Dr Bernard AURIOL
« Il est vrai que je
suis homosexuel, écrit l'un deux dans "Arcadie", mais je ne veux pas
être celui qu'on définit PAR son
homosexualité, comme il y a le Juif, l'idiot du village ou la fille-mère; je ne
veux pas être non plus celui à qui on porte de l'estime malgré son homosexualité. Je veux être comme les autres et être aussi
homosexuel, sans qu'on y attache plus d'importance que ça n'en doit avoir
».
L'homosexuel est rejeté
A
quoi s'adresse l'insulte en l'homosexualité?
Au « vice » ? à la «
névrose » ? à la « déviance » ? N'est-ce pas davantage à la « soumission », à
la dépendance, à la passivité, à une certaine façon d'être féminin ? A l'égard
d'une femme qui conduit mal, l'insulte tombe, inutile: « Ah ! c'est une
femme!... » Tout est dit.
Cela explique-t-il le
lien historique entre le M.L.F. et le F.H.A.R.[1]
? Peut-être aussi le peu de bruit qu'on fait autour de l'homosexualité
féminine. Le rejet méprisant de notre culture pour l'homosexualité oblige
souvent l'homosexuel à porter un masque et à feindre la « normalité »; il est
ainsi comme traqué, comme un délinquant permanent, alors même que la loi ne lui
interdit le commerce charnel qu'avec les mineurs.
Ce rejet méprisant
peut aller jusqu'à empêcher l'homosexuel de prendre conscience de sa propre
orientation sexuelle; il n'arrive à cette certitude qu'à travers des luttes et
des souffrances difficiles à imaginer et il ne sait à qui confier son fardeau
intérieur; peur d'être condamné par le pasteur d'âme, conscient que cela n'a
pas grande chance d'intéresser le médecin, ou que ce dernier ne saurait que
faire de la confidence, désir de tenir les parents loin de ce secret.
D'autant que les parents sont très souvent à
l'origine de l'homophilie de leur enfant (interdiction d'accès à la situation
œdipienne ou blocage à ce stade, ambiguïté des rôles paternel et maternel,
difficulté d'accepter l'autre comme AUTRE et recherche en l'autre de sa propre
ombre plus que de son propre reflet).
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Nos propres difficultés
La reconnaissance de
l'orientation homosexuelle du désir est difficile et cependant, nous devons
reconnaître comme nôtre cette
ambiguïté sexuelle biopsychologique ? Comment comprendrions-nous l'autre sexe,
s'il n'existait pas déjà en nous?
L'homosexualité de l'hétérosexuel[2]
reste platonique (parce que la réalisation du désir est interdite pour lui)
comme l'hétérosexualité de l'homosexuel reste platonique (le désir hétérosexuel
n'ayant chez lui aucun droit à la réalisation).
Nos amitiés (un « vrai » ami une « vraie
» amie, c'est rare, ce n'est pas un ou une « camarade », c'est autre chose……)
durables ou passagères, avec les personnes de notre sexe n'ont-elles rien à
voir avec l’homophilie ? Quand nous abordons ces sujets, quand nous rappelons
tel ou tel contact, est-il si évident qu'il n'y avait rien de « charnellement »
homosexuel ? Au niveau de nos organes sexuels, de notre anus (contracté ou
douloureux), de notre cœur battant plus fort, de notre gorge qui se serre,
etc...
Rappelons nous
l'école, le service militaire, le pavillon psychiatrique, le collège
religieux !
Dans les collèges
religieux, par exemple, on avait coutume de faire mijoter un grand nombre
d'enfants et d'adolescents (privés de tout contact avec des enfants ou des
adolescents de l'autre sexe) avec un certain nombre de « maîtres », de «
professeurs », de « surveillants », célibataires par choix ou par contrainte,
et sans autre possibilité de relation affective ou/et sexuelle que leurs élèves
(ou leurs collègues).
C'est là que se
mettait le mieux en place la notion d'autorité, de loi morale ou politique, de
pratique religieuse[3], de
patriotisme. On y tendait vers l'idéal de Sparte.
Les jeunes
n’apprennent à mûrir concrètement de leurs rapports humains que ceux à l'égard
des êtres du même sexe; les rapports avec l'autre sexe devant dès lors se
calquer sur les premiers et mûrir au hasard…….
Ainsi, les rapports
entre les hommes, entre les femmes, entre hommes et femmes tendent-ils à se
construire comme domination ‑ soumission, générosité acceptation,
parents ‑ enfants, etc...
Nous avons besoin de nous rassurer
Nous sommes tous
bisexuels et la part d'homophilie et d'hétérophilie qui revient à chacun ne
pourrait être déterminée qu'après éclaircissement des tendances plus ou moins
méconnues qui nous habitent.
Je n'écris ces lignes qu'avec crainte et
hésitation : non que j'aurais le moindre doute; mais par peur de rencontrer
quelque oreille rétive à laisser passer un souffle trop fortement coincé au dessous
des cordes vocales !
Il faut non seulement
le dire mais le reconnaître en son propre cercle intérieur : l'homophilie
existe plus ou moins acceptée, ignorée, refoulée chez chaque « hétérosexuel ».
Mettre les homosexuels en prison ou en hôpital psychiatrique est la forme
sociale que prend le refoulement.
Rejeter
l'homosexualité en rejetant l'homosexuel vise à se rassurer à propos de la
solidarité du rejet qu'on en fait en soi. Pour comparaison : il est utile au
fumeur qui a choisi de cesser de fumer, de chercher à convaincre les autres
qu'ils ont tort de s'adonner au tabac. Cela le met en état de supériorité à
leur égard et renforce sa propre résolution prête à chanceler...
L'hétérosexualité, signe de puissance...
L'homosexualité
est très liée aux problèmes de
supériorité ‑infériorité : l'hétérosexuel regarde
-
avec terreur l'homosexuel qui est capable de transgresser la loi sexuelle
commune,
-
ou avec mépris : pour être resté à un type de sexualité propre à l'immaturité
de l'adolescence (il est encore « petit » devant l'homosexuel qui a grandi).
L'hétéro et
l'homosexualité sont vues, tantôt, et chacune pour son compte, comme un signe
de puissance, de sur-aptitude, tantôt comme un signe d'impuissance et
d'inaptitude; on peut se faire passer pour homosexuel par snobisme et pour
hétérosexuel par crainte de quolibets...
L'analyse d'un certain discours religieux amène
à voir en l'homosexualité un symbole de la transcendance dans le mal ou dans le
bien : Il est au plus haut point mauvais ce rapport homosexuel (domination des
hommes sur les envoyés de Dieu) sur lequel on ne peut poser les yeux sans être
changée en statue de sel; mais il n'est pas question de regarder Dieu et de
continuer à vivre[4] (4).
L'homosexualité est à
l'hétérosexualité ce que la gaucherie est à la droiterie. Elle est hors normes,
en dehors, déviance, aberration, hors nature, hors- la- loi, immorale, etc...
Quand elle n'est pas transcendance, aristocratie, bonnes manières, au dessus
des lois, etc...
De là, chez l'homosexuel, ce mélange de
honte et de gloire, de souverain mépris et de culpabilité, d'auto-adoration et
d'auto‑punition, de mystique et de débauche, de finesse et de grossièreté
etc….. De là, provocation et l'excessive humilité, le combat de la lumière et
de l'ombre, la présence de la mort, la peur de la solitude et de la
déréliction. De là, les états dépressifs lors des ruptures et la tendance à
l'infidélité.
Conclusion
Il est des victimes du
racisme qui s'humilient et se terrent, il est de ces mêmes victimes qui s'érigent,
manifestent, jettent la boue sur leurs détracteurs, revendiquent fièrement
leur négritude, leur féminité (M.L.F.) ou leur homosexualité (F.H.A.R.).
Décrire leur psychologie pourrait être long, car, les affrontements moralisants,
légaux et sociologiques étant dépassés, que resterait-il, hors de chacun et
de tous : ils aiment, souffrent et meurent ?
[1] M.L.F. : Mouvement de Libération des Femmes; F.H.A.R. : Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire.
[2] Dans le cas d'orientation sexuelle consciente exclusive. Nombre d'individus des deux sexes ont eu des expériences homosexuelles et des expériences hétérosexuelles (30%).
[3] Trop facilement confondue avec la foi pratique.
[4] Dans la lecture de la théologie occidentale, on remarquera que l'union de l'âme à Dieu est symbolisée par le « mariage mystique », hétérosexuel, Dieu étant l'élément viril, l'âme étant l'élément féminin.
L'union constituante de Dieu lui‑même, la Trinité Sainte voit sa transcendance exprimée comme relations entre personnes du même sexe (le Père, le Fils, le Saint‑Esprit). Qu'on l'entende sans blasphème, il s'agit ici des mots symbolisant le mystère, non du mystère. Ramenés au niveau de notre expérience, ces mots ‑ qui en viennent ‑ évoquent une union homosexuelle et incestueuse (entre le Père et le Fils) qui serait féconde (le Saint‑Esprit procède du Père et du Fils).