Raisons d'une attitude ségrégative

 

Dr Bernard AURIOL

 

« Il est vrai que je suis homosexuel, écrit l'un deux dans "Arcadie", mais je ne veux pas être celui qu'on définit PAR son homosexualité, comme il y a le Juif, l'idiot du village ou la fille-mère; je ne veux pas être non plus celui à qui on porte de l'estime malgré son homosexualité. Je veux être comme les autres et être aussi homosexuel, sans qu'on y attache plus d'importance que ça n'en doit avoir ».

 

 

L'homosexuel est rejeté

 

Qualifier quelqu'un d’« homosexuel passif » dans un vocabulaire plus ou moins cru, est une insulte. Grave. Comme le qualifier de « sale Juif », de « raton », de « flic » ou de « salaud »...

La science reprend à son compte cette insulte en classant l'homosexuel parmi les « pervers » et si elle l'excuse c'est en le mettant au rang des « malades » ;des névrosés qu'elle distingue soigneusement.

La loi réprime certaines formes d'homosexualité, les policiers étant parfois plus répressifs que la loi qu'ils sont chargés de faire respecter...

Notre morale judéo-chrétienne considère l'homosexualité comme un

« vice », chaque rapport homosexuel devenant un « péché ». On sait que A. Gide et combien d'autres ont trouvé là un obstacle déterminant à leur adhésion à l'Eglise catholique (Correspondance Gide-Claudel).

 

A quoi s'adresse l'insulte en l'homosexualité?

 

Au « vice » ? à la « névrose » ? à la « déviance » ? N'est-ce pas davantage à la « soumission », à la dépendance, à la passivité, à une certaine façon d'être féminin ? A l'égard d'une femme qui conduit mal, l'insulte tombe, inutile: « Ah ! c'est une femme!... » Tout est dit.

Cela explique-t-il le lien historique entre le M.L.F. et le F.H.A.R.[1] ? Peut-être aussi le peu de bruit qu'on fait autour de l'homosexualité féminine. Le rejet méprisant de notre culture pour l'homosexualité oblige souvent l'homosexuel à porter un masque et à feindre la « normalité »; il est ainsi comme traqué, comme un délinquant permanent, alors même que la loi ne lui interdit le commerce charnel qu'avec les mineurs.

Ce rejet méprisant peut aller jusqu'à empêcher l'homosexuel de prendre conscience de sa propre orientation sexuelle; il n'arrive à cette certitude qu'à travers des luttes et des souffrances difficiles à imaginer et il ne sait à qui confier son fardeau intérieur; peur d'être condamné par le pasteur d'âme, conscient que cela n'a pas grande chance d'intéresser le médecin, ou que ce dernier ne saurait que faire de la confidence, désir de tenir les parents loin de ce secret.

D'autant que les parents sont très souvent à l'origine de l'homophilie de leur enfant (interdiction d'accès à la situation œdipienne ou blocage à ce stade, ambiguïté des rôles paternel et maternel, difficulté d'accepter l'autre comme AUTRE et recherche en l'autre de sa propre ombre plus que de son propre reflet).

 


 

Nos propres difficultés

 

La reconnaissance de l'orientation homosexuelle du désir est difficile et cependant, nous devons reconnaître comme nôtre cette ambiguïté sexuelle biopsy­chologique ? Comment comprendrions-nous l'autre sexe, s'il n'existait pas déjà en nous?

L'homosexualité de l'hétérosexuel[2] reste platonique (parce que la réali­sation du désir est interdite pour lui) comme l'hétérosexualité de l'homosexuel reste platonique (le désir hétérosexuel n'ayant chez lui aucun droit à la réali­sation).

Nos amitiés (un « vrai » ami une « vraie » amie, c'est rare, ce n'est pas un ou une « camarade », c'est autre chose……) durables ou passagères, avec les personnes de notre sexe n'ont-elles rien à voir avec l’homophilie ? Quand nous abordons ces sujets, quand nous rappelons tel ou tel contact, est-il si évident qu'il n'y avait rien de « charnellement » homosexuel ? Au niveau de nos organes sexuels, de notre anus (contracté ou douloureux), de notre cœur battant plus fort, de notre gorge qui se serre, etc...

Rappelons nous l'école, le service militaire, le pavillon psychiatrique, le collège religieux !

Dans les collèges religieux, par exemple, on avait coutume de faire mijoter un grand nombre d'enfants et d'adolescents (privés de tout contact avec des enfants ou des adolescents de l'autre sexe) avec un certain nombre de « maîtres », de « professeurs », de « surveillants », célibataires par choix ou par contrainte, et sans autre possibilité de relation affective ou/et sexuelle que leurs élèves (ou leurs collègues).

C'est là que se mettait le mieux en place la notion d'autorité, de loi morale ou politique, de pratique religieuse[3], de patriotisme. On y tendait vers l'idéal de Sparte.

Les jeunes n’apprennent à mûrir concrètement de leurs rapports humains que ceux à l'égard des êtres du même sexe; les rapports avec l'autre sexe devant dès lors se calquer sur les premiers et mûrir au hasard…….

Ainsi, les rapports entre les hommes, entre les femmes, entre hommes et femmes tendent-ils à se construire comme domination ‑ soumission, générosité­ acceptation, parents ‑ enfants, etc...

 

Nous avons besoin de nous rassurer

 

Nous sommes tous bisexuels et la part d'homophilie et d'hétérophilie qui revient à chacun ne pourrait être déterminée qu'après éclaircissement des ten­dances plus ou moins méconnues qui nous habitent.

 

Je n'écris ces lignes qu'avec crainte et hésitation : non que j'aurais le moindre doute; mais par peur de rencontrer quelque oreille rétive à laisser passer un souffle trop fortement coincé au dessous des cordes vocales !

 

Il faut non seulement le dire mais le reconnaître en son propre cercle inté­rieur : l'homophilie existe plus ou moins acceptée, ignorée, refoulée chez chaque « hétérosexuel ». Mettre les homosexuels en prison ou en hôpital psychiatrique est la forme sociale que prend le refoulement.

 

Rejeter l'homosexualité en rejetant l'homosexuel vise à se rassurer à propos de la solidarité du rejet qu'on en fait en soi. Pour comparaison : il est utile au fumeur qui a choisi de cesser de fumer, de chercher à convaincre les autres qu'ils ont tort de s'adonner au tabac. Cela le met en état de supériorité à leur égard et renforce sa propre résolution prête à chanceler...

 

L'hétérosexualité, signe de puissance...

 

L'homosexualité est très liée aux problèmes de supériorité ‑infériorité : l'hé­térosexuel regarde

- avec terreur l'homosexuel qui est capable de transgresser la loi sexuelle commune,

- ou avec mépris : pour être resté à un type de sexualité propre à l'imma­turité de l'adolescence (il est encore « petit » devant l'homosexuel qui a grandi).

L'hétéro et l'homosexualité sont vues, tantôt, et chacune pour son compte, comme un signe de puissance, de sur-aptitude, tantôt comme un signe d'im­puissance et d'inaptitude; on peut se faire passer pour homosexuel par sno­bisme et pour hétérosexuel par crainte de quolibets...

L'analyse d'un certain discours religieux amène à voir en l'homosexualité un symbole de la transcendance dans le mal ou dans le bien : Il est au plus haut point mauvais ce rapport homosexuel (domination des hommes sur les envoyés de Dieu) sur lequel on ne peut poser les yeux sans être changée en statue de sel; mais il n'est pas question de regarder Dieu et de continuer à vivre[4] (4).

L'homosexualité est à l'hétérosexualité ce que la gaucherie est à la droiterie. Elle est hors normes, en dehors, déviance, aberration, hors nature, hors- la- loi, immorale, etc... Quand elle n'est pas transcendance, aristocratie, bonnes manières, au dessus des lois, etc...

De là, chez l'homosexuel, ce mélange de honte et de gloire, de souverain mépris et de culpabilité, d'auto-adoration et d'auto‑punition, de mystique et de débauche, de finesse et de grossièreté etc….. De là, provocation et l'excessive humilité, le combat de la lumière et de l'ombre, la présence de la mort, la peur de la solitude et de la déréliction. De là, les états dépressifs lors des ruptures et la tendance à l'infidélité.

 

Conclusion

 

Il est des victimes du racisme qui s'humilient et se terrent, il est de ces mêmes victimes qui s'érigent, manifestent, jettent la boue sur leurs détracteurs, revendiquent fièrement leur négritude, leur féminité (M.L.F.) ou leur homo­sexualité (F.H.A.R.). Décrire leur psychologie pourrait être long, car, les affronte­ments moralisants, légaux et sociologiques étant dépassés, que resterait-il, hors de chacun et de tous : ils aiment, souffrent et meurent ?



Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

dernière mise à jour le

21 Janvier 2007



[1] M.L.F. : Mouvement de Libération des Femmes; F.H.A.R. : Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire.

[2] Dans le cas d'orientation sexuelle consciente exclusive. Nombre d'individus des deux sexes ont eu des expériences homosexuelles et des expériences hétérosexuelles (30%).

[3] Trop facilement confondue avec la foi pratique.

[4] Dans la lecture de la théologie occidentale, on remarquera que l'union de l'âme à Dieu est symbolisée par le « mariage mystique », hétérosexuel, Dieu étant l'élément viril, l'âme étant l'élément féminin.

L'union constituante de Dieu lui‑même, la Trinité Sainte voit sa transcendance expri­mée comme relations entre personnes du même sexe (le Père, le Fils, le Saint‑Esprit). Qu'on l'entende sans blasphème, il s'agit ici des mots symbolisant le mystère, non du mystère. Ramenés au niveau de notre expérience, ces mots ‑ qui en viennent ‑ évoquent une union homosexuelle et incestueuse (entre le Père et le Fils) qui serait féconde (le Saint‑Esprit procède du Père et du Fils).