ROBERT DESOILLE : 1890-1938

Par Dr Gilbert Maurey.

Il est intéressant de relire l'ouvrage de Desoille de 1938, intitulé « Exploration de l'affectivité subconsciente par la méthode du rêve éveillé ».

M'étant livré à ce travail, on trouvera ici quelques unes des réflexions que j'en tire ainsi que de nombreuses citations de Desoille, et l'on n'oubliera pas de tenir compte de mon inévitable partialité.

Desoille donne deux souvenirs d'enfance comme point de départ "de l'élaboration de la technique que nous présentons." Ceux-ci, qui sont repris avec ponctualité dans les exposés historiques sur le Rêve Eveillé Dirigé, révèlent son intérêt pour les phénomènes de transmission de pensée. Le récit d'une expérience de ce genre faite à 12 ans avec une fillette serait à commenter si l'on sortait du texte manifeste, ce qui n'est guère possible.


Les années passent. "Retenant comme un fait indiscutable le phénomène de transmission de pensée" Desoille estime qu'il doit être rapproché d'une dépense d'énergie et étudié "par des méthodes analogues à celles que l'on emploie pour les phénomènes d'induction en physique".

C'est alors la rencontre avec Caslant et aussi avec le premier "rêve éveillé" qui frappe Desoille au point qu'il parle à son sujet de "vision dantesque". Cette rencontre a lieu en 1923, Desoille a 33 ans. Elle survient, ainsi que cela a été souvent souligné, dans un moment où le mouvement surréaliste agite beaucoup les esprits.

La précision a son importance, mais elle me rappelle aussi cette opinion de Pontalis sur les surréalistes : "Le fameux mot prêté à Freud : ‘Hâtons nous d'explorer l'inconscient avant qu'il ne se referme’, trouve dans le surréalisme une illustration saisissante." Et cet auteur précise plus loin "Il s'agira donc de tirer parti de l'inconscient, moins d'en analyser méthodiquement les "contenus" et les "réseaux" que de s'en approprier, voire d'en mimer dans des textes rêves le mode d'expression [1] ."  Fermons la parenthèse.

Ce premier "rêve éveillé" est fait par une jeune femme, qui devait devenir la première épouse de Desoille. Je n'ai découvert dans aucun écrit sur le Rêve Eveillé Dirigé d'allusion à ce point de petite histoire, intéressant quand même, jusqu'à ce que je le trouve mentionné dans "La maîtrise des rêves" de M.A. Descamps, paru récemment.

Pendant deux années Desoille va travailler sur lui-même (avec Caslant) et avec cette jeune femme. Reléguant au deuxième plan l'étude de la lecture de pensée, il apprend donc "le maniement de la méthode" que Caslant "n'avait pas songé à rapprocher de la psychanalyse, dont il ignorait alors la technique".

Desoille mène cette expérience, écrit-il, "dans un esprit absolument impartial, dégagé de toute idée préconçue et de toute doctrine a priori."

Même si l'on faisait abstraction du contexte particulier dans lequel opérait Desoille, un projet ainsi formulé ne pourrait guère être retenu de nos jours en sciences humaines, où la subjectivité de l'expérimentateur est de toute façon prise en compte.

Un tel projet doit sans doute être attribué à l'influence que n'a jamais cessé d'exercer sur lui sa formation scientifique, qui devait l'amener bientôt à se rallier à une théorie d'apparence scientifique, le pavlovisme.

Quoi qu'il en soit, Desoille décide alors de "relier les faits nouveaux qu'il nous était donnés d'observer, aux faits déjà connus en cherchant dans les théories actuelles et en particulier dans l'analyse psychologique de l'affectivité subconsciente, les disciplines qui nous permettraient de faire rentrer ces faits dans le domaine de la psychologie, désormais classique, du rêve".

Cette longue citation me laisse dans l'embarras. En effet, à qui se réfère Desoille à propos de "l'analyse psychologique de l'activité subconsciente" et à quoi pense-t-il en parlant "de la psychologie, désormais classique", du rêve" ? Sans doute, principalement à Janet, à Jung et à Freud mais il faut reconnaître que s'appuyer sur des auteurs si différents pour progresser dans une recherche mène le plus souvent à des difficultés conceptuelles.

Passons maintenant à un autre point pour rappeler que Desoille, dans cet ouvrage, ne se cache pas de mener ses expériences sur des sujets qu'il estime à peu près normaux. En tout cas cet "entraînement" était un moyen de « se mieux connaître et de réaliser le meilleur de soi-même ».

On voit ici la différence assez radicale avec la démarche de Freud (due aussi à sa formation) qui certes voulait percer le mystère des rêves parce que ça l'intéressait beaucoup, mais qui le fit dans un contexte résolument psycho-pathologique. Comme il l'écrit dans les dernières pages de "L'Interprétation des rêves" : "Ainsi la valeur théorique des études sur le rêve réside pour moi dans la contribution qu'elle apporte à la connaissance psychologique des psychonévroses. Dès maintenant le peu que nous savons permet d'exercer une influence favorable sur les formes guérissables des psychonévroses [2] ".

L'un, Desoille, part du "physiologique" et va bientôt déboucher, avec un peu de gêne parfois, sur du pathologique. L'autre, Freud, n'a affaire, au minimum, qu'à des cas de névrose, la sienne dans son auto-analyse et celle de ses patients.

D'où, d'ailleurs, cette remarque de Freud à propos de l'anagogique que j'ai déjà eu l'occasion de citer : "Mais pourquoi cherchons-nous à tous prix une interprétation analytique au lieu de nous contenter d'une interprétation anagogique immédiate. Cela tient à plusieurs raisons, particulièrement à l'existence de la névrose, aux explications que celle-ci exige de façon impérative, au fait que la vertu ne rend pas les hommes aussi heureux et aussi forts qu'on pourrait l'espérer ( .... ) [3] ".

Je pense ne rien apprendre à personne en rappelant ces faits, mais il convient de les garder à l'esprit quand on pense aux diverses orientations possibles du Rêve Eveillé, et aussi à propos de Desoille qui écrit dès la page 54 de cet ouvrage de 1983 : "que si la psychanalyse dénoue des complexes en actualisant une émotion" sa méthode est, elle "avant tout une méthode de sublimation".

Revenons à la description initiale, historique, de sa méthode par Desoille (étant exclue donc toute visée thérapeutique explicite).

·        Il s'agit d'abord d'obtenir un état "d'attention passive".

J'ai évoqué récemment cette notion d'attention, ayant "oublié" qu'elle figurait chez Desoille, pour signaler qu'elle était à certains égards un point de départ commun à différents modes d'écoute de l'inconscient, qu'il s'agisse de l'analyse des rêves chez Freud ou de l'attention flottante, ou encore de la production des Rêves Eveillés [4] .

L'image de départ pour obtenir cette "attention passive" devra être choisie dans la vie courante afin d'éviter "par association d'idées ou de sentiments un retour à l'état d'attention active". Ceci n'est conseillé qu'à propos des premières séances.

Puis viendra évidemment la fameuse suggestion d'ascension dont Desoille dit : "après avoir aidé le sujet à modifier son image jusqu'à la représentation d'un lieu élevé, montagne ou autre, nous userons de la suggestion en priant le sujet de s'élever encore".

                        J'invite à la lecture de la page 29 où Desoille écrit que « l'atti­tude d'esprit la plus convenable pour l'expérimentateur (…) est de considérer que le sujet rêve tout en décrivant une conduite qui fait penser au sage conseil selon lequel il ne faut pas contrarier quelqu'un qui délire ».

Cependant, s'il y a rencontre d'un être "agressif, cauteleux, dur, enfin désagréable d'une façon quelconque, nous demanderons au sujet de sien débarrasser". (C'était en 1938, je le rappelle).

Plus loin Desoille admet que "dans le Rêve Eveillé comme dans le sommeil, le symbolisme des représentations visuelles exprimant un état affectif, présente un caractère nettement régressif. Il est donc utile de se demander si toute cette fabulation n'est pas d'un aloi douteux ? Elle le serait certainement si le sujet devait en rester là. Nous répondrons à cette question lorsque nous aborderons les applications de cette technique à la psychothérapie, en expliquant les écueils qu'il faut éviter dans son emploi." Ceci se situe à la fin du chapitre 1.

Desoille va ensuite s'expliquer sur le terme de "suggestion" qui correspond pour lui à "la présentation d'une idée, d'une image quelconque! "

Présentation ?

Il nous dit aussi que le rêve éveillé, c'est vraiment du rêve « (…) il est possible de provoquer un rêve sous une forme telle qu'on puisse le suivre, comme on suit les phases d'un mouvement dans un film passe au ralenti, sans rien en perdre. Cela permet de substituer au rêve ordinaire un rêve éveillé afin d'étudier l'affectivité subconsciente d'un sujet ».

Tout cela, écrit ensuite Desoille, n'est pas absolument nouveau. L'hypnose existe déjà, mais elle est selon lui insuffisante. La suggestion, telle qu'il l'entend va placer le sujet dans cet état d'attention passive "qu'il ne faut pas confondre avec l'état de crédulité de l'hypnose, état incompatible avec la conservation d'un esprit sain".

Il n'utilise d'abord qu'avec une extrême prudence, précise-t-il, les diverses variétés de suggestion qu'il a évoquées, la seule dont "nous ne puissions absolument pas nous passer, est celle d'ascension ou de descente".

Nous trouvons là un postulat qui est cohérent avec une certaine disposition d'esprit, mais ceci ne retire rien au rôle central que joue à cette époque pour Desoille la suggestion, même sous la forme de "présentation".

C'est ici qu'à mon avis, les "thèmes" montrent le bout de l'oreille, bien qu'il n'en soit pas encore vraiment question, du moins sous la forme élaborée que nous avons connue par la suite.

Dès cette époque Desoille parle aussi ailleurs de "réflexe conditionné" (p. 34) du fait qu'il existe selon lui une relation de cause à effet "entre les images motrices d'une part, et les images visuelles d'autre part".

Pour en revenir à la suggestion, Desoille insiste bien à la fois sur le tact dont doit être assortie toute suggestion et sur le fait qu'on ne peut pas s'en passer. "Il (l'expérimentateur) proposera toujours, il n'imposera jamais". (P. 41).

Combien de fois n'avons-nous pas repris cette formule dans nos écrits ! Remise dans son contexte, elle n'a plus rien de convaincant.

Je tiens à souligner que je ne fais pas ici l'analyse exhaustive du livre de Desoille, mais seulement de ce qui a retenu mon intérêt dans les 80 à 100 pages où il est question du rêve éveillé.

Revenant sur la notion d'attention, Desoille souligne l'importance du "contraste" sans lequel l'attention ne peut pas être orientée. "S'il s'agit de souvenirs à retrouver, par exemple, on imposera au sujet une condition de temps ou de lieu qui constituera le contraste entre les souvenirs qui y satisfont et les autres".

De toute façon il faut placer le sujet qui va faire un rêve éveillé "dans des conditions physiologiques proches du sommeil". C'est ainsi que le "psychisme supérieur" sera inhibé, inhibition dont Desoille dit qu'elle est nécessaire "à la libération du psychisme sublimé autant qu'à celle du psychisme inférieur".

En pratique, après présentation d'une image, on va demander au sujet de fixer dessus son attention. Puis "nous lui proposerons d'y apporter des modifications de détail, en ayant soin de toujours satisfaire à la condition d'harmonie qui préside aux associations d'idées, précaution indispensable pour éviter de fausser la construction de l'image".

Le facteur "contraste" sera obtenu dans le rêve éveillé "en suggérant soudainement au sujet une modification ou un complément à son image. Ce sont les détails de cette modification qui seront alors représentatifs de l'état subconscient que l'on se propose de rendre conscient".

Cette notion semble intéressante, mais Desoille ne nous dit pas explicitement ce qu'il faut suggérer pour pouvoir observer les détails de la modification. Cette hypothèse à propos du travail sur l'image mérite cependant d'être considérée, dans la mesure évidemment où ses effets seraient ensuite repris dans la parole.

Ce qui vient après, à partir de la p. 51, est plus discutable. Desoille admet que la psychanalyse "lorsqu'il ne s'agit que de psychothérapie, atteint au moins un des symptômes du mal". Mais, ajoute-t-il, "en réduisant le champ de ses recherches au rêve, elle n'a étudié du psychisme de l'homme que la zone où s'établit normalement le contact entre les impulsions instinctives du subconscient et la conscience".

Peu de psychanalystes seraient actuellement d'accord sur cette assertion, mais ce n'était peut-être pas le cas en 1938 et en France.

Je note à ce sujet que la Société Psychanalytique de Paris a été créée en 1926 et la Revue Française de Psychanalyse l'année suivante. Quelle qu'ait été la valeur des psychanalystes français de cette époque, je remarque aussi que Desoille ne cite aucun de ceux-ci dans son ouvrage, alors qu'il avait assurément connaissance de leurs travaux, et même des contacts avec certains d'entre eux.

Il fait cependant référence à R. Dalbiez, non psychanalyste mais ami de Pichon, qui dans "La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne" (1936) critiquait des concepts freudiens fondamentaux (l'inconscient par exemple) et proposait une interprétation réflexologique à la genèse des névroses. Par la suite dans l'ouvrage de 1945, seuls Odier et Allendy seront cités.

Quoi qu'il en soit, Desoille écrit alors "nous nous refusons à admettre que l'affectivité instinctive soit seule à intervenir dans notre activité psychique, ne faisant en cela que suivre Freud qui le dit lui-même expressément, ajoutant que le surmoi est en partie inconscient ; mais il n'étudie pas directement ce surmoi inconscient. Notre méthode permet cette exploration directe qui est des plus fécondes".

Ce qui intéresse Desoille c'est cette partie "supérieure" de la psyché qui n'est "pas uniquement colorée par l'instinct". Il précise "Nous l'appellerons le "surmoi" avec Freud, le "super-conscient", le "supra intellect" ou de tout autre nom".

En somme voilà Desoille qui laisse de côté le sens réel que donnait Freud à ce qui fut traduit par "instinct". Est-il revenu plus tard sur ce point, je l'ignore.

Nous trouvons ensuite une notion peut-être importante pour la discussion qui s'instaurera ultérieurement au sujet des Rêves Eveillés "à thèmes" et des Rêves Eveillés "libres".

« Dans le Rêve Eveillé », écrit Desoille, « l'inhibition du ‘psychisme supérieur’ (nous ne discuterons pas ici de l'imprécision de ce terme) est plus ou moins complète ». Selon le niveau atteint, les images du sujet « doivent être considérées tantôt comme des effets-signes, tantôt comme de véritables symboles ». « L'effet-signe correspond à une inhibition totale du psychisme supérieur », c'est là qu'il y a régression, retour aux moyens archaïques d'expression.

Pour le recours au symbolisme une certaine activité du "psychisme supérieur" est par contre nécessaire.

Il semble donc exister d'emblée pour Desoille deux sortes d'images en Rêve Eveillé selon le niveau d'inhibition psychique où se trouve placé le sujet. Je n'insiste pas sur le fait qu'il ne nous est pas indiqué comment reconnaître ces niveaux, sinon par l'effet que chacun est supposé produire.

Mais ne trouvons-nous pas là le germe de l'idée, non-desoillienne, selon laquelle le Rêve Eveillé "libre" respecterait davantage le "mouvement de l'inconscient" tandis qu'une proposition de départ, et plus encore les grands thèmes symboliques risqueraient de se situer à un autre niveau ?

Je reconnais volontiers que j'opère un rapprochement un peu rapide. Je pense en tout cas que ce point mérite discussion, ne serait-ce qu'en raison d'une éventuelle confusion que nous ferions entre ce qui se passe selon le niveau de conscience. (car c'est bien de cela qu'il s'agit chez Desoille) et une possibilité d'expression de l'inconscient du sujet.

Car l'inconscient parle tout de même alors qu'on est parfaitement « conscient », même si le relâchement de l'attention en permet effectivement une meilleure expression et une meilleure écoute. La notion freudienne "d'inconscient" et celle psycho-physiologique, de "conscience" se situent à des niveaux très différents.

Je remarque encore que la "régression" n'est pas quelque chose qui enchante Desoille quand il parle de la suggestion de descente. Celle-ci pourra être assortie de "contre-suggestions de protection" "qui sont en fait des images d'impunité, de pureté conservée".

Et ici vient une assertion assez périlleuse et source de malentendus, du moins quand il s'agit de psychothérapie car, selon Desoille, les dites images "permettent au sujet un travail d'élaboration complet de l'image représentative de l'état affectif étudié sans que cet état affectif - qui serait infiniment pénible - soit éprouvé". C'est ainsi que le soi peut "satisfaire ses impulsions, même les plus monstrueuses, en donnant au sur-moi une égale satisfaction par la certitude que le moi n'est en rien impliqué dans ce drame".

Desoille n'est malheureusement pas le seul à avoir usé des éléments de la deuxième topique, alliés ici au "soi", pour en tirer des hypothèses hasardées.

Mais il faut maintenant aborder le problème de l'analyse du Rêve­ Eveillé "Le procédé comme en psychanalyse, sera celui des libres associations d'idées" (P. 52). Quelques pages plus loin, ce point va être précisé. "Dans la suite de cet ouvrage nous donnerons peu de place à l'analyse. La principale rai­son est que nous n'avons rien de nouveau à apporter aux procédés de l'analyse".

En outre, puisque si l'on fait "varier l'image dans un sens convenable, les états affectifs varieront dans un sens que l'on peut prévoir", l'analyse "si elle est toujours utile, n'est pas indispensable pour atteindre le but que nous poursuivons".

Ce but est "la révélation au sujet de possibilités qu'il ignore". Mais la base de départ, disons "physiologique" et en tout cas non thérapeutique, de Desoille réapparaît : "Nous n'y aurons recours (à l'analyse) que pour libérer le sujet de conflits affectifs venant faire obstacle à un entraînement normal".

Et pourtant chez Desoille devenu thérapeute, ce niveau de l'analyse ne sera jamais privilégié, ce qui peut encore s'admettre, mais il ne sera même pas mis sur un plan équivalent au travail sur l'image. Il ne sera pas, en tout cas dans ses écrits, l'objet d'une recherche particulière ni originale.

Desoille résume ainsi les points principaux concernant cette « méthode nouvelle d'investigation de l'affectivité subconsciente » :

1° -"Placer le sujet dans un état d'indifférence au monde extérieur analogue à celui du sommeil mais qui s'en distingue par le maintien de la pleine conscience".

2° -"Employer la suggestion pour stimuler l'activité de l'imagination tout en orientant celle-ci ( ... )".

3° -"Observer la loi d'harmonie qui préside à la formation des images".

4° -"Analyser les images, symboliques ou non, par le procédé des associations d'idées comme on le fait en psychanalyse".

Desoille recommande en outre "une initiation personnelle ou, du moins, une psychanalyse préalable et une grande habitude de manier des sujets".

La plus grande partie de ce qui vient après la p. 89, c'est-à-dire les deux tiers de l'ouvrage, ne me semble pas essentiel à ce qui m'intéresse ici, la genèse du rêve éveillé chez Desoille et son application à la psychothérapie.

Desoille y insiste évidemment beaucoup sur l'importance de l'image et du travail avec elle. Le passage sur la "régression" et la notion "d'image d'arrêt" marquent les difficultés du Desoille de l'époque à affronter l'angoisse et tout ce qui touche à la psycho-pathologie.

Une vingtaine de pages de l'avant dernier chapitre ("sublimation et acquisitions psychologiques") sont cependant consacrées à la psychothérapie.

"De nombreux essais et des mises au point seront nécessaires pour adapter cette méthode aux besoins de l'art médical. Ce sera la tâche des médecins qui voudront bien prendre notre travail en considération".

Pour l'heure il n'a eu affaire qu'exceptionnellement à des sujets "que l'on puisse vraiment considérer comme des malades et nous nous sommes empressés de les adresser à des médecins".

Toutefois "les remarques que nous avons faites jusqu'ici nous apparaissent applicables à la psychologie pathologique, qu'il s'agisse d'une simple disposition névrotique ou de troubles graves".

Et en effet sept ans plus tard, il est lancé dans l'aventure psychothérapique : son nouvel ouvrage s'intitule "'Le rêve éveillé en psychothérapie"

Il est d'ailleurs d'inspiration essentiellement jungienne. Desoille est plus à l'aise avec Jung qu'avec Freud. Le scepticisme de ce dernier, son insistance à parler, entre autre, des pulsions ou du désir sexuel, le primat qu'il donne à l'inconscient individuel par rapport à l'imaginaire collectif, ne peuvent qu'en éloigner Desoille.

Pour en revenir à l'ouvrage de 1938, les pages consacrées aux applications psychothérapiques du rêve éveillé, dans lesquelles Janet est très présent, mettent en évidence les incertitudes de Desoille, bien naturelles d'ailleurs, sur un sujet qu'il connaissait mal.

Elles ont le mérite de mettre l'accent sur la nécessité d'une orientation psychothérapique dans le traitement de la maladie mentale, qu'on ne peut encore qu'approuver de nos jours malgré (ou à cause) les progrès réalisés dans d'autres domaines.

Le dernier chapitre a trait à la psychologie des mystiques, et aux "phénomènes dits supra-normaux" qui à devenir "parapsychologiques" n'ont pas gagné en clarté. La conclusion de l'ouvrage est évidemment très prudente : "Nous conservons l'espoir qu'en apportant d'une part, une technique d'exploration nouvelle et d'autre part un procédé de sublimation, nous aurons contribué au progrès de la psychologie".

Dans son livre de 1945, Desoille s'étonnera d'avoir plus intéressé, par son premier ouvrage, les philosophes que les médecins et les psychanalystes.

Que ressort-il de ces pages consacrées à une partie du premier livre de Desoille ?

A vrai dire, ce que l'on veut, mais en tout cas une invite à relire attentivement cet ouvrage clé de l'inventeur du Rêve Eveillé où est exprimé, ou bien se trouve en germe, l'essentiel de ses orientations personnelles et de sa compréhension de l'esprit humain, qui vont commander la voie dans laquelle il engagera le Rêve Eveillé.

J'y sens aussi une conviction, un "souffle", qui seront de moins en moins présents dans les ouvrages ultérieurs mais qui forcent la sympathie et qui auraient pu soutenir des développements très nouveaux.

Je ne reviendrai que sur deux points. A propos du problème posé par la coexistence, ou non de Rêves Eveillés à "thèmes" (ou à proposition de départ) et de Rêves Eveillés "libres", il me semble qu'une amorce de compréhension de l'évolution ultérieure devient possible si l'on considère que pour Desoille il existait bien d'emblée deux types d'images en Rêve Eveillé.

Quant à la sublimation, il est connu qu'elle a toujours été une notion centrale dans la pensée de Desoille. Libre cependant au praticien aux prises avec la névrose ordinaire (et parfois extraordinaire) de penser avec Freud que la sublimation est sans nul doute un des effets souhaitables de l'analyse, mais qu'elle est aussi l'affaire de toute une vie, et encore pas pour tout le monde.

En ce qui me concerne je comprends parfaitement que le travail par le Rêve Eveillé, basé sur une certaine compréhension du rêve et de l'imagination, puisse être vu comme le chemin vers un mieux être, un approfondissement des "dimensions supérieures" de l'esprit humain et, éventuellement aboutir à une communion cosmique.

Mais si le Rêve Eveillé est rapporté prioritairement à la souffrance névrotique, à l'angoisse stérile qui tue sans jamais créer, il devient une machine à utiliser avec rigueur, en se tenant au plus près de la vérité d'un sujet en perdition.

Pour celui-ci les conflits inconscients portant sur l'identité et sur le désir sexuel, pour citer l'essentiel, constituent le terrain sur lequel il importe que son sauvetage s'accomplisse.

Il fera ensuite ce qu'il veut des acquis de son analyse, rejoignant alors les gens "normaux" sur lesquels Desoille fit d'abord porter ses recherches.

(deuxième partie de ce texte => « Desoille : 1940-1966 »).

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© Copyright Dr Gilbert Maurey. (Updated on vendredi, 27 août, 2004 4:51 )


[1] PONTALIS, J.B. : "Entre le rêve et la douleur", N.R.F. Paris, 1977, pp. 52 et 55.
[2] FREUD, S. "L'interprétation des rêves", P.U.F. Paris, 1967.
[3] FREUD, S. "Rêve et télépathie", 1922, Edit. du Lab. Lederlé.
[4] MAUREY,G. « La voie royale est-elle, en plus, unique ? » Études Psycho. no 52, janvier 1983.