European Journal of Parapsychology, 1983, 1, 19-50 - Part 1
(traduit en français par Alexia Fournier)
Le rapport porte sur quatre études expérimentales d’interférence précognitive, ou interférence anti-dromique, dans une série perceptive de deux stimuli successifs (S1 et S2). Les échantillons étaient composés d’étudiants universitaires non sélectionnés, la taille de ces échantillons variant de 12 à 28 sujets. Dans l’Etude I, la mesure étudiée était le temps de réaction (TR) pour identifier des noms et des surfaces de couleur, avec un intervalle entre les stimuli de 850 ms. Les résultats indiquent qu’en plus de l’interférence (dromique) de S1 sur le TR à S2, il y avait aussi une interférence de S2 sur le TR à S1. Dans les Etudes II – IV, les résultats de l’Etude I ont été utilisés comme base pour une série d’expériences visant à valider le concept, et utilisant une technique de détection et un paradigme de réponse au stimulus différents. Considérés ensemble, les résultats indiquent clairement la présence d’interférence anti-dromique, et fournissent un support à une interprétation en termes de boucles de feedback temporel. De plus, le type perceptif / cognitif des individus (facilitateur ou inhibiteur), a joué un rôle majeur pour la prédiction des conditions sous lesquelles l’interférence précognitive aurait lieu.
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ETUDE I : INTERFERENCE ANTI-DROMIQUE AVEC LE TEMPS DE REACTION
Pendant plusieurs années, l’auteur du présent rapport, en temps que psychologue expérimental, a étudié les phénomènes d’interférence dans les séquences perceptives. Dans un paradigme fréquemment employé, un premier stimulus (S1) est suivi après un bref intervalle de temps – habituellement de l’ordre de 0.5 à 3 secondes – d’un stimulus (S2). Dans ces conditions, si le sens de S1 en relation à S2 est changé, le temps de réaction (TR) à S2 change aussi ; ceci est dû à l’interférence cognitive de S1 avec l’identification par le sujet de S2. Ainsi par exemple, si S1 est un mot de même sens que S2, le TR à S2 peut être plus court que si les deux stimuli ne sont pas sémantiquement associés.
Normalement, dans ce protocole, le TR n’est mesuré que pour la
réponse au second stimulus de chaque séquence, mais dans quelques
expériences j’ai aussi inclus les temps de réaction au premier
stimulus (dans le but d’établir, pour chaque individu, la ligne
de base pour les niveaux de temps de réaction). Comme prévu, les
résultats ont montré la présence
d’interférence cognitive, soit que le TR à S2 change de
manière caractéristique avec le sens de S1.
Cependant, au cours de l’analyse de données, on a relevé
une anomalie apparente : en plus de l’interférence sur la perception
de S2 par la présence de S1, il semblait y avoir un deuxième type
d’interférence, en l’occurrence une interférence de
S2 sur la perception de S1. Ceci était révélé par
les changements caractéristiques du TR à S1 en fonction du sens
du stimulus suivant S2. Il se révéla très difficile de
trouver une explication rationnelle à cette anomalie, et après
avoir fait, à maintes reprises, des observations officieuses similaires,
j’ai décidé d’étudier la nature de cette relation
dans une expérience spécifique.
J’avais à l’époque une connaissance générale
en parapsychologie expérimentale, et j’ai réalisé
que si les changements de TR à S1 ne pouvaient en aucune façon
être reliés à un facteur précédent ou simultané
à la réponse à S1, alors on ne pouvait pas éliminer
une interprétation de la relation en termes de Perception Extra Sensorielle.
Plus précisément, une hypothèse serait que la perception
et l’identification de S1 par les sujets étaient –par le
biais d’interférence précognitive ou anti-dromique
– affectées par leur identification de S2, celle-ci ayant lieu
une minute plus tard. Le phénomène de perception extrasensorielle
le plus à même de décrire ce type de relation serait alors
la précognition.
Comme les lecteurs de cet article le savent, le problème de la
précognition a été pendant des années un centre
d’intérêt en
parapsychologie expérimentale. Depuis les expériences pionnières
de Rhine (1938) dans les années trente, la controverse « psychokinèse
contre précognition » dans les années cinquante et soixante
(e.g. Nash, 1966, Johnson, & Kanthamani, 1967) jusqu’aux expériences
de perception extrasensorielle sur les animaux, (e.g.Duval & Montredon,
1968), une foule de rapports a démontré l’existence de ce
phénomène.
Sur les différentes méthodes employées, beaucoup se reposaient sur le choix conscient par le sujet d’une réponse parmi plusieurs proposées, à l’instant T0, qui doit indiquer, ou être associée à un événement futur à l’instant T1, et en l’absence d’interférence logique. L’hypothèse était que le choix serait, d’une certaine manière, dépendant de l’événement futur, ou lié à lui.
Un exemple de méthode n’utilisant pas un choix conscient de réponses : l’étude de Stanford et Stio (1976), utilisant les changements dans le temps de réaction comme indicateurs de perception extrasensorielle, lors d’une tâche d’association libre. De la même manière, dans l’étude présente, la méthode utilisée est strictement non-introspective, la mesure variable de base étant simplement le temps nécessaire au sujet pour identifier un mot apparaissant sur un écran.
Méthode
Procédure
Chaque séquence de stimuli est composée d’une surface de
couleur (S1) suivie du nom d’une couleur (S2), toutes les deux choisies
parmi le rouge, le vert, le bleu, ou le jaune et apparaissant successivement
sur un écran placé face au sujet. L’intervalle entre les
stimuli est de 850 ms, et deux possibilités sont utilisées : la
congruence (les deux stimuli portent sur la même couleur, par exemple
bleu-bleu, vert-vert, etc.), et la non congruence (les deux stimuli portent
sur deux couleurs
différentes, e.g. bleu-vert, rouge-jaune, etc.). La tâche du sujet
est de nommer aussi vite que possible d’abord S1, puis S2, la réponse
à S1 étant toujours faite avant que S2 prenne place (voir figure
1).
Pour la totalité des séries de 36 essais (séquences)
chacune, le choix de S1 est fait selon un ordre préétabli, tandis
que celui de S2 dépend d’un générateur aléatoire
de nombres, de fréquence 10 Hz, basé sur un circuit à signal
instable. Le générateur sélectionne un projecteur de diapositives
pour l’exposition de S2, parmi les deux utilisés. Le projecteur
1 présente toujours un S2 congruent, le projecteur 2, toujours un S2
non congruent.
De plus, avant chaque essai, l’expérimentateur actionne un interrupteur,
inversant les connexions des deux projecteurs au générateur aléatoire
tous les deux essais. Ceci pour protéger l’expérience d’un
biais éventuel en faveur de l’un ou l’autre choix, menant
à un excès de congruence ou de non-congruence. Dans un tel cas,
l’interrupteur tendrait à alterner ces choix, tandis que les séries
normalement irrégulières du générateur conserveraient
leur caractère aléatoire. Ce procédé est utilisé
pour que l’équilibre entre les deux possibilités sur l’ensemble
des séries soit atteint, tout en remplissant la condition du
caractère aléatoire du choix. Donc ni le sujet ni l’expérimentateur
ne peut connaître ou déduire le cas présenté (congruence
ou non-congruence) avant l’exposition de S2.
En outre, l’expérience est menée dans des conditions «
double-blind », où ni l’expérimentateur ni les sujets
sont informés de la nature des hypothèses.
Figure 1 : les séquences stimulus-réponse
S1 (surface colorée) est suivie après 850 ms de S2 (nom de couleur).
Les temps de réaction du sujet TR(S), à ces stimuli sont mesurés,
et la réponse R est l’identification verbale de chaque stimulus.
La sélection aléatoire de S2 (congruent ou non), est toujours
en opération.
Sujets et expérimentateur : vingt-huit étudiants de première année en Psychologie, âgés de 20 ans, ont servi de sujets. L’expérimentateur est une jeune collègue de l’auteur (Mme Monica Henning, Lund).
Dispositif: le dispositif comprend un minuteur électronique à trois sorties, trois projecteurs (un pour S1, deux pour S2 –congruent et non congruent-), des chronomètres, un porte-voix, et un générateur aléatoire de nombres.
Hypothèse : l’hypothèse, qui découle des observations
précédentes, est la suivante :
Si, pour un sujet donné, il y a une tendance à identifier le stimulus
(S2) plus vite dans le cas de congruence entre les deux stimuli, alors ce sera
vrai aussi pour son identification du stimulus (S1).
A l’inverse, si l’identification de (S2) est plus lente dans le
cas de congruence que dans le cas de non congruence, alors ce sera vrai aussi
pour l’identification de (S1).
Résultats
Les données brutes de chaque sujet sont les temps de réaction
obtenus pour les 36 séquences – essais. A partir de ces données
on forme deux différences : D1 est la différence des temps de
réactions à S1 pour les situations de congruence et de non congruence,
et D2 est la différence des temps de réactions à S2 pour
les situations de congruence et de non
congruence Les définitions suivante sont utilisées :
D1 = TR(c) – TR(nc) : la différence de TR à S1 entre l’essai 1 et le premier essai différent de l’essai 1 en congruence (essai congruent moins essai non congruent)
D2 = TR(c) – TR(nc) : la différence de TR à S2 entre le premier essai, non inclus à D1, et le premier essai suivant (non inclus dans D1) avec la même couleur et différent par sa non congruence du précédent (essai congruent moins essai non congruent).
Donc les valeurs de D1 et D2 sont toujours déduites de paires différentes.
Ceci est nécessaire, sinon le moindre changement du temps de réaction
de référence influant sur les deux réponses d’un
essai aurait tendance à augmenter trivialement la corrélation
entre D1 et D2. De même, le facteur couleur aurait pu jeter un discrédit
sur les résultats . Comme l’intervalle entre S1 et S2 était
de 850 ms, les quelques réponses à S1 qui dépassent cette
valeur sont exclues de l’analyse. Vous remarquerez de plus qu'avec cette
manière de procéder seuls quatre parmi les trente-six essais de
chaque sujet sont pris en compte dans
l’analyse. C’est une conséquence de la nature aléatoire
des séries en conjonction avec les restrictions imposées à
la sélection des essais par la nécessité de l’équilibre
en terme de couleur et de l’indépendance des observations (voir
les définitions ci-dessus).
D’après l’hypothèse, si pour un sujet donné
la proposition D2>0 est vraie (TR à S2 pour les paires congruentes
supérieur au TR à S2 pour les paires non congruentes), alors la
proposition D1>0 serait aussi vraie (la même relation entre les TR
à S1 serait vraie), alors que D2<0 serait associée à
D1<0.
Le tableau 1 résume les résultats (P=0.015, ******) dans le sens
prédit par l’hypothèse.
Tableau 1 : Test de la relation entre D1 et D2.
Les données sont les nombres de sujets dont les résultats sont
caractérisés par leurs combinaisons D1 / D2. La valeur médiane
pour D1 est de 79 ms pour le groupe avec D1>0 et –47ms pour le groupe
avec D2<0.
Il faut être prudent pour l’interprétation de ce type de
résultat. Une interprétation faisant intervenir un effet de perception
extrasensorielle est possible uniquement si toute source d’artefact –statistique
ou méthodologique- est exclue.
Pour cette expérience, comme pour chaque essai la sélection d’un
cas de congruence ou non est faite électroniquement par un générateur
aléatoire, la sélection ayant lieu après la réponse
du sujet à S1 et donc physiquement indépendante, les sources potentielles
d’artefact suivantes sont éliminées :
1- Le sujet « lit » les indices donnés consciemment ou non
par l’expérimentateur.
2- L’influence de séries fixées de combinaisons des essais
précédents sur l’attente du sujet pour les essais suivants.
Comme on le sait (Rosenthal, 1969 ; Barber, 1976), dans un travail expérimental,
ce qu’on appelle les effets sujets/agents sont toujours une source potentielle
d’erreur qui ferait plus ou moins dévier les résultats systématiquement
dans le sens désiré (ou non-désiré !) par la personne
impliquée dans l’expérience. Cependant, il semble que pour
l’existence d’une telle influence, il faut que soit l’expérimentateur
soit le sujet ait une idée de ce que l’on attend de lui –
en termes de performance
pendant l’expérience – dans le but d’obtenir un certain
résultat. Il est difficile d’envisager que cela puisse être
le cas pour cette expérience : d’abord, les conditions sont strictement
double-blind , ensuite, parce qu’à l’instant où est
flashé S1 personne ne peut déduire quel cas sera choisi par le
générateur, et enfin, la modification du TR à S1 dans une
direction requise par l’hypothèse requiert non seulement la connaissance
du choix futur du générateur mais aussi la connaissance de la
performance en terme de TR dans l’autre cas.
Il faut mentionner que bien que l’action du générateur aléatoire,
lors de test, approchât à peu près l’espérance
du hasard en terme de distribution de deux états alternatifs, l’appareillage
ne peut probablement pas être considéré comme une source
idéale d’événement aléatoire. Plus précisément,
on peut se demander si l’insertion de l’interrupteur alternatif
(voir procédure) pourrait, dans le cas où le générateur
serait biaisé dans l’une ou l’autre direction, entraîner
une alternance des résultats supérieurs au hasard. Cependant,
l’analyse révèle que même une déviation de
2 ou 3 en faveur d’un des deux états n’augmenterait
que très légèrement au-dessus de 0.5 la probabilité
de l’alternance (voir appendice 2). Donc, vu qu’une telle déviation
dans le générateur de nombres utilisé est à exclure,
le niveau du caractère aléatoire peut être considéré
comme satisfaisant.
Vu ces circonstances et le fait que l’expérience ait été
réalisée suite à de précédentes observations
informelles d’un même type de relation dans un travail expérimental
quotidien, l’hypothèse selon laquelle une interférence précognitive
joue un rôle dans le résultat observé a été
acceptée, dans les limites établies par le test statistique.
Apparemment, l’effet d’interférence anti-dromique révélé
par l’expérience n’a pas été d’une magnitude
telle qu’il puisse être expérimenté consciemment par
les sujets ; l’effet a été révélé par
un léger changement temporel sur la phase du processus de perception
/ cognition qui consiste à détecter et identifier le stimulus
S1. Le changement peut être perçu comme une influence précognitive
qui facilite l’identification, pour certain sujets, si le second événement
a le même sens que le premier (D>0), et pour d’autres si les
deux significations sont non congruentes (D<0). Bien qu’il ne s’agisse
pas de « pré-cognition » avec la connotation usuelle d’une
conscience de l’expérience par le sujet, les caractéristiques
importantes de la précognition sont présents : « l’interférence
» d’un événement ultérieur sur un événement
antérieur pour la même personne, en l’absence
d’interférence logique. Un autre point intéressant est le
rôle des différences individuelles : comme nous l’avons vu,
la confirmation de l’hypothèse implique la présence de différences
cohérentes dans la direction ou le signe de changement temporel. Dans
quelques unes des études décrites ci-dessous, il y a des preuves
que ce type de variation puisse être lié à des différences
sur la dimension générale du faciliter / inhiber.
En général, comme méthode, la détection d’effets
précognitifs par le moyen de changements temporels au cours de séquences
perceptives semble être un supplément réaliste à
l’arsenal existant, son avantage principal étant sa haute sensibilité
et le fait qu’elle de dépende pas de l’introspection et d’un
rapport verbal. En ce qui concerne ces deux dernières caractéristiques,
apparemment, une façon de raisonner similaire a été suivie
par Hartwell (1978, 1979) dans une investigation visant à détecter
une influence précognitive au moyen de ce qu’on appelle la Variation
Contingente Négative (VCN) dans l’activité électrique
du cerveau : puisqu’on sait qu’une VCN accompagne l’anticipation
par le sujet d’une imminente stimulation, on a émis l’hypothèse
que sous certaines conditions, l’anticipation précognitive (pas
nécessairement consciente) puisse être indiquée par la présence
de VCN.
Donc, avec son schéma temporel des stimuli et, comme nous l’avons
vu, le fait qu’elle n’est pas basée sur un rapport verbal,
l’expérience d’Hartwell comporte des similitudes avec celle-ci.
Bien qu’Hartwell n’ait pas rapporté d’effet Psi significatif,
sa méthode me semble prometteuse et digne d’être poursuivie.
Une limitation à l’utilisation des changements dans les statistiques
de temps de réactions peut être liée à l’erreur
variable associée à ces mesures : il est de plus en plus difficile
de détecter des effets inférieurs à 10-20 ms si la taille
de l’échantillon est maintenue dans des limites raisonnables. C’est
un point intéressant : on ne peut pas écarter la possibilité
d’une interférence anti-dromique d’un ordre plus petit pour
certains individus ou ensemble d’événements. Comme on va
le voir dans le études suivantes, cette difficulté peut être
dépassée par l’utilisation de boucles de feedback temporel.
voir l'article de Bernard Auriol sur la causalité antidromique (ici)