Pourquoi autant de difficultés à la prise en charge du patient ostéoporotique ?

 

Docteur Claude DRAY

Psychiatre, Toulouse

 

 

Je suis désolé, je n’ai pas encore de « cusum » ni de règles de Shewart pour apprécier le fonctionnement psychique de l’appareil à penser du médecin ni d’étude randomisée comparative…Quant au « fantôme », voire fantasme, c’est bien entendu mon métier de le débusquer !

 



Comme toujours quand on pose une question de ce type à un psychiatre, il doit commencer par définir sa propre place dans une assemblée de rhumatologues. Trois raisons principales m'ont fait accepter la gageure de répondre à cette question :

 

Ø     la première, et j’en remercie ici le Professeur ARLET,  est mon expérience d’attaché psychiatre dans son Service au  cours des années 80. L'expérience du contact avec le rhumatisant hospitalisé a définitivement conforté ma pratique sur la place du corps dans le psychisme du patient et notamment lors des recherches portant sur les interactions entre psychisme et corps dans la polyarthrite rhumatoïde, l'algodystrophie et les lombalgies chroniques avec la mise en place du  traitement par Anafranil en perfusion,

 

Ø     la deuxième est mon statut personnel de conjoint de rhumatologue qui m'a permis de côtoyer amicalement ces spécialistes, d'apprécier leur psychopathologie si particulière, et de sortir des clichés d’identification imaginaire du médecin à la maladie qu’il soigne (comme celui du psychiatre-fou et du rhumatologue- rigide et ankylosé avec l’âge !),

 

Ø     la troisième qui me paraît après-coup la principale, est liée à  l’évolution de ma pratique vers la psychiatrie de l'enfant et notamment ma préoccupation sur les interactions affectives précoces mère-enfant. Avec cette injonction sous- jacente qui fait que l’on est programmé pour ce métier :

«  tu soigneras ta vieille mère, mon fils et pour cela tu deviendras médecin »

 

 

Sans oublier enfin ma fréquentation hebdomadaire pour des raisons personnelles d' une maison de retraite où je suis toujours étonné de voir régulièrement dans le grand salon une pensionnaire avec un plâtre au bras ou bien d'apprendre que telle autre a été hospitalisée pour une fracture du col du fémur.

Il semble une évidence que la chute et la fracture de la personne âgée fassent partie du quotidien de la vie dans une maison de retraite.

Ce qui continue aussi de m'étonner, c'est la réponse du personnel soignant face aux plaintes concernant les douleurs : «  c'est l'âge, on n'y peut rien ».

Je retrouve dans cette attitude la même position qu’adoptaient  les pédiatres face à la douleur du nourrisson.

 

 

 

Rappelons pour  les néophytes que l’ostéoporose est une maladie silencieuse qui évolue lentement pour se révéler brutalement par une fracture du poignet, d’une vertèbre ou du col fémoral et peut conduire à l’impotence et la mort.

 

Sur le plan épidémiologique elle devient un fléau, une épidémie du fait notamment de l’allongement de la vie, chez la femme surtout.

Et pourtant les chirurgiens orthopédistes qui constatent ces fractures à répétition et même certains rhumatologues (ceux qui ne sont pas présents ici bien sûr) dont l’os représente pourtant la préoccupation majeure, ne s’en inquiètent pas plus que cela.

Pendant longtemps, on a même eu l’impression que seuls les gynécologues médicaux et certains endocrinologues s’y intéressaient.

 

 

Pourquoi aujourd’hui poser au psychiatre la question de sa prise en charge ?

J’y vois deux raisons :

 

La première est un conflit d’appartenance  du traitement de l’ostéoporose :

«  à qui appartient l’os de la femme ménopausée ? »

 

-au gynécologue ?

-à l’endocrinologue ?

-à l’orthopédiste ?

-au rhumatologue ?

 

La deuxième repose sur la mise en évidence d’un mécanisme de défense psychique bien connu qui est le clivage dont on sait qu’il repose sur un déni.

 

Rappel historique :

Freud en 1938 le définit dans son article sur « le clivage du moi dans le processus de défense » :

« le déni est posé comme entrant dans la structure même du psychisme dans de nombreux cas où il apparaît comme une demi-mesure, une tentative imparfaite pour détacher le moi et donc la prise de conscience d’une réalité.

Deux attitudes opposées indépendantes l'une de l'autre s’instaurent, ce qui aboutit à un clivage du moi. »

 

Il y a donc deux courants psychiques contradictoires qui coexistent dans chaque individu: l'un fondé sur la réalité, l'autre sur le désir.

Dans notre sujet d’aujourd’hui, la réalité est représentée par le risque fracturaire handicapant ou mortel.

Quant au désir, de quel désir s’agit-il ici? Et en quoi le traitement de la femme ménopausée renvoie-t-il à un désir ?

 

Je vous laisse y réfléchir pour parler quelques instants de choses plus rationnelles.

 

L’ostéoporose étant une maladie récemment redéfinie, elle offre un modèle de réflexion sur une pratique médicale prise dans un courant de société en mutation.

Pourquoi, alors qu’un traitement précoce est devenu possible, existe-t-il dans les faits un tel retard à la mise en œuvre du traitement ?

 

Ce qui m'interpelle dans cette question du retard au traitement de la femme ménopausée ostéoporotique repose d'une part sur la position du médecin et d'autre part sur la non-demande de la femme qui entre en ménopause :

 

 

- y a- t’il conspiration- alliance conjointe entre médecins et patientes ?

- à qui appartient donc le traitement de cet os ostéoporotique ?

- pourquoi les gynécologues médicaux, spécialistes de l'appareil génital féminin et du contrôle de l'imprégnation des hormones sexuelles se sont-ils intéressés au traitement de cet os friable ?

- quelle est la position de la femme ménopausée dans la société occidentale ?

- le traitement de la ménopause, phénomène naturel lié au vieillissement, est-il nécessaire ?

- la prise d'oestrogènes favorisant la prise de poids et augmentant le risque de  cancer, n’y a-t-il pas là autant de justifications pour ne pas  traiter ?

- faut-il traiter un processus normal?

- faut-il traiter une évidence, c’est à dire la vieillesse, l’inéluctable de la vieillesse ?

 

Deux phobies viennent compliquer le questionnement :

 

- la cancérophobie,

- la peur de vieillir et donc de mourir mais pas de n’importe qu’elle façon, une mort de l’intérieur et de ce qui fait notre infrastructure. 

 

Quelle peut être la représentation imaginaire dans l’inconscient collectif de ce squelette qui normalement doit faire trace après notre mort ( on date bien le début de chaque civilisation par la découverte des os dans les cimetières) et qui de notre vivant est en train de s’effriter ?

 

Ces deux phobies entraînent en réaction un mécanisme de défense psychique qui est la négation et qui se traduit par une hallucination négative : on ne veut pas voir, on ne veut pas y penser.

 

Par ailleurs la ménopause représente un moment charnière dans la vie d’une femme mais aussi du couple :

 

-renoncement  à la maternité,

-départ des enfants,

 

-crise de la cinquantaine du mari :

 entre 50 et 60 ans les hommes ne sont pas très résistants, c’est  à cet âge que l’infarctus ou le cancer les emportent (s’ils passent le cap, ils vieillissent ensuite tranquillement)

 

                                                         ou bien dépression du milieu de la vie avec son traitement radical «  il est parti pour une jeunette pour ne pas voir vieillir sa femme » c’est un départ altruiste, une preuve d’amour…

 

Je prends conscience maintenant que je suis victime moi aussi de ce mécanisme psychique de déni dans ma pratique de pédo- psychiatre car il y a bien une maladie que les psychiatres ont en commun avec les rhumatologues :  l’anorexie mentale de l’adolescente avec son trépied clinique : 

 

-trouble des conduites alimentaires ( cycle anorexie- boulimie- vomissement)

-mais surtout aménorrhée

-et oh ! stupeur des psychiatres qui n’y faisaient pas du tout attention : ostéoporose.

 

Dans nos recherches sur le déclenchement de cette maladie, il apparaît que c’est bien une lutte contre la transformation de ce corps d’enfant en corps  féminin sexué avec toute ses rondeurs que porte une partie de la problématique de cette adolescente.

 

Alors laissez- moi associer, que dis-je, délirer doucement sur la conjonction de plusieurs facteurs :

-l’intérêt des gynécologues spécialistes de l’appareil génital  féminin, organe de la  sexualité et de la reproduction,

-la problématique de l’anorexie mentale

m’amènent à constater qu’ au début et à la fin de la vie génitale de la femme, il y a un os qui souffre et que nous sommes sans doute devant un tabou, un sanctuaire à ne pas violer : la sexualité de la femme ménopausée.

 

La levée de ce tabou va de pair avec une transformation radicale de la représentation imaginaire dans notre société de cette femme qu’on disait âgée et qu’on (je veux dire, nous, les médecins hommes bedonnants de la cinquantaine), ne reconnaissons plus :

 

                             de cette vieille femme méditerranéenne qui se tasse doucement, habillée de noir dans le deuil impossible de son mari chéri, père de ses enfants adorés, assise sur son banc devant la maison à regarder le temps passer ou bien à attendre le coup de fil de ses enfants…

 

                             nous sommes passés à l’image « scandaleuse », pour un homme toujours, de cette femme occupée, entre ses cours de stretching, bodybuilding, son jogging, son diplôme d’histoire de l’art et ses voyages d’étude, femme qui ne vieillit pas et dont la silhouette peut se confondre avec celle de sa fille de 35- 40 ans, fatiguée par les tâches ménagères, les enfants et son métier…

 

 

Donc, de mon point de vue de psychiatre, faire le diagnostic d’ostéoporose et traiter préventivement, c’est donc avant tout s’affranchir du tabou de la sexualité de la femme ménopausée.

 

En raccourci, le médecin rhumatologue se retrouve paradoxalement, dans ce cas, en position de petit garçon jouant au Docteur face à sa maman qui lui demande de poursuivre sa vie de femme soit avec son père soit même, horreur, avec un autre homme.

 

 

 

L’affiche du congrès de la SOFOC de l’an dernier représentait un os dans un sablier en train de s’effriter en sable : c’est une image terrifiante de l’inexorabilité du temps qui passe et de la vieillesse qui érode lentement et d’une manière inéluctable et sans symptôme le squelette.

 

Le pari de cette réunion est de faire prendre conscience à ce  petit garçon-Docteur qu’en retournant le sablier il risque de favoriser la levée du  tabou de la sexualité de la femme ménopausée ( sa mère) et d’abandonner l’image de cette vieille femme méditerranéenne habillée en noir, toute courbée, au profit de la femme musclée en forme, toujours par monts et par vaux .

 

Dernière image avant de conclure, celle d’un film des années 80:

 

« Trois hommes et un couffin »

 

derrière l’image attendrissante de ces trois célibataires autour du berceau du bébé, se cache une image plus scandaleuse ( pour un homme) : celle de la mère du Stewart, la grand-mère méditerranéenne de surcroît, la MAMA,  jouée par Marthe Mercadier qui est trop prise par ses occupations pour s’occuper de sa petite fille.

 

Messieurs les rhumatologues de la SOFOC , sans le savoir, vous êtes de dangereux féministes.

 

Bien entendu ce que je viens de vous raconter est une histoire, un conte horrible pour faire peur aux enfants qui veulent devenir médecins et toute ressemblance avec la réalité psychique ne serait que pure coïncidence.

(C) pour cet article : Dr Claude Dray, Psychiatre (Toulouse - France)

 



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dernière mise à jour le

18 Avril 2004

(C) pour cet article : Dr Claude Dray, Psychiatre (Toulouse - France)