ROBERT DESOILLE APRÈS 1938

Gilbert MAUREY

Dans le numéro précédent des "Cahiers" [1] j'étais parti du premier livre de R. Desoille paru en 1938 pour ébaucher une étude de l’œuvre écrite de cet auteur, qu’il reste maintenant à poursuivre, dans le même esprit, c’est-à-dire uniquement par rapport à ce qu'on peut percevoir dans ces textes de l'évolution de Desoille au sujet de la pratique et de la théorie du Rêve Eveillé.

Au préalable, je m'arrêterai sur deux ouvrages dont je n'avais pas alors une connaissance directe et qui ont un intérêt certain pour la compréhension de l'histoire du RE, sur laquelle on travaille de divers côtés dans le G.I.R.E.D., et notamment dans le groupe qu'anime J. Natanson.

Le premier ouvrage est évidemment celui de Caslant intitulé "Méthode de développement des facultés supra normales" qui, grâce aux photocopies de M.A. Descamps, n'est plus l'Arlésienne du Rêve Eveillé.

Que Caslant ait été polytechnicien, puis qu'il ait fait sa carrière dans le Génie, montre qu'il était bien adapté socialement mais ne permet pas de conclure qu'il était un homme de Sciences. Son livre non plus, d'ailleurs. On y constate sa ferme croyance dans les phénomènes occultes qu'il soutient avec sérieux un peu inquiétant comme, par exemple, lorsqu'il écrit :

« Certaines personnes arrivent à embrasser d'un coup d’œil le passé et l'avenir de la terre et peuvent même dépasser le champ terrestre pour voir sur les autres planètes. »

On peut se contenter de garder à l'esprit ce contexte, sans autres commentaires. Peu importe par conséquent qu'il s'agisse de développer des facultés supra normales, quand Caslant donne comme principe qu'il suffit de « mettre le calme dans les pensées et d'empêcher le jeu de l'imagination active de manière à pouvoir isoler une image ; de renforcer ensuite l'intensité de cette image pour la chasser du sub conscient ; puis de l'orienter en créant les associations convenables." (p. 29).

Après une phase de détente la séance commencera en prononçant "nettement un mot

susceptible d'évoquer une image concrète, tel que vase, bouquet etc. après lui avoir demandé (au sujet) de préciser la sensation éprouvée à l'audition du mot". (p. 33)

Nous sommes en pays de connaissance. La directivité selon Caslant est assez stricte, fondée sur des mots inducteurs et sur des représentations de mouvements, et l'ensemble aboutit à une production bien proche d'un rêve éveillé.

L'a-priori Occultiste de Caslant lui fait considérer le "sub conscient'' individuel comme assez négligeable puisque par définition l'essentiel de cette production relève du "supra normal". Il y distingue différents plans qu'il s’agit d'exploiter de manière convenable, car chaque image a sa correspondance dans tous les plans, et pour ce faire ce sont aux suggestions de descente et d'ascension que l'on fera appel. Nous restons en pays de connaissance.

Parmi ces images Caslant admet malgré tout que certaines proviennent "du jeu instinctif du subconscient comme dans le rêve" et il y a là "matière à observation car on se trouve dans des conditions qui permettront de guider le rêve, par conséquent de l'expérimenter et de déterminer ses lois" (p. 83) .

A côté du subconscient il existe d'ailleurs pour Caslant un "super conscient".

Cet auteur évoque au passage le fait que des méthodes analogues à la sienne pourront avoir des effets thérapeutiques (p. 108), ce qui en somme était assez bien vu.

Au total pour Caslant le développement des facultés supra normales est "une culture de l'esprit". Le sujet élargit ainsi son horizon, "améliore son état nerveux", "se dote pour la vie pratique d'une intuition pénétrante qui lui fait déjouer les pièges de ses adversaires" (sic) et lui "rend indéniable l'existence de la survie".

Ainsi crée t il une technique de travail sur l'imaginaire qui, dans la forme, ne diffère pas radicalement de celle de Desoille. Développement de facultés supra normales chez Caslant, sublimation pour Desoille (en 1938), sur ce point ils diffèrent.

Le deuxième ouvrage que j'annonçais plus haut est paru en 1895 et il vient d'être réédité [2] . Il s'agit "Des Indes à la planète Mars" de Th. Flournoy dont Desoille parle en 1938 à propos de la rencontre avec une jeune femme qui lui fit part "d'une expérience de rêve Eveillé, dont la description rappelait singulièrement les fabulations rapportées par Flournoy dans sa fameuse étude de l'Inde à la planète Mars'".

Dans cet ouvrage Flournoy relate en effet, avec beaucoup d'humour et d'esprit critique, les expériences médiumniques d'Hélène Smith, décrite elle même avec autant de tact que de précision comme une de ces hystériques de grand talent dont l'époque était prodigue.

Tout en menant une vie sociale assez normale, ce médium lors de séances de spiritisme, et parfois aussi toute seule, produisait de remarquables séquences d'onorisme délirant, dont la relation évoque souvent ce que nous appelons actuellement un rêve éveillé.

Flournoy, utilisant le terme de "sub liminal" au lieu de celui d'inconscient, détaille parfaitement le travail qui sous tendait cette production et analyse ses rapports avec la personnalité du médium, notamment avec sa problématique sexuelle. Dès 1895 il avance sur les relations entre cet onorisme délirant et le rêve, des considérations telles qu'il faut admettre qu'il découvrit en même temps que Freud quelques faits fondamentaux concernant l'inconscient et les mécanismes du désir. Bien qu'il se soit attaché par la suite à faire connaître la psychanalyse, Freud ne l'a jamais cité avant qu'il fût mort (1920).

Nous constatons en tout cas que Flournoy put mener une recherche intéressante sur l'inconscient à partir d'une production onirique délirante, proche du rêve éveillé, ainsi que Desoille l'avait d'emblée remarqué, sans s'y attarder.

Il est amusant d'observer que la place de l'occultisme dans la genèse du rêve éveillé, se recoupe des productions de ce célèbre médium, qui en outre sont à la fois des sortes de rêves éveillés et des moments délirants chez une hystérique [3] .

Pour en finir avec l'occultisme, n'existe t il pas une ligne de clivage persistante, quand il s'agit des productions de l'imaginaire (et d'ailleurs aussi du rêve), entre les tenants d'un inconscient individuel, et les auteurs qui mettent avant tout l'accent sur le supra normal ou le super individuel, deux notions qui ont peut être entre elles plus d'analogies que de différences ?

LE LIVRE DE 1945

Revenons à Desoille. En 1945 la guerre est finie, il a participé à la Résistance, acquis ou affermi des positions politiques et sur un autre plan il vient de perdre sa première épouse, Lucie, avec laquelle il avait beaucoup travaillé sur le Rêve Eveillé.

Il publie alors : "Le Rêve Eveillé en psychothérapie  Essai sur la fonction de régulation de l'inconscient collectif »  [4] .Il s'agit maintenant non plus seulement de la sublimation mais de la "guérison des troubles psychiques", ainsi qu'il le précise dès les premières pages, où il redit aussi l'importance primordiale qu'il accorde aux suggestions d'ascension et de descente.

Cette dernière, écrit il, induit une "régression" jusqu'au niveau de la mentalité primitive, ce qui permet d'atteindre et d'exploiter l'inconscient collectif". La référence à Jung sera en effet au premier plan de ce nouvel ouvrage.

Je ne m'arrêterai pas sur la centaine de pages que Desoilles consacre d'abord à la cure d'Alexandre, qu'il clôt sur des réflexions au sujet du transfert en Rêve Eveillé. Que chacun se fasse son opinion sur la conduite de cette cure, la question étant d'ailleurs moins de savoir pourquoi elle fut ainsi menée, mais pour quelles raisons Desoille jugea bon d'y consacrer plus d'un quart de son livre.

Puis Desoille revient sur les trois zones qui sont, selon lui, bien distinctes dans l'inconscient et auxquelles correspondent :

1°) "les images de l'inconscient chez Freud, de l'inconscient personnel chez Jung et du pré conscient de Stekel",
2°) les images mythologiques,
3°) les images mystiques.

On retrouvera cette triade, autrement exprimée dans le livre de 1961.

Suit l'exposé de cinq cures, décrites par Desoille comme ayant apporté guérison ou amélioration. C'est à propos d'une de ces cures que le terme de "rêve éveillé dirigé" est employé pour l'une des premières fois, du moins me semble t il.

Nous arrivons ainsi à la page 277, et à l'exposé des « Points de vue théoriques ». C'est la partie la plus intéressante, dans laquelle Desoille va développer une conception de la "psyché" et de la psychothérapie qui constitue à mon avis un ensemble cohérent. C'est le meilleur de Desoille qui paraît là.

On peut être absolument en désaccord avec ces développements, mais cette opinion ne retire rien au fait que, comme on dit, "ça se tient".

Pourquoi Desoille va t il bientôt renoncer à approfondir sa réflexion dans la voie qu'il trace alors ?

Sa représentation de la « psyché » emprunte à Freud, surtout pour la dénomination des instances, mais elle se réfère pour l'essentiel à Jung, sans qu'on ait le sentiment que Desoille ait été tenté par un essai de synthèse entre ces deux auteurs.

La structure décrite est la suivante : au centre, la conscience, autour duquel se place une sphère (l’inconscient individuel) puis une deuxième de rayon beaucoup plus grand représentant l'inconscient collectif.

Un plan horizontal passant par le centre, ou se place le Moi, délimite une moitié supérieure ("les formes sublimées de l'instinct") dont le secteur individuel est occupé par la partie inconsciente du Sur moi.

Le "Soi de Jung" est représenté par le pôle supérieur de la plus grande sphère, il marque la limite de la sublimation possible".

La moitié inférieure est rapportée aux "formes primitives de l'instinct" avec le Ça à son pôle inférieur qui correspond à "la forme animale de notre affectivité". Le Soi et le Ça sont deux limites extrêmes jamais atteintes, le Moi oscille entre elles.

Le Sur moi est "une anomalie de la psyché", due à "un arrêt dans l’évolution des sentiments". "Les représentations d'ordre moral se cristallisent à un niveau encore infantile pour constituer le Sur moi".

Le processus  de guérison consistera en une reprise de l'évolution, « un nouvel élan du Moi conscient vers le Soi » et à l'issue de ce processus "le Sur-moi primitif disparaît en même temps qu'apparaît, claire à la conscience, Une nouvelle éthique".

Puis Desoille va insister sur la conscience des significations symboliques des mouvements d'ascension et de descente, et également des mouvements latéraux.

Compte tenu de l'importance qu'il attribue à l'axe vertical, et ici nous allons retrouver la notion des "plans" de Caslant, Desoille classe les images rencontrées en Rêve Eveillé en cinq catégories, à savoir du Ça vers le Soi :

1)       les images mystiques infernales (ex. la pieuvre),
2)       les images mythologiques inférieures (ex. l'araignée),
3)       les images de l'inconscient personnel (ex. la sorcière),
4)       les images mythologiques supérieures (ex. la femme idéale),
5)       les images mystiques célestes (ex. la vierge)

      (exemples choisis page 298).

Ces images s'engendrent en outre selon deux filiations, active (virilité), passive (féminité). A chacune de ces catégories correspond un style des images qui permet d'identifier le niveau où l'on se trouve.

Dans un deuxième stade de l'interprétation du symbole, on recherchera la filiation des sentiments associés au symbole avec l'instinct primitif, démarche qui, pour Desoille, constitue dans le Rêve Eveillé une descente au delà de l'inconscient personnel, "seul touché par la psychanalyse".

Un tableau (p. 298) permet de prévoir le type d'images que l'on rencontre, soit à la descente (régression vers des stades infantiles) soit à l'ascension (sublimation). L'interprétation doit donc varier en fonction du niveau où l'on prend le symbole.

Je ne puis aller plus avant dans le détail. Il faut se reporter au texte.

La notion centrale est ici pour Desoille celle de l'inconscient collectif [5] , dont l'ignorance "où reste la psychanalyse freudienne, est une des différences fondamentales entre elle et la méthode du rêve éveillé dirigé par la suggestion du mouvement vertical" (p. 304). On ne peut pas être plus clair.

Le rêve éveillé explore donc l'inconscient collectif " en recueillant éventuellement au passage les matériaux de l'inconscient personnel aux fins d'une analyse rapide". Ces images de l'inconscient personnel "ne sont pas spécifiques du rêve éveillé". On retrouve une sorte d'indifférence à l'inconscient (personnel) assez analogue à celle de Caslant.

Desoille explique ensuite en quelques pages la manière d'utiliser ces images « pour apprendre au sujet à les dominer », par "un véritable travail d'assimilation".

Puis il en vient aux "images de l'inconscient collectif" dans une référence précise à Jung, dont il expose les vues principales à ce sujet. La notion d'archétype est évidemment au premier plan : "c'est une série d'images résumant l'expérience ancestrale de l'homme devant une "situation typique" [6] . Cette série est la "chaîne des images archétypiques", il en existe deux fondamentales, celle de l'homme et celle de la femme. Les archétypes sont "les plus puissants moyens de sublimation que nous ayons à notre disposition".

Selon Desoille tout conflit inconscient s'exprime par certaines représentations qui appartiennent à une série d'image archétypiques, les unes correspondant à un vécu refoulé, les autres à des attitudes possibles devant le même événement mais non vécues et se situant sur tous les plans.

En provoquant un rêve éveillé on fait surgir les images du conflit, en le dirigeant on fait surgir des images d'autres plans que celui du conflit.

En faisant évoluer les premières on les ré intégrera dans leur série archétypique, et les images du conflit se déchargeront de leur angoisse. Puis il faudra entraîner le névrosé à acquérir de nouveaux automatismes. Par cette ré intégration, on fait entrer en jeu la fonction de régulation de l'inconscient collectif.

Je ne puis m'attarder davantage sur ces points, ils sont d'ailleurs largement illustrés dans le texte par des extraits de rêves éveillés.

On va trouver plus loin la notion de "mots inducteurs", par référence à Jung, mais on se rappelle qu'elle était également présente chez Caslant.

Toutefois le mot qui " est une image inductrice" ne sera pas en rêve éveillé " présenté au hasard" comme chez Jung mais "choisi en fonction des images spontanées du sujet d'abord et, ensuite, en fonction du but immédiat que l'on se propose d'atteindre".

Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas là uniquement d'images de départ mais tout autant d'images utilisées au cours du rêve éveillé afin de le diriger, procédé d'ailleurs assez conforme à celui qu'employait Caslant.

Pour Desoille, la suggestion sera limitée à 4 points : proposition d'une image de départ, idée de mouvement, images inductrices "dont le rôle est de provoquer de nouvelles associations", enfin attitude active devant l'image angoissante.

Le dernier chapitre est évidemment consacré à la sublimation qui reste toujours la grande affaire pour Desoille. Il s'agit "d'atteindre à plus de conscience" c'est à dire à un élargissement profond de notre moi par une extension de plus en plus grande des tendances oblatives", alors que "pour l'école de Freud, ce plus de conscience se borne à réintégrer dans la conscience le souvenir des événements vécus". Les idées de Desoille sur la visée de la psychanalyse sont sommaires mais rappelons nous l'époque : 1945. Il est cependant vrai qu'elles n'évolueront pas au cours des vingt années suivantes.

Dans sa conclusion Desoille pense être arrivé dans son texte "à un schéma complet de la psyché qui représente tout le possible de la psychologie humaine", affirmation qui replacée dans son contexte n'apparaît pas du tout, il faut le préciser, comme une déclaration mégalomaniaque.

Les "quatre étapes de la cure des névrosés par la technique du rêve éveillé dirigé" sont les suivantes :

1) Ascensions et descentes "alternées au cours d'une même séance" et permettant " un véritable malaxage de la conscience avec les images de l'inconscient.
2) Ré intégration des images du conflit dans la chaîne des archétypes.
3) Il s'opère ainsi une "conciliation des contraires". Les contradictions dont souffre le malade "ne sont en effet qu'apparentes ; elles dépendent essentiellement du fait que sa conception morale de la vie est faussée".
4) "Pour parfaire la sublimation des tendances instinctives, il faudra, enfin, rechercher les tendances profondes du sujet".

En ce qui concerne le transfert, il convient de le faire vivre au malade, position que Desoille oppose à la compréhension intellectuelle du transfert qui, selon lui, régnerait en psychanalyse. Ce qui va libérer le malade, c'est " l’évolution de ses "sentiments à l'égard du psychologue". "Or cette évolution est assurée, en général, par la sublimation des images mêmes du rêve éveillé". (P. 380).

Enfin, parmi les avantages du rêve éveillé sur la psychanalyse, "sa très grande supériorité réside surtout dans le fait que sa pratique est une psychagogie en même temps qu'une psychosynthèse".

C'est ainsi que le rêve éveillé "est un enseignement de l'art de vivre qui est ouvert à tous les âges".

A mon avis, le mérite de Desoille dans cet ouvrage est, je le répète, la cohérence de sa pensée théorique en elle même, et par rapport à la pratique qu'il propose.

La visée thérapeutique y est enfin clairement affirmée, et c'est ainsi qu'il se sépare tout à fait de Caslant, malgré un certain nombre de convergences dans la technique des deux auteurs.

Je m'interroge toutefois sur les relations qu'ils ont pu avoir entre eux. Les convictions spirites de Caslant étaient absolues et Desoille ne les partageait pas. Comment ont ils pu travailler ensemble pendant un temps assez long, quelque tolérants qu'ils aient pu être l'un et l'autre ? l'intérêt de Desoille pour les phénomènes mystiques et, plus généralement, pour "les facultés supérieures" de l'esprit humain, permettait il d'arrondir les angles ? Ou fonctionnaient ils dans le non dit ? Ou encore d'une autre manière ? Quelles influences ont il subies l'un de l'autre ?

Autant de questions dont les réponses ne manqueraient d'intérêt. On peut au moins penser que Desoille s'inscrivait malgré tout dans un courant qui de Caslant (pour ne citer que lui) à Jung, pose un a priori : l'esprit humain ne se limite pas à un sujet mais participe d'autres formes supérieures à l'individu, occultes pour les uns, relevant de l'inconscient collectif pour les autres.

Freud, bien qu'intéressé, est toujours resté réservé sur ces notions.

A mon modeste niveau, je me contente de m'interroger sur leur caractère nécessaire quand il s'agit, non pas de croyance, mais de psychothérapie.

DESOILLE ET PAVLOV

Quittant ces régions un peu éthérées, nous entrons maintenant dans un tout autre aspect de l’œuvre de Desoille, à savoir son rattachement à la "philosophie du matérialisme dialectique", lui même en rapport avec sa recherche d'une "psychothérapie rationnelle" présente dès 1945 et même avant. Ses options politiques devaient l'amener assez naturellement à adhérer finalement à la théorie pavlovienne.

Je ne m'attarderai pas sur son texte de 1950 "Psychanalyse et Rêve Eveillé dirigé" qui est surtout une critique de la psychanalyse freudienne avec la présence bien prévisible de la pensée de Politzer.

En 1955 paraît donc "Introduction à une psychothérapie rationnelle" [7] . Par rapport au livre de 1945, le virage est net. C'est ainsi que, sauf erreur de ma part, Jung n'y est pas cité une fois !

Comme Desoille l'écrit dès sa première page, "l'histoire du Rêve éveillé pourrait s'intituler : de la superstition à la connaissance rationnelle ou, avec plus de précision : de l'occultisme à l'interprétation physiologique de l'activité psychique (activité nerveuse Supérieure)".

Et plus loin : "Nous avons été amené à rejeter la doctrine psychanalytique comme contraire aux faits ( ... ) et nous avons reconnu qu'une psychothérapie scientifique ne peut s'appuyer, à l'heure actuelle, que sur la connaissance des processus nerveux mis en évidence par Pavlov et son école".

L'adhésion à cette école est en effet totale, sans nuances ni humour, avec toutefois ce curieux effet que, par la référence au "2ème système de Signalisation" le rôle de la parole est cette fois nettement souligné.

Ceci dit, la place me manque pour reprendre ces développements, Desoille s’en charge d'ailleurs fort bien. Je rappellerai seulement que c'est dans cet ouvrage que Desoille, se référant toujours à ses 5 catégories d'images, va introduire explicitement les fameux thèmes : vase, épée, descente dans la mer, et aussi "des scénarios clés" à propos des "situations typiques" de l'existence : Sorcier(e), Dragon, Sage.

Ainsi qu'il l'écrit, il a en effet pensé inutile "de perdre du temps à attendre que ce scénario clé se présente spontanément et j 'ai essayé de le provoquer, ce qui m'a donné tout de suite de bons résultats".

Bien sûr le problème de la sublimation se pose : "Ainsi donc, me diront certains vous constatez vous même cette fameuse expérience intérieure, cette vie spirituelle si contraire à la philosophie du matérialisme dialectique". Certes "il ne s'agit encore que d'un processus nerveux dont le sujet découvre la possibilité" (qui pensait autrement ?), mais Desoille ne renonce en aucune façon à la sublimation.

Constatons enfin qu'il est cette fois résolument engagé dans la voie de la psychothérapie, plus encore qu'en 1945, alors qu'en 1938, on le sait, ce n'était pas encore le cas.

LE LIVRE DE 1961

"Théorie et pratique du rêve éveillé dirigé" date donc de 1961 et sera le dernier ouvrage de Desoille publié de son vivant. Il prend une certaine distance à l'égard de Pavlov, tout en continuant à se réclamer de lui [8] . Freud n'est toujours pas bien considéré, mais Jung est de nouveau cité, et les chaînes archétypiques aussi.

Les images du rêve éveillé sont maintenant de trois sortes :

-"Les images de la vie réelle qui sont comparables aux fantasmes des rêves nocturnes".
- « Les images fabuleuses » (c'est là où l'action de la psychothérapie est considérée par Desoille comme la plus efficace).
- Les images mystiques.

La "notion équivoque d'inconscient" est rejetée au profit de "la notion des niveaux de conscience", notions qui, soit dit en passant sont de nature si radicalement différentes qu'on pourrait les conserver toutes deux sans contradiction.

Par ailleurs les six thèmes sont nettement décrits, ils sont si connus que je n'y insiste pas.

On mesure enfin le chemin parcouru par Desoille en tant que psychothérapeute, depuis la cure d'Alexandre (1945) jusqu'à celle de Benjamin rapportée dans ce dernier ouvrage. Les progrès dans la conduite de la cure sont évidents. Malheureusement, il faut le rappeler pour le regretter, Desoille en 1961 a 71 ans.

J'arrête ici cette revue de l’œuvre écrite de Desoille. Les textes parus ensuite, notamment dans le bulletin de la Société de recherches psychothérapiques, n'apportent rien de très nouveau. En ce qui concerne les deux livres parus après sa mort et présentés par N. Fabre, je ne crois pas qu'ils puissent être pris en compte pour évaluer l'évolution de Desoille, dans la mesure où celui ci ne les avait pas vraiment rédigés ni composés lui même.

Examinons un instant les titres des quatre livres parus de 1938 à 1961. Dans le premier il s'agit d'une "exploration de l'affectivité subconsciente'' par le rêve éveillé avec comme visée, comme le précise le sous titre : "sublimation et acquisitions psychologiques". Dans les trois autres, la notion de psychothérapie est présente : "Rêve éveillé en psychothérapie", "Introduction à une psychothérapie rationnelle", "Théorie et pratique du rêve éveillé".

Mais entre l'ouvrage de 1945 et celui de 1955, les sous titres témoignent du saut accompli par Desoille : l'inconscient collectif pour le premier, une "réadaptation de l'activité nerveuse supérieure par le rêve éveillé dirigé'' en ce qui concerne le deuxième. Un fossé sépare t il ces deux notions, je l'ignore car je connais Pavlov encore plus mal que Jung. Il me semble toutefois que le mélange ne doit pas être très digeste, à moins qu'on soit en droit de penser qu'il s'agit de deux niveaux de réflexions différentes mais compatibles.

Reste aussi en suspens le problème des influences subies par Desoille dans sa pratique psychothérapique. Car enfin, elle n'est pas sortie toute armée de sa tête et il n'a pas suffi non plus d'adapter la technique de Caslant à la Psychothérapie.

Tout thérapeute a certes des référents théoriques, comme Desoille en avait, mais il a aussi tout au long de sa carrière un rapport à la pratique de tel ou tel, sur laquelle il se modèle plus ou moins, même si ses inclinations "varient au fil des années. Or assez vite Desoille n'a plus été le seul à faire des psychothérapies par le Rêve Eveillé, et par ailleurs il existait en France des Psychanalystes en chair, en os et en exercice.

Je ne vois guère ce que je pourrais ajouter à ce sujet, mais si l'on considère que la théorie se nourrit de la pratique et en subit l'influence (comme l'évolution de Freud le montre bien) il pourrait être intéressant de creuser ce point.

Chercheur un peu émerveillé en 1938, sûr de lui et de la cohérence de sa pensée en 1945, trop sûr de son auteur de référence ensuite, peut on ainsi résumer la trajectoire de Desoille ? Sans doute non, ce serait négliger d'autres paramètres dont certains nous échappent peut être encore.

Je noterai seulement la coïncidence de deux faits : plus Desoille s’est engagé dans la psychothérapie, plus ses exigences ont évolué dans le sens d'une recherche rationnelle.

Il est cependant resté constant sur le point de la sublimation, qu'il a toujours estimé comme étant un élément crucial de l'emploi du rêve éveillé, psychothérapique ou non. Cette insistance a t elle finalement rétroagi de manière décisive sur sa compréhension du rêve éveillé en l'empêchant de voir une partie du paysage ?

BIBLIOGRAPHIE

FLOURNOY, Th. « Des Indes à la planète Mars », Introduction et commentaires de M. Yaguello et M. Cifali, Le Seuil, Paris, 1983.

MOREAU, Ch. "Freud et l'occultisme", Privat 1976.

Pour la bibliographie de Desoille, se reporter au Etudes Psychothérapiques, No° 55.

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© Gilbert Maurey

dernière MAJ le 8 Mars 2002



[1] Texte auquel j'ai ensuite donné sa forme définitive pour sa parution dans le N°14 des "Etudes psychothérapiques".
[2] P. Splichal avait précédemment attiré l'attention de notre groupe de travail sur cet ouvrage.
[3] L'occultisme fut un des grands motifs de discorde entre Freud et Jung, comme C. Moreau le montre.
[4] Ce fut le seul livre de Desoille à être publié chez un éditeur de premier plan (PUF).
[5] A mon avis l'emploi du terme d' "imaginaire collectif" introduirait moins d'ambiguïté.
[6] Notion que l’on retrouvera à propos des thèmes.
[7] Staline est mort en 1953, mais le XXème Congrès ne l'a pas encore enterré.

[8] En 1964 Desoille conseillait toujours l'achat et la lecture des ouvrages pavloviens (souvenir de l'auteur de ces lignes).