Relaxation Thérapeutique, Un Cas Clinique

Hélène Lasserre

Comme souvent dans la vie, l’idée de ce mémoire commença par une rencontre. Tant il est vrai que nos patients, pendant le travail thérapeutique nous font parfois et souvent progresser au rythme de leur évolution. Leurs questionnement, recherche, doute, déception parfois, difficultés souvent, font écho à nos propres interrogations, soutiennent nos recherches, donnent sens à nos remises en question. Bref, par le désir que nous avons de les soutenir dans leur aspiration à un mieux-être, ils nous poussent à creuser, affiner, élaborer nos propres outils de travail. C’est aussi pourquoi, je tiens dès le début, à rendre hommage à ceux qui m’ont aussi aidé à progresser dans mon travail personnel. Je pense en particulier à JEAN-CLAUDE MEYER, sans qui ce travail n’aurait peut-être pas eu lieu.

Voilà pourquoi ce mémoire sera consacré à un seul cas. Car, ce n’est qu’au cas par cas, chacun enrichissant le suivant, que le travail thérapeutique prend son sens et donne des résultats. C’est en tout cas dans cette optique -là que je travaille. Les conclusions de réflexion de cette cure de relaxation pourront s’appliquer à d’autres personnes, mais en leur conservant leur qualité de sujet.

En prenant conscience de son état de sujet et en l’assumant, l’individu peut s’inclure activement et positivement dans la société des hommes. Nous verrons à travers ce cas comment l’humain peut advenir au sujet.

SOMMAIRE

INTRODUCTION

1. présentation : VERONIQUE p. 4

2. postulat p.4

Première partie : les mains et la création p. 6

A. Symbolique des mains p. 6

1. Les expressions populaires p. 6

2. Les codes sociaux p. 6

3. Les techniques de soin p. 7

4. La vie quotidienne p. 8

5. La représentation artistique p. 8

B. Implication dans l’acte créateur p.8

1. Le point de vue de l’artiste p. 9

2. Le point de vue du pédagogue p.10

3. Le point de vue du neurologue p.11

4. Le point de vue du psychanalyste p.12

C .Les créations manuelles des jeunes suivis en psychomotricité p.12

D .Conclusion de la première partie p.14

Deuxième partie : Etude de cas p.15

A. L’eczéma p.15

1. Définition générale p.15

2. La définition de la médecine traditionnelle p.15

3. La définition de la psychanalyse p.16

4. La définition de la psychosomatique p.16

B. Etude de cas selon les critères définis par le psychosomaticien p.17

1. La faiblesse du moi p.17

2. La demande d’amour ou de reconnaissance p.17

3. Les pulsions agressives p.17

4. Le problème de l’identité p.18

5. La dépression ou un état sub-dépressif p.18

6. Le problème de l’abandon, de la séparation, ou de la privation p.18

de jouissance

7. Conclusion p.18

C .La symbolique de la main coupée p.18

1. La loi coranique p.18

2. Légendes p.18

3. Oeuvres artistiques p.19

4. La bible p.19

5. La castration symbolique p.19

D. Etude comparative de l’analyse du conte « la jeune fille sans mains », p.19 et de la problématique de VERONIQUE

1. Rappel du conte p.20

2. Problématique de l’autonomie par rapport aux parents p.20

3. La culpabilisation p.21

4. Les expériences nécessaires à la libération intérieure p.21

5. Le travail de restauration de l’image inconsciente du corps p.22

E. Conclusion de la deuxième partie p.23

Troisième partie : la relaxation p.24

A. La cure de relaxation de VERONIQUE

1. Prémices p.24

2. Séance type p.24

a. Accueil p.24

b. Relaxation p.24

c. Verbalisation p.25

3. Musique : « nature » p.25

4. Musique : « révélation » p.26

5. Musique : « le chant des baleines » p.27

6. Epilogue p.28

7. Mécanismes mis en oeuvre dans la guérison de VERONIQUE p.30

B. Les apports de la relaxation p.31

1. En psychomotricité p.31

2. Dans la création manuelle p.32

3. Dans la création du sujet p.33

C. Conclusion de la troisième partie p.34

CONCLUSION p.35

Bibliographie

Annexes

INTRODUCTION

1. Présentation : VERONIQUE

Psychomotricienne de profession, je travaille dans un Institut Médico Educatif pour déficients intellectuels. C’est dans ce cadre- là que j’ai rencontré VERONIQUE.

Elle a 14 ans au début de la cure. Elle est la dernière d’une fratrie de cinq. Elle habite avec ses parents et le plus jeune des frères. Elle est confrontée à l’agressivité de son frère, à l’alcoolisme de ses parents et à leur désir ambigu de la voir grandir tout en la retenant à la maison. Elle éprouve pour sa mère un sentiment inavoué de rejet, qui est apparu dans un entretien avec la psychologue.

Elle a effectué sa scolarité pendant deux ans au jardin d’enfants, puis un an au cours préparatoire, ensuite deux ans en classe de perfectionnement, enfin dans une institution spécialisée (I.M.E). Elle y est depuis deux ans. Quand nous nous rencontrons elle débute une troisième année, dans la section d’apprentissage. Elle suit en alternance un enseignement général et technique (couture, menuiserie, peinture, métallerie, cuisine).

En début d’année scolaire, sa nouvelle institutrice me sollicite pour VERONIQUE. En effet elle présente un symptôme particulier : de l’eczéma localisé sur les mains. Ce qui la gêne dans la vie quotidienne : écriture, dessin, gestes techniques dans les ateliers ; elle est privée de natation, etc...

Suite à la proposition de relaxation de l’enseignante, je reçois VERONIQUE pour un entretien. Elle se montre très demandeuse d’un travail de ce type. Elle exprime son désarroi, elle se sent rejetée par les autres :

« Déjà, à l’école primaire, avant d’entrer à l’I.M.E,  les autres ne voulaient pas jouer avec moi, ils disaient que j’avais la peste. » Elle évalue l’apparition de l’eczéma au moment de l’admission à l’I.M.E.

Elle a très envie de parler, de sa famille, ses copines, etc...Elle a arrêté les entretiens avec la psychologue. Elle avait fait une tentative de deux mois à la fin de l’année scolaire dernière, mais ce travail l’engageait trop et elle n’était pas prête à ce type de remise en question. Elle semble avoir besoin d’un lieu où se poser, éprouver du bien-être ; un lieu qui lui permette de se prendre en main, où elle puisse décider pour elle-même.

C’est ainsi que s’est décidée la cure de relaxation avec VERONIQUE. J’arrête le récit de la cure elle-même, que je reprendrai ultérieurement. Car ce cas, par l’intermédiaire de cette jeune fille, m’a permis de réfléchir sur les mains, la création, et le rôle joué par la relaxation.

2. Postulat

Quand je parle de ma pratique, j’ai envie d’expliquer qu’il s’agit d’un travail manuel.

En effet, le psychomotricien accueille, aide, soutient ses patients, verbes, comme nous le verrons ultérieurement, propres au vocabulaire lié aux mains et à leurs fonctions.

Il prend en mains ses patients, au sens propre et figuré, et les amène à se prendre peu à peu en mains eux-mêmes.

Pour ce faire, il leur tend la main....

Alors comment aider une jeune fille en panne au niveau de ses mains ?

Quel peut être le renvoi de cette souffrance localisée justement au niveau des mains pour un thérapeute se qualifiant de travailleur manuel ?

Quelles seront les pistes de travail pour tenter de répondre à cette demande ?

Nombre d’enfants ou d’adolescents qui me sont adressés, présentent des inhibitions pour créer avec leurs mains. Mais chez VERONIQUE, il ne s’agit pas d’une utilisation fonctionnelle perturbée. C’est la main elle-même, qui est directement, en tant que partie corporelle, annihilée, niée, vécue négativement. Nous sommes dans le registre psychosomatique.

La relaxation semblait donc une des indications les plus adéquates. Nous verrons dans ce cas pourquoi elle a été utilisée et quels mécanismes ont joué pour permettre une guérison.

Par extension, on peut s’interroger sur ce que signifie « avoir des mains », « créer avec ses mains »,  « prendre sa vie en mains », déterminer le rôle de la main dans le symbolique et le réel.

Nous verrons l’implication de la main dans l’acte créateur en différents domaines : artistique, pédagogique et thérapeutique.

Avant d’en arriver au travail thérapeutique en relaxation, nous verrons dans le réel les activités de création manuelle utilisées avec mes patients : peinture, modelage, marionnette, écrits, dessin.

Egalement sera pris en compte le négatif : le sens de ne plus avoir de main.

A l’occasion du cas de VERONIQUE nous étudierons les différentes positions sur l’eczéma.

Une base de réflexion importante se fera à partir d’un conte de GRIMM analysé par DREWERMANN.

Après la présentation du cas, nous verrons comment restaurer l’image inconsciente du corps permet de passer à une meilleure prise en mains de sa vie.

En conclusion, j’essaierai de voir comment on peut arriver à se montrer créateur, sujet, et prendre sa vie en main.

Grâce au cas de VERONIQUE, je montrerai comment la cure de relaxation permet au sujet de « créer » et de « se créer » en « se prenant en mains ». Comment et par quel mécanismes.

Par rapport à un travail en psychomotricité, je déterminerai ce qu’apporte la relaxation dans la création du sujet.

Si chez VERONIQUE le symptôme se porte sur les mains physiques et ainsi nous permet de travailler concrètement à partir de là, nous verrons que c’est de la prise en mains symbolique du sujet dont il est aussi question.

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PREMIERE PARTIE

LES MAINS ET LA CREATION

A. Le symbolisme des mains

Si la main est une « partie du corps humain qui termine le bras, munie de cinq doigts dont l’un peut s’opposer aux autres, et qui sert au toucher et à la préhension », comme le dit le dictionnaire de la langue française HACHETTE 1995, elle est bien plus encore.

1. Les expressions populaires

· l’action

« prendre sa vie en main »

« mettre la main à la pâte »

« avoir un poil dans la main » dans la forme négative.

· la relation à l’autre

l’aide : « prendre quelqu’un par la main », « tendre la main » pour la forme passive. la lutte : « en venir aux mains », « porter la main sur quelqu’un ».

· l’identité ou une caractéristique de la personne « avoir la main verte », « avoir la main heureuse » « ma main à couper » qui implique l’importance de la main puisqu’on parie sur ce que l’on a de plus cher.

On constate déjà avec quelques exemples, la richesse relationnelle de la main.

2. Les codes sociaux

· le sens du sacré Dans les liturgies, les mains, organes de pouvoir et antennes de relation sont utilisées comme lien avec le divin :

gestes de conjuration de sorciers.

signes de croix chez les chrétiens. .

bénédictions dans toutes les religions.

les mains sont jointes pour la prière.

la main de FATMA, objet talismanique de la religion musulmane.

Dans le deutéronome, MOISE fait une passation de pouvoir à JOSUE, par imposition des mains :

« JOSUE, fils de NOUN, était rempli d’un esprit de sagesse, parce que MOISE avait posé les mains sur lui. »

· le sens rituel Les mains ont un code de conduite de tradition et donnent l’ambiance à la cérémonie :

les danses des mains en Inde : le code gestuel du kathakali. Constitué de vingt-quatre unités de base, il ressemble à un alphabet.

les gestes d’union des mains dans le mariage de multiples coutumes.

les empreintes des grottes préhistoriques.

Dans « le rocher de TANIOS », Amin MAALOUF décrit une cérémonie du siècle dernier dans un pays du moyen orient, qui consistait à baiser la main du cheikh en signe de soumission, cette main représentant la puissance:

« En rentrant chez eux, plus tard dans la journée, ces hommes diraient à leurs épouses : « Ce matin, j’ai vu la main du cheikh. » Non pas : « J’ai baisé la main... »Cela on le faisait, certes, et en public, mais on avait pudeur à le dire. Non plus : « J’ai vu le cheikh »-parole prétentieuse, comme s’il s’agissait d’une rencontre entre deux personnages de rang égal ! Non, « J’ai vu la main du cheikh », telle était l’expression consacrée.

Aucune autre main n’avait autant d’importance. La main de Dieu et celle du sultan ne prodiguaient que les calamités globales ; c’est la main du cheikh qui répandait les malheurs quotidiens. Et aussi parfois, des miettes de bonheur. »

· le langage

Les pictogrammes qui ont précédé l’écriture, en font partie comme dans l’alphabet de l’Egypte antique. La main correspondait grossièrement à la lettre D.

Dans les lieux publics, la main indique la direction à prendre. L’évolution de la représentation graphique de ce signe a été un personnage entier qui indique la route à suivre d’un geste de la main. Ensuite, le dessin de la main seule, qui se transformera pour finir, dans la stylisation d’un graphisme en forme de flèche.

La langue des signes des sourds.

La langue commune des tribus des indiens d’Amérique du nord.

Les messages frappés sur les tambours en Afrique par exemple.

· le calcul Longtemps, avant l’introduction des mesures décimales on a compté avec les pouces, les mains. Les doigts servent parfois à compter. ( En Grande Bretagne encore les mesures se font en « pied » et en « pouce ».)

· la communication Dans la culture occidentale on se donne une poignée de mains pour conclure un accord, on se serre la main par politesse pour se dire « bonjour » ou « au revoir ».

Dans les cultures orientales on se salue en mettant la main sur le coeur, ou sur le front.

Entre amis mettre la main sur l’épaule de l’autre est un gage de confiance, une façon de dire sa présence amicale.

Donner la main à quelqu’un est un signe de rapprochement, que ce soit de l’enfant à l’adulte tutélaire (parents, éducateur, etc...), ou d’adulte à adulte en ce qui concerne les relations sentimentales.

· l’identité Les stries minuscules au bout de nos doigts, forment des espèces de tourbillons qu’on appelle « empreintes digitales ». Personne au monde n’a la même. Depuis des millénaires on utilise cette empreinte comme signature essentielle de l’être. Les Chinois signaient ainsi des contrats, jadis ; actuellement on s’en sert pour attester de l’identité d’une personne : carte d’identité, indice lors d’enquête policière.

3. Les techniques de soins

· La chiromancie Cette science de divination, que je place dans le soin car elle a une action thérapeutique sur le consultant, consiste à lire le passé ou l’avenir dans les lignes de la main.

Elle considère les lignes de flexion, de tension (qui viennent avec l’âge), les stries papillaires.

· la radiesthésie Certaines personnes par des passes magnétiques et impositions des mains soulagent les maux d’autrui, et donnent des consultations. On les appelle guérisseurs ou magnétiseurs. En Asie on parle de « chirurgiens aux mains nues », Jeanine FONTAINE a largement traité le sujet dans quatre volumes (la médecine des trois corps, etc...).

· les manipulations Différents thérapeutes soignent directement le patient avec leurs mains, que ce soit des masseurs (avec toutes les variétés de massages : do-in, californien, kinésithérapie, méthode BOYENSEN, shiatsu, etc...), des ostéopathes, des chiropracteurs, des digitopuncteurs.

4. La vie quotidienne

La main est action. Je m’en sers pour appuyer sur les touches du clavier pour écrire ce texte. Elle permet de fabriquer des objets, d’appuyer sur des boutons : télévision, cuisinière, téléphone, ascenseur, etc...A tel point qu’on utilise ces merveilleux outils sans s’en rendre compte tout au long du jour. Seuls, les êtres qui, hélas, en sont privés, prennent conscience de façon exacerbée de ce manque et essaient d’y palier du mieux qu’ils peuvent : peintres à la bouche ou au pied, porteurs de prothèses manuelles ou frontales (licorne), utilisateurs de synthétiseur vocal (par exemple STEPHEN HAWKING, auteur d’ « une brève histoire du temps »). Les cas sont multiples et même amputée la main ne se laisse pas oublier, elle se fait rappeler, par le « membre fantôme ».

La main est communication sensorielle, découverte du monde, utilisée en pédagogie par MARIA MONTESSORI en début du siècle. Elle permet d’apprécier la température ambiante et renseigne sur les dangers ou les plaisirs inhérents.

Elle supplée au manque de la vue pour les aveugles (et parfois pour les sourds et aveugles comme dans l’histoire d’HELEN KELLER qui avait découvert le monde et communiqué par la sensibilité des mains). Elle donne la possibilité de lire avec la méthode BRAILLE, en touchant les reliefs qui sont une forme d’écriture.

La main est relation à l’autre, antenne de notre être intime. Elle sert à caresser, corriger (gifles, fessées), à secourir, à consoler, à créer : musique, peinture, etc...Les applications sont innombrables.

5. La représentation artistique

La main exprime nos sentiments et nos émotions.

La peinture, foisonne de sujets, je retiendrai la fresque de la chapelle Sixtine, où MICHAEL ANGE nous offre deux mains qui se tendent l’une vers l’autre de façon si expressive.

Les mains sculptées par RODIN prennent une force et une beauté presque intrinsèques.

Enfin le poème d’ARTHUR RIMBAULT « les mains de Jeanne- Marie » montre combien à partir des mains on peut laisser passer quelque chose de très profond : les mains expriment la personnalité de celui ou celle qui les a façonnées.

En conclusion, la main, symbole de relation à l’autre, peut être celle de la consolation, du partage, comme du pouvoir, voire de la crainte.

« La même main de l’homme s’emploie pour bénir et pour maudire, pour guérir et pour frapper, pour réconcilier ou pour semer la discorde. » [1]

B. Implication de la main dans l’acte créateur

Maintenant le cadre du travail posé, voyons les implications de la main dans l’acte créateur. Pour cela, rendons visite à des professionnels. Cela parait si évident de créer avec ses mains ! A ce point que l’on peint, on dessine, sans réfléchir comment. Cela va de soi. On n’évalue pas les rapports entre la main et le désir de créer. Bien sûr, quand la réalisation ne correspond pas à la conception, on se rend compte que ce n’est pas si simple.

1. Le point de vue de l’artiste

Celui-ci travaille la terre. DANIEL DE MONTMOLIN, potier, évoque le problème du choix des oeuvres à conserver et imagine le dialogue entre cerveau, main et oeil [2]:

« Mais sitôt que tu imprimais à tes mains tel mouvement, glissement ou déplacement plus ou moins complexe, tu entrais dans l’univers de toutes les formes possibles.

Le choix n’est plus alors aussi évident. Comment choisir ou plutôt qui va choisir, ton cerveau, tes mains ou tes yeux ?...Et tu imagines la dispute suivante :

-Le cerveau : -Le choix m’incombe. C’est ma volonté qui a décidé ce travail !

-Les mains : -Nullement, c’est nous qui les premières nous sommes accordées ce plaisir ! De toute façon, si ne nous étions pas mises à la pâte, tu n’aurais rien à choisir. C’est donc à nous de décider.

-Les yeux : -Pas si vite, non-voyant que vous êtes ! On ne juge que par la vue. Le choix nous revient !

Cette dispute relève évidemment du non sens. Le choix ne peut découler que d’un accord de toutes les facultés conjuguées. C’est pourquoi cet accord est bien souvent muet et tout commentaire superflu, voire déplacé. La mélodie se fait soudain entendre comme venant d’ailleurs, et tu vas parfois jusqu’à te demander si c’est toi qui en est véritablement l’auteur. »

Afin de cerner davantage le rôle de la main dans le façonnage de l’argile, DANIEL DE MONTMOLIN propose à l’apprenti potier de se laisser bander les yeux. L’attitude qu’il propose pour préparer les mains à créer, ressemble à un état de relaxation.

« C’est maintenant une attention intérieure qui mène l’opération. Tes mains ne sont plus censurées par tes yeux. Elles se font tout à la fois masculines, réglant l’égalité du geste et la fermeté de son rythme, et féminines dans la calme douceur de la préhension. De cette descente en aveugle au centre de la terre, à la cadence d’un pas de promenade à la respiration paisible et des battements du coeur, de cela naît la coupe circulaire, au galbe régulièrement incurvé. Forme ronde, forme pleine, comme on dit, comme si, avant de recevoir son contenu, elle était déjà remplie de sa propre genèse...(.........)

Ce nouveau mode de travail est bien fait pour mettre en évidence la règle qui préside à toute forme de façonnage manuel. Tout un chacun admettra sans peine que la forme naît du geste. Mais il est plus difficile d’accepter que, puisqu’il en est ainsi, ce qui est à travailler c’est le geste et non la forme. Pour parvenir à cela, le bandeau sur les yeux est d’un grand secours. Mais essentielle est aussi la manière dont se pose le corps, que se soit sur la plante des pieds, sur le siège ou dans la position agenouillée. La plus grande sensibilité des mains, de la pulpe des paumes et de chaque phalange ne peut naître que d’une juste assise, de l’ancrage de l’être dans sa base, son centre de gravité, d’un repos de tout le poids du corps dans la coupe du bassin, effaçant toute crispation dans les épaules. »

On retrouve là les étapes classiques de la relaxation type SCHULTZ :

La « descente en aveugle » correspond à la fermeture des yeux en début de séance, pour désafférenter les sensations visuelles et éviter les parasitages de la vision externe, afin de mieux s’intérioriser. Ce préalable se retrouve dans presque toutes les méthodes. DANIEL DE MONTMOLIN insiste plus loin : « le bandeau sur les yeux est d’un grand secours ».

Ensuite, « la manière dont se pose le corps » évoque la phase de la lourdeur dans la quelle le sujet prend conscience de son tonus musculaire et du poids du corps sur le sol. Ce qui est aussi repris sous le terme d’ « ancrage », et encore plus explicite de « repos de tout le poids ».

L’   «  ancrage » , l’ « assise », le « centre de gravité », sont aussi utilisés dans des méthodes de relaxation orientales, comme le yoga ou le zen.

La « respiration paisible » et les « battements du coeur » se retrouvent presque mot à mot dans le SCHULTZ, tandis que le « pas de promenade » peut évoquer les images références que l’on trouve dans la sophrologie ou dans la méthode de BERGES pour enfant par exemple.

Quant à l’ « effacement de la crispation des épaules », il touche directement la sphère qui nous intéresse dans l’acte créateur, les mains et leur prolongement. Il sera intéressant de voir l’implication de ces tensions dans la cure de VERONIQUE.

Mais déjà nous voyons que pour libérer la main, lui permettre de créer, cet état de détente, de relaxation, est un préalable incontournable.

Quand on a admiré les belles oeuvres réalisées par DANIEL DE MONTMOLIN, on ne peut que penser qu’il est réellement dans le vrai.

2. Le point de vue du pédagogue

Dans un autre domaine, le philosophe et pédagogue Omraam Mikaêl AIVANHOV va plus loin, et parle de méditation :[3]

« La méditation, c’est d’abord le choix par l’intellect d’un sujet élevé sur lequel vous vous concentrez .Après un moment vous pouvez abandonner cette concentration, pour contempler seulement la beauté que vous êtes parvenu à atteindre, vous laisser imprégner par elle.(...)La méditation, c’est d’abord le choix par l’intellect d’un sujet élevé sur lequel vous vous concentrez. (...) La première étape est donc la concentration et la méditation ; puis vient la contemplation. »

Il explique comment ces méthodes sont un préalable avant toute création de qualité. Et il extrapole aux artistes. Il donne des exemples :

« C est d’après ces méthodes que travaillaient les grands génies du passé : les peintres, les sculpteurs, les musiciens, les poètes, et c’est pourquoi ils ont donné des chefs-d’oeuvre à l’humanité. »

Il considère l’acte créateur comme un acte spirituel et les artistes dignes de ce nom pour lui sont des gens inspirés.

Il préconise le silence comme moyen de méditer. Il nous rend attentif au rôle des mains. Ce passage semble convenir tout à fait à alimenter notre recherche en ce qui concerne relaxation et mains : [4]

«  Maintenant, veillez aussi à ce que les efforts que vous faîtes pour réaliser le silence et l’immobilité n’entraînent pas une tension. Oui, trop souvent le silence s’accompagne de tensions, car pour ne pas faire de bruit on se crispe. Non, il faut se détendre afin de libérer la pensée, ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra faire son travail. Pour cela, surveillez particulièrement vos mains car, alors que vous pensez être détendu, vos mains sont souvent encore crispées. Les mains expriment plus que toute autre partie du corps notre état intérieur. Regardez comme les gens agitent leurs mains quand ils parlent....Et même quand ils ne parlent pas, ils les croisent, les décroisent, manipulent des objets sans aucune nécessité, se grattent, griffonnent, pianotent. Immobiliser et détendre les mains est une des choses les plus difficiles. C’ est pourquoi observez bien vos mains : si vous arrivez à les détendre elles aussi, vous sentirez un bien-être se communiquer jusqu’à votre plexus solaire. »

Cette dernière phrase, la remarque sur le plexus solaire, évoque les dernières étapes du SCHULTZ consacrées au coeur et à la respiration. Nous verrons que dans l’analyse du cas de VERONIQUE, nous reprendrons cette démarche concernant les mains et leurs prolongements.

AIVANHOV, nous donne même des exercices pour se détendre à partir des

mains.[5]Ici la relaxation n’aura pas pour but de détendre la main, elle sera obtenue à partir de la main :

« Il faut éduquer ses mains et savoir s’en servir pour se calmer. Il existe pour cela de nombreux exercices que l’on peut faire, je vous en donnerai quelques uns.

Par exemple, avec la paume de la main droite, vous caressez très délicatement, en l’effleurant à peine, le dos de la main gauche. Ou bien encore, avec l’extrémité des deux premiers doigts de la main droite, vous caressez successivement tous les doigts de la main gauche, en commençant par le pouce.

En voici un autre. Ouvrez votre main droite, fixez votre attention, en son centre, puis doucement, lentement, consciemment, refermez les doigts en concentrant tous vos efforts sur ce mouvement-là jusqu’à ce que vous ayez fermé le poing.....Arrêtez-vous un moment en concentrant toute force dans le poing, puis lentement desserrez les doigts, et ouvrez-les. Faites cet exercice avec beaucoup d’attention et de douceur. »

Après cet intéressant cours sur l’importance de la détente des mains, voyons quel sera, après le point de vue de l’artiste et du pédagogue, celui du soignant. Souvent, en effet, la pathologie nous apprend beaucoup sur le comportement ordinaire.

3. Le point de vue du neurologue

Le neurologue Oliver STACKS nous relate un cas remarquable, qui nous éclaire sur le rôle des mains dans l’acte créateur. A cet égard l’histoire de MADELEINE nous intéresse fort. Oliver STACKS la décrit comme[6]

« une femme de soixante ans, aveugle de naissance, atteinte de paralysie cérébrale. Elle souffrait de spasticité et d’athétose, ce qui entraînait chez elle des mouvements involontaires des deux mains. »

Malgré ce handicap, il s’agit d’une femme intelligente et instruite, car on lui avait fait la lecture. Elle ne lisait pas le BRAILLE et expliquait à Oliver STACKS que ses mains sont hors d’usage : 

« Des morceaux de pâte à tarte, voilà ! Je n’ai même pas l’impression qu’elles m’appartiennent. »

Le neurologue se montre très impressionné. Il fait la remarque suivante :

« Pendant soixante ans, elle s’était comportée comme un être privé de mains. »

VERONIQUE aussi, à sa façon, se présente en début de cure comme « un être privé de mains » dans un certains sens, l’eczéma jouant le rôle d’annihilateur.

Pour en revenir à MADELEINE, son neurologue, Oliver STACKS, pose comme postulat, qu’elle n’a jamais été sollicitée au niveau des mains, toujours prise en charge par autrui, du fait de son infirmité. Il tente de la faire réagir par ruse, en lui mettant un peu loin d’elle son repas, afin de la faire réagir. Le stratagème réussit. Elle attrape le gâteau et le met en bouche. Oliver STACKS note que sa première perception manuelle marque sa naissance comme « sujet perceptif », selon un terme repris à SCHERRINGTON. De même, son premier acte manuel marque sa naissance comme « sujet moteur ». Nous retiendrons que son acte de prise en main marque sa naissance comme sujet actif au monde et non plus passif- réceptif. Ce constat est important pour notre recherche et va dans le sens du rôle primordial de la main dans l’acte créateur. En effet la suite de l’évolution de MADELEINE, nous éclaire abondamment :

«  Dès lors les progrès furent extrêmement rapides.(....)Les objets les plus banals l’enchantaient et stimulaient en elle le désir de les reproduire. Elle demanda de l’argile et commença à modeler. »

Jamais, sans le « réveil » de ses mains, MADELEINE ne se serait révélée artiste, et qui plus est, artiste de renom :

« Elle commença à modeler des têtes et des visages, et ne tarda pas à se rendre célèbre dans la région comme la sculptrice aveugle de saint Benedict. »

C’est une histoire merveilleuse que nous raconte Oliver STACKS. On y voit un être prendre naissance, grâce ses mains, comme personne et comme artiste.

4. Le point de vue du psychanalyste

La psychanalyse, nous offre un autre champ d’investigation que la neurologie.

Anny CORDIE, [7] étudie le cas de SYLVIE, une enfant psychotique qu’elle rencontre à l’âge de trois ans. Elle décrit en début de cure un tableau assez lourd d’une enfant qui ne marche pas, qui hurle, qui refuse de déféquer, de manger sauf si on la force, etc...Quant aux mains, voila ce qu’en dit Anny CORDIE :

« SYLVIE  paraît toujours sur la défensive, comme si toute approche à l’autre était violence pénétrante, destructrice. Elle demeure figée, n’utilisant ses mains que pour un mouvement stéréotypé consistant à tapoter du bout du médius de sa main droite un morceau de matière plastique qu’elle tient entre le pouce et l’index de la même main. Elle étendra par la suite le tapotement aux personnes et à différents objets qui l’intéressent, en signe d’exploration, de reconnaissance peut-être. »

Heureusement, comme dans le cas précédent, l’évolution se fait positivement. SYLVIE retrouve l’usage de son corps, sa voix, son autonomie, son être. Anny CORDIE note comment l’évolution de SYLVIE passe par sa prise en mains des objets, de sa vie :

« SYLVIE renonça progressivement à ses stéréotypies quand, après un long travail analytique, elle put se servir de ses mains pour modeler, découper, dessiner. »

Il est donc intéressant de noter que la guérison est concomitante avec la création à partir de ses mains : modeler, découper, dessiner...

C. Les créations manuelles des jeunes suivis en psychomotricité

L’ I.M E reçoit des enfants présentant un déficit intellectuel avec ou sans troubles associés. Ils ont de 6 à 18 ans.

En psychomotricité, je travaille avec ceux qui présentent un retard, une instabilité, une inhibition, dus à des facteurs endogènes ou exogènes. La population que je considérerai pour cette étude présente ou non des problèmes moteurs. Ces jeunes peuvent être lecteurs ou non.

Ils ont une difficulté à entrer dans l’imaginaire, ils sont en panne au niveau symbolique.

Ils viennent une fois par semaine, pour une séance où je les reçois seuls, pendant 45 minutes. Le cadre horaire et spatial fait partie de l’assistance à ces jeunes, qui ainsi prennent conscience des repères et inscrivent le rendez-vous dans leur histoire. Le respect, l’oubli, le refus du rendez-vous permettra de leur signifier leur intérêt pour la séance.

Petits ou grands, utilisent, au cours de la séance, leurs mains de façon à laisser une trace. Trace de leur passage (pas sage ? parfois, oui, c’est un lieu permissif où ils osent des choses impossibles en groupe, l’intimité le leur permet, tout en restant dans un cadre de non mise en danger de soi ou d’autrui), de leur être, de leur plaisir à faire, à dire, trace qui deviendra inscription, prise de position, et peu à peu donnera sens à leur vie, les amènera à découvrir le symbolique puis l’écrit. Ici je sers de gardien de ces bribes, mémoire vivante qu’ils peuvent consulter à loisir et ainsi renouer le fil de leur histoire.

Pour arriver à ces traces, nous utilisons des techniques d’expression, et jouons avec et sur l’imaginaire. Les jeux de rôles, les histoires spontanées, sont encouragés afin d’alimenter nos créations. Les jeunes aiment le théâtre, la musique, la danse, mais je me cantonnerai aux créations qui mettent en jeu les mains. Dans ces activités-là, presque toujours, je me heurte dans un premier temps à un « je n’y arriverai pas» qui m’a toujours aussi posé des questions. Mis en situation devant une matière à créer avec ses mains, à qui donner forme, l’enfant turbulent, joueur, espiègle, plein de vie et de malice, ou même le calme, pondéré et attentif, bref, quelque soit son profil, l’enfant a ce mouvement de recul et de peur devant un acte qui l’engage à .Comme si le fait de « prendre en mains » la situation, pour une fois ( ?), le mettait mal à l’aise.

Ensuite, on s’aperçoit que d’une part il y prend un plaisir vif, et d’autre part il est très malhabile, comme quelqu’un jusque là empêché, à la fois de faire avec ses mains et de se prendre en mains.

Ils affectionnent particulièrement le modelage avec de l’argile, de la pâte à modeler, de la pâte à sel. Le contact direct avec la matière, ce côté sauvage, cru, leur donne une impression de liberté même si ça les effraie parfois au début, et les détend. Le pétrissage en lui -même, leur donne beaucoup de plaisir à malaxer, et les métamorphoses imprimées par leurs mains à la pâte les réjouissent. L’alchimie du séchage, et de la transformation due à l’évaporation de l’humidité, les ravissent, quand ils tiennent dans leur doigts l’objet avec sa forme définitive, in transformable désormais, qui a gagné en légèreté, en douceur et en fragilité. Ils ont élaboré dans leur imagination et dans leur corps des formes et ils ont appris la patience d’ attendre que celles-ci se stabilisent au séchage, avec le temps.

Plus « civilisées » sont les approches des techniques qui requièrent un outil scripteur. Dans le modelage l’outil peut être utilisé pour relayer la main. Ici l’outil prolonge la main et est incontournable.

Parfois la craie déconditionne un enfant qui associe le crayon au stylo, connoté trop scolairement. La tenue de la craie, son contact, permettent de reprendre plus tard le crayon avec une autre dimension et libère l’imaginaire de l’enfant.

Après la craie, le crayon à papier pour le dessin, le feutre fait la transition entre le crayon de couleur ( peu en vogue de manière générale) et le pinceau pour la peinture, essentiellement la gouache.

Ces techniques bien sûr rappellent l’écriture, on pense aux pinceaux des mandarins chinois, et peuvent s’enrichir de l’encre de Chine, qui met en jeu la plume, ou même de la gravure, qui utilise une gouge au début puis se rapproche de l’empreinte à la fin.

Enfin, bien que relevant aussi d’une technique théâtrale, les marionnettes ont leur place dans cette rubrique. Elles sont déjà là, animaux en peluche, que les enfants animent en leur prêtant des sentiments humains. Si les marionnettes à gaine du commerce ne conviennent pas, il nous reste la solution d’en fabriquer ! Alors les possibilités sont très variées, tant au niveau de la réalisation matérielle que de la création du personnage. On peut assister à la naissance de marottes, de marionnettes à doigts, à gaines, en pot de yaourt. Leur construction permet un travail manuel et d’imagination.

Ces utilisations sont décrites de la façon la plus académiques, mais dans leur utilisation concrète elles sont soumises aux modifications, aux mélanges, aux inventions, inhérents à l’élan du « jeu » et du « je » de chacun. Le thérapeute offre des possibilités, fait des propositions, l’enfant les transforme en les faisant siennes, se les approprie.

Peu à peu, par le biais de ses activités manuelles verbalisées dans un échange thérapeutique, il se prend en mains, se (re) crée par cette récréation, ou se crée par ses créations.

C. conclusion de la première partie

Cet aperçu, non exhaustif, donne une idée de la place de la main au niveau réel et symbolique.

Pour créer, nous voyons d’une part l’importance accordée par les artistes et pédagogues à la concentration. L’attention du sujet semble glisser au bout des doigts pour donner forme à la beauté ou tout du moins y tendre.

Quant à la thérapie, on voit dans les divers exemples que le sujet traduit son mal-être, ses peurs, ou son mieux-être, sa guérison dans la façon d’utiliser ses mains avec appréhension, peur, refus ou au contraire plaisir, sûreté et joie.

Quand le sujet va mieux, quand il commence à se « prendre en mains », cela transparaît dans et par ses créations manuelles.

Voyons dans le cas de VERONIQUE comment elle gère le fait de ne pas pouvoir utiliser ses mains à loisir. Quels sont les freins, les empêchements réels ou imaginaires qui la transforment en une sorte de « jeune fille sans mains ».

Nous allons voir dans le cas de VERONIQUE, comment « se prendre en mains » et « créer » furent concomitants et liés au travail de relaxation.

DEUXIEME PARTIE

ETUDE DE CAS

A. L’eczéma

Si VERONIQUE était gênée dans sa prise en main des objets au sens premier, c’est à cause de cette maladie appelée eczéma. Considérons d’abord au niveau médical, puis psychosomatique ce qu’est l’eczéma avant de considérer au niveau symbolique la localisation de cet eczéma.

1. Définition générale

« Eczéma : affection cutanée caractérisée par des lésions érythémateuses, prurigineuses et vésiculeuses évoluant par poussées. » Nous dit le dictionnaire de la langue française HACHETTE 1995

FRANCOIS DAGONET décrit ainsi cette affection :[8]

« Il s’agit d’un eczéma (de eczéo en grec, bouillir) : la peau brûle, devient suintante ; elle se lichénifie même (par analogie avec le lichen, elle tourne au grisâtre, après l’orage, en même temps qu’elle se creuse de sillons et de menues excavations résiduelles. »

2. La définition de la médecine traditionnelle

Mais d’où vient cet eczéma ? Quelle en est l’origine ?

CLAUDE BENAZERAF nous donne plus de précisions, dans son lexique médical en fin d’ouvrage [9]:

« Eczéma : affection caractérisée par des lésions rouges, suintantes au début, sèches ensuite, toujours prurigineuses et de siège variable. On en distingue deux grandes variétés : l’eczéma allergique et l’eczéma atopique.

L’eczéma allergique est un eczéma dit de contact secondaire au contact direct avec un métal, un alliage, un colorant, un rouge à lèvres, un parfum, etc. La recherche de l’allergène responsable peut nécessiter un bilan allergologique et le traitement repose sur son éviction ou une sur une éventuelle sensibilisation.

L’eczéma atopique ou constitutionnel prédomine au niveau des plis ; il apparaît vers l’âge de trois mois sans contact préalable avec un allergène et peut s’associer ou précéder des crises d’asthme. Il survient habituellement chez des enfants blonds, au teint clair, aux yeux bleus et à la peau très sèche, souvent très éveillés et attirés par la musique. Il guérit souvent vers l’âge de six ans mais il en existe aussi des formes plus traînantes et des formes d’apparition tardive.»

La médecine traditionnelle considère donc cette affection comme une maladie de peau. Mais qu’est que la peau ? Que veut dire avoir une maladie de peau ? On pense à cette expression très parlante « être mal dans sa peau », qui implique un mal être qui vient de l’intérieur, pas seulement d’un allergène ou d’un facteur extérieur au sujet.

La peau, ainsi que la respiration, est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du corps. Ce rôle unique de barrière permet des échanges de dedans à dehors et vice-versa, au niveau organique. Dans certains cas, ces zones privilégiées, peuvent être le support d’un conflit émotionnel ou (et) psychologique.

Dans son très beau livre « la peau et le toucher », ASHLEY MONTAGU montre l’importance du contact cutané de qualité pour la constitution d’un individu équilibré. Il explique en contre partie, comment celui qui n’a pas reçu ou mal, de stimulations au niveau de la peau se montrera maladroit et agressif.

Michel SERRES, parle de la peau et des « malaises de l’identité qui l’affectent » [10] .

3. La définition de la psychanalyste

La psychanalyse, porte beaucoup d’intérêt à la peau. D.ANZIEU, a fondé le concept du moi-peau et a déterminé neuf fonctions du moi-peau. Il se base sur un principe freudien : toute fonction psychique se développe par appui sur une fonction corporelle dont elle transpose le fonctionnement sur le plan mental.

Il décrit la fonction de maintenance du psychisme, de contenance, de pare-exitation, d’individuation du soi, d’inter-sensorialité, de soutien de l’excitation sexuelle, de recharge libidinale du fonctionnement psychique, une fonction négative d’autodestruction. Celle qui nous intéresse est la fonction d’inscription des traces. ANZIEU, à ce propos, dit que [11]:

« une première forme d’angoisse relative à cette fonction est d’être marqué à la surface du corps et du Moi par des inscriptions infamantes et indélébiles provenant du Surmoi. »

Il cite l’eczéma parmi ces traces-là.

Au niveau de la psychosomatique, ANZIEU présente l’alternance asthme-eczéma, comme une différence de la configuration du Moi-peau en jeu. L’asthme est une tentative pour sentir par le dedans l’enveloppe constitutive du Moi corporel. L’eczéma est une tentative pour sentir du dehors cette superficie corporelle du Soi, avec un mélange de douleur, de honte et d’excitation érogène diffuse.

4. La définition de la psychosomatique

Après cette réflexion générale sur l’eczéma, nous allons prendre le point de vue du psychosomaticien, et voir, à l’examen de l’anamnèse de VERONIQUE, les correspondances entre le profil décrit par CLAUDE BENAZERAF et le cas de cette jeune fille.

Le docteur BENAZERF, psychosomaticien, parle du « malade psychosomatique » en ces termes :[12]

« Ce malade n’est pas un névrosé classique et ne parait pas souffrir de troubles psychologiques importants. Il a une structure particulière de pensée, très rattachée au réel immédiat, et soudée au concret, qui laisse peu de place à l’imaginaire et aux fantasmes tout au moins dans un premier temps.(...)

Un certain nombre de caractéristiques de la structure psychosomatique se retrouvent lors d’une étude attentive de ces malades

1° En premier lieu, on peut individualiser la faiblesse du moi qui s’associe souvent à un état sub-dépressif larvé, présent en demi-teinte. Il s’agit de sujets qui n’ont pas confiance en eux. Ils sont peu combatifs et ont toujours besoin d’être stimulés. Leur vie est relativement calme, tranquille et solitaire bien qu’ils cherchent les manifestations de valorisation par les autres. Mais leur quête de compliments et d’approbation reste passive et muette. ».

2° La demande d’amour ou de reconnaissance, non exprimée au premier degré, se retrouve tout particulièrement dans les dermatoses prurigineuses .(...)Elle s’adresse souvent, au bout du compte, à une mère autrefois défaillante pour des raisons diverses ou à un père symboliquement absent.

3° Les pulsions agressives, profondément enfouies et source de sentiments de culpabilité, rendent la dermatose résistante aux traitements et sont une constante cachée.(...)

4° Dans les dermatoses visibles, le problème de l’identité de l’être sexué et de l’être social se pose bien souvent. (...).

5° La dépression ou un état sub-dépressif existent fréquemment.(...) 6° Enfin, et c’est un signe fondamental, la problématique de l’abandon, de la séparation, ou de la privation de jouissance, est toujours retrouvée.(...)

B. Etude de cas selon les critères définis par le psychosomaticien

A la lecture du dossier, et à l’examen de la jeune fille lors des entretiens, voyons les similitudes entre les caractéristiques présentées par VERONIQUE et celles décrites ci-dessus par le docteur BENAZERAF.

1. La faiblesse du moi

Dans le dossier médical on retrouve un retard de développement, avec marche seule à 19 mois par exemple. On note aussi un maintien supplémentaire de un an en maternelle pour immaturité et retard de langage.

Dans les rapports scolaires effectués depuis qu’elle est entrée à l’IME, les enseignants et éducateurs scolaires ou d’atelier parlent d’une enfant timide, réservée, démunie face aux camarades, qui semble manquer de conviction et d ’assurance. Elle mange peu, de manière sélective et manque d’appétit.

Lors de nos entretiens elle s’excuse beaucoup, surtout au début, cette tendance allant en diminuant, au fur et à mesure qu’elle prendra de l’assurance. Elle se montre souriante, essaie de faire plaisir à l’adulte, donne parfois l’impression de demander pardon d’exister.

2. La demande d’amour ou de reconnaissance

La mère est décrite comme alcoolique notoire. On peut imaginer qu’elle même se trouve de ce fait en état de fragilité et de manque affectif, et donc peu apte à satisfaire les besoins de VERONIQUE. A cela s’ajoute des problèmes de limites intellectuelles et d’intégration sociale. Dans ce sens-là, la mère a pu se montrer ou être vécue comme défaillante.

Lors d’une réunion de synthèse, VERONIQUE avait demandé à être interne car elle se plaignait de coups de la part de son frère et de remontrances de la part de son père.

Elle demandait un lieu de reconnaissance et d’amour pour elle.

En situation avec l’adulte elle demande toujours si « c’est bien » ? Ce qui sous-entend : «  est-ce que je suis bien ? » Elle guette les marques de valorisation et de reconnaissance et son visage s’illumine quand elle se sent acceptée, dans le juste, aimée.

3. Les pulsions agressives

VERONIQUE est l’objet de chantage de la part de ses parents qui menacent de la placer si elle n’obéit pas et l’empêchent de sortir.

En entrant à l’IME, elle se décrivait comme rejetée par les autres, « pestiférée ».

La relation mère-fille est notée ambivalente par la psychologue. On peut se demander si le complexe oedipien a été résolu ou s’il ne resurgit pas.

Ce contexte est propice à ressentir des pulsions agressives refoulées.

Elles ressortiront au bout de plusieurs séances de relaxation dans une peinture, sous la forme d’animaux dangereux.

Il n’y a pas de trace dans le dossier, mais on peut se poser la question de la masturbation : y a-t-il eu masturbation ? A-t-elle été réprimée ou non par l’adulte ? Comment a-t-elle été vécue par la jeune fille ? A-t-elle pu être source de culpabilisation ?

4. Le problème de l’identité

Le modèle maternel tel qu’il a pu être décrit dans les dossiers (on emploie les termes « handicapée sociale», « alcoolique », etc...) et parlé par VERONIQUE lors d’entretiens avec la psychologue, semble difficile à intégrer...De même VERONIQUE est prise dans des chantages familiaux qui la mettent en recherche de son identité : qui est-elle ? à qui doit-elle plaire ? etc...

5. La dépression ou un état sub-dépressif

VERONIQUE a du mal à parler d’elle en public, elle a tendance à se dévaloriser.

Elle n’a pas de copine. Elle se sent rejetée, les autres l’ont même traitée de « pestiférée ».Dans différents rapports (scolaires, éducatifs) on note son manque d’assurance, d’esprit de décision, sa timidité.

6. La problématique de l’abandon, de la séparation, ou de la privation de jouissance

Lors de la naissance, VERONIQUE a présenté une détresse respiratoire, qui a nécessité une hospitalisation en néonatalogie. La mère et l’enfant ont été séparées.

Cette souffrance archaïque a pu être à l’origine de ce malaise latent chez VERONIQUE et court-circuiter dès le départ des relations mère-fille.

Au niveau de l’alternance asthme-eczéma décrite par ANZIEU, on retrouve dans l’histoire de VERONIQUE bébé un problème respiratoire, qui a pu se déplacer plus tard sur le versant dermatologique.

7 Conclusion

L’étude de cas de VERONIQUE colle bien aux caractéristiques décrites par BENAREZAF. De plus, elle est blonde aux yeux clairs et à la peau sèche, comme il le note dans son lexique médical.

Quant à la localisation de l’eczéma sur les mains, l’étude de la symbolique des mains a montré qu’elles représentaient à la fois l’action, le pouvoir et la relation à l’autre, au monde.

Que peut signifier pour VERONIQUE de ne pas avoir de main ?

C. La symbolique de la main coupée

1. La loi coranique

Dans la loi musulmane, on coupe la main du voleur.

Le Coran dit à cet effet :

« Au voleur et à la voleuse, tranchez les mains en « récompense » de ce qu’ils se seront acquis et en châtiment d’Allah. Allah est puissant et sage. »[13]

2. Légendes

Dans certaines légendes on retrouve l’idée de punition assimilée à la section de la main.

Dans la légende alsacienne de saint Gangolphe la main coupée est la punition de l’adultère.[14]

« Ils s’étaient assis près de cette source, et le mari, les yeux fixés sur cette eau et pensant toujours à l’infidélité de sa femme, dit :

«- Madame, oseriez-vous ramasser ce petit caillou rouge qui brille là au fond de l’eau ? J’ai idée qu’à cette occasion notre seigneur Dieu nous manifestera la preuve de votre faute ou de votre innocence.

« -Et pourquoi ne l’oserais-je point ? » fit la dame irritée.

Et incontinent elle retroussa sa manche jusqu’à l’épaule ; et,, la rejetant derrière elle, plongea le bras[15] dans la fontaine et saisit la petite pierre .Mais quand elle retira son bras, sa main s’était détachée et resta au fond de l’eau. Cette mutilation miraculeuse apporta bien la preuve de son adultère. »

Ici aussi, la main coupée est associée directement à un jugement divin entraînant une punition.

3. Oeuvres artistiques

Dans certaines oeuvres littéraires ou cinématographiques.

Je pense par exemple au superbe film : la leçon de piano. Dans cette histoire, le mari  coupe les doigts de sa femme adultère, pour l’empêcher de jouer du piano et la punir au plus profond d’elle-même. Plus tard, son amant lui fabriquera des prothèses en argent ce qui lui permettront de rejouer du piano.

4. La bible[16]

Là aussi avec une connotation religieuse, on trouve dans l’évangile de saint MATTHIEU :

« Si c’est à cause de ta main droite que tu tombes dans le péché , coupe-là et jette-la loin de toi : il vaut mieux pour toi perdre un de tes membres que d’aller en enfer avec ton corps tout entier. »

Le titre du passage est : « enseignement au sujet de l’adultère ». Ici aussi, donc, la castration de la main est considérée comme une sorte de purification.

5. La castration symbolique

Françoise MOLTO parle des moyens de coercition de l’adulte face à la masturbation de l’enfant[17]. En voici quelques uns concernant l’interdiction d’utiliser ses mains :

· attacher les mains de l’enfant couché.

· menacer de faire couper la main par le docteur.

· menaces de maladies mutilantes : la main coupable se desséchera.

En conclusion, la symbolique de la main coupée, implique une mutilation qui empêche d’agir, mais avec une connotation de punition d’une faute dégradante pour la personne.

D. Etude comparative de l’analyse du conte « la jeune fille sans mains » et de la problématique de VERONIQUE

Avant de relater le déroulement de la cure de VERONIQUE, son évolution, les progrès qu’elle fit et comment, arrêtons nous un moment. Laissons nous éclairer par la lecture d’un texte qui s’appelle « la jeune fille sans main ». Ce texte, au titre évocateur, colle bien au problème de VERONIQUE en début de cure : une jeune fille sans mains physiques, l’eczéma couvre tout et gêne la réalisation manuelle, sans prise en mains de sa vie, son sentiment de

culpabilité l’empêche de se réaliser.

Il s’agit de deux textes, qui ont permis une réflexion sur la problématique de VERONIQUE et ouvert des pistes de travail. Le premier, « la jeune fille sans main », est un conte de Jakob et Wilhelm GRIMM. Le deuxième, est une étude psychanalytique du conte, par Eugen DREWERMANN.[18]

1. Rappel du conte

Un meunier étant tombé dans la misère, fait un pacte avec le diable. Celui-ci, lui promet la richesse, à condition que le meunier lui donne ce qu’il y a derrière son jardin. L’homme croit qu’il s’agit de son pommier et dit oui. En fait, la fille du meunier était au jardin et c’est elle que voulait le diable. Quand il vient la chercher, celle-ci se défend par trois fois, en se lavant, en faisant un cercle magique autour d’elle, en se purifiant de ses larmes. Le démon dit à son père : « coupe lui les mains, sinon je n’ai aucune prise sur elle. » Le père fait ce qui lui est demandé. Cependant, malgré cela, le démon est vaincu par la pureté de la jeune fille et la laisse. Alors, elle décide de partir, en expliquant : « je ne peux pas rester ici ». Les mains attachées dans le dos elle marche le jour, et arrive la nuit, épuisée, affamée, devant un jardin. Celui-ci est entouré d’eau. Un ange l’aide à franchir le fossé. A la lueur de la lune, elle se rassasie d’un fruit qu’elle mange avec la bouche.

Alerté par le jardinier, le roi découvre la mangeuse de fruit, la trouve à son goût, et l’épouse. Il lui fait fabriquer des mains d’argent. Tout va bien jusqu’ au moment où il part à la guerre. Il confie sa femme à sa mère.

Le diable essaie de se venger en modifiant les lettres que les époux s’envoient. La reine annonce la naissance d’un beau garçon. Le diable déchire la lettre et transforme l’heureux événement en naissance d’un monstre. Le roi, triste, écrit à sa mère de bien s’occuper de l’enfant. Le diable remplace cette lettre en ordonnant à la reine-mère de tuer la jeune reine et son enfant.

La jeune femme se sauve avec son fils. Elle se réfugie dans une cabane. Là elle trouve la paix et ses mains repoussent « par la grâce de Dieu. »

Le roi revenu de guerre découvre la supercherie. Il part à la recherche de sa femme et son enfant. Il les retrouve au bout d’une longue quête, dans la cabane. Ils vivent heureux tous les trois.

Voyons l’analyse du conte par DREUWERMANN et les recoupements que l’on peut faire avec le cas de VERONIQUE en particulier ; celui du symbolisme des mains dans la création et le rôle de la relaxation en général.

2. Problématique de l’autonomie par rapport aux parents

DREWERMANN offre une interprétation analytique. En ce qui concerne la symbolique des mains, le conte est très fort et nous montre l’évolution de la personne qui est « sans mains », empêchée d’agir, puis utilise des « mains d’argent », des prothèses, et enfin, après un long chemin, « les mains qui avaient été coupées lui repoussèrent », elle retrouve le pouvoir créateur et la prise en main de sa vie.

Le cheminement de cette jeune fille qui doit fuir la maison paternelle, puis celle de son époux, afin de se réaliser au prix d’une longue route initiatique, éclaire le symbolisme des mains et ce que signifie  « se prendre en main ». Il aide à comprendre la personne, soumise aux conflits intérieurs et aux inhibitions inhérentes à ces conflits. Il montre par quelles étapes passer pour se retrouver soi-même et oser agir de ses mains, voler de ses propres ailes.

En ce qui concerne le cas de VERONIQUE, l’analyse de DREUWERMANN, en référence au début du conte, donne une idée de ce que peut vivre une fille à l’âge où elle a envie de prendre de l’autonomie par rapport à ses parents.

« Elle est ballottée sans arrêt entre des sentiments trop intenses de responsabilité et de culpabilité. »

L’analyse, colle bien aussi au cas de VERONIQUE, dans la perception que la jeune fille a de son père. Page 26 :

« Son père lui apparaît comme mi-humain, mi- démoniaque. »

Nous avons déjà noté qu’elle avait demandé à quitter la maison car elle se faisait gronder par son père.

Ce qui rappelle le travail en psychothérapie où VERONIQUE évoquait sa mère comme une sorcière. Ce qu’elle n’a pu supporter. Donc elle avait arrêté les entretiens.

3. Culpabilisation

DREWERMANN décrit l’ambivalence de la jeune fille avant qu’elle n’accepte de se faire couper les mains. Page 27 :

«  Si elle conserve ses mains, c’est à dire si elle se permet de prendre les choses en main, ou de tendre la main vers quelque chose et de se servir, autrement dit, si elle ose mettre la main à la pâte, saisir, prendre ce qu’elle désire, alors elle fera de son père un véritable démon et elle-même sera par filiation une possédée. Elle est forcée de constater que tout ce qui l’entoure est plongé dans un océan de reproches, d’accusations, d’incriminations, de méchanceté, de malédictions fatales. Si elle garde ses mains, elle est une « engeance diabolique », une créature infernale. Et inversement :si, en proie au cauchemar de ces visions d’enfer et d’épouvante, elle renonce à toute ébauche d’ « emprise », de « maniement » et si, sous les ordres de son père, elle se laisse mutiler docilement, elle pourra le sauver. Elle n’obtient la délivrance de la malédiction diabolique que par le sacrifice, par le renoncement à tout souhait et désir propres, par l’acceptation des plus graves formes d’inhibition dans le domaine oral « captatif ».

.

Cette description évoque l’état de l’enfant sous le coup de l’angoisse de castration, lorsque le complexe d’Oedipe n’a pas été dépassé ; l’inhibition à être soi-même et à voir le mal partout par peur de mal faire, de déplaire au père, aux parents.

Dans le cas de VERONIQUE, il y avait eu une tentative de sa part de se sortir du milieu familial. Elle avait demandé à être interne, lors d’une réunion de synthèse, l’année précédant la cure de relaxation. La mère avait abondé dans le sens de VERONIQUE lors de la réunion. Mais ensuite, en discussion avec la psychologue, les deux parties avaient changé d’avis. Cela ne s’était donc pas fait et avait abouti aux entretiens de psychothérapie déjà cités.

4. Les expériences nécessaires à la libération intérieure

Dans le conte, la jeune fille part de chez ses parents en disant : « je ne peux pas rester ici ».

Page 29, DREWERMANN montre que :

«  la question qui se pose alors dans le conte est celle de savoir comment quelqu’un peut se trouver soi-même malgré l’écrasant fardeau des sentiments de culpabilité et des inhibitions ; et également de savoir quels obstacles vont nécessairement surgir sur son chemin et quelles expériences vécues sont indispensables à sa libération intérieure. »

L’épisode du jardin semble prédominant pour élaborer une piste de travail. Tous les symboles indiquent, comme le relève DREWERMANN, une atmosphère féminine, voire maternelle : c’est la nuit, à la pleine lune, le jardin est entouré d’eau, un ange aide la jeune fille à traverser l’eau pour pénétrer au jardin. Eugène DREWERMANN parle d’un «  véritable régression » et même d’ « un retour au stade oral dans l’évolution psychologique ».

Page 31 :

«Il s’agit de visiter et de réactiver les zones et les expériences qui précèdent la mutilation des mains et de renouer le contact avec ces impressions relativement intactes .Il se peut aussi que la jeune fille ait dû s’interdire tout usage de ses mains, toute préhension, à cause de sentiments de culpabilité trop forts. Il y eut du reste une époque où il n’était nullement nécessaire de saisir et où l’on ne faisait qu’avaler passivement ce qu’on nous mettait dans la bouche .C’est précisément cela que la jeune fille sans main souhaite comme élément de base de son existence : un mode de vie semblable à celui du nourrisson, dans un jardin protecteur, maternel, étranger à tout interdit. »

Cet aspect de l’étude nous intéresse en particulier et mérite que l’on s’y arrête. Le jardin, peut évoquer le paradis, le jardin d’Eden perdu par Adam et Eve. Cette « régression », pour nous, représente le vécu pendant la séance de relaxation. Les désafférences sensorielles permettent un état proche de celui décrit par DREWERMANN « un mode de vie semblable à celui du nourrisson, dans un jardin protecteur, maternel, étranger à tout interdit. »

5. Travail de restauration de l’image inconsciente du corps

« Visiter et réactiver les zones et les expériences qui précèdent la mutilation des mains »  revient à restaurer l’image inconsciente du corps, avant le stade du miroir au sens de LACAN, débloquer une image inhibée, vécue comme amputée, et ainsi redonner corps à cet être en souffrance, lui faire pousser des ailes( ou des mains.)

Permettre à la personne en cure de se retrouver elle-même, entière, unifiée dans les sensations de plaisir et non émiettée par les sentiments de culpabilité sert de base à ce travail de restauration. Le « mode de vie semblable au nourrisson » est possible de par le laisser aller, le lâcher prise que s’autorise le patient. Cette attitude est favorisée par l’empathie du thérapeute et réalisable grâce au transfert du patient sur le relaxateur.

Le retour à des sensations primaires vécues dans les bras de sa mère, voire à l’intérieur de sa mère est réactivé par les désafférences sensorielles d’une part : yeux fermés, lumières tamisées, bruits étouffés, voix monocorde du relaxateur, inductions verbales répétitives comme une ritournelle ; par les modifications internes au niveau proprioceptif et intéroceptif d’autre part, induites par la concentration sur les fonctions commandées par le système neurovégétatif : le tonus, la respiration, les battements du coeur. En effet, le système neurovégétatif est le premier qui accompagne la croissance de l’homme, dès in utero. Le fait de se concentrer sur ces manifestations-là, réactive aussi le cerveau limbique ou reptilien, à l’origine de nos émotions les plus primaires.

« Après trois ans et plus et surtout à l’âge scolaire, l’image du corps archaïque nourrissonne, datant de l’époque dyadique à la mère, peut être passivement revécue dans un transfert duel de sécurité ».(...) « Cette image du corps des stades archaïques oral, anal, urétral, peut se revivifier sans danger, dans le langage, à propos de perception d’objets extérieurs à la rééducatrice autant qu’à l’enfant et qui servent de support réel à des échanges de communication langagière dans la réalité. » [19]

Dans le cas de VERONIQUE, le rôle de l’enveloppe formée par le bain langagier du relaxateur a pu suppléer le maternage mal ou pas réalisé, et ainsi aider à recréer une nouvelle peau, une nouvelle empreinte, une nouvelle identité. [20]

A partir de sensations nouvelles ou renouvelées de bien-être, le sujet peut élaborer un plan constructif afin de restructurer son image inconsciente du corps au sens de Françoise DOLTO. La verbalisation de son vécu par le patient et les associations qu’il peut faire à partir de ce vécu-là, l’aide à structurer cette nouvelle image de lui qu’il travaille à élaborer.

[21]« Le médiateur de ces trois instances psychiques (Ca, Moi, Surmoi), dans les représentations allégoriques que fournit le sujet, s’est montré spécifique. Je l’ai appelé l’image du corps. »

Elle décrit le fonctionnement de cette image du corps et insiste sur la dimension relationnelle et langagière de la constitution de l’image du corps dynamique.

Dans le conte, ensuite le roi rassure la jeune fille sur sa valeur mais en même temps renforce son sentiment de culpabilité en satisfaisant tous ses désirs. Il faudra qu’elle le quitte pour se prendre en main seule. Quand elle le retrouvera, elle sera personne à part entière.

Le père - tyran et le roi qui comble tous les désirs culpabilisent tous deux la jeune fille. A l’encontre de ces deux attitudes inhibantes, la jeune fille doit trouver une voie tierce pour se sauver par elle-même.

N’est-ce pas le rôle du thérapeute de servir de tuteur au sujet pour lui permettre d’émerger sans l’étouffer ? La thérapie réussit quand le patient devient sujet, et peut choisir librement de le quitter, d’arrêter une relation où il ne s’est senti écrasé ni de reproches ni de sollicitude.

En conclusion, VERONIQUE croyait se libérer de sa mère et de la culpabilité à son égard par un éloignement physique du foyer. Elle avait tenté des demandes dans ce sens, mais n’avait pu aller jusqu’au bout, engluée par ses sentiments ambivalents d’amour et de haine, d’attirance et de répulsion.

C’est par un travail sur elle-même, de restauration de l’image inconsciente du corps archaïque, qu’elle a pu retrouver ses mains, s’autoriser à les utiliser sans complexe, la thérapie lui ayant redonner un sens humain, qu’elle n’avait pas eu correctement, les mains de sa mère s’étant montré défaillantes à la naissance, pour la porter, la rassurer, la contenir.

E. conclusion de la deuxième partie

La maladie de peau et les « mains coupées » sont les symptômes présentés par VERONIQUE. Le malaise traduit par cette peau mal-aimée, renvoie à un amour mal reçu ou mal donné. Le mal-être découlant du manque de mains évoque la carence des mains qui ont manqué, qui n’ont pas été tendues, qui ont mal ou pas soutenu.

La réflexion sur l’analyse du conte « la jeune fille sans mains » a permis des pistes de recherches.

Voyons le déroulement de ce travail, et l’apport de la relaxation.

TROISIEME PARTIE

LA RELAXATION

A. La cure de relaxation de VERONIQUE

1. Prémices

Au début de la cure je me suis appuyée sur le texte d’Eugen DREWERMANN car VERONIQUE, en développant un eczéma, s’empêche d’utiliser ses mains, elle est comme « sans mains ». En plus, dans sa situation familiale, nous l’avons un peu abordé, elle se sent en position de recherche affective et d’autonomie court-circuitée par divers chantages familiaux. L’idée de ne pas avoir de mains est fortement liée à l’inhibition et à la culpabilité. VERONIQUE se présente comme une jeune fille polie, cherchant à faire plaisir à l’adulte, souriante, s’excusant beaucoup, presque demandant pardon d’exister.

Donc quand elle arrive avec sa problématique de «  mains coupées » je cherche comment l’aider à restaurer son image du corps au niveau des mains. Je m’appuie sur la recherche d’Annick de SOUZENELLES [22]. Elle associe l’aigle aux mains, épaules, clavicules.

Page 304 :

« L’aigle est le Gardien de « la Porte des dieux », Porte qui correspond, dans le schéma corporel, au plan de la gorge que gardent les deux clavicules prolongées des bras et des deux mains. »

Personnellement, cette comparaison avec l’aigle me rappelle une séance de relaxation analytique type AJURRIAGUERRA, pendant laquelle j’avais associé les mains puis surtout les épaules à des ailes.

Je choisis donc une méthode de relaxation évolutive, qui semble convenir aux besoins de libération et de créativité de VERONIQUE.

La première musique utilisée en séance de relaxation se fera sur un morceau intitulé « nature » par TED SCOTTO, aux éditions l’élébore. Je guide VERONIQUE en lui proposant le thème de l’oiseau. En effet, grâce à Annick de SOUZENELLES, je vais essayer d’aider VERONIQUE à faire pousser ses ailes, qu’elles soient d’aigle ou d’oiseau....

2. Séance type

La séance avec VERONIQUE se déroule suivant un protocole régulier, qui pourra néanmoins nous le verrons, évoluer parfois différemment.

Accueil

Je la reçois à mon bureau et nous échangeons quelques mots sur son ressenti du moment. Parfois, très rarement, je lui demande des nouvelles de son eczéma. Plus souvent c’est elle qui fait la démarche en premier de m’en parler si elle en éprouve l’envie ou le besoin. En

général, nous n’en parlons ni l’une ni l’autre.

Elle me montre ses mains à cette occasion, mais exceptionnellement ; l’échange se situe plutôt au niveau verbal.

Lors de cette discussion, VERONIQUE me parle de ses projets, réussites, espoirs, etc...

Relaxation

Ensuite, elle se met sur le matelas, en position semi-allongée.

De ma voix, je la guide afin qu’elle prenne le temps de s’installer correctement. Si je la vois en difficulté, il m’arrive de me lever et de rectifier soit un coussin qui la gêne, soit la position de ses bras ou jambes, ou de la tête.

Je m’assieds à mi-chemin entre le bureau et le matelas, près du magnétophone.

Je passe en revue les parties de son corps en commençant par les pieds, afin d’unifier le ressenti corporel, de donner une enveloppe globalisante et rassurante, en insistant sur la sensation de lourdeur.

Puis, j’enclenche la cassette.

Sur la musique, qui servira pour plusieurs séances, je parle. Je propose des sensations agréables que VERONIQUE peut éprouver à l’écoute de la musique. J’insiste sur la légèreté, la chaleur, le bien-être. J’invente des mises en situation où le corps vit facilement et agréablement.

Au retour de ce que j’appelle le voyage, je reste attentive à faire un bref rappel du poids du corps sur le matelas, une sorte de réveil au réel, avant que VERONIQUE n’ouvre les yeux.

Je lui propose de s’étirer, bailler, prendre le temps de se retrouver dans un état de conscience habituel. Bref, de faire sa reprise.

Verbalisation

VERONIQUE, soit sur le matelas, soit sur sa chaise au bureau, me parle de son vécu de la relaxation.

Ensuite, je lui propose de prolonger la séance en dessinant, peignant, modelant, ce qu’elle a ressenti.

Quand c’est terminé, elle conclue par des commentaires sur ce qu’elle a réalisé et sur ses projets pour la prochaine fois.

Pendant qu’elle dessine, il m’arrive de prendre des notes sur la séance, ce que j’ai constaté, et- ou ce que VERONIQUE m’a dit.

J’ai groupé plusieurs séances, en les classant en fonction de la musique utilisée.

3. Musique : « nature »

Les premières séances se font sur le morceau de musique « nature » avec comme image l’oiseau.

Dès la première séance, VERONIQUE a bien accroché à la méthode. Elle se sent bien et en sécurité pour fermer les yeux. Au contrôle, son tonus est relâché. Sa respiration est calme et régulière.

Elle suit bien ma voix. Je la vois sourire à certaines inductions : « un oiseau qui plane. »

Je reste, les premières séances, sur le thème de l’oiseau. La musique, à la flûte de pan, s’y prête bien. J’insiste sur l’ouverture des bras, d’autant plus que dans le réel, VERONIQUE serre contre elle, son coussin et se triture les doigts : « L’oiseau étend ses larges ailes et les ouvre largement, avec bonheur, dans l’air léger. »

Déjà, au bout de quelques séances, VERONIQUE « décolle ». Elle exprime son ressenti verbalement. Par exemple, à l’induction de la cascade, elle verbalise après la relaxation : 

« j’ai senti comme de l’eau dans les bras et les jambes. Ca m’a fait tout drôle. »

Elle invente des images en complément de celles que je lui propose. Par exemple si je dis :  « l’oiseau survole les maisons. Il les voit toutes petites. » elle ajoute : « l’oiseau se pose. »

Elle imagine des détails pour préciser les éléments sommaires que j’évoque.

Exemple : « L’oiseau est blanc. La maison est rouge. J’aurais aimé aller voir ce qui s’y passe dedans. »

Là, elle continue et précise l’évocation qu’elle fait sienne.

Elle dessine avec plaisir ce qu’elle a ressenti. Au feutre, avec des traits fins et sans remplir. « Je peux le dessiner ? » Au début le dessin est très pauvre, avec un ou l’autre élément qui apparaît : une fleur, une maison et puis s’installe l’eau sous la forme d’une rivière ou d’une cascade, selon l’inclinaison. Voir dessin n°1.

Enfin dans sa verbalisation, elle emploie le mot de liberté pour exprimer ce qu’elle a ressenti pendant la séance. Chez elle, elle dit qu’elle s’entraîne parfois le soir quand elle «  a envie ». Cette expression, lui a coûté à formuler, et pourtant elle l’avait sur le bout de la langue, mais n’osait la sortir. Je lui avais expliqué que la relaxation serait un outil entre ses mains à utiliser comme elle l’entendait. Elle prend un plaisir visible à dire qu’elle le fait « comme je veux ».

Elle explique qu’ici elle peut parler plus à l’aise que chez elle.

Cette libération de la parole, mettant en mot son envie, la confirmant « en vie », semble un tournant important dans ce travail. En s’appropriant cet outil comme une liberté à être, VERONIQUE se libère de ses inhibitions dues à une mauvaise reconnaissance de ses parents, réelle ou imaginaire. Elle devient objet valorisé et plus mauvais sujet.[23]

A l’issue de ces séances, son eczéma a bien régressé. Je l’ai constaté presque par hasard. Nous n’en parlons jamais.

4. Musique : « révélations »

La deuxième série de séances se fait sur une musique de KITARO : révélations. Le thème choisi est la mer.

L’idée est venue, en voyant l’intérêt porté par VERONIQUE à l’eau. L’utilisation de ce thème se révélera très riche.

« Le départ est sur le sable. Tu nages. Tu fais la planche. L’eau est chaude. »

J’insiste sur la facilité à se mouvoir, la légèreté des membres, la chaleur de l’eau.

VERONIQUE fait des gestes avec ses bras pendant ces inductions-là, notamment celles des sirènes. Elle dira ensuite qu’elle a bien aimé cette image, qu’elle s’est vue en sirène et a visité un château de sable.

Elle a apprécié la sensation de chaleur.

Elle exprime sa joie de pouvoir parler librement avec moi. Elle dit que chez elle ce n’est pas toujours possible.

Elle dit qu’elle a commencé des « têtes » à la maison. Je l’encourage et lui propose de continuer après la séance de relaxation. Elle se montre ravie. Elle comprend mon explication concernant la disponibilité renforcée par la détente. Elle ajoute : « Je vois. On a plus d’imagination. »

Notons ici, au passage, que « tête » peut aussi s’entendre comme « tète ». Rappelons que l’élément employé pour susciter des images chez VERONIQUE sur cette musique est l’eau, qui se prête à une régression in-utero, et a une connotation maternelle très forte.

C’est ainsi qu’a commencé une série de dessins au crayon à papier, donc plus difficiles qu’au feutre. VERONIQUE a du surmonter ses craintes diverses. D’abord, agrandir le motif qu’elle

représentait minuscule, donc prendre de la place. Ensuite, dépasser ses appréhensions quant à sa valeur de dessinateur. Elle fait des commentaires du style : « c’est pas terrible mais je me débrouille. » A quoi je réponds qu’effectivement, elle se débrouille.

Il y eut un passage émouvant quand elle s’est mise à se toucher le visage pour « faire sa tête ». Ce qui est étrange, car elle aurait pu s’aider du miroir. En fait elle était dans un registre sans doute avant le miroir au sens de LACAN.

Je me suis sentie sans voix, médusée, étonnée d’abord de ses gestes, ne comprenant pas de suite, tant la démarche courante est de se regarder dans une glace pour faire son portrait. Quand j’ai réalisé ce qui se passait, je n’ai trouvé que le silence à partager avec elle, un silence chargé d’émotion muette, comme pour l’accompagner de loin pour la soutenir sans la troubler. Et elle qui fermait les yeux pour mieux se sentir, et moi qui la regardait se toucher, de cette scène émanait une force et une beauté, comme pour une naissance.

Cela évoque le cas de MADELEINE rapporté par Oliver STACKS. Elle avait commencé à modeler son propre visage en se touchant du fait de sa cécité. Ensuite elle avait fait de même pour les autres modèles.[24]

VERONIQUE s’appropriait en même temps ses mains, son visage, son identité, et le symbolisait dans ses dessins ! Voir dessins n°2 et 3.

Dans le même temps dans ces séances, elle se plaint de douleurs à la nuque. Je lui propose des massages et auto-massages de la nuque. Nous enchaînons sur des mouvements de détente des bras, des rotations d’épaules, flexion du tronc et relâchement du dos.

Donc, en même temps qu’elle s’auto- découvre par le toucher, elle reçoit une confirmation de son être de chair, par les massages de la thérapeute. C’est une rare fois où j’ai touché VERONIQUE, car ce n’était pas dans le contrat de départ. Mais ici, elle en appelle à un soulagement de sa douleur et les gestes de ma main en apaisant ses tensions, se substituent à la voix, en parachèvent le travail d’enveloppe corporelle, tout en confirmant, signant, la découverte propre de VERONIQUE.

Ces séances ont permis à VERONIQUE de se découvrir, de se retrouver, de se confirmer au niveau identité.

Le fait qu’elle ait voulu « faire sa tête », comme elle dit, prouve que le travail a été d’aide à se retrouver, une confirmation à être.

Elle reprend l’idée du modèle en demandant non un modèle de visage, mais de l’aide dans les gestes techniques. Je lui propose un dessin en symétrie pour commencer. Elle se montre malhabile, comme si elle n’en avait jamais fait. Cependant elle s’y intéresse et s’entraîne.

Au niveau de l’eczéma on note juste une légère érosion entre l’index et le pouce gauche, quelques traces dans la paume.

Son institutrice trouve que VERONIQUE a récupéré dans ses gestes pour écrire et dessiner, une aisance et une autonomie nouvelle, ainsi qu’une assurance.

5. Musique : « le chant des baleines »

La troisième musique utilisée est un chant de baleines.

Je parle peu. Je ne suscite pas d’image car les sonorités et les bruits sont assez évocateurs. Je propose des « mouvements faciles et légers. »

Ce morceau renouvelle son imaginaire. Je la vois rire toute seule les yeux fermés.

Plus tard elle dira que ça lui a évoqué des bruits de cochons, alors elle a ri. Elle veut dessiner.

Le premier dessin, au feutre, reprend le décor habituel avec la cascade, mais il est enrichi de détails dans les couleurs, les traits, et des personnages, apparaissent. Voir dessin n° 4.

Pour le deuxième dessin, VERONIQUE se lance dans une peinture. Elle dessine au crayon à papier, puis peint au pinceau, avec quelques détails tout de même au feutre. Ce qui donne une création mixte.

Cette peinture lui tient à coeur. Elle a très envie de la mener à terme. Il lui faudra plusieurs séances. Elle représente des animaux dangereux dans un parc, entouré de barbelés avec un panneau « attention animaux dangereux ».

Que sont ces pulsions animales vécues comme dangereuses au point de les protéger de barbelés ? Voir dessin n°5.

Ce panneau lui donne une idée. Elle voudrait élaborer une affiche pour la kermesse de l’IME. Nous nous essayons pendant une séance, mais devant le nombre de paramètres à prendre en compte, VERONIQUE demande à réfléchir avant de s’engager officiellement. Elle a changé d’idée la fois d’après et renonce à ce projet surtout à cause du laps de temps trop court. Ici, on peut voir que de dessiner et représenter ses pulsions, a permis à VERONIQUE de prendre confiance en ses forces créatives positives et lui a donné l’occasion de les transcender. Même si elle ne va pas jusqu’au bout à cause de conditions matérielles, le désir y était, s’était éveillé.

Cette époque de la cure a coïncidé avec la réunion annuelle à laquelle tout jeune de l’établissement a droit. Le personnel qui travaille directement avec le jeune fait le point sur les acquis, les points faibles et forts du jeune et établit des projets, en concertation avec l’équipe de direction et les parents.

Lors de cette réunion dite de synthèse, des aménagements ont été prévus afin que VERONIQUE puisse participer à des sorties le mercredi après-midi avec ses camarades internes. Il avait été parlé à sa maman pour qu’elle laisse davantage de liberté de sortie à sa fille.

Suite à sa réunion de synthèse, VERONIQUE me parle en séance, après la relaxation, de ses projets. Elle veut savoir concrètement réaliser les sorties décidées lors de la réunion. Je lui passe au téléphone le chef de service concerné afin qu’ils se mettent d’accord tous les deux.

La fois d’après, elle dit que sa mère a téléphoné pour annuler la deuxième sortie prévue. Puis elle me parle de ses peurs et ses désirs.

En natation elle a peur de lâcher la planche. Nous discutons. Elle dit que dorénavant, à la piscine, elle va essayer de penser à la relaxation quand elle s’imagine dans l’eau.

Elle exprime sa gêne quand elle va écouter les histoires en bibliothèque le mercredi après-midi avec des plus « petits » qu’elle. Et son malaise à participer aux activités des internes même de son âge, car ils lui font sentir que la situation est artificielle.

Les tentatives d’intégration de VERONIQUE à une vie de jeune de son âge semblent donc pour le moment difficiles de part l’attitude de sa mère et celle de VERONIQUE elle-même.

VERONIQUE exprime-t-elle en paroles ce qu’elle avait dessiné et nommé comme « animaux dangereux », à savoir ses désirs, ses peurs, ses gênes ? Et aussi ses non-dit, ses pulsions agressives ?

6. Epilogue

Toutefois, VERONIQUE parle, réfléchit et porte des jugements sur ce qu’elle vit. Elle ne reste pas passive. Elle dit qu’elle aimerait faire du théâtre et de la danse. Je lui propose une tentative de danse avec moi. Cela dure une séance. Elle préfère la musique lente et recherche des gestes style ballet classique. Ensuite elle choisit de continuer la relaxation et ses créations picturales.

Son eczéma n’est plus qu’un mauvais souvenir. Elle dit qu’elle s’entraîne régulièrement le soir dans sa chambre avant de s’endormir, sur une cassette avec son magnétophone.

Pendant plusieurs semaines, pour des raisons diverses (maladie, vacances, stages)les séances sont annulées. Quand je revois VERONIQUE, son eczéma est un peu revenu. Elle n’a pu s’entraîner chez elle à cause d’une panne de magnétophone. Bref, le suivi lui a manqué. Nous reprenons la musique de flûte de pan avec le thème de l’oiseau.

Au bout de quelques séances, elle dit qu’elle a ressenti un grand bien-être, de la chaleur, en particulier dans la poitrine.

Son dessin aussi a évolué. Il y a toujours de l’eau, mais comme cachée. D’ailleurs elle l’a ajoutée à la fin. Il est constitué d’un immense soleil qui prend le centre de la page. Devant lui elle a représenté deux montagnes qui font penser à des seins. Le ressenti verbalisé de chaleur dans la poitrine, correspond à la transcription picturale. Voir dessin n°6.

On rejoint le stade de SCHULTZ du plexus solaire auquel est rattachée la phrase « mon coeur bat calme et fort ».

De même on retrouve la finesse du ressenti de DANIEL DE MONTMOLIN quand il parle de « la respiration paisible et des battements du coeur « en y associant plus loin, à la fin, comme un aboutissement « la plus grande sensibilité des mains » qui naît après effacement de « toute crispation dans les épaules ».

Ce grand bien-être éprouvé par VERONIQUE, vient après la séance de découverte de son visage par le bout de ses doigts. On peut en conclure que sont concomitants la détente des mains et celle du plexus solaire, les deux donnant une liberté de mouvement, un doigté nouveau, qui se traduit entre autre dans les représentations picturales de VERONIQUE.[25]

De plus, à partir de cette découverte, il n’y a plus eu de rechute, l’eczéma a complètement disparu.

La cure de VERONIQUE a duré quelques mois encore. Les progrès que cette jeune fille s’est autorisée à faire ont continués. Bien sûr au niveau de sa libération des mains, concomitante à l’élimination de l’eczéma. Ensuite, ce qui en découle, sa prise en mains au niveau création manuelle. Et enfin, sa prise de position en tant que sujet qui ose, dit, agit, se prend en mains.

Nous sommes loin du tableau du début de  « la jeune fille sans mains » ou de « la fille aux mains coupées. »

Après les congés d’été, VERONIQUE revient me voir avec des demandes nouvelles. Elle désire mettre de côté la relaxation. Elle cherche un appui pour apprendre ses tables de multiplication. Maintenant elle apprend avec joie à jouer aux cartes. Sa prédilection va à la « bataille ». Car elle a gagné du mordant, de l’énergie vitale. Elle a transmuté ses pulsions négatives de culpabilité et de honte en pulsions positives de lutte pour la vie. Elle a dépassé

ses complexes, celui d’Oedipe( ?), en se livrant à une bagarre joyeuse et franche, codifiée, avec un adulte qu’ elle ne sent plus comme écrasant mais comme partenaire de compétition.

Elle affectionne aussi beaucoup les réussites (la réussite ?), que je lui apprends, « réussite » qui s’appelle aussi « patience ».

Son institutrice la considère comme le meilleur élément de sa classe et lui donne la responsabilité d’aider les élèves en difficulté. Quelle belle revanche pour celle que les copains de classe appelaient « pestiférée » il y a de cela à peine deux ans ! De même sa maîtresse a constaté une amélioration très nette dans les habitudes vestimentaires de VERONIQUE. Comme si elle avait fait peau neuve au sens propre et figuré, se débarrassant de sa peau d’eczéma, sa peau de « serpent »( en référence au conte « le prince serpent » dont j’ai trouvé une version «  la belle et le monstre », citée en annexe) , la remplaçant par une peau saine, mise en valeur par une seconde peau de beaux vêtements.

D’une situation duelle régressive type maternante, nous sommes passées à une relation triangulaire dynamique où le maniement de matériel symbolique devient une ouverture

ludique au monde, à soi et à l’autre.

7. Mécanismes mis en oeuvre dans la guérison de VERONIQUE

Le travail d’enveloppe effectué sur VERONIQUE au cours des séances de relaxation lui a permis de régresser à un stade d’avant le miroir, et de récupérer un portage, une sécurité de base qu’elle n’avait pas eus à la naissance.

D’une part les désafférences sensorielles et la confiance en la thérapeute lui ont permis un abandon, un lâcher prise indispensable pour entamer un travail positif. D’autre part, les musiques et les images suscitées, l’ont aidé à reconstruire sur des bases saines, une image inconsciente de son corps.

Deux images évoquées par elle rejoignent le même thème de l’intérieur, qui peut être la maison, le corps, le ventre maternel :

sur la musique nature elle parle d’une maison et ajoute « j’aurais aimé aller voir ce qui s’y passe dedans ».

sur la musique révélations elle s’est vue en sirène et a visité un château de sable.

Entre les deux séquences elle a mûri et s’est autorisée à vivre son envie, à entrer à l’intérieur.

On peut au passage noter que la sirène, personnage aquatique entre terre et eau est aussi le symbole d’une transition entre le poisson, voire le bébé in utero et un personnage humain féminin qui appartient au domaine de la séduction.

VERONIQUE se débat entre ses désirs inassouvis ou mal assouvis de maternage pour le bébé en elle et ses envies de devenir une jeune fille séduisante et libre de ses mouvements, autonome.

Seulement elle n’a pas encore de jambes et cela m’évoque la petite sirène du conte d ’ANDERSEN qui pour avoir des jambes sacrifie sa voix.

Nous allons voir comment VERONIQUE va mettre en oeuvre une stratégie lui permettant de récupérer ses mains et ses jambes, sans rien sacrifier en retour.

Donc en pénétrant à l’intérieur de son monde régressif, VERONIQUE se réconforte, se redécouvre.

C’est ce que Eugen DREWERMANN appelle « visiter et réactiver les zones et les expériences qui précèdent la mutilation des mains ».

D’ ailleurs dans le conte de GRIMM, ce jardin entouré d’eau peut jouer le rôle de l’intérieur maison, corps, ventre maternel. Le passage où la jeune fille sans mains mange les fruits avec la bouche semble primordial.

Rappelons l’analyse de DREWERMANN :

« Il se peut aussi que la jeune fille ait du s’interdire tout usage de ses mains, toute préhension à cause de sentiments de culpabilité trop forts.

Il y eut du reste une époque où il n’était nullement nécessaire de saisir et où l’on ne faisait qu’avaler passivement ce qu’on nous mettait dans la bouche. C’est précisément cela que la jeune fille sans main souhaite comme élément de base de son existence : un mode de vie semblable à celui du nourrisson, dans un jardin protecteur, maternel, étranger à tout interdit. »

Dans la cure de VERONIQUE, ce passage de libération par la bouche semble se situer à la période de la musique « nature ». En effet, c’est à ce moment-là qu’elle exprime sa joie, comme une délivrance, de pouvoir parler librement. Ici c’est possible. La séance représente ce lieu permissif qui lui a tant manqué. Elle ose enfreindre ce qu’elle croyait interdit et cette audace débloque son énergie.

Sur « révélations », de suite après, elle débute ses « têtes », que l’on peut aussi entendre « tète », en rappel au nourrisson qui se nourrit seulement avec la bouche.

Et c’est après cela qu’elle utilise ses mains comme instruments de la découverte de son corps propre, en un stade avant le miroir.

Puis elle cherche une confirmation de son existence, son identité, dans le toucher de l’autre.

Ensuite elle parle d’elle d’une façon nouvelle, de ses peurs, ses désirs jusque là tus.

Pour VERONIQUE, reste la question de savoir pourquoi elle s’empêchait d’utiliser ses mains.

DREWERMANN parle de « sentiments de culpabilité trop forts ».

L’hypothèse, déjà évoquée de culpabilité liée à la masturbation ne peut être prouvée, simplement énoncée en tant que telle.

L’inhibition liée au complexe de castration est envisageable, dans ce contexte de non valorisation du père, rejet et ambivalence de la mère, de chantages familiaux dont VERONIQUE est l’enjeu.

Cependant, la castration primaire, de privation de jouissance très précoce, semble inéluctable.

En effet, au regard de l’anamnèse on voit que dès la naissance, VERONIQUE et sa mère ont été séparées. Cette souffrance de VERONIQUE, symptomatisée par un eczéma sur les mains semble faire écho aux mains défaillantes qui n’ont accueilli le bébé selon ses attentes.

Ces mains de femme, de mère, qui n’ont pas rendu le bébé hu-main au moment propice.

Cet eczéma est-il un rappel de la « détresse  respiratoire » de la naissance, dont parle le dossier médical ? Rappel en miroir, en négatif, de la souffrance interne, par une souffrance externe ? Cette « détresse » primitive, est-elle revenue, sous une forme différente, réactivée par la période de l’adolescence ?

Lors d’une nouvelle naissance symbolique, VERONIQUE demande-t-elle assistance, pour ce passage délicat qu’est l’adolescence ? Pendant cette période de mue où on fait peau neuve, on reste parfois bien démuni en attente d’une carapace solide, d’où le titre « le complexe du homard » de Françoise DOLTO.

Donc le travail de relaxation, allié à celui de création artistique et de verbalisation a permis à VERONIQUE de retrouver ses mains, son énergie créatrice, le sens de sa vie. Elle a laissé sa peau de serpent, comme dans le conte. Voir en annexe.

B. Les apports de la relaxation

1. En psychomotricité

Un travail en psychomotricité avec VERONIQUE aurait consisté à un lieu permissif d’expression verbale et artistique.

Or, tout ce matériel archaïque, n’aurait pu émerger de façon aussi simple et sans résistance.

Quand les jeunes travaillent en séance avec des techniques manuelles d’expression, ils créent ou recréent des moments signifiants de leur histoire, réelle ou fantasmatique. Ils élaborent des moyens d’accès au symbolique, dans lequel le corps fait trace avant la lettre.

Pour des cas de problématiques aussi régressives que celle de VERONIQUE, qui du reste était inscrite dans le symbole, savait lire, pour ces cas donc, les prémices avant la création artistique permet de libérer l’inconscient et de travailler directement sur l’image inconsciente du corps.

Une restauration du sujet est possible de façon plus solide et durable.

En ce qui concerne la permissivité, la relaxation a joué le rôle d’un outil utilisable « à l’envie », c’est à dire, que la personne gère selon ses besoins. En ce sens la relaxation a été un facteur de libération, car utilisée, adaptée, adoptée et non imposée comme une contrainte extérieure.

Intériorisée comme une aide personnalisée, la relaxation a soutenu la personne (de VERONIQUE en l’occurrence) dans sa recherche de prise en mains de sa vie comme sujet. VERONIQUE faisait « sa relaxation » comme et quand elle en avait envie.

Le faire était important, en prendre conscience et le dire, l’était autant. Ces deux facteurs, s’approprier une technique et verbaliser l’autonomie qu’elle permet, ont participé à la libération des inhibitions de VERONIQUE.

D’ailleurs, ensuite, VERONIQUE s’autorise peu à peu plus de choses. Dans le vécu de la relaxation elle-même, elle ose par exemple pénétrer dans le château, alors qu’elle « aurait aimé » visiter la maison, sans oser encore quelques séances avant.

Par la désafférence due à la relaxation, la personne entre dans un état de conscience différent. L’apport d’images, soutenues par une musique, la plonge dans un monde pré-onirique.

Un facteur interne et un facteur externe sont en jeu.

La voix et la musique enveloppent la personne, lui rendant une place de sujet archaïque, impossible, même en thérapie psychomotrice, car induites grâce aux désafférences sensorielles, qui permettent de déconnecter. Ensuite, le relaxant devient sujet créateur de son monde intérieur, en le visitant, le revisitant, en reconstruisant des images inconscientes d’un corps renarcissisé.

C’est la conjugaison des deux présences, relaxateur, relaxant, des deux forces créatrices, qui, l’une soutenant l’autre, amènent vers la rive de la guérison.

2. Dans la création manuelle

Nous l’avons vu avec le beau texte du potier Daniel de MONTMOLIN dont je ne peux résister à re-citer une phrase :

« La plus grande sensibilité des mains de la pulpe, des paumes et de chaque phalange ne peut naître que d’une juste assise, de l’ancrage de l’être dans sa base, son centre de gravité, d’un repos de tout le poids du corps dans la coupe du bassin, effaçant toute crispation dans les épaules. »

C’est après les séances de relaxation qui lui ont permis de se restaurer sur le plan narcissique, que VERONIQUE a libéré son geste jusque-là contraint et inhibé. La concentration précédant toute action de création manuelle, et mieux, si elle perdure pendant le travail créateur, amène un état de conscience propice à un geste juste allié à une inspiration riche.

Elle comprend mon explication concernant la détente apportée par la relaxation, à un travail de création. Sur la période de la musique « révélations », elle dit : «je vois, on a plus d’imagination ».

Elle avait commencé des dessins chez elle à la maison. Alors que jusqu’à présent, même en classe elle était gênée pour tenir crayons et stylos. Elle avait choisi le dessin au crayon, plus difficile et plus austère que le feutre.

Suite à des séances de relaxation où la sensation de chaleur a été généralisée, VERONIQUE s’est autorisée à visiter « le château », son monde intérieur. Elle a verbalisé l’autonomie de son « envie » de faire de la relaxation.

A partir de ces deux déclics, grâce à une relaxation bien assimilée et faite sienne, elle a pu libérer à la fois son geste et son inspiration. Ces progrès, évidemment, sont concomitants de la réduction presque totale du symptôme de mains coupées : l’eczéma sur les mains.

La relaxation lui a permis de retrouver ses mains saines et a débloqué ses possibilités créatrices. Ainsi, on voit que les dessins 2 et 3, expriment les émotions ressenties et donnent corps à l’identité de VERONIQUE. Ensuite, après ces travaux en noir et blanc, la vie reprend sa couleur. Dans le dessin 4, le thème est le même qu’au dessin 1, mais VERONIQUE l’a traité avec beaucoup de détails, elle a enrichi l’histoire, ajoutant, ajoutant des personnages, du mouvement, des couleurs, de la joie. Pour finir, dans le dessin 5, elle a osé mélanger, d’elle-même, deux techniques : le feutre, et une nouvelle pour elle, la peinture.

Sans ce travail de relaxation thérapeutique, VERONIQUE aurait-elle brûlé si vite les étapes de la création artistique ? Le bien-être, la détente du corps et de l’esprit, la sécurité, qu’elle a vécus dans la pratique de la relaxation lui ont permis de grands progrès en création manuelle.

Ses progrès picturaux sont le reflet de ses progrès de libération intérieure.

3. Dans la création du sujet

Pour naître à un autre être, plus unifié, différent, plus vivant, dynamique, responsable de sa vie et qui se prend en mains, nous avons vu l’apport de la relaxation thérapeutique pour VERONIQUE.

Quelque soit la méthode utilisée, si elle est employée à bon escient, les progrès auront lieu.

Chez VERONIQUE, le support musical et surtout de ma voix, ont joué un rôle d’élément sécurisant, comme un toucher rassurant et permissif à distance. En effet, ce bain a crée chez elle une sorte d’enveloppe protectrice dans laquelle elle a pu se retrouver, se refaire une nouvelle peau, faire peau neuve. Cette méthode de relaxation dynamique a donné de très bons résultats.

En référence au conte « la belle et le monstre », voir en annexe, on constate comment le sujet peut surgir en laissant tomber sa peau de monstre. Le monstre que l’on croit être quand on a manqué de (ré-)assurance par un bain d’amour, de partage et de stabilité.

Nous mettre à nu pour aimer et être aimé, ce thème se retrouve dans le conte « la belle et la bête ». Par amour, la belle dépasse la frontière des apparences, le côté repoussant de la bête, pour aller à l’essentiel de l’être intérieur tel qu’elle l’a deviné.

« On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux »  est le secret révélé au petit prince par le renard.

En se sentant reconnu, aimé tel qu’il est, le sujet peut abandonner symboliquement sa vieille peau.

Tant de contes apparaissent quand on parle de la création du sujet ! En effet,  ils nous parlent à plusieurs niveaux. Ils peuvent avoir une valeur initiatique pour la recherche de soi. Ainsi, « la jeune fille sans mains » a été le point de départ et la trame de cette recherche.[26]

Dans le travail de relaxation thérapeutique, je me suis adressée au sujet VERONIQUE et non au symptôme qu’elle présente, une peau repoussante, des mains qu’on n’a pas envie de prendre. J’ai laissé de côté les apparences, pour trouver, avec l’aide et la bonne volonté de VERONIQUE, l’être essentiel, le sujet vivant, qui attendait de surgir.

VERONIQUE, rassurée et restaurée dans sa sécurité de base, a pu abandonner la peau du malaise, de la honte, de l’opprobre, pour devenir une jeune fille à l’aise, « bien dans sa peau » et heureuse de vivre.

La relaxation thérapeutique, permet de retrouver sous la carapace du symptôme, le sujet désirant, par le travail de désafférence sensorielle. Par la verbalisation inhérente au vécu du patient, peu à peu celui-ci restaure son image inconsciente du corps. Par le dialogue tonico-verbal du relaxant et du relaxateur, par leurs efforts conjugués de lâcher-prise et de prise de conscience, le sujet retrouve toutes ses chances d’émerger, plus sain et plus solide, plein de vie et de dynamisme.

Voilà l’action de la relaxation thérapeutique dans la création du sujet.

D. conclusion de la troisième partie

Nous avons vu avec l’étude de la cure de relaxation de VERONIQUE, les apports de la relaxation thérapeutique.

Par cet exemple, nous voyons comment la relaxation thérapeutique travaille sur l’image inconsciente du corps et mobilise des énergies qui resteraient enfouies. Elle est de très bonne indication pour les personnes coincées par un travail de parole car elle permet de créer du matériel à partir du vécu corporel, à reprendre ultérieurement dans un dialogue. Elle a une place à part entière dans la thérapie psychomotrice. Elle permet au thérapeute de travailler à partir du corps archaïque. Elle ouvre l’imaginaire du patient et permet de retravailler le matériel émergé dans des créations et des inscriptions signifiantes pour lui, le rendant sujet à part entière de son histoire.

Par la libération de la création artistique et la prise en main du sujet, elle mène le sujet à la création de son être propre.

Il s’agit d’une restauration de l’intégrité de la personne par un travail de renarcissication psycho-corporelle.

CONCLUSION

Nous avons vu l’apport de la relaxation dans le cas de VERONIQUE. Grâce à ce travail elle a pu devenir sujet de sa vie.

Dans « l’aventure d’une guérison », SIMONTON montre comment l’attitude créatrice dans et devant la vie permet à l’homme de guérir. Nous ne pouvons que l’approuver quand il

dit : « Guérir est un processus de création. »

Mais vivre, le mieux possible, mener à bien une vie, n’est-ce pas aussi un travail de création ?

Karlfried Graf DURKEIM reprend souvent ce thème. Il en développe ainsi l’idée :

« Tout travail, tout métier, tout art, exige un entraînement pour que « l’oeuvre » réussisse. Certes, nous le savons tous et chacun de nous, à travers l’épreuve de l’existence, s’instruit et s’exerce, intégrant ses propres expériences. Cependant, on ignore que ceci est également valable pour la réussite de l’oeuvre la plus importante de notre vie : la réalisation de notre être.

Tout ce qui est vivant doit se développer en vue d’une « réalisation », et il en va de même pour l’homme. Mais l’homme, lui, ne deviendra jamais ce qu’il doit devenir s’il n’y contribue par son effort. Il doit se prendre comme un ouvrage entre ses mains, s’exercer sans cesse en vue du plein accomplissement de cette « oeuvre » .L’ oeuvre la plus importante pour l’homme est donc « lui-même », « lui-même » en tant qu’homme. »[27]

Ce thème de la création du sujet humain comme une oeuvre d’art reste très présent dans ma vie et ma pratique professionnelle. Par cette étude de cas, j’ai voulu montrer qu’au point de vue thérapeutique, la relaxation, adaptée au sujet, peut jouer ce rôle libérateur et constructeur à la fois : conduire l’individu vers son destin d’être humain.

Hu-main, c’est à dire qui se prend en mains, qui tend la main, qui saisit la main ; qui se sent soi-même et en même temps concerné par autrui.

Hu-main, appartenant à l’humanité.

© Copyright Bernard AURIOL (email = auriol @ free . fr)

dernière mise à jour le

29 Avril 2004

(C) Hélène Lasserre

BIBLIOGRAPHIE

· Eloge de l’empreinte

Daniel de MONTMOLIN ; Marie-Hélène LAUTIER ; Jean-Claude MEYER

Editions : la revue de la céramique et du verre

· La peau et le toucher

Aschley MONTAGU

· SEUIL

·

· Le symbolisme du corps humain

Annick de SOUZENNELLES

Albin MICHEL

· Création artistique et spirituelle

· La voie du silence

Omraam Mikael AIVANHOV

Collection : IZVOR ; Editions : PROSVETA

· L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau

Oliver STACKS

SEUIL

· Une enfant psychotique

Anny CORDIE

SEUIL

· Pratique de la voie intérieure

Karlfried Graf DURKEIM

Le courrier du livre

· Les chagrins de la peau

Claude BENAZERAF

Editions :

· La peau découverte

François DAGONET

Editions : ULYSSE diffusion ; les empêcheurs de penser en rond

· La jeune fille sans mains : lecture psychanalytique d’un conte de GRIMM

Eugen DREWERMANN

CERF

· L’éveil de l’esprit

Françoise DOLTO

SEUIL

· La bible du hibou

Henri GOUGEAUD

· Légendes d’Alsace. Tome 2

Gabriel GRAVIER

Collection du mouton bleu

· Le Coran et les droits de l’homme

Bani SADR

Maisonneuve et Larose

· Les cinq sens

Michel SERRES

GRASSET

· L’épine

Raconté par Bruno De La SALLE ; illustré par Laurence BATIGNE

CASTERMAN

· La sexualité féminine

Françoise DOLTO

SCARABEE et &

· l’aventure d’une guérison

Carl SIMONTON et Reid HENSON

J’AI LU

· Psychanalyse et psychiatrie

Françoise DOLTO

SEUIL

· 365 contes de tus les âges

Muriel BLOCH

GALLIMARD. jeunesse/giboulées

· Le petit prince

Antoine de SAINT EXUPERY

GALLIMARD

· L’arbre aux trésors

Henri GOUGAUD

SEUIL

Le langage des signes. L’écriture et son double.

Georges JEAN

GALLIMARD

ANNEXE

Dans un album pour enfants, on trouve chez CASTERMAN un texte intitulé « l’épine », raconté par Bruno de la SALLE et illustré par Laurence BATIGNE.

C’est un condensé des deux contes.

La jeune fille a un nom. Elle s’appelle PUCETTE.

Elle vit avec son frère POUCET.

La femme de POUCET, jalouse de PUCETTE, pousse son mari à couper les mains de la jeune fille.

Au même moment il se plante une épine dans la jambe.

PUCETTE ne peut la lui enlever.

Elle part. Elle se réfugie dans un jardin où elle se nourrit de fruits pendant la nuit.

Le roi la guette, la découvre, l’épouse.

Puis il part à la guerre .

La reine accouche de deux jumeaux.

La belle-soeur transforme le courrier du roi et de sa femme.

Elle s’enfuit.

Ses enfants tombent à l’eau. En voulant les rattraper, elle plonge les bras dans la rivière et ses mains repoussent.

Le roi la retrouve après des années de recherches.

La belle-soeur confondue est exécutée.

PUCETTE va voir son frère et lui enlève l’épine, toujours fichée dans la jambe.

Auteur : Hélène Lasserre psychomotricienne au CMP enfants de Cahors.

Adrese mail : hh007@waika9.com

---

[1] Le langage des gestes rituels. Herman HOCHEGGER. Ceeba publications, Zaire.

[2] Eloge de l’empreinte. Editions : la revue de la céramique et du verre.

[3] Création artistique et spirituelle. Collection : IZVOR. Editions : PROSVETA

[4] La voie du silence Collection : IZVOR. Editions : PROSVETA

[5] Création artistique et spirituelle.

[6] L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau.SEUIL.

[7] Une enfant psychotique. SEUIL.

[8] La peau découverte. Editions : ULYSSE diffusion; les empêcheurs de penser en rond

[9] Les chagrins de la peau.

[10] « La peau, tissu commun à ses concentrations singulières, déploie la sensibilité. Elle frissonne, exprime, respire, écoute, voit, aime et se laisse aimer, reçoit, refuse, recule, se hérisse d’horreurs, se couvre de crevasses, rougeurs, blessures d’âme. Les maladies les plus instructives, les malaises de l’identité affectent la peau, forment des tatouages qui cachent tragiquement le bariolage de naissance et d’expérience. Ils appellent au secours, affichent la misère et la faiblesse. » Les cinq sens. Michel SERRES. GRASSET

[11] Le moi-peau

[12] Les chagrins de la peau.

[13] Le coran et les droits de l’homme.Bani SADR. Maisonneuve et Larose

[14] Légendes d’Alsace. Tome 2. Gabriel GRAVIER. Collection du mouton bleu.

[15]

[16] La bible en Français courant. Alliance biblique universelle 1993.

[17] Psychanalyse et pédiatrie. SEUIL.

[18] La jeune fille sans mains :lecture psychanalytique d’un conte de GRIMM. CERF.

[19] L’éveil de l’esprit. Françoise DOLTO. SEUIL

[20] « La peau historiée porte et montre l’histoire propre ; ou visible : usures, cicatrices des blessures, plaques durcies par le travail, rides et sillons des anciennes espérances, taches, boutons, eczéma, psoriasis, envies, là s’imprime la mémoire, pourquoi la chercher ailleurs ; ou invisible : traces fluctuantes des caresses, souvenirs de soie, de laine, de velours, fourrures, grains de roche, écorces rugueuses, surfaces râpeuses, cristaux de glace, flammes, timidité du tact subtil, audace du contact pugnace. A un dessin ou un coloriage abstrait correspondrait un tatouage fidèle et loyal où le sensible s’exprimerait ; s’il imite les vignettes, icônes ou lettres, tout s’effondre dans le social. La peau se fait porte-drapeau, alors qu’elle porte des empreintes »

Michel SERRES. Les cinq sens.GRASSET.

[21]  »[21]L’image inconsciente du corps. Françoise DOLTO. SEUIL

[22] La symbolique du corps humain. Annick de SOUZENNELLES .

[23] Dans l’analyse du conte, DREWERMANN parle même de libération par le passage à l’acte du vol : « Cette jeune fille, à qui l’univers entier était interdit par d’écrasant sentiments de culpabilité, trouve la voie d’accès au monde uniquement parce qu’elle a le courage de se rendre coupable. »

[24] STACKS relate :

« Désormais, elle avait besoin d’explorer le visage et la forme humaine, au repos et en mouvement. Etre « tâté » par MADELEINE était du reste une expérience remarquable. Ses mains, encore inertes peu de temps auparavant, molles comme de la pâte, semblaient maintenant animées d’une vivacité et d’une sensibilité extraordinaire

[25] Rappelons comment AIVANHOV a souligné la relation entre détente des mains et du plexus solaire :

« Si vous arrivez à les (mains) détendre elles aussi, vous sentirez un bien-être se communiquer jusqu’à votre plexus solaire. »

[26] «  Les mythes, les contes, les légendes du monde sont au fond de nous comme des trésors d’une caverne prodigieuse. Certains sages d’Orient pensent que l’histoire juste dite au bon moment à la personne qu’il faut est capable d’illuminer qui l’entend, c’est à dire de lui apprendre ce qu’aucune explication, aussi intelligente soit-elle, ne saurait dire. »

Henri GOUGAUD. L’arbre aux trésors. SEUIL.

[27] Pratique de la voie intérieure. Le courrier du livre.