REFLEXIONS SUR LA COMMUNICATION EN HOMEOPATHIE

Dr Bernard Auriol

Bulletin de la SMHMP, 18, 7-18, Avril 1988

 

Je viens vous faire part de quelques pensées qui vous demanderont sans doute un certain effort : il s'agit d'idées tournant autour de la communication entre l'homéopathie et son environnement, plutôt que du problème très précis qui sera développé par la suite et qui concerne la facilité ou non de communication de l'individu avec son entourage, les caractéristiques de cette communication, les typologies qu'on en peut tirer, son influence sur la relation médecin ‑ malade. L'implication transférentielle de l'un et de l'autre, la nature, le mécanisme et les conséquences heureuses ou néfastes de la suggestion, etc. ...

 

Qu'est-ce d'abord Que « communiquer »

 

Nous trouvons ce mot, pour la première fois chez Oresme, évêque de Lisieux et traducteur d'Aristote. Il signifie déjà "être en relations avec" et vient du latin « communicare »: « mettre en commun ». Ce met est formé du préfixe «cum» et de «munis»: "qui accomplit sa charge, son devoir". Communis devrait donc signifier le partage des charges, des devoirs, mais il a étendu son champ sémantique à tout partage. Il est à noter l'autre étymologie, du latin d'Eglise dans lequel « communicare » serait « donner le repas du soir », « accéder à l'eucharistie » ... Mettre en commun les faits et gestes de la journée et la tradition des anciens à l'occasion de la veillée ...

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Dés cet instant, l'homéopathie apparaît plongée dans la communication : viatique des doses ou des granules, etc., lien de communauté quelque peu « maudite » au sein de la médecine occidentale, intensification du partage des informations entre le praticien et son patient, intérêt pour le versant « communiquant » de l'individu avec son environnement et ses semblables, prise en compte de l'organisme malade comme un univers holistique où les objets s'interconnectent à l'infini et jusqu'à l'infime ...

 

Venons en à quelques considérations plus théoriques dont nous aurons besoin par la suite : les notions de multiplicité et d'unité.

 

MULTIPLICITE

 

L'adage « Omnis determinatio est negatio » (toute détermination est négation) souligne que tout énoncé ne se pose que pour autant qu'il en exclut d'autres. Ainsi toute pensée conceptuelle implique de se référer à une multiplicité, à une collection d'objets cognitifs qui en comportera au moins deux : cet objet (1) est différent du reste (2) des objets. Il conviendra d'ajouter ce qui (3), précisément, effectue la différence.

 

Tout processus cognitif, surtout s'il se veut explicatif, comme c'est le cas de la démarche scientifique, déroulera son dévoilement par le biais d'une telle multiplicité; il est ici question de l'ANALYSE au sens rationnel de ce terme. On devra raconter de quoi se constitue la matière ou l'esprit. Et s'il s'agit de molécules la question suivante sera : quelle est la substance, la structure d'une molécule, etc. ... d'atomes en quarks, et de quarks en préons[1]  ...

 

La démarche scientifique opère en contrepoint: définir, décrire, ce qui est introduire divisions, multiplicité toujours accrue. Ceci dans un but d'explication : c'est à dire pour rendre compte du phénoménal en terme de lois unifiant tous ces êtres qu'on ne peut laisser disparates. Et c'est l'atomisme et les efforts vers quelque Mythique Grande Unification qui, telle l'objet du désir, s'échappe au moment de sa capture ...

 

Quittons le domaine de la Physique et tournons nous vers l'Esprit: s'il s'agit de facultés ou d'instances, il sera tout aussi nécessaire d'en décortiquer les composants et les composants de leurs composants, quitte à retomber, comme Freud dans l'Entwurf (1956), sur des opérations simples de type sensoriel, mnésique ou histophysiologique ...

 

Ainsi « Le but dernier des sciences humaines n'est pas », au dire de Lévi‑Strauss (1974), «de constituer l'homme, mais de le dissoudre.»

 

UNITE

 

Concurremment à cette course effrénée vers le morcellement, nous pouvons observer le correctif appliqué par l'effort de synthèse qui cherche sans cesse à ramener toute cette multiplicité vers l'unité. On pourrait en repérer les avatars dans la notion de quantité ou dans celle de loi.

Pour nous il ne s'agit pas uniquement de l'unité qui peut s'agréger à d'autres unités pour constituer une collection d'éléments (dénombrement, quantification) ...

 

Il s'agit d'unités bien spécifiques comme lorsqu'on désigne un objet de l'expérience: « un animal », « une cellule », « une molécule », « un corps céleste », un groupe de pression», « une institution », etc. ...

 

Aristote distingue en tout objet de connaissance sa matière et sa forme. Le thomisme et diverses formes de néo ‑ aristotélisme reprennent cette théorie hylémorphique pour décrire dans les objets réels une part indéterminée, potentielle (matière) par opposition à leur manifestation actuelle (forme). Cette position évite le réductionnisme qui conduit beaucoup de penseurs à croire que tout est dit d'une chose lorsqu'on l'a décortiquée et réduite à quelque abstraction.

 

Il nous sera utile d'admettre que chaque partie d'un organisme est connecté avec toutes les autres, de manière directe ou indirecte. (De même pour un organisme et les composants de son environnement). C'est dire que toute action, sur un point quelconque de l'organisme, doit avoir des conséquences sur tous les points de cet organisme. Il peut s'établir des systèmes de résonance ou d'amortissement tels que l'action d'un corps puisse prendre un aspect paradoxal, par exemple du point de vue quantitatif: peu de produit ayant une grande action et beaucoup de produit une petite action dans des cas bien

Précis …..

 

Choix du référent

 

On définit une connaissance de type ascendant, dans laquelle on prend comme référence (connu préalable) les éléments plus simples dont la combinaison selon des lois appropriées conduit à l'unité complexe qu'on cherche à expliquer: ainsi la cellule (biologie) sera expliquée par les processus moléculaires, atomiques (chimie), électriques, magnétiques (physique), etc. ...

 

La connaissance de type descendant se référera plutôt à ce qui est complexe pour rendre compte des phénomènes plus simples, élémentaires: par exemple, l'excès de sécrétion d'une glande (ulcère d'estomac, troubles menstruels, etc. ... ) sera rapporté à un mécanisme inconscient aboutissant à cette somatisation ...

 

On peut démontrer que dans la connaissance de type descendant, plus la profondeur croit et plus la certitude s'affaiblit en raison de deux mécanismes distincts qui se complètent:

 

a) lorsque croit le morcellement, l'ignorance se déplace d'une échelle à l'autre sans diminuer réellement ( c’est à dire qu'on postule sans y être autorisé la connaissance préalable de l'unité de morcellement maximum et des éléments médiateurs éventuels).

 

b) lorsque croit le morcellement s'instaure un « racisme d'échelle » croissant avec le degré de ce morcellement, c'est à dire que les différences individuelles entre les « sous unités » considérées sont systématiquement sous estimées, comme si toute molécule d'oxygène était identique à toute autre, alors qu'on imagine mal de considérer que tout chat est identique à tout autre.

 

On démontre de la même façon que l'explication de type ascendant aboutit à un biais aussi important quoique de sens inverse.

 

Il en découle que le référent le moins critiquable est l’être humain lui-même; banalité depuis la maxime de Protagoras, quatre siècles avant notre ère: « l'homme est la mesure de toutes choses ».

 

 

*****

 

 

L’HOMEOPATHIE ET CE QUI L'ENTOURE

 

Points évolutifs nécessaires pour que l'homéopathie évolue réellement et jette les ponts nécessaires avec les autres domaines de la science et de la culture:

 

Afin de communiquer avec son environnement pratique et culturel, il convient, pour l'homéopathie,

 

1) de se donner une méthode expérimentale et clinique SPECIFIQUE MAIS RIGOUREUSE

2) d'épurer les bases sur lesquelles nous nous appuyons

3) de distinguer les effets non spécifiques de notre pratique

4) d'établir les parentés structurelles entre remèdes

5) de synthétiser les effets d'un remède

6) de développer la méthode des pathogénésies

 

de se donner une méthode expérimentale et clinique SPECIFIQUE MAIS RIGOUREUSE

Cette méthode devrait ‑ entre autres ‑ permettre simultanément les études à double insu et la plus large liberté de prescription. Ceci me parait accessible à condition de faire un très large appel à l'expérimentation armée d'outils statistiques puissants permettant de traiter des données nombreuses simultanément : je pense en particulier à l'Analyse des correspondances multiples. Un tel outil permet en effet de gérer statistiquement les prescripteurs, les remèdes prescrits et les symptômes, comme autant de paramètres qualitatifs, aussi nombreux soient‑ils, pourvu que le nombre de sujets pris en compte soient au moins deux ou trois fois plus nombreux que le nombre de variables considérées. Ceci n'est possible que depuis peu, pour une bourse moyenne, grâce aux progrès de l'informatique et de la théorie statistique.

 

Ce type d'étude devrait s'inspirer plus du désir d'approfondir et d'asseoir nos connaissances que de l'espoir de faire triompher notre point de vue, considéré, sur la simple base de notre conviction comme définitivement valable a priori .

 

Cette attitude est celle de l'APOLOGETIQUE: il s'agit, la Vérité étant acquise, de se donner les meilleurs outils pour la faire triompher. Toute ménagère, prise sur l'un quelconque de nos écrans favoris, devrait pouvoir affirmer l'excellence de notre lessive. La médecine prend de gros risques lorsqu'elle se fait Religion, Publicité ou Propagande: se prendre à son propre jeu n'est pas le moindre. Jeu de l'Oie s'entend ! A vouloir convaincre l'autre de la vérité que nous détenons, nous la laisserions retomber dans le puits: les Saintes Ecritures maintes fois épluchées, les querelles des exégètes vidées et retissées, ce sont les mêmes mots qui se répètent, la sacralisation et le gonflement des premières erreurs pour peu qu'il y en eut ... Le dogme, comme tel, dans le champ de la science, se fait systématiquement payer d'un Retour à la Case Départ....

 

d'épurer les bases sur lesquelles nous nous appuyons

Il est, dans notre discipline, des bases explicites et sûres, auxquelles nous avons l'habitude de nous référer et quelques amis incertains dont la présence est parfois oubliée. Même les principes les mieux avérés et rendus indiscutables par notre consensus devrait faire l'objet d'un travail de vérification systématique. Ce travail n'est pas nécessairement très compliqué et ne pose pas toujours des problèmes insurmontables de protocole. Par exemple les dilutions successives s'accompagnent d'une dynamisation qui a pour effet théorique d’accroître dans de notables proportions les effets du remède. Avant d'en expliquer le mécanisme, il est opportun et relativement simple de mener une étude en double ou simple aveugle opposant l'ensemble des produits « corrects » (dynamisés) à un ensemble jumeau du point de vue des produits mais dont les dilutions successives seraient effectuées avec un nombre de mouvements très inférieur: la moitié, le quart, le « 20 » des mouvements ... Les praticiens impliqués dans l'étude ‑ ainsi que leurs patients ‑ noteraient à chaque occasion la plus ou moins grande satisfaction qu'aurait donné le produit. On devrait observer une différence entre les deux ensembles au profit de la dynamisation.

 

Ceci étant acquis, resterait à rendre compte de ce résultat. Qui ne tend à rien d'autre qu'à insister sur l'effet des communications, les plus intenses possibles, entre remède et support "inerte'. D'où l'idée, déjà utilisée, selon laquelle le solvant finirait par devenir le produit actif. Cela ne poserait pas trop de questions s'il s'agissait d'un milieu quelque peu stable, assez rigide, susceptible d'être déformé par le remède, comme le serait peut-être un milieu cristallin ou assimilé. Il n'en va pas généralement ainsi des milieux inertes que nous utilisons. Si l'effet de la dynamisation existe, nous sommes alors contraints d'envisager des explications plus sophistiquées, quelque peu nouvelles et très dérangeantes. Comme de dire: chaque molécule, dans sa structure individuelle, diffère largement de chaque autre. Elle peut subir certaines modifications à chacun de ses contacts avec d'autres entités situées dans son ordre dimensionnel. Ces modifications peuvent être durables et conduire, pour la molécule précise M(i) à des effets distincts de la molécule moyenne M(m). Ainsi l'Histoire individuelle de chaque molécule pourrait la marquer et lui donner une physionomie propre. Cette façon de voir n'a rien de vraiment surprenant pour peu qu'on veuille bien, comme dans certains dessins animés pédagogiques, se transporter par un changement d'échelle, dans l'infiniment petit ... Pour nous y résoudre, vous pouvez imaginer l'inverse. Vous êtes un géant dont les molécules sont nos galaxies. Pour un tel personnage, les planètes et les étoiles se ressemblent tous et il a tendance à se contenter d'en faire la statistique. S'il pouvait nous rejoindre, il découvrirait l'infinie variété des soleils et des corps froids qui gravitent autour. Par exemple, il devrait apprendre à ne pas confondre la terre et Mars... Il sera possible, là aussi d'imaginer un protocole permettant de vérifier cet effet anamnestique moléculaire: comme de comparer le comportement quantique de deux séries de molécule dont chacune aurait été soumise à un cursus bien typé et très différent.

 

Autre Question l'effet du Nom : l'usage de termes quelques peu sibyllins pour le public quotidien, pourrait ne nous servir qu'à moitié; les effets sur notre inconscient d'un ensemble précis de phonèmes commence à être approché. De l'inconscient à l'organe le chemin peut-être fort court ! Il s'agit là d'une forme d'action non trivialement réductible à la suggestion dans son aspect générique. Plutôt la transmission d'une forme mentale aux contours spécifiques et par là douée d'une action strictement individualisée et repérable comme "pathogénésie", indépendamment de la nature physico‑chimique du support matériel. Expérimenter sur cet aspect reviendrait à comparer l’effet du remède Xl administré avec son Non Propre à son effet sous l'appellation X2, totalement distincte ‑ et divergente phonétiquement ‑ de Xl.

 

de distinguer les effets non spécifiques de notre pratique :

A l’effet du NOM peut s'adjoindre l’effet du NON (N, 0, N) i il s'agit de l'hypothèse suivante:

Le sujet S (i) se présente avec un ensemble de plaintes P (j) et de caractéristiques variées qui nous conduisent à lui prescrire le remède le plus semblable. L'action que R(ij) est censé avoir est de modifier l'équilibre de S(i) de telle sorte que ses plaintes s'estompent ou disparaissent. Pour préserver son intégrité, son organisme déplace alors son équilibre vers une position augmentée dans le sens de l'ensemble de ses plaintes P(j). Cette attitude de prévision, dans le cas de l'homéopathie est erronée puisque nous lui administrons, justement, quelque chose qui va dans le sens de P(j) et non en sens inverse comme il s'y attend et comme le réaliserait l'allopathie.

 

Cette prévision est également erronée si nous remplaçons R(ij) par un produit aussi indistinct, neutre et inerte qu'on le voudra R(oo) ... Dans le cas de l'homéopathie comme du placebo, l'organisme exagère ses manifestations, fussent ‑ elles pathologiques en réponse à notre action. Il sera très vite ensuite conduit à corriger sa correction, éventuellement jusqu'à retrouver un meilleur équilibre dans les bons

cas ... L'homéopathie et certains effets placebos auraient, sous cette hypothèse le même mécanisme, qui serait accentué par le remède lorsque ce dernier est bien choisi, mais pourrait se manifester en l'absence du remède correct !

 

d'établir les parentés structurelles entre remèdes (peut-être sous forme d'arbre logique), tant du point de vue de leur action que du point de vue de leur constitution physico‑chimique: on voit mal comment nous pourrions échapper sans dommage au lien entre structure et fonction.

 

de poursuivre la constitution de diagrammes permettant de synthétiser les effets d'un remède et d'éliminer progressivement les signes aléatoires inscrits dans les matières médicales, fussent elles les plus vénérables.

 

de développer la méthode des pathogénésies et de l'étendre à l'ensemble des nouvelles molécules, spécialement celles qui ne seront pas mises sur le marché en raison de leurs »effets latéraux" qui n'est autre, justement que leur pathogénésie.

 


Bibliographie

 

B. Auriol                        Pour une approche Multifocale en Thérapie

                        Psychologie Médicale, 17, 6, 809‑813, 1985

 

S. Freud                        La naissance de la psychanalyse

                        « Esquisse d'une Psychologie Scientifique »

                        4° Ed Fse ‑ pp. 313 et sq. ‑ 1979

 

C. Lévi‑Strauss                        La pensée sauvage

                        Plon, 1962 (réédition de 1974, p.326)

 

H. Reeves                        Projet dans le Cosmos ?

                        La liberté de l'esprit

                        Krisis, 9‑10, 58‑68, Sept 1985

 

 



[1] particules hypothétiques en vue de la grande unification.

 

 

 

 



Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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dernière mise à jour le

17 Septembre 2004