des phénomènes qualifiés habituellement de "spirites", tels que l'ectoplasmie (D,36) ou la "matérialisation" d'objets, (D,41) sont plus ou moins courants et ne doivent pas donner lieu à des interprétations faussées dans le sens "paranormal".

_(F1,27…) : pour cet analyste jungien mais de formation également freudienne (F1,4) et neuropsychiatre, les phénomènes dits paranormaux  d'ordre extra-sensoriel doivent être étudiés sous l'angle scientifique (F1,15,17,42,45), malgré les difficultés que cette méthodologie présente.

Toutefois, au regard de la problématique religieuse et occultiste, il dissocie fondamentalement les expériences dites parapsychologiques des expériences mystiques. Des techniques (reposant sur des expériences de visualisation, à partir des travaux de Warcollier et de H. Marcotte) existent, auxquelles on peut s'initier (F1,27…).

Ce psychanalyste, par ailleurs, est très soucieux de dissocier l'expérimentation scientifique éventuelle de la "pensée magique" (F1,50-51…).

_(I,3,6,27-28), lui aussi, dissocie les phénomènes dits paranormaux  d'ordre extra-sensoriel de la mystique (I,16). Aucun phénomène  relevant habituellement de l'occulte (spiritisme, fantômes …) n'est évoqué par cet analyste si ce n'est qu'il établit un parallèle entre "l'attention flottante" et "l'état (presque) médiumnique" (I,22) du psychothérapeute.

_(A3, 22 / G,1,9 /I, 16…) évoquent, d'autre part, les recherches des Soviétiques marxistes – donc, par définition, matérialistes – dans ce domaine de la télépathie comme preuve de l'existence d'un intérêt autre qu'occultiste ou religieux pour ces phénomènes dits paranormaux. (I, 12) évoque en particulier les expériences scientifiques soviétiques sur les mères lapines que l'on sacrifie, provoquant une réaction à l'EEG chez les bébés lapins et les recherches sur la nature des ondes autres qu'électromagnétiques (I,11) traversant même les cages de Faraday lorsqu'il s'agit de l'expérimentation sur la télépathie en parapsychologie.

3/ Les positions jungiennes

_(F2, 18, 34-38) pose le problème de la religion/mystique et de l'occultisme en termes de "primitivité" dans son rapport à l'archaïque chez un individu et l'analyste lui-même ; donc, par rapport à la partie de psyché indifférenciée résidant encore dans les couches les plus anciennes de l'Inconscient . Il se méfie de la "pensée magique" qui mystifierait les recherches scientifiques (F2,34-38).

_(F3,12-15) évoque la problématique de la religion/mystique et de l'occultisme en se référant à ce que l'on dit – dans le public – des théories jungiennes, qu'elle considère comme erroné, faux ; ce sont là, pour elles, des préjugés provoquant une réaction de colère de sa part et lui faisant dire de Jung : "Ce n'est même pas un "Jungien" (…). Il n'y a pas l'ombre d'une partie mystique (F3,13) et plus loin : "Ce n'est pas un spiritualiste ! (…). Vous voyez comme vous faites ! Vous me dites : "Ah ! c'est un spiritualiste ou c'est un matérialiste "! Mais non, justement!" (F3,14). (voir p.12 ).

Pour elle, la mystique est une recherche d'"absolu".

_(G3) raille les théories occultistes/spirites faisant croire à la survie de l’âme après la mort.

Phsyicien de formation et analyste, il n’envisage la problématique du paranormal et/ou de la télépathie  que sous l’angle de la recherche  scientifique à propos de laquelle – actuellement – il reste sceptique (G8-9) sans toutefois rejeter l’éventualité d’un brusque démarrage (G,5) ; mais pour l’instant nous en sommes, dit-il : « peut-être au niveau d’un Lucrèce ou d’un Démocrite » par rapport à l’atome. Il évoque, cependant, cet objet d’étude – la télépathie – comme du domaine de l’ « impondérable » (G,13).

4 / Les positions théistes ou croyantes

_(C,22) déclare qu’elle est théiste, bien qu’analyste ; cette position n’entre pas, bien sûr en ligne de compte dans sa pratique. La seule allusion qu’elle fait à la religion concerne un patient qui lui dit à la fin de son analyse : « Vous m’avez rendu le Dieu de mon enfance » (C,22). Toutefois, dit-elle : « Il faut laisser les gens libres » (C,23).

Pour elle aussi, peut-être, faudrait-il redéfinir le terme « mystique » lorsqu’elle fait allusion aux travaux actuels d’astrophysiciens tels qu’Hubert Reeves (C,18-19) et au concept d’anti-matière expliquant peut-être d’éventuels phénomènes paranormaux comme la « translation » (C,19) ? Elle pense que les recherches actuelles en physique « ouvrent des horizons ».

Cependant, elle a été sensibilisée personnellement à un questionnement – plutôt qu’à des expériences – au sujet du paranormal : elle évoque une expérience de « rêve éveillé » (C,11) et de « voyance » (C,20).

_(H2,8-10) lui, est croyant. Il se dit " chrétien" dans la tradition des religions monothéistes ; par conséquent, il « ne croit pas à la réincarnation ». Le paranormal et les expériences dites paranormales et/ou télépathiques sont de l' ordre du quotidien, dit-il, dans son existence : le fait d'"être" en vie" constitue pour lui le "premier phénomène paranormal" (H2,5).

Il dit : "Je pratique ce qu'on appelle l' Esotérisme me et les Sciences Herméneutiques, pour mon plaisir" (F,2,9) et donne à la fin de l'entretien (H2,41-43) ­les définitions précises, selon lui, des termes : occultisme, paranormal, magie, sorcellerie, hermétisme, ésotérisme (voir p. 14 ).

Toutefois, pour ce psychothérapeute reichien,  la religion/mystique se dissocie de l’appartenance à une Eglise quelconque (H2, 10) : l' attitude religieuse (prière) suffit à elle seule n' importe où  - et aussi dans une église.

Nous pensons que cet entretien est le seul dans lequel nous trouvions un support aux "connexions inconscientes" liant l' occultisme et la mystique à la religion, ce que nous voulions mettre en lumière dans ce chapitre.

5/ Les positions "mystiques" actuelles

_(E1,11-12) se présente comme un "entr'ailleurs" en faisant référence à l'"Ailleurs" de la physique quantique contemporaine après Einstein. Pour lui, les phénomènes dits paranormaux procèdent d'une éventuelle "télégraphie dans l' Ailleurs"         (E1, 12-14), explicable seulement si l' on ne prend plus la constante de la lumière comme vitesse de référence pour un message émis et reçu dans un même système.

D'autre part, le "mystique" existe "en substance" et non en "prédicat" (E1, 11)        et la "mystique" commence "là ou la représentation démissionne". L'exemple christique est évoqué avec sérieux comme expérience du "Réel". (Nous pensons à ce propos aux travaux de d'Espagnat (A la recherche du Réel,1981) mentionnés par (I,27) dans le champ de la physique contemporaine).

Pour cet analyste la signification de l'expérience mystique/ religieuse perd son sens de référence habituelle dans le cadre des religions instituées, mais semble se déplacer dans un autre champ, une nouvelle épistémologie (E1,5) échappant à "la science binaire, causaliste". Cette nouvelle expérience est régie par le principe de la simultanéité (E7,3,13) et non plus par le déterminisme au sens classique que nous donnons à ce concept.

L' Ailleurs - comme l' Autre – pour lui, sont le lieu de surgissement, dans la simultanéité, d'éventuels phénomènes dits parapsychologiques /télépathiques.

(E1, 7,10) .

En ce qui concerne la religion, il fait une critique des religions anthropomorphique (E1, 6) , notamment du Pape.

_(E2,22) dit : "Moi, je trouve que c'est bien, d'être un peu mystique! Moi, je le suis un peu. Mais pas religieuse du tout. je le suis, au sens où j' aime beaucoup me mouvoir dans les "déplacements des petits espaces intérieurs", avec mes patients notamment. "

Pour cette analyste, nous le voyons, le mot "religieux/se" est à distinguer du terme "mystique". Cette fois encore, sans doute, faudrait-il redéfinir le mot "mystique". En effet, elle oriente sa pratique analytique vers "le mort qu'on porte en soi" (E2,8-9) et les travaux sur le cryptotome (E2,28).

"Mystique" pour elle, nous semble signifier davantage "éprouver" (ce que le patient éprouve) , (E2,28-29) dans le registre des émotions.

Ces deux analystes paraissent attribuer une acception plutôt ontologique aux termes "mystique/religion/occulte."

6/ Les références aux autres cultures

_(A1, 18-19) dit pratiquer "le chamanisme psychanalytique"; il cite Claude Lévi-Strauss à ce propos et fait allusion aux pratiques magico-religieuses dans les autres cultures.

_(A2, 6, 18 )de même évoque les phénomènes paranormaux comme objets d'étude, sur le terrain, pour des anthropologues.

_(E2, 30-32) parle lui aussi du chamanisme et cite Mircéa Eliade. Il dit également connaître dans d'autres sociétés des individus gérant des affaires matérielles et pouvant, par ailleurs, "vivre des expériences transpersonnelles ou paranormales et mystiques" (E2,32) sans que ces dernières soient considérées comme relevant du domaine pathologique dans ces cultures.

_(H1,5,24) évoque la pratique des guérisseurs philippins dans le cadre d'une médecine non occidentale ; or, ces cures de guérissage soignent des malades ne relevant pas de la médecine traditionnelle ou ayant tenu en échec la chimiothérapie (H 1, 9) . La poliomyélite aussi est mentionnée.

Ce psychothérapeute dit ne pas pouvoir intégrer dans un schéma théorique et conceptuel ce type de pratique "paranormale" procédant par "ouverture " à mains nues dans le corps pour retirer de celui-ci une "matérialisation du Mal" (H1, 8-9) sous forme de "substances animales" (H1, 12,22).

La télépathie semble de même une pratique commune dans cette culture (H1,5-6) au même titre que la transmission/lecture des pensées .

Les mots "religion" ou "occulte" ne sont pas prononcés, ni celui de "mystique", mais nous trouvons les termes "initiatique" (H1, 20), "substance cosmique" et "intuition cosmique" (H1,23) . D'ailleurs, il est fait allusion à des "pouvoirs acquis" et "non transmis" (H1,20) chez les guérisseurs philippins.

Autrement dit, ce psychothérapeute relate des expériences dites paranormales auxquelles il s'est soumis lui-même (H 1, 4, 16 ... ) difficilement compréhensibles pour des Européens et/ou des Occidentaux (H1,23).

Au terme de cette analyse non-exhaustive - nous nous en excusons - dans nos entretiens de la problématique de l'occultisme en relation avec la mystique et la religion, nous dirons que les positions théoriques exprimées par les analystes ci-dessus ne reflètent pas toujours de façon stricte la doctrine en vigueur dans leur Ecole d' appartenance.

Des individualités plutôt, se dégagent des réponses données comme le dit (A.4, 16).

_(F4) est à classer à part : il s'agit du texte d'une émission radiophonique dans lequel le psychanalyste mentionne, effectivement, la philosophie du Yi-King (F4,6-7), l'astrologie, et des expériences dites paranormales concernant la personne de Jung (F4,7-8). Il fait référence également à l'intérêt bien connu de ce dernier pour l' alchimie (F4,8-9).

Notons toutefois que les termes "religion"/"mystique"/ "occultisme" ne sont pas prononcés, mais ceux de "produits culturels du passé", "formes concrètes et collectives" (F4,6), ce qui nous fait penser à ce que dit ailleurs (B3,2-3) à propos des "coutumes", du "mythe", du "réservoir" du "dépôt de savoir (s) " ou de "traditions qui nous tissent".

b/ La démonologie, le spriritisme, la médiumnité

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer le Diable, figure centrale de la démonologie occultiste (p.27 ).

En ce qui. concerne les "démons" en général, bons ou mauvais (dans l'Antiquité, ceux-ci n'étaient pas mauvais de façon univoque : Evoquons, par exemple, le "daïmon" de Socrate), mais plutôt mauvais depuis la Réforme - pense Freud -, dans son article déjà mentionné : Une névrose démoniaque au 17e siècle (1923), il écrit :

..."La théorie démonologique de ces sombres temps avait raison contre toutes les interprétations somatiques de la période des sciences exactes. Les possessions répondent à nos névroses(... ) Pour nous, les démons sont des désirs mauvais, réprouvés découlant d'impulsions repoussées, refoulées. Nous en écartons simplement la projection que le Moyen-Age avait faite de ces créations psychiques dans le monde extérieur ; nous les laissons naitre dans la vie intérieure". . .        (ibid,p. 211).

Pour Freud, le spiritisme - ou pratique de la possession par un esprit qui "descend" dans l' Inconscient du médium - est un cas particulier de possession démonologique.

Dans d'autres cultures évoquées par (A1, 19 /A2,6, 18 /H2,30-31), cette pratique donne lieu à des cérémonies rituelles à visée thérapeutique (H2, 30-31) .

Ces deux analystes évoquent, donc, la pratique du chamanisme 1 [1] )

Les travaux de J. Favré-Saada sur la sorcellerie dans le bocage vendéen sont évoqués par (B3,13).

Pour Freud, en revanche, les "esprits"  sont de simples projections de l'Inconscient du médium clivées à l'état normal mais capables de s' ex­térioriser lors de "modifications de l'état de conscience vigile" (voir _(D,35) au sujet des "états de conscience" psi "altérée" et (F2, 10, 17...).

C'est à S. Ferenczi, cette fois, dont Freud partageait les vues sur cette question que nous emprunterons la définition suivante :

. . . " Il est tout à fait possible que la plus grande par des phénomènes spirites s'expliquent par un clivage simple ou multiple dans le fonctionnement mental, une seule des fonctions étant concentrée dans le champ de la conscience, tandis que les autres s'exercent de façon automatique et inconsciente. Ceci pourrait expliquer comment un médium peut guider une pièce de monnaie sur un alphabet de façon à former des mots intelligibles, et cela de façon automatique et inconsciente, sans la moindre intention de frauder"...

(in Ferenczi (S.), Spiritisme, Gyogyaszat, 1899, n°30. En anglais, traduit par Fodor, in Psychoanan. Rev., 1963, 50, 139-144).

Rappelons que Jung avait fait des recherches, lui aussi, sur l'automa­tisme mental sous la direction de Bleuler (F2,15-16).

W.F.Myers, que nous avons mentionné plus haut (p. 26 ) était l'auteur, d'une théorie du "moi subliminal" (D, 36 /G, 14-15, 21) , sorte d'inconscient conçu à la mode spirite que J. Lacan qualifie avec mépris de "psychologie gothique".

Aucun en entretien ne rapporte de faits de hantise (C, 12) y fait vaguement allusion en relatant une anecdote imprécise et impersonnelle).

Pour Freud, ces phénomènes - les fantômes - n' existent pas. Ils relèvent de l'illusion :

…"Ce sont les visiteurs nocturnes qui ont éveillé l'enfant pour le mettre sur le vase afin qu'il ne mouille pas son lit ou qui ont soulevé les couvertures pour voir comment il tenait ses mains en dormant. L'analyse de quelques uns de ces rêves d'angoisse m'a permis de reconnaître la personne dont il était question. Le voleur était chaque fois le père, les fantômes étaient les femmes en vêtements de nuit blancs" ...

(L’Interprétation des rêves, ibid, p.347).

_(A1,17) fait allusion à un article paru dans La Recherche en décembre 1984. Il s'agit d'une enquête sociologique évaluant l'intérêt porté à la parapsychologie dans les différents milieux sociaux. Il apparaît que les classes modestes autant que les intellectuels de haut niveau s'intéressent au "paranormal".

Freud explique ainsi cet intérêt général :

…"La croyance aux esprits, aux spectres, aux re venants, qui trouve tant de points d' appui dans les religions et à laquelle nous avons tous adhéré au moins dans notre enfance, cette croyance dis-je, est si peu éteinte parmi les gens cultivés que bien des sujets, par ailleurs raisonnables, considèrent la pratique du spiritisme comme parfaitement compatible avec la raison. Même les esprits posés et devenus incroyants peuvent remarquer, à leur confusion avec quelle facilité ils reviennent pour un ins­tant à la croyance aux esprits, lorsqu'ils sont à la fois saisis et désorientés"...

(Der Wahn und die Traüme, in W. Jensens, Gradiva (1907) en franç : Délire et rêves dans la "Gradiva" de Jensens, Paris, Gallimard, 1971).

_(A2, 17 /C, 13) évoquent ce cas où des scientifiques d'un haut niveau intellectuel sont susceptibles - sinon d'être le "lieu" de phénomènes paranormaux - d'être intéressés, voire fascinés par ce domaine : Pour (A2,18), il s'agit alors d'un "clivage du Moi" (son hypothèse coïncide avec celle de S. Ferenczi que nous avons donnée plus haut).

1/ Les prestations des médiums

Freud mentionne dam plusieurs écrits ou lettres ce qu' il pense des séances de spiritisme : Ce sont des tours d'illusionnistes :

..."Je trouve désagréable le chapitre des médiums"...,

(lettre à Weiss du 8 octobre 1932, in C. Moreau, ibid,p.132)

écrit-,il.

Dans Rêve et occultisme (p.48-49), il critique les conditions dans lesquelles les médiums travaillent :

. . "Les expériences dont doit dépendre notre opinion sont pratiquées dans des conditions qui sont propres à rendre nos perceptions sensorielles incertaines et à émousser notre attention, c'est à dire dans l'obscurité ou bien sous une faible lumière rouge et après une longue période de vaine attente. On nous prévient que notre scepticisme, notre sens critique sont susceptibles, à eux seuls déjà, d' empêcher la production du phénomène attendu. La situation ainsi établie est une véritable caricature des conditions habituelles de nos recherches scientifiques . ( ... ) On a reconnu que la plupart d'entre les médiums étaient desimposteurs et nous pouvons nous attendre à ce qu'il en soit de même pour les autres. Leurs expériences nous font l' effet de gamineries espiègles ou bien de tours de prestidigitation"...

_(F1,43,47) évoque l'état physique capricieux des médiums. En outre, lorsque ceux-ci sentent une pression de la part des observateurs, l' expérience ne marche pas toujours :

"Même lorsque les gens ont des dons fabuleux, ça marche une, deux, trois fois ...C'est le problème de toutes les voyantes .On n'es t pas dans cet état là du matin au soir sans arrêt ou si on le fait croire c'est un mensonge. De plus, si on est "sommé" de produire certaines expériences ou faits (... ), les gens doués pour fournir du matériau, des expériences, à ceux qui attendent, inconsciemment... Ils ne le .font même pas consciemment (c'est ce qui est grave) . Au second degré, ils rentrent dans un processus analytique!" (F1,43).

Durant l'année 1932, Freud redouble ses conseils de prudence à l' adresse de ses amis, notamment à E. Weiss alors séduit par le médium Pasquale Erto qui prétendait produire des rayonnements lumineux paranormaux. On découvrit une supercherie; ces rayonnements étaient produits en grattant une plume d' acier sur un support de ferro-cérium.

_(H2, 42) évoque la crédulité des gens qui croient au caractère paranormal de l' effet Kirlian .

c/ L'animisme, la magie, la pensée primitive

Nous regroupons ces trois modes de pensée/penser sous la même rubrique parce qu'ils procèdent, pour Freud, d'un même stade d'évolution de la mentalité - anthropologiquement appelée : . "pensée magique".

Dans Totem et tabou (1913 ; trad ; franç. , Paris ,Payot, 1968, 3ème chap. ) Freud s'inspire, en effet, des théories ethnologiques évolutionnistes de Tylor et Frazer sur la "pensée primitive", corollaire de la magie et/ou de la pensée magique.

Celle-ci a pour caractéristique la surestimation des processus psychiques aux dépens de la réalité extérieure, matérielle et objective.

La pensée magique, pour Freud, est une pensée subjective, résiduelle d' une époque préscientifique. [2]

C' est en quelque sorte, selon lui, la matrice de la pensée occult (e) - iste ,

... "de ces productions d'une époque où l'ignorance humaine était encore très grande, où l' esprit scientifique ne faisait que balbutier" ...

(Rêve et occultisme, ibid, p.47).

La particularité de la thèse de Freud réside dans le parallélisme ontogénétique et phylogénétique qu' il établit entre la pensée primitive - magique - chez l' enfant, l'homme primitif et le névrosé ; comme il existe des stades dans l' évolution de la libido (oral, anal, géni tal, in Trois Essais sur la sexualité, 1905) et une possible régression, chez le névrosé, à ce stade archaïque du développement psychique.

a/ Avant Totem et tabou,

c' est en effet lors de l' analyse de l' Homme aux rats (in Freud (S. ) , Cinq psychanalyses, Paris, P. U. F, 1970) que Freud examine au jour les mécanismes de la pensée magique, présente aussi chez l'obsessionnel.

Une anecdote vient illustrer la coloration psychologique particulière de ce mode de pensée à la fois primitif, magique et névrotique, selon Freud.

"L'homme aux rats" attribuait, donc, une "toute-puissance" à ses pensées, à ses sentiments, aux bons et mauvais souhaits qu’il pouvait formuler.

Il se basait sur une histoire qui lui était arrivée, lorsque retournant pour la seconde fois dans un établissement hydrothérapique il avait souhaité la mort d'un vieil homme qui occupait sa chambre habituelle.

-" Qu' il meurt d'apoplexie ! "…,

s’était-il écrié.

Or, quinze jours plus tard, un cauchemar l'éveille dans la nuit : il voyait un cadavre dans son rêve. Le matin, il apprit que la personne avait réellement succombé à une attaque d'apoplexie.

Le souhait de "l'homme aux rats" se double ici d'un "précognitif" ", au sens où (D,20) en fournit un exemple (la pensée de mort en moins ).

Freud ne croit pas à la "toute-puissance" efficiente des pensées de "l' homme aux rats" . Pour lui, la haine est "toute-puissante" dans la "réalité psychique (def. in J. Laplanche et J.B. Pontalis, ibid, p.391), non dans la réalité matérielle. Il s'agit là, pour Freud, d'une coïncidence, d'un hasard.

_(F1, 14-15 et 50-51) évoque la perdurance de la "pensée magique" comme risque majeur pour la science contemporaine si elle cherche à tout prix à établir des analogies entre les diverses disciplines qui la constituent- comme la. psychologie, la physique, la parapsychologie...

b/ Dans Totem et tabou (ibid, 3ème chap.) , Freud envisage aussi la problème de l' animisme et de la magie comme corollaires de la croyance en la "toute-puissance" des idées.

_Nous avons interrompu cette analyste, (A4,5), dont la réponse déviait vers le thème de la magie, lui signifiant qu' il s' agissait là d'un "cercle élargi"de notre recherche.

Pour Freud, la sorcellerie et la magie sont les applications pratiques, techniques de l'animisme.

L'intérêt de sa réflexion théorique réside dans la reprise de la distinction que fait Frazer entre deux principes fondamentaux régissant la fonctionnement de la pensée magique : Le principe de similitude et le principe de contiguité .

Freud établit un parallélisme, cette fois entre ceux-ci et ceux qui régissent le rêve, que nous avons appelés plus haut : "rhétorique du rêve" (principes de condensation, de déplacement, d'inversion) qui ne sont autres d'ailleurs, que les "figures" que J. Lacan appellera plus tard : métaphore et métonymie.

1° / Le principe de similitude (métaphore )

Ce principe de rhétorique inconscient(e) veut que "le semblable appelle le semblable". Il s'agit de la magie "homéopathique ou imitative". Faisons référence ici, par exemple, au film de J. Rouch : Les faiseurs de Pluie.

L'anthropologue, l'ethnologue (A1, 18 /A2,6,18) sont journellement confrontés sur le terrain à ce type de pratiques .

De même, dans la fabrication des effigies ou des figurines, lèse-t-on la partie de leur corps de cire ou d' argile que l' on veut blesser chez l' ennemi, c'est lui «  jeter un sort ».

La "toute-puissance" des idées sous forme de projections issues de l'Inconscient trouve donc, ici, un support matériel.

Nous avons signalé dans notre introduction une émission télévisée récente concernant ces phénomènes de magie (p. 6 ).

_(H2,43) établit une distinction entre le "sorcier" et la "mage" : le premier utilisant des instruments, le second se contentant d'aller dans la sens de "l' évolution naturelle" ("du bois", "de l' arbre", "de la graine").

(G, 12) évoque, lui, les "sourciers".

2°/ Le principe de contiguïté (métonymie)

Ce second principe veut que les choses qui ont été en contact une fois continuent d'agir l’une sur l'autre, même sans contact ultérieur.

C. Moreau évoque à titre d'exemple les rognures d'ongles et de cheveux ayant appartenu à quelqu'un et que l' on détruit si l' on veut du mal à cette personne (ibid p. 157).

_(D 10)    fait référence spontanément au "principe de contiguité lorsqu'elle parle des objets, des cadeaux offerts par une personne que l'on sort, précisément, le jour où l'on apprend un événement (heureux ou malheureux) la concernant : "et c'est en relation" (D, 10).

Freud donne divers exemples destinés à illustrer les principes de "similitude" et de "contiguité" dans Totem et tabou.

Nous citons quelques extraits où il expose ses considérations théoriques :

. . ."Comme la similitude et la contiguïté sont les deux principes essentiels des processus d'association, toute l'absurdité des propositions magiques est dominée, pour ainsi dire, par l'association d'idée. Nous voyons combien est vraie la définition que Tylor a donné de la magie : prendre par erreur un rapport idéal pour un rapport réel"...

(ibid, chap.3 ).

D' un point de vue psychanalytique, ces deux principes relèvent du "processus primaire" (affects) et non du "processus secondaire" (pensée logique, causale) . Ce qui tendrait à démontrer que la magie, comme la toute-puissance des idées, repose, elle aussi, sur la "réalité psychique" et non matérielle, extérieure, objective.

Pour Freud, par conséquent, l'homme primitif (au sens de Levy-Brühl), comme l'enfant et le névrosé, a une confiance démesurée dans ses désirs et

non dans la réalité : " Prendre ses désirs pour des réalités" est une expression du langage commun caractérisant l' attitude spécifique à la fois du primitif, de l'enfant et du nevrosé :

. . . "S'en tenant aux apparences, il est persuadé que c'est l' action magique qui, grâce à sa ressemblance avec ce qu'il désire, amène la réalisation de l' événement désiré". . .

(Totem et tabou, p. 99).

c/ Freud résume ainsi la question de la pensée primitive/magique et obsessionnelle :

. . . " (Il s'agit d') une surestimation générale de tous les processus psychiques, c'est-à-dire d'une attitude à l'égard du monde qui, d'après ce que nous savons concernant les rapports entre la réalité et la pensée, doit nous apparaître comme une surestimation de cette dernière. Les choses s'effacent devant leurs représentations ; tous les changements imprimés à celles-ci doivent atteindre celles-là. (... ) En nous résumant, nous pouvons dire que le principe qui régit la magie, la technique du mode

de pensée animiste, est celui, de la toute-puissance des idées:'…  (ibid, p. 101) .

De même, d'un point de vue général :

…"Il semble que nous ayons tous, au cours de notre développement individuel, traversé une phase correspondant à cet animisme du primitif, que chez aucun de nous elle n'ait pris fin sans laisser en nous des restes et des traces capables de se réveiller, et que tout ce qui aujourd'hui nous semble étrangement inquiétant remplisse cette condition de se rattacher à ces restes d'activité psychique animiste et de les inciter à se manifester" . ..

(L'Inquiétante étrangeté, in Freud (S.) , Essais de psychanalyse appliquée, Paris,Gallimard,1971,p. p. 163-210) .

_Les phrases extraites de (A2,4-7) que nous avons mises en tête de chapitre p.29 nous semblent aller dans le sens de la pensée de Freud.

(A2, 4, 5, 6, 7) formule en effet, une théorie de la "libido narcissique" remontant au stade pré-oedipien de la psyché, noeud de toutes les "identifications primaires" [3] , inscrites dans la mémoire du sujet., donc, à un stade très ancien - archaïque - du développement psychique.

En effet, dans les moments de "régression" ou "retour du refoulé" (du "barbare" en nous ou de l'"étranger" dit (B4, 15), les frontières entre l'imaginaire et la réalité s 'estompent :

..."Ce que nous avons tenu pour fantastique s'offre à nous comme réel, le symbole prend l'importance et la place de ce qui. était symbolisé"…

(ibid, ,p. 198).

Freud en personne connut un épisode de ce genre qu'il relate dans Un Trouble de mémoire sur l' Acropole (lettre à R. Rolland, trad. M. Robert, L' Éphémère, Edition de la Fondation Maeght, Paris,n°2, avril1967,3-13), lors de son voyage en Grèce avec son frère, en 1904. [4]

d/ Il n'est pas étonnant alors que Freud et à sa suite les analystes que nous avons interrogés parlent de "regression" - dans tous les sens de ce terme - à un stade ancien, voire "archaïque", du psychisme humain.

Parlant de la télépathie, Freud dit en effet :

"On est amené à penser que ce fut là le mode primitif, archaïque de communication entre les êtres et qu'il céda ensuite la place à la méthode par signes perceptibles à l' aide des organes sen­soriels. Mais l'ancienne méthode peut continuer à subsister à l'arrière-plan et à se manifester en certaines circonstances, par exemple dans les foules animées de quelque passion. Tout cela est encore obscur, plein d'énigmes non résolues, mais il n' y a pas lieu de s'en épouvanter" . . .

(Rêve et occultisme, p. 76).

_(A3,27) et (I,21) pensent que la propagande politique est un cas de "passion"' susceptible, en effet, d' utiliser cette modalité de communication. Sans doute est-ce parce que le Moi perd ses limites (Psychologie collective et Analyse du Moi, 1921).

Freud poursuit : Pour ce qui est de la télépathie :

. . . « Nous ne serions pas surpris de la découvrir justement dans la vie de l'enfant. L'enfant ne se figure-t-il pas fréquemment que les parents connaissent toutes ses pensées sans qu'il leur en ait fait part ? Et la croyance des adultes en l'omniscience de Dieu est peut-être l'équivalent de cette idée enfantine dont elle découle d'ailleurs sans doute »…

(Rêve et occultisme, p.76).

_(A2, 10) évoque en effet le stade du : "Mon petit doigt me l'a dit... ! ", chez l'enfant et dit : "Cela fait partie de la vie humaine d'être assujetti a cette pérennité des positions archaïques".

_(F1, 20-21) évoque, lui, l'enfant avant 7 ans (l'âge dit de "raison", période pendant laquelle il reçoit parfois "des paires de claques" parce que ses parents supposent qu'il a "écouté aux portes", alors qu'il s'agit d'une in­formation dite télépathique de "transmission de pensées", en fait, entre ces derniers et lui (voir plus loin p.142).

Dans la majorité de nos entretiens, les phénomènes dits paranormaux sont mis en relation, en effet, avec la résurgence dans le psychisme de couches anciennes, pré-oedipiennes. La référence théorique alors mentionnée est celle à M. Klein (B2,19 /I, 13), Winnicott (A1,9, 15, 16 /I, 13) ou K.Abrahm (B2);

_(A1, 19) dit que l' analyse « mobilise, sans doute, des couches de la vie mentale qui ne sont pas habituellement mobilisées ».

Tout au long de l'entretien, il s'appuie pour illustrer l'occurrence de phénomènes soi-disant mystérieux, sur la relation, primitive mère-enfant (A1, 2- 16). Il dit qu'il devient par moments "métaphorique"      (A1,7) ; que les patients le qualifient de "magicien" (A1, 6, 15) ou lui disent qu'il est "magique".

Les phénomènes dits paranormaux, pour lui, "ont des éléments très, très proches des interactions précoces entre la mère et le bébé!  Et pour moi, c' est ça, la vraie nature des phénomènes mystérieux en analyse", dit-il, (A1,9).

 _(A2, 4-9) illustre avec force sa théorie selon laquelle le paranormal, qu'il assimile à l'"étrangeté freudienne", (A2, 1), prend ses racines dans la période fusionnelle archaïque "où le Moi et le non-Moi étaient indistincts, où entre la bouche du nourrisson et le sein de sa mère [on ne sait pas] où commence l'un et où finit l'autre", (A2,4).

Pour, lui, le paranormal remonte à l'époque des "premières relations magique avec la mère" (A2, 16) et il pense : "Il est certain que, plus l'ordre archaïque a une part importante dans une psyché, plus celle-ci est exposée à des phénomènes étranges." (A2,12).

De même, son hypothèse est que les individus qui sont le "siège" de phénomènes dits paranormaux ont une "sexualité portant la marque de l'archaïque (... ) : "C'est quelque chose d'océanique : On se trouva en communication avec le "Grand Tout" " (A2,13).

Enfin, pour lui, "les phénomènes paranormaux font partie de la portion immergée de l'iceberg",  si l'on compare celui-ci à l'Inconscient. Il ne pense pas que l'on parvienne un jour à mettre en formules, en lois, cette partie immergée, lieu des résidus archaïques et du surgissement des phénomènes "paranormaux "(A2, 19) .

Lorsqu'un scientifique s'intéresse à ces phénomènes, il est sujet à un « clivage du Moi »(A2,21).

(A3,11-12,16-17,26-27) évoque aussi la relation mère-enfant post-natale comme le prototype de la relation analytique impliquant une "régression" - normale - dans ce cadre là - de part et d'autre : analyste/analysant(e). Pour elle les phénomènes dits paranormaux s' originent dans cette "régression" . "On a tout lieu de penser que c'est lié à des régressions. C'est difficile de l'imaginer autrement : A un certain état de "régression" qui doit favoriser ces phénomènes - encore une fois s’ils existent" (A3, 27-28).

_(B1, 13-14) évoque le cas d'enfants mutiques prévenus une heure à l'avance de l'arrivée de leurs parents : "Qu'est-ce qui communiquait ? entre la mère et le gosse? L'inconscient de la mère et celui du gosse ?… ". Elle fait allusion à l'étrange "pouvoir de diagnostic" de Françoise Dolto (B1, 10) .

_(C, 17 /A1, 8) parlent également de Françoise Dolto et de la relation immédiate, qu'elle est  capable d’établir avec les enfants qui, de leur côté, "compren­nent les affects maternels et le tonus maternel" (A1, 8).

_(B2, 12) mentionne comme source génératrice de phénomènes soi-disant paranormaux "une forme assez archaïque (d'identification à l'analyste par incorporation, selon la théorie de Karl Abraham) antérieure à l'identification oedipienne".

_(E2) base le surgissement de phénomènes dits paranormaux sur des éléments clivés des générations antérieures (parentales) : "C'est vrai que certains d'entre eux (de ses patients) font des rêves prémonitoires, se retrouvent dans quelque chose de magique… . En fait, ils se rapprochent, dans leur réa­lité interne, de quelque chose de clivé qui appartenait à une génération antérieure (E2,2).

Cet entretien présente cette théorisation de façon récurrente. Les hypothèse qu'il contient se rapprochent de celles de S. Ferenczi (voir p.34 ) à propos du clivage psychique : par exemple, (E2, 3) dit : "Je veux dire qu'au niveau de leur fonctionnement psychique, toute une partie d'éléments de représen­tation(s) était présente sans être englobée dans ce fonctionnement. Chacun agissait de son côté, parallèlement."

Une des causes principales des occurrences dites paranormales réside dans le fait que nous sommes porteurs d'un "parent intérieur mort" . « Nous sommes plusieurs psychanalystes comme ça, à travailler sur le deuil, sur le "mort que les patients portent en eux » (E2,8). Pour elle, ces phénomènes sont relatifs à la mélancolie, donc également à un stade très archaïque de "l'identité primaire. De l' unité duelle primaire, je dirai. La relation mère-enfant" (E2,21). Ainsi lorsqu'un patient vient à sa séance avec "deux chaussettes différentes", elle dit : "Je pense qu' il amenait quelqu'un d' autre avec lui, quand il venait avec deux chaussettes différentes. Je pense qu'il était porteur d'un "parent intérieur", qu'il venait avec une image : Un parent "internalisé" , incorporé. Mais pas encore mis en position d'objet interne. Et il le montrait bien !"(E2,9).

En conclusion, (E2) construit toute son approche du paranormal par rapport à l'archaïque, dans la relation analytique. (D,37, à propos des "récepteurs du cerveau" supposés réceptionner ou émettre des phénomènes télépathiques - disons « paranormaux », en général - faisait référence au"paléo-cortex" (paléo-cerveau) , c' est-à-dire les centres nerveux les plus anciens) .

__(F1, 12. . . ) mentionne que les phénomènes "synchronistiques", dans la théorie jungienne, font appel à : "l' Inconscient collectif, des événements constitu­tifs de la psyché humaine extrêmement profonds, tellement archaïques ! Qui à ce moment là, bien sûr sont chargés d'émotivité, dans la mesure où ils sont archaïques".

_(F2,18-19) parle de "l'identité archaïque" et de la "commune inconscience" comme contenu du transfert/contre-transfert : "Il se fait un retour dans cette identité archaïque pour une part importante. La relation entre l'ana­lysant et l'analyste est vécue dans une identité archaïque. C'est ça, le transfert pour Jung : C'est la "commune inconscience". C'est sensiblement différent de ce qui se passe dans le transfert pour Freud."

_(F4) n'est pas un entretien puis qu' il s'agit de la retranscription d'une émission radiophonique. Toutefois, cet analyste évoque directement le fond culturel que constituent "les savoirs censurés" à la source d'une culture. Or, ces derniers ne sont autres que les savoirs dits "traditionnels" plus ou moins ésotériques comme les mancies, l'astrologie, l'alchimie – comme principe philosophique. Il s'agit d'un arrière-fond de "pensée magique" qui nous "tisse". (B3,3) fait allusion à ce "réservoir, dépôt de savoir(s). Comme un dépôt de traditions, de choses…      qui nous tissent, quoi ! Qui nous tient... Qu'on a relativement peu l'occasion de rencontrer, finalement". Nous nous demandons dans quelle mesure la sensibilisation actuelle et le retour aux divers traditionalismes régionaux n'en constituent pas un aspect : En effet, ceux- ci comportent des légendes, des mythes . . ., ce que disent (C,9-10) et (D,18 ... ) à propos se "l'arrière-fond magique" celte et breton.

_(H2, 12-13) est un exemple adéquat pour illustrer la théorie du "narcissisme primaire", évoqué en (A2, 4-9).

Il cite plusieurs exemples de phénomènes dits paranormaux en relation avec son vécu personnel et sa pratique de psychothérapeute.

_ (I, 11 -13, 18-19) enfin, fait allusion aussi à la "régression" qui s' opère dans la relation analytique, susceptible de provoquer des occurrences dites paranormales: "Surtout si le transfert est très régressif, si le patient

revit une situation pré-oedipienne. A ce moment là, on peut très facilement avoir ces phénomènes. A mon avis, beaucoup plus que dans d'autre cas.

Je pense que ça rejoint ce que les Soviétiques ont fait sur les lapins.

Dans la relation de la mère et du bébé, je pense que ces phénomènes doivent être - à mon avis - constants . On parle de l'"intuition des mères". Je pense qu'on parlerait de ça",(I, 12).

Toutefois, pour ce psychothérapeute, cette modalité de fonctionnement psychique n'est pas incompatible avec d'autres modalités considérées comme plus rationnelles, structurées à un stade ultérieur du développement mental. "Ce comportement peut intervenir chez des gens qui sont tout à fait matures ! Ce n'est pas forcément l' indice d'un comportement régressif ( ... ). Je pense que chacun de nos sens s'est structuré à un certain moment de notre évolution et celui-ci, si c'en est un, a pu se structurer à des périodes très anciennes de cette évolution. Dans les tous premiers stades oraux (Winicott, Mélanie Klein)…Avant le stade oedipien" (I, 13).

En conclusion, quelque soit l'Ecole d'appartenance ou la distinction que nous avons opérée entre psychanalyste et psychothérapeute, tous tombent d'accord pour dire que le paranormal - et les phénomènes de cette catégorie - s'articulent sur la perdurance activée de couches psychiques très anciennes, archaïques, à mettre en relation avec le stade de la "pensée magique" et partant primitive, voire animiste, ayant pour condition la relation affective.

d/ Les rêves dits prémonitoires prophétiques , précognitifs

Freud, dans La Psychopathologie de la vie quotidienne (ibid, p.279) expose un prétendu rêve prémonitoire en démontrant qu'il s'agit en fait d'une reconstruction a posteriori - d'un "après-coup" -, d'une paramnésie (ce matériel date de 1899).

C'est un texte qui sera publié ensuite, après sa mort, sous le titre :

Un rêve prémonitoire réalisé (1941), où nous percevons d'emblée l'ironie de l' auteur.

Par la suite, l'essentiel de ses positions théoriques concernant cette catégorie de rêves sensés prévenir, annoncer l'avenir, est exposé dans Die okkulte Bedeutung des Traumes (La Signification occulte des rêves) qui, comme nous l'avons dit, devait figurer dans l'édition définitive de L'Interprétation des rêves. Mais il fut finalement publié à part sous le titre : "Quelques additions à l'ensemble de l'interprétation des rêves" (Imago, 1925).

1/ Les rêves prémonitoires : Théorie générale

Freud ne croit pas à l' existence des rêves prémonitoires (voir p.28 )

"Il est indubitable, en effet, qu' il existe des choses comme les rêves prophétiques, en ce sens que leur contenu donne une sorte de description de l'avenir ; le seul problème est de savoir si ces prédictions coïncident d'une façon significative avec ce qui arrive vraiment par la suite. Je dois avouer que, sur ce point, mes résolutions en faveur de l'impartialité m'abandon­nent. L'idée qu'il puisse y avoir une force mentale, en dehors d' intenses calculs, capable de prévoir en détail des événements futurs est d'un côté trop en contradiction avec toutes les at­tentes et hypothèses de la science, et de l'autre correspond trop étroitement à certains désirs humains, anciens et familiers que tout esprit critique doit la rejeter comme une prétention injustifiée. J'estime donc, après avoir pris en considération le caractère douteux, crédule et non convaincant de la plupart de ces rapports, ainsi que la possibilité de falsifications de souvenirs favorisées par des causes émotionnelles, et l'inélucta­bilité de quelques heureux coups de hasard, qu'on peut s'atten­dre à voir disparaître dans le néant le spectre des rêves prophétiques" ...

(traduit par C. Moreau, ibi, p. 141).

Pour Freud, ces rêves dits prémonitoires/prophétiques/précognitifs s'intègrent parfaitement dans sa théorie du rêve. Ils sont la réalisation d'un désir inconscient en fonction de souvenirs du passé. La "compulsion de répétition" (def. in J. Laplanche et J.B Pontalis, ibid, p.86-88) joue son rôle.

"Le rêve peut-il révéler l'avenir ? Il n'en peut être question. Il faudrait dire plutôt : le rêve révèle le passé. Car c'est dans le passé qu'il a toutes ses racines. Certes l'antique croyance aux rêves prophétiques n'est pas fausse en tous points. Le rêve nous mène dans l'avenir puisqu'il nous montre nos désirs réalisés ; mais cet avenir, présent pour le rêveur est modelé, par le désir indestructible, à l'image du passé"... (L'Interprétation des rêves, ibid, p.526).

Certains rêves ont l'apparence d'une véritable description photo­graphique de l'avenir, cependant. C'est le cas pour le rêve de l'article de 1899, « Un rêve prémonitoire réalisé », rapporté, donc, seulement en 1941.

Résumer ce rêve serait trop long : Nous ne donnons que les conclusions de Freud qui, comme nous l’avons dit plus haut, le cite comme exemple de paramnésie et de "reconstruction après coup". Là encore, le désir inconscient est le seul organisateur de la dite prémonition : une jeune femme avait rêvé qu'elle rencontrerait le lendemain matin une personne dans une centaine rue de Vienne devant un magasin précis. Ce qui se produisit effectivement.

_ Mais comme le dit (B3,7-8)         : "Un rêve, qu'est-ce que c'est, au bout du compte ? Un accomplissement déguisé d’un désir refoulé, quelque soit le contenu manifeste qu'il se donne. . .Alors, qu'il soit prémonitoire. . .    vous savez... Il est quelquefois prémonitoire entre le moment où il est rêvé et le moment où on vous le raconte...

Mais l'expérience montre que, quand vous racontez vous-même un de vos rêves, plus vous attendez, plus vous incluez dans le récit du rêve des élé­ments qui sont postérieurs au rêve. Pourquoi ? Parce que le désir inconscient utilise tous les matériaux qu'il veut."

Freud n'aurait pas démenti cette explication. Nous avons vu qu’il cherchait toujours des causes masquées à la conscience même du rêveur et que, par ailleurs, l'existence des rêves prémonitoires fut un point de divergence théorique entre lui et Jung, ce qui les conduisit à la rupture (p.28 ).

2/ Le pouvoir diagnostique des rêves

_(A3,13-15) relate deux exemples de "rêve diagnostic" de la part de patients. L'un concernait la personne d'un malade atteint d'un cancer du poumon, qui ne le savait pas, mais rêvait "qu'une femme habillée de blanc portait dans ses mains une lyre et était incrustée, sous forme de verre friable, dans cette lyre". Il se trouve que l'explication de ce rêve a été tirée au clair par cette analyste après la mort du patient :"Si vous réfléchissez … Ce n'est qu'après coup que j'ai compris qu'il savait très bien, inconsciemment, ce qui s e passait en lui : Une lyre, ça a exactement la forme d'un poumon.

Le côté friable se comprend. Tout ça, après coup... Ca montre que l'Inconscient en sait très long" (A3,14-15).

Le deuxième rêve est celui d'une patiente rêvant.. ."que sa fille ouvre la bouche et qu'une moustache est à l'intérieur de sa gorge". Après avoir donné une première interprétation d'ordre psychanalytique (sexuelle) , il se trouve que "trois jours plus tard la malade qui souffrait d'un oeil est allée con­sulter un ophtalmologiste. Il lui a trouvé deux cils poussant dans l'oeil ! Elle a rapproché cela du rêve. La moustache à l'intérieur de la gorge de sa fille... . C'est dire que quelque chose en elle avait cette représentation du "corps étranger" poilu (A3,15).

Elle relate aussi un épisode qui lui est arrivé dans la rue. Saisie de peur - inconsciemment - par l'approche d'un homme derrière elle alors qu'elle regardait une vitrine, elle s'est "réfugiée" dans la boutique. Elle rentre pour raconter l’anecdote à son mari : "Eh! bien, quelque jours, sa photo était dans le journal.

C'était bien lui!" (cet homme était recherché par la police), (A3, 12-13).

Cette analyste fait référence à ce que Freud appelle le "pouvoir diagnos­tique de l'inconscient" - qui pour elle représente un cas particulier de "communication d'inconscient à inconscient" - non reconnu toutefois par tous les analystes. Elle appelle cette perception immédiate de l’Inconscient "le sens clinique" . "Ce qu'on appelle le "sens clinique", c'est bien que, quelqu'un entrant dans la pièce, très  souvent, vous pouvez faire - je ne .dis pas seulement les analystes, mais n' importe quel médecin qui a du flair -" un diagnostic. » »

D'autres patients (schizophrènes ou simplement névrosés) rêvent que leur analyste est enceinte avant même qu'elle en soit sûre elle-même (A3, 13). Pour elle, dit-elle : "Je crois que là encore ça touche, justement, la relation mère-enfant et que quelque chose existe de tout à fait animal qui comprend avant que tes processus secondaires ne se soient mis en place", (A3, 14) et "les psychanalystes devraient bien admettre que l’Inconscient sait des choses que le Conscient ignore, sur des phénomènes ayant trait au corps de sa mère, à son propre corps, à la maladie… Enfin, sur des choses probablement très primitives, très animales » (A3,15-16).

Freud exprime ce point de vue dans le Complément métapsychologique à la doctrine des rêves (A3,14).

_(B2, 12-13) évoque également le cas d'un patient ayant rêvé la mort de son précédent analyste qui s'était suicidé à la suite d'une maladie grave (un cancer)   : "Bien évidemment, il n'en parlait pas à ses analysants. J'ai reçu, moi, un des patients qui était en analyse avec lui… Il avait interrompu et voulait reprendre. Je l'ai donc reçu, mais des mois après, plus tard. Il ne savait, bien sûr, rien de ta mort de son analyste. J'ai eu la surprise qu'il me raconte un rêve. Il le savait! Le rêve disait qu'il le savait... Il y avait dans le rêve un élément qui reprenait le signifiant du nom de l'analyste!        ( ... ). Et il dansait avec cet animal ou ce personnage et il lui disait : "Mais il ne faut pas mourir ! Mais il ne faut pas mourir !" », (B2,13-14).

Cette analyste illustre parfaitement ce qui a été dit plus haut concernant les "rêves-diagnostics" sur le corps d'une personne prise comme objet de la libido.

Pour Freud, les rêves annonciateurs de maladie existent mais ne sont pas surnaturels ni occultes. L'explication est simple : certains stimulis organiques internes non-accessibles à la conscience vigile, le seraient pen­dant le sommeil. Ces informations se joignent au matériel onirique habituel du rêveur. C'est la théorie qu'il développe dans L'Interprétation des rêves (1900 , trad. franç.,ibid, p. 39 et suiv. ) et plus tard dans le Complément métapsychologique à la théorie du rêve (in Freud (S.), Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 127-146),expliquant que l'intérêt narcissique pour le corps(du rêveur ou d'une personne chère) est la cause de ce "pouvoir diagnostique" inconscient du rêve - qui n'est aucunement prémonitoire ni prophétique dans une acception occultiste :

… «  il rend alors possible la reconnaissance précoce des modifications corporelles qui pendant la veille seraient encore quelque  temps passées -inaperçues"...

e/ Le "déjà-vu"-

_(A2, 1) relate un épisode appartenant à cette catégorie, vécu il y a très longtemps et dont il n'a pas cherché l'explication dernière, (A2,2). Pour lui, la théorie freudienne de L' Inquiétante étrangeté (1919) fournit la théorie de ces phénomènes.

Freud, lui, ramène le "déjà-vu" au statut du "déjà-rêvé" (voir plus haut) et refuse toute explication ésotérique, dont celle de Pythagore voyant dans ce phénomène un argument en faveur de l’existence psychique de vies antérieures. Il rejette

…"l'explication relevant d'un mysticisme naïf, qui prétend utiliser le phénomène de déjà-vu comme une preuve des existences antérieures de notre moi psychique"...

(Un trouble de mémoire sur l'Acropole, ibid, p. 3-13).

Pour Freud, il s'agit dans le "déjà-vu" de la réminiscence inconsciente d'un fantasme inconscient ou d'une rêverie diurne. Toutefois, le souvenir en est refoulé, donc inévocable.

Nous ne rapportons pas ici l'exemple du "trouble de mémoire sur l'Acropole » en raison de sa longueur.

Freud rejoint Ferenczi dans ses conclusions sur cette catégorie de phéno­mène dit paranormal. Celui-ci publia en effet plusieurs observations à ce sujet, notamment dans Un cas de "déjà-vu" (1912, in Ferenczi (S.) , Œuvres complètes, Paris ,Payot, 1968, t. 1, 210-22) et dans Une explication de

"déjà-vu » par Hebbel (1915, ibid, t.2, 183-184).

Ferenczi aurait eu, entre autres, une patiente faisant remonter l'impression de "déjà-vu" à une existence antérieure où elle se voyait dans la peau d'un crapaud.

Nous ne donnerons que les conclusions théoriques de S. Ferenczi, auxquelles Freud adhérait,  d’ailleurs . Tous deux admettaient l'hérédité des caractères acquis : Il s'agirait, dans un cas de "déjà-vu" remontant à une existence antérieure, de l'irruption dans la conscience de traces mnésiques inconscientes phylogénétiques, sur lesquelles s'étaie la théorie occultiste de la métempsychose sous la forme de projections mythologiques .

Freud reprendra ces conceptions théoriques sur le "déjà-vu" en 1914 à propos d'un phénomène de "Déjà-rencontré dans l'analyse" (in Freud (S.), La technique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1970, pp.72-79).

f/ La croyance à la superstition et au hasard

"Peut-être aussi y a-t-il en moi une secrète inclination pour le merveilleux - inclination qui m'incite à accueillir avec ferveur la production de phénomènes occultes" ...

(Rêve et occultisme, p. 73).

écrit Freud en parlant de lui.

Dans cette partie consacrée à la superstition, au hasard, aux coïncidences étranges et fortuites, nous prendrons l'exemple de Freud lui-même.

Aucun de nos entretiens ne mentionne d' exemple de superstition mais les termes "hasard" et "coïncidence" sont prononcés, eux : (AI, 6 / A2, 3 / A3, 3, 8, 9/ D,4,26 / E1,29,31... / E2,3,8 / F1 / F2,1... ,/ F3,8 / G,4 / H1,4 / H2,12,13 / I,4).

_(E2, 8) et(H2, 15) emploient, eux, le terme de "rencontre(s)".

La question du hasard et des coïncidences est au coeur de notre problématique .

"Je suis moi-même la matière de mon livre", écrivait Montaigne dans la Préface des Essais.

De même, 0. Mannoni commente :

. . . "Freud , parle de la superstition de telle sorte qu'on voit bien que c'est sa propre attitude superstitieuse qu'-il analyse"... (in O. Mannoni, Freud, Paris,  Seuil, 1968, p.94).

Nous disposons de nombreux extraits de la correspondance ou d'oeuvres de Freud prouvant une tendance superstitieuse chez lui. C'est pourquoi il importe de distinguer - nettement - dans cette partie l’homme privé du théoricien .

1/ Freud, l’homme privé

Freud n'avait pas échappé, à sa naissance, aux prédictions occultes de de plusieurs voyant(e)s. Sa mère avait ardemment désiré pour lui, une renommée exceptionnelle, et le jeune Freud - inconsciemment - n'y était pas resté insensible.

. . . " Je pense à ce qu'on m' a raconté si souvent dans mon enfance : Lors de ma naissance, une vieille paysanne avait prophétisé à ma mère, fière de son premier enfant, que ce serait un grand homme"... ,

écrit Freud dans L' Interprétation des rêves (ibid, p. 171-172).

Quelques lignes plus loin, il raconte un autre épisode du même genre :

…"Mes parents m'avaient emmené un soir, alors que j'avais déjà onze ou douze ans, dans un des cafés du Prater. Ils virent un homme qui allait de table à table et, pour quelques sous, improvisait des vers sur le thème qu'on lui donnait. Ils m'envoyèrent quérir le poète à notre table, et celui-ci (... ) prédit que je serais un jour ministre. Je me rappelle fort bien l'impression que me produisit cette seconde prophétie"...

Voilà deux exemples prouvant que Freud fut - inconsciemment ? – marqué par des prédictions "occultes" relatives à son destin.

Certes,  il explique aussitôt au lecteur, dans un mouvement de dénégation :

. . . ",il y a tant de mères remplies d'espoir" ...

Sans doute ces anecdotes constituent-elles un point de départ pour l' étude ce qu'il appellera plus tard le "transfert de pensée".

a/ La superstition :

Dans une lettre du 4 Juillet 1882, il recommande à sa fiancée, Martha, de mettre une pièce d'argent dans sa tirelire et lui écrit :

.."Tout métal a le pouvoir magique d'en attirer d'autre ; le papier est emporté par le vent. Tu sais que je suis devenu superstitieux. La raison est terriblement austère et sombre ; une petite superstition a quelque charme". . .

Voilà un exemple illustrant le "principe de contiguïté" dont nous parlions p.37 .

Dans une autre lettre à Martha, datée du 26 Août 1882, il lui demande si elle ne l'en avait pas moins aimé...

. . . "jeudi dernier, à onze heures ...

Freud venait de se cogner la main contre une table chez un chirurgien qui lui incisait un abcès de la gorge. Il avait brisé son anneau de fiançailles.

Au même moment Martha mangeait du gâteau, paraît-il (in C. Moreau, ibid, p.26).

Un même mouvement de dénégation s'ensuit :

..."Je dois avouer que mon coeur n'a pas défailli, je ne fus pas saisi de pressentiment sur la fin malheureuse de nos fiançailles ( . . . ) . Un homme sensible aurait ressenti tout cela, mais ma seule pensée fut que la bague devait être réparée et que de tels accidents ne peuvent guère être évités" ... (lettre à Martha du 26 Août 1822).

Au chapitre XII de La Psychopathologie de la vie quotidienne, il écrit :

. . ."Le fait d'avoir été conduit devant une maison qui n'était pas celle de ma malade, signifierait-il quelque chose ? Pour moi, non, c'est certain. Mais si j'étais superstitieux, j'aurais aperçu dans ce fait un avertissement, une indication du sort, un signe m'annonçant que la vieille dame ne dépasserait pas cette année" ...

Quelques pages avant ce passage, il reconnaissait en lui :

. . . »une tendance à la superstition dont l'origine m'est restée longtemps inconnue"...

Par contre, quelques pages plus loin, il insistera pour que le lecteur reconnaisse en lui

... "tout ce qui le distingue d'un homme superstitieux". . .

b/ L' efficacité symbolique/magique :

Dans La Psychopathologie de la vie quotidienne, il nous rapporte plusieurs anecdotes à propos d'actions "magiques" auxquelles il se serait livré.

Un jour, il brisa le couvercle en marbre d'un encrier pour obtenir un cadeau de sa soeur.

Une autre fois, sa fille aînée était en danger de mort à la suite d'une opération. Freud visa avec une pantoufle une statuette de marbre - qu'il brisa - en signe de sacrifice propitiatoire.

Une figurine égyptienne subit le même sort, plus tard, pour préserver une amitié.

Enfin, une fois, Anna, sa fille aînée devait rentrer à Vienne par le train. Freud écrit à Ferenczi :

. . . "Pendant la nuit, il y eut un accident de chemin de fer sur la ligne qu'elle devait emprunter. Aussi à titre de protection - je perdis mon pince-nez et son étui en me penchant dans les bois "…

(lettre à Ferenczi du 14 Août 1925; in C. Moreau, ibid, p.28)

Ces exemples illustrent, cette fois, le "principe de similitude" régissant la "pensée magique" (voir, p.37 ).

c/ La numérologie :

Freud était également très superstitieux à l'égard des nombres "fatidiques". Ce penchant remonte à sa relation avec W. Fliess (1887-1902) et à la croyance en la périodicité des chiffres 23 et 28 que celui-ci développa, à laquelle Freud crut pendant longtemps. [5]

_(F1, 23) évoque cet aspect caché de la personnalité de Freud.

Par exemple, Freud nourrissait une superstition privilégiée pour le chiffre 17 qu'il avait tiré, un jour, dans une tombola ; ce chiffre devait révéler le caractère : le mot "fidélité" lui était associé. Aussi Freud prit-il soin de se fiancer un 17.

Cette superstition pour les nombres aurait commencé en 1899, date à laquelle un nouveau numéro de téléphone lui avait été attribué (in C. Moreau, ibid, p. 30) .

Freud crut mourir à 41 ans - en 1897 - selon les calculs périodiques de W. Fliess ; puis à 51 ans, en 1907. Cette date est "fatidique" pour une autre raison : C'est celle de la 2ème édition de La Psychopathologie de la vie quotidienne, dans laquelle Freud ajoute de nombreuses remarques concer­nant la superstition et, par ailleurs, supprime une note (qui ne se trouve que dans la Standard Édition) disant sa crainte de mourir précisément cette année là - en 1907 ! (in C. Moreau, ibid) .

Puis ce fut la crainte de mourir à 61-62ans ,en 1917,etc... .

Comme précédemment, Freud ne veut pas paraître superstitieux aux yeux du lecteur et use d'un stratagème. Cette fois, c'est sur le mode de la distanciation impersonnelle qu'il relate une anecdote dans La Psychopathologie de la vie quotidienne.

…"Un monsieur qui a une préférence particulière pour les nombres 17 et 19 se rappelle, après quelques instants de réflexion, qu'à 17 ans, il a conquis la liberté académique en devenant étudiant, et qu'à 19ans , il a fait son premier grand voyage et, bientôt après sa première découverte scientifique. Mais la fixation de cette préférence ne s'est effectuée que deux lustres plus tard, lorsque les mêmes nombres eurent acquis une certaine importance pour sa vie amoureuse"…

Il s'agit, bien sûr, de lui-même.

Il serait, trop long d'évoquer l'intérêt que Freud portait aux tarots et à la Kabale dans la tradition mystique juive. D. Bakan (in Freud et la tradition mystique juive, Paris, Payot, 1964 ; C.Moreau, ibid, p. 24) pense que cet arrière-fond culturel hassidique n’est pas innocent au regard de la superstition que Freud nourrissait pour les nombres.

2/ Freud, le théoricien

W. Granoff et J.M Rey, dans le chapitre de leur ouvrage qui s'intitule : "Science, hasard, croyance" (ibid, pp. 107-138) disent que la réflexion de Freud sur la superstition devait servir de préambule à celle sur le "Zufall" (le hasard), en général.

Récapitulons quelques jalons essentiels de cette réflexion.

En 1910, dans la 3° édition de La Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud déclare :

. . . "Faut-il refuser à la superstition toute base réelle ? Est-il bien certain que les phénomènes connus sous les noms d'avertissement, de rêve prophétique, de manifestation de force supra-sensibles, etc... ne soient que de simples produits de l'imagination, sans aucun rapport avec la réalité ? Loin de moi l'idée de formuler un jugement aussi rigoureux et absolu sur des phénomènes dont l'existence a été attestée par des hommes très éminents au point de vue intellectuel. Tout ce que nous pouvons en dire c'est que leur étude n'est pas achevée et qu'ils ont besoin d'être soumis à de nouvelles recherches, plus approfondies"...

(ibid, p.278).

En 1919, il ne perd pas de vue le dessein de formuler les lois - le déterminisme - de tels phénomènes, incluant au nombre de ces derniers l' "inquiétante étrangeté".

Dans L'Inquiétante étrangeté (1919), Freud fait donc allusion à l'ouvrage d'un savant, Kammerer, qui écrit un essai théorique sur les coïncidences (en allemand, Das Gesetz der Serie). Freud commente à son sujet :

…"Un savant a entrepris dernièrement de ramener à certaines lois les événements de ce genre, ce qui supprimerait nécessairement toute impression d'inquiétante étrangeté. Je ne me risquerai pas à décider s'il l’a fait avec succès" ...

L' ouvrage de Kammerer était paru en 1919 aussi. Ce savant, contemporain de Freud, prouvait que ce que nous appelons communément une "coïncidence ou une "série de coïncidences" est en réalité la manifestation d'un principe universel de la nature opérant indépendamment de la causalité physique.

Pour Kammerer, les "coïncidences" dépendent d'un autre principe, celui de la « sérialité", c'est-à-dire la récurrence dans le temps de processus pério­diques ou cycliques qui se propagent comme des ondes sur l'axe du temps dans le continuum espace-temps ; mais nous ne percevons que les crêtes de ces ondes perçues alors comme des "coïncidences" isolées .

_(F2,35) parle en des termes similaires des avancées de la science mainte­nant toujours comme résidu au-devant d'elle le phénomènes "para" -physiques , "para"-psychologiques, etc... dans un sens contraire : s' agissant des lois établies par la science, cette fois, et non des « coïncidences » : « (que le phénomène "para") soit comme une frange qui se tienne au devant de ce problème de la science et qui ressemble à une vague qui déferle. Il y a la crête de la vague et puis il y a l’écume au-devant de la vague. Ca continue de déferler avec l'écume qui est devant... Hein ? Le phénomène « para » est, peut-être, cette espèce d'écume qui est devant la vague, et qui sera toujours devant : En ce sens que toutes les fois que l’on fait une loi statistique, on fait une loi causale" (F2,35).

Freud s'est intéressé aux hypothèses de Kammerer parce qu’il retrouvait chez lui des exemples similaires à ceux qu'il affichait lui-même  concernant les nombres.

En effet, Kammerer écrit, par exemple :

..."Mon beau-frère va au concert ; il a le fauteuil 9 et son ticket de vestiaire est aussi le 9. Le lendemain, nous allons ensemble au concert de l' orchestre philharmonique ; il a le fauteuil 21

et le ticket de vestiaire  21" ... (in C. Moreau, ibid, p.150) .

Pour Freud, les théories de Kammerer ne pouvaient que lui rappeler celles de W. Fliess sur la périodicité des nombres.

En revanche, les lois de la "sérialité" de Kammerer ont pour écho les formulations méta-psychologiques de Freud au sujet de la "compulsion de répétition", principe irréductible dirigeant notre existence "au-delà du principe de plaisir" (1920 )            et fournissant l'explication dernière, selon lui, à la fois du "Zufall" (hasard), des coïncidences étranges" et de la superstition. Mais aucun arrière-fond mystique, pour Freud, n' entre en ligne de compte.

Dès 1919, il écrit dans L'Inquiétante étrangeté :

"Le facteur de la répétition involontaire nous fait paraître étrangement inquiétant ce qui par ailleurs serait innocent, et par là nous impose l'idée du néfaste, de l'inéluctable, là où nous n'aurions autrement parlé que de "hasard". Ainsi, par exemple, c'est un incident certes indifférent qu'on vous donne à un vestiaire un certain numéro - disons le 62 - ou que la cabine du bateau qui vous est destinée porte ce numéro. Mais cette impression se modifie si ces deux faits, indifférents en eux-mêmes, se rapprochent au point que l'on en vient, par aven­ture, à faire l'observation de tout ce qui porte un chiffre, adresses, chambre d’hôtel, wagon de chemin de fer, etc. . .ramène toujours le même chiffre ou du moins ses composantes. On trouve cela étrangement inquiétant et quiconque n'est pas cuirassé contre la superstition sera tenté d' attribuer un sens mystérieux à ce retour obstiné du même chiffre, d'y voir par exemple, une allusion à l'âge qu' il ne dépassera pas"...

(ibid, p.189).

Il importe de préciser avec Messieurs W.Granoff et J. M.Rey les positions de Freud concernant le hasard.

Dans la première édition de la Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Freud déclare :

..."Je crois en effet au hasard extérieur (réel) , mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique) ".

(in W. Granoff et J. M.Rey, ibid, p 109 ) .

W. Granoff et J.M Rey commentent : "Je crois , je ne crois pas, telles sont les assertions (des actes de foi) dont Freud en 1901 martèle ses phrases" (ibid, p. 109).

Or, ce sont des "coïncidences" répétées au cours d'une même séance d'analyse avec M.P qui conduiront Freud à émettre l'hypothèse de la télé­pathie, en 1921, à propos du "cas Vorsicht" (voir plus loin p. 123).

En conclusion de ce chapitre, nous dirons que Freud explique le "zufall" (hasard) par des mécanismes psychiques relevant de la paranoïa :

. . . "Les différences entre le superstitieux et moi sont au nombre de deux. Premièrement, il projette à l' extérieur une motivation, que je cherche à l'intérieur, deuxièmement il interprète un hasard à travers un événement, alors que je le ramène à une pensée" ...

(in W. Granoff et J. M.Rey, ibid, p. 109) .

La frontière entre l' "intérieur" et l' "extérieur" du "Psychische" constitue le point délicat, central, de la "problématique freudienne de la télépathie". Toute la question, en effet, est de savoir quel statut accorder aux "coïncidences" (F1,7,27).

Pour Freud, il ne fait pas de doute, cependant, que celle de l' occult (e) - isme se réduit à la projection de la psyché sur le monde matériel :

..."Je pense que, pour une bonne part, la conception mythologique du monde qui anime jusqu'aux religions les plus modernes n'est autre chose qu'une psychologie projetée sur le monde extérieur. L'obscure connaissance des facteurs et de faits psychiques de l'inconscient se reflète dans la construction d'une réalité supra-sensible, que la science retransforme en une psychologie de l'inconscient"...

(La Psychopathologie de la vie quotidienne, p.276).

Le rôle de la Psychanalyse est de "déchirer le voile de ces imaginations " illusoires en parcourant à rebours les connexions inconscientes.


C H A P I T R E        2

LA PROBLÉMATIQUE FREUDIENNE DE LA TELEPATHIE

". . .Ce n'est qu'une question de transmission de pensées.

Si cela est prouvé, il faut y croire. Il ne s'agit point d'un phénomène psychique, mais d'un phénomène purement somatique, d'importance capitale il est vrai . . .   Je crains que vous ne soyez en train de découvrir quelque chose d'important, mais de grandes difficultés s'opposeront à son utilisation."

Freud

(Lettre à S. Ferenczi du 6 octobre 1909)

"Je suis, il est vrai prêt à croire que, derrière tout phénomène soi-disant occulte, se cache quelque chose de nouveau et de très important : Le phénomène de la transmission de processus psychiques à d' autres personnes à travers l' espace. . ."

Freud

(Lettre à E. Weiss du 24 octobre 1932)

II - LA TELEPATHIE : "NOYAU RÉEL DE FAITS NON ENCORE RECONNUS"

"Considérons, par exemple, le phénomène de l'induction ou transmission de la pensée, si voisin de la télépathie qu'on pourrait presque le confondre avec elle. D'après ce phéno­mène, les processus psychiques qui se déroulent dans un être : idées, émotions, velléités, peuvent à travers le libre espace être transmis à une autre personne sans qu'il soit besoin d'utiliser les moyens ordinaires, paroles ou signes."

(Rêve et occultisme, ibid,P.54).

La croyance en l'existence de la transmission de pensée et la télépathie est un fait précoce dans l'existence de Freud.

L'extrait de la lettre à W. Fliess que nous avons mis en exergue p.22 date de 1901.

Cependant il faut distinguer l'homme privé de l'homme public ; le père de famille, l'ami de Sandor Ferenczi… du chef de file et représentant - hormis le cercle zürichois - du mouvement psychanalytique international.

De même devrons-nous pour la précision de notre recherche, distin­guer ce que Freud appelle le "transfert de pensée" - dont le synonyme le plus proche est la "transmission de pensée" - de la télépathie, malgré la proximité sémantique que partagent ces trois termes sous sa plume (voir ci-dessus citation en épigraphe).

a/ Le transfert/ la transmission de pensée(s)

Ce terme est employé dans Psychanalyse et télépathie (in W. Granoff  et J. M.Rey, ibid, p. 27, 39, 45…, par exemple, comme synonyme - aux mêmes pages - d"'induction de personne à personne", ibid, p.27, et d"'induction de pensée", ibid, p.45). Nous le considérons comme très proche de "transmis sion de pensée" : Freud présente, d’ailleurs, les deux termes dans un rapport substitutif (ou).

En ce qui concerne ce point délicat de la pratique analytique, le matériel que fournissent nos entretiens est varié mais assez homogène : évo­quant la suggestion/suggestibilité, la "communication d'inconscient à inconscient", et le transfert/contre-transfert, les positions actuelles dans la théorie psychanalytique re-formulent en général le concept orthodoxe freudien de "transfert" (def. in J.Laplanche et J. B.Pontalis, ibid, p. 492-498). Il est, en effet, communément admis aujourd'hui que le "transfert" est indissociable du "contre-transfert" dans la relation analytique - comme dans toute relation humaine, d’ailleurs (G,16).

_(A1, 13-14) évoque le concept de "contre-attitude" comme synonyme de "contre-transfert" de la part de l’analyste. Pour lui, la communication/induction est plutôt rétrospective et passe pour la majeure partie par « l'extra-verbal », (A1, 14). Ainsi, l'analyste doit se transformer en un "enfant hystérique" pour ressentir le "transfert" que lui adresse le patient (A1, 12).

 "Transfert" et contre-transfert sont intimement liés.

_(A2,2), lui, ne croit pas à la "communication d'inconscient à inconscient", mais à un "enchaînement déductif" de la part de l’analyste, (A2, 2 ), grâce à une "série progressive d'éléments qu'il a articulés" au cours des séances précé­dentes .Nulle part, il n'est fait mention du "transfert/contre-transfert" mais vient se substituer une théorie personnelle de la communication analyste/analysant (comme dans toute relation humaine) par le biais du "sceptre d'identité" (A2,9), notion désignant "la représentation que l'on a de l'autre installé à l’"intérieur de soi" (A2, 8, 11). Par conséquent, il démystifie le concept de "communication d'inconscient à inconscient" : pour lui, il s'agit d'une "formule magique" (A2, 11) qui ne veut rien dire".

_(A3,10-14) raisonne, par contre, elle, en termes de "communication/transmission d'inconscient à inconscient" et elle explique ce qu' elle entend par là Freud lui-même, dit-elle, s'y réfère ; elle cite plusieurs ouvrages dans lesquels il en parle, notamment dans Prédisposition à la névrose obsessionnelle. Pour elle, il ne fait pas de doute que la relation analytique - et humaine - passe par cette saisie "d'inconscient à inconscient" (A3,12-13).

_(A4,10-12) évoque les théories de Jean Guillaumin pour qui le "contre-tranfert" est le "suggestionneur de la mise en place même de l'analyse" et sans lequel "il n'y aurait pas d'analyse possible, c'est-à-dire pas d'induc­tion possible de quelque chose de psychanalytique chez le patient. Apparemment, donc, le transfert est très lié au contre-transfert dont on ne peut pas se passer" (A4 ,10). Elle mentionne les travaux de Searle, L' Effort pour rendre l'autre fou et Le contre-transfert ; auparavant elle avait fait référence à l'article de Michel de M' Uzan, Contre-transfert et système paradoxal (A4,9) dans lequel il est dit que le contre-transfert peut adopter la forme d'une réaction physique. (E2,21) illustre ce point de vue en disant que, pour sa part, cette forme de réaction provoque chez elle des quintes de toux).

_(A4, 11) compare l'analyste à une "plaque sensible" : "sur celle-ci, comme en photo, quand il est dans son fauteuil, il essaie d'être émulsionné par ce qu'il reçoit de son patient. Il essaie d'être une plaque sensible vierge.

C' est un peu le "bloc magique" de Freud. Là-dessus vient s'imprimer le discours du patient". Pour elle aussi transfert/contre-transfert sont indissociablement liés.

_(B1, 6-7) : Pour elle, la "transmission de pensée" se modèle sur celle échan­gée entre la mère et l'enfant et/ou dans une relation amoureuse. La "sugges­tion" occupe une place très importante dans ce phénomène et, dit-elle "du transfert/ contre-transfert, il y en a partout ! A tous les coins de rues : »

_(B2, 3) évoque le cas d'une amie qui "ressentait une irruption, une immixtion de l'analyste dans sa vie, dans ses rêves".

(B2,9,11-12,14-15,18-19) développe l'idée que le transfert et le contre-transfert, une fois de plus, sont intimement liés et que la "neutralité" de l'analyste n'existe pas réellement : par exemple, elle évoque le cas de patients parlant ou rêvant de choses relatives à leur analyste et non à leur propre personne (B2,9).      Comme (A3, 10-14), elle fait référence à des écrits de Freud dans lesquels ce dernier disait que "le transfert participe de la suggestion" (in Introduction à la psychanalyse, écrits techniques, conférences ... ) et dit que "l'analyste ou l'hypnotiseur - l'objet du transfert - est placé dans la situation de l"'Idéal du Moi" du patient, à travers le transfert. Ce qui n'est pas rien! C'est-à-dire que l'analyste est en quelque sorte, incorporé comme une instance psychique", (B2, 11-12). Elle évoque la théorie de J. Lacan disant qu'il arrive fréquemment que le patient "s'identifie à son analyste", jusque dans la démarche ou la façon de parler, (B2,12). Dans ce cas là "l'incorporation" relève d'une "régression" à un stade pré-oedipien, ", forme assez archaïque".

La règle de "neutralité absolue" n'est donc jamais effective, selon elle ; et elle évoque le cas de patients ayant dû abandonner une situation analyti­que en raison de l"'induction" de leur analyste, (B2,15-19).

_(B3,4-5) donne un exemple de "suggestion". Il dit plus loin, cependant, que "la psychanalyse est née de rompre avec l'hypnose", (B3,21-22), parce que dans ce type de suggestion les "résistances ne sont pas levées". Il évoque la pratique que Freud avait de l' hypnose et les raisons pour lesquelles il l'a abandonnée . "Parce que tous les sujets n'étaient pas hypnotisables (...). Il a abandonné la suggestion parce qu'il considérait que, tout de même, c'était une sacrée torture ! Qu'après tout, le lavage de cerveau, si ça existe c' est peut- être ça", (B3, 22 ).

_(B4, 7-8) évoque la possibilité pour des voyant(e)s de saisir le transfert des pensées des personnes qui viennent les consulter (voir à ce sujet p.120) .

_(C, 7-8) croit que la "communication des Inconscients" est un fait et peut expliquer ce qui serait répertorié parfois, en psychiatrie, sous le nom de "délires d' influence". Pour elle aussi, le transfert/contre-transfert - surtout si ce dernier est "très positif" - est un concept permettant d'expliquer un autre niveau de communication entre l'analyste et son analysant(e).

_(D,43-44) évoque le cas d'un contre-transfert vécu corporellement (de façon psychosomatique) : Théoricienne des phénomènes "psi", ce mode de communica­tion, de sa part, ne doit pas nous étonner s'il est vrai, comme le dit (B1, 7), qu'il s' agit dans ce cas d' "induction-injection" ou , (E2,30),

d' "identification projective" (def. in J.Laplanche et J. B. Pontalis, p.192-193). Rappelons que (E2,21) ressentait certains "transferts" sur le même mode corporel/psychosomatique (quintes de toux).

_(E2,10-12) évoque d'ailleurs des expériences d'hypnose auxquelles elle s'est soumise sous la direction de L. Chertok. Pour elle aussi, la "suggestion" existe mais de façon privilégiée dans le rapport homme/femme : "Parce que je trouve qu'il y a une grosse question entre les hommes et les femmes !

Le pouvoir des hommes sur, les femmes. Les femmes par rapport aux hommes qui se mettent en situation de "sujets supposés savoir". Bergman a sorti un bouquin sur l'hystérie, ( ... ). Il disait, montrait qu'en fait, les hommes imprimaient leur nom dans le dos des hystériques. Après on parle de phénomè­nes paranormaux ! Mais c'est de la suggestion.  La propension - ce qui est tout à fait facile - à provoquer chez quelqu'un une dépendance psychique « (B2, 11).

_(G, 16) évoque, lui aussi, la "part d'induction possible" dans une analyse et dans toute relation humaine, "inévitable". Il illustre la relation intime du transfert/contre-transfert par une image : celle d'un "pseudo-pode entre l'Inconscient de l' analyste et celui de son patient (ou inversement) (G,22).

_(I, 13-15) partage l'opinion que le transfert / contre-transfert forme en réalité un seul concept et non deux. Il distingue, mais de façon secondaire, dans l'induction/transmission de pensée, la "transmission de représentations" de celle d'"affects" : "Mais en réalité, c'est de la chirurgie de pacotille ! Je ne pense pas qu'on puisse séparer ces choses" (I, 13),dit-il.

Ce psychothérapeute disqualifie, lui aussi l'idée de "neutralité", (I, 14). Il pense que le sens circule bipolairement entre l'analyste et son patient et que "si les phénomènes contre-transférentiels sont assez intenses à certains moments, ça peut très bien véhiculer un certain nombre d'informations propres   à l' analyste", (I, 15).

En conclusion, nous dirons sur ce point que l' Ecole jungienne est peu représentative en ce qui concerne le problèmes de transfert/contre-transfert puisque cette terminologie échappe à sa théorie psycho-analytique : ce qui explique la réaction de (F3,7) à notre question ( "quelle place précise accordez-vous aux concepts de transfert/contre-transfert dans les occurrences dites paranorrmales ?") : "Quel concept de "transfert/contre-trans fert" ? Aïe ! Aïe !. . .(silence) ", (F3,7).

Nous n'avons pas détaillé l'entretien (E1,21-25...) au sujet de la transmission/induction/transfert/suggestion possible de pensées, parce qu'il fera l'objet d'une référence plus exhaustive plus loin (voir p.192). Disons simplement que pour cet analyste aussi le transfert/contre-transfert sont intimement – intrinsèquement - liés.

Enfin, nous terminerons par les entretiens (H1, 18) et (H2,38-39).

_(H1, 18) évoque le "quelque chose de l'ordre d'un "transfert"- extrêmement fort - à l'égard du guérisseur" philippin, s'agissant de ce mode thérapeu­tique. Ailleurs, il précisait que les guérisseurs philippins "sont fort conscients" de l'effet curatif que peut présenter cet investissement de la part des patients sur leur personne, lorsque ceux-ci extraient de leur corps une "matérialisation du Mal" (HI, 12). Toutefois, il ne s'agit pas d' "illusion collective ou d'hypnose" (H1,9), ni d'une question d'éclairage (H1, 11). Nous ne traiterons pas plus en détail cet entretien, car son contenu échappe aux références classiques des concepts de transfert/contre-transfert.

_(H2,38-39) présente le point de vue d'un psychothérapeute bio-énergéticien partisan des Nouvelles thérapies (Bio-Energie, Cri primal, Rebirth ... ).

Au regard de la problématique qui nous intéresse, celle de la transmission/induction/transfert /suggestion possible de pensée, il dit que les Nouvelles thérapies "sont venues combler un manque : Le manque du corps, de l'approche corporelle en analyse ; le manque, justement, de la subjectivité du thérapeute en analyse" (H2,39). Il précise : "Le corps a une place. C'est l'importance du non-verbal, de l'expression du corps ; de la subjectivité du thérapeute qui n'est plus simplement "écoutant" mais participe également, verbalement, avec tout un "art", disons, pour ne pas induire des choses chez ses patients. Enfin... Bon", (H2,38).

Il apparaît donc clairement au terme de cette analyse - non exhaustive encore une fois, nous nous en excusons - que ce que disent (E1,22) :

"Il faut traverser la psychanalyse ! Il ne faut pas la renier, il ne faut pas renier tout cela comme si ça n'existait pas. Il faut traverser pour créer"...          et (E2, 21), lorsqu'elle opère un retour sur les "quintes de toux" que déclenche le transfert de son patient  : "C' est bien. Ce n'est pas mon contre-transfert. C'est un point d'interrogation. C'est ce qu'on a appelé comme ça. Mais on peut l'appeler autrement. Ca bouge, la clinique!" - est vérifié.

Les nouvelles théorisations du transfert/contre-transfert dans la pratique analytique en sont un exemple.

b/ La télépathie

Outre l'identité d'une partie du champ sémantique commune à ce terme et aux trois précédents (transfert/transmission/induction de pensée) , nous trouvons, dans Rêve et occultisme, ces deux autres définitions de la télépathie :

(1) … "Vous savez que nous appelons télépathie ce fait prétendu qu'un évènement survenu à un moment déterminé puisse être connu, presque au même instant, par une personne spatialement éloignée, sans le concours des moyens d'information ordinaires.       Condition tacite : l'événement doit concerner une personne pour laquelle l'autre, la réceptrice de la nouvelle, éprouve un vif intérêt émotionnel. Exemple : La personne A est victime d'un accident ou bien elle meurt ; la personne B, très attachée à A, mère, sœur, amante, ap­prend la mauvaise nouvelle, à peu près au même instant, par une perception visuelle ou auditive ; dans ce dernier cas, tout se passe comme si B avait été téléphoniquement prévenue, ce qui ne s'est pas produit en réalité. On pourrait parler là d'une contrepartie psychique de la télégraphie sans fil"...

(ibid, p.50 51).

(2) … "Par le phénomène télépathique, l'acte psychique accompli par une certaine personne doit provoquer la réalisation d'un acte semblable chez l'autre. Ce qui se produit entre deux actes psychiques peut facilement être un phénomène physique à point de départ et aboutissement psychique. L' analogie avec d'autres transpositions, telles, par exemple, que l'émission et l'audition au téléphone, serait alors indiscutable.

Et figurez-vous   ce qui arriverait si l'on pouvait se rendre maître de cet équivalent physique de l'acte psychique" ...

(ibid, p.75).

Nous renvoyons le lecteur à la fin de l'examen du matériel de Freud, c'est-à-dire après le c/, (voir p.131) , pour le traitement de nos propres données concernant les faits télépathiques rapportés par nos analystes.

Dans un premier temps, nous envisagerons "la problématique freudi­enne de la télépathie", comme nous avons envisagé, celle de l'occultisme.

 

 

(deuxième partie de ce texte =>).

Voir aussi :

Marie-Christine Combourieu, «Divination, voyance, télépathie: limites socio-épistémologiques», Cahiers de l'Imaginaire, no. 5/6, 1990, pp. 63-85



Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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dernière mise à jour le

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(Remerciements à Pascale Catala )


[1] D'autres auteurs tels que R. Bastide et G. Lapassade, par exemple, ou F. Laplantine sont des ethnologues/anthropologues spécialistes des rituels de "possession".

A. Zempléni et G. Devereux, également, ont écrit sur ces cérémonies, ainsi que T. Nathan et d'autres, dont nous ne mentionnons pas les travaux car ce n'est pars ici notre propos.

[2]   Levi-Brühl un peu plus tard devait écrire La Pensée primitive (1922).

[3] déf. J. Laplanche et J. B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, ibid, p.192.

[4] R. Amadou caractérise nettement la "pensée magique" dans ce qu' elle a de commun avec la pensée occultiste :

. "Dans la magie, le lien qui unit le mot à la chose ou à la notion n' est plus conventionnel, il n'est plus relatif ni extrinsèque. Il est intrinsèque, ontologique. Le temps ne le défait pas"…

(L'Occultisme, Paris, Julliard, 1950).

Il semble que ce soit du côté du lien unissant le signifiant et -le signifié que nous devons chercher la logique occultiste. le mot et la chose qu'il désigne sont dans un rapport de "correspondance(s) " - métaphorique/ métonymique, comme nous l'avons vu - allant à rebours de l’arbitraire du signe saussurien, sur lequel le 20e siècle a tant insisté.

[5] Fliess pense que tous les rythmes de l'univers correspondent à deux chiffres, l'un masculin (23), l' autre féminin (28) .