La position de Saint Thomas d'Aquin quant à la connaissance des choses futures

(précognition)

Dr Bernard Auriol

 

Saint Thomas d'Aquin s'est appliqué à explorer la notion de prophétie proposée par la Bible et les écrits des philosophes grecs. Essayons de relire ce texte qu'on trouve dans la Somme Théologique (IIa IIae qu. 171-174) en négligeant sa valeur proprement scripturaire et religieuse pour n'en retenir que les aspects qui pourraient intéresser la parapsychologie, notamment à propos de la précognition et de l'ESP en général ! C'est dire que nous rabattrons, autant que possible, sur le point de vue à orientation scientifique de la parapsychologie, la constante référence que le Saint fait à l'inspiration divine, au Saint Esprit, aux anges et aux démons. Il ne faut pas voir là une profession anti-religieuse, mais le souci d'extraire de la pensée thomiste ce qui pourrait bénéficier à la démarche expérimentale, en laissant entre les parenthèses de la foi ce qui lui revient. Les ablations de texte sont signalées par (...), les commentaires de Bernard Auriol le sont par des remarques entre crochets ou des textes de couleur violette.

 



Saint Thomas va définir la prophétie comme "connaissance des choses éloignées" (dans le temps, futur ou passé, et dans l'espace). Il se réfère même au terme de "voyance".

Pour lui :"la prophétie est premièrement et principalement un acte de connaissance (...) de réalités qui échappent à la connaissance ordinaire des hommes. (...) [ Ils ] voient apparaître ce qui est éloigné. Voilà pourquoi, d'après Saint Isidore, " ils étaient nommés voyants dans l'Ancien Testament, car ils voyaient ce qui échappait aux autres, et ils percevaient ce qui était enveloppé de mystères ". Dans le paganisme, on les appelait 'vates' à cause de la force de leur esprit (vi mentis)". (...) " A la suite de Saint Isidore on peut donc considérer les prophètes comme des " prédisants " parce qu'ils " (...) annoncent la vérité sur l'avenir ".

Il exclut que la capacité de prophétiser soit accessible à tous, ni qu'elle soit accessible à tout moment chez le prophète lui-même : personne ne peut user de la prophétie à son gré. Saint Grégoire observe en effet, à propos d'Élisée (2 R 3, 15) : " Comme Josaphat s'enquérait des événements futurs et que l'esprit de prophétie faisait défaut à Élisée, celui-ci fit jouer de la harpe afin que l'esprit de prophétie descende en lui, grâce à la psalmodie, et remplisse son intelligence des réalités futures. "

 

[ La prophétie a pour objet non seulement les futurs contingents (précognition) mais aussi les pensées d'autrui ou les événements du passé (télépathie, voyance) ]

Cassiodore dit : " La prophétie est une inspiration ou une révélation divine qui annonce les événements [futurs contingents] avec une vérité immuable. " D'après Saint Grégoire la prophétie peut s'appliquer, soit au futur : " Voici qu'une Vierge concevra et enfantera un fils ", lit-on dans Isaïe (7, 14) ; soit au passé : " Au commencement, dit la Genèse (1, 1), Dieu créa le ciel et la terre " ; soit enfin au présent : " Si tous prophétisent, écrit l'Apôtres et que survienne un infidèle, les secrets de son coeur sont dévoilés " (1 Co 14, 24). (...)

Le premier degré est formé des réalités sensibles ou intellectuelles qui échappent à la connaissance, non de tous les hommes, mais de tel ou tel homme en particulier. Ainsi, l'un connaît par ses sens les objets qui lui sont localement présents, alors qu'un autre les ignore parce qu'ils lui sont absents : Élisée, par exemple, a perçu d'une façon prophétique ce qu'avait fait en son absence son disciple Giézi (2 É, 5, 26). Pareillement, les pensées intimes de certains sont manifestées à d'autres grâce à la prophétie, dit Saint Paul (1 Co 14, 24).(...)

Le dernier degré se compose des réalités qui excèdent la connaissance de tous les hommes, parce qu'elles ne sont pas connaissables en elles-mêmes ; par exemple, les événements futurs contingents, dont la vérité objective n'est pas encore fixée. (...) Voilà pourquoi la révélation des événements futurs appartient de la façon la plus rigoureuse à la prophétie ; c'est même de là que semble venir le nom de prophétie. Saint Grégoire a donc pu écrire : " La prophétie, dont la nature est de prédire l'avenir, perd la raison de son nom, quand elle parle du passé ou du présent. "

 

La prophétie peut-elle comporter de la fausseté ?

Dans toute proposition conditionnelle, si l'antécédent est absolument nécessaire, le conséquent l'est aussi ; le conséquent, dans cette proposition, est en effet à l'antécédent ce que la conclusion est aux prémisses dans un syllogisme. Et Aristote montre que, de prémisses nécessaires, il ne résulte jamais qu'une conclusion nécessaire. Or, si la prophétie ne peut être sujette à l'erreur, il est requis que cette proposition conditionnelle soit vraie ; " Si quelque événement a été prédit, il se produira ". L'antécédent de cette proposition est absolument nécessaire, puisqu'il porte sur le passé ; le conséquent sera donc aussi absolument nécessaire. Ce qu'on ne voudrait pas admettre au nom de l'idée que dans ce cas la prophétie ne pourrait plus viser des événements contingents. (...) [Mais en réalité] la certitude de la prescience divine n'exclut pas la contingence des événements particuliers à venir, car elle se porte sur eux en tant qu'ils sont présents et déjà déterminés dans leur réalisation. Ainsi la prophétie, qui est l'empreinte ou le signe de la prescience divine, n'exclut pas non plus, par son immuable vérité, la contingence des événements futurs. (...)

La prescience divine regarde de deux manières les événements futurs :

  1. en eux-mêmes, en tant qu'elle les considère comme réalisés de façon présente ;
  2. dans leurs causes, en tant qu'elle envisage le rapport des causes à leurs effets.

Considérés en eux-mêmes, les événements futurs contingents sont déjà déterminés dans leur réalisation ; mais si on les prend dans leurs causes, leur détermination n'est pas telle qu'ils ne puissent se produire autrement. (...) Aussi la révélation prophétique est-elle quelquefois une empreinte de la prescience divine selon qu'elle considère les événements futurs contingents en eux-mêmes ; ceux-ci se produisent alors tels qu'ils ont été prédits (...) La vérité de la prophétie est la même que celle de la prescience divine (...); par suite, cette proposition conditionnelle : " Si quelque événement a été prédit, il se produira " reste vraie (...)" Il est impossible que l'antécédent ne soit pas. Il en résulte que le conséquent est nécessaire, non pas si on le prend comme futur par rapport à nous, mais si on le considère dans sa réalisation présente, soumis qu'il est alors à la prescience divine (...).

D'autres fois, la révélation prophétique ne reproduit de la prescience divine que la connaissance du rapport des causes à leurs effets ; les événements peuvent alors se produire autrement qu'ils n'ont été prédits. La prophétie n'est cependant pas pour cela sujette à l'erreur, car le sens de cette prophétie est que les causes inférieures, êtres naturels ou actes humains, sont ainsi disposées que tel effet doit se produire. (...)

[ Dans la mesure où la parapsychologie considère la précognition comme une information puisée dans l'avenir, elle ne saurait avoir un effet direct sur sa réalisation, puisqu'il s'agit d'événements considérés en eux-même et non de ceux dont la causalité nous avertirait de leur probabilité, même très grande. Il devrait être vrai pour le ^parapsychologue, autant que pour le théologien, que si précognition il y a, sa connaissance interdit logiquement qu'on influe sur sa réalisation, par quelque acte que ce soit. Un homme averti en vaut deux, mais dans ce cas l'avertissement ne peut-être utile que par rapport à des faits dépendant à la fois de l'événement prédit et des actions du sujet. Il ne servira de rien quant à l'événement prédit en lui-même, qui ne pourra, par exemple, être empêché !]

 

La prophétie est-elle naturelle ?

Saint Grégoire écrit : " Parfois l'âme elle-même possède une telle subtilité qu'elle est capable de prévoir certains événements. " Saint Augustin dit de même que l'âme humaine, abstraite des sens corporels, est apte à prévoir l'avenir. (...) Il y a des gens qui dans leurs songes prévoient certains événements. (...)

Certains animaux possèdent une connaissance anticipée de l'avenir qui les concerne ; ainsi les fourmis savent à l'avance qu'il pleuvra, on le voit à ce qu'avant la pluie elles se mettent à enfouir leurs graines. De même les poissons prévoient les tempêtes, puisqu'ils fuient le lieu où elles vont éclater.(...)

On lit, en outre, au livre des Proverbes (29, 18 Vg) : " Enlevez la prophétie, il n'y a plus de peuple. " La prophétie est donc nécessaire à la conservation des hommes. Or la nature ne manque pas de ce qui lui est nécessaire. La prophétie est donc naturelle. [Ce qui ne choquera nullement un moderne, non en suivant Aristote mais ... Darwin ! ]

(...)

Il peut y avoir, comme on l'a vu plus haut, une double connaissance prophétique des événements futurs ; en eux-mêmes et dans leurs causes. Or, connaître les événements futurs en eux-mêmes est le propre de l'intelligence divine, à l'éternité de laquelle toutes choses sont présentes (...) : une telle connaissance de l'avenir ne peut-elle venir de la nature, mais seulement d'une révélation divine.

Commentaire : ceci pourrait être remis en question s'il s'avérait qu'on put faire appel à une causalité efficiente antidromique. Il ne serait plus, dès lors, nécessaire de se placer du point de vue d'un Dieu absolu, extérieur au monde relatif du temps et de l'espace, la connaissance précognitive s'expliquant comme un souvenir non maîtrisé du futur, avec mise en jeu d'événements neuronaux X qui seraient engendrés par une causation antidromique de nature "quantique".

Toutefois les événements futurs peuvent être connus dans leurs causes en vertu d'une connaissance naturelle, même par l'homme ; c'est ainsi que le médecin connaît à l'avance la santé ou la mort dans leurs causes, grâce à l'expérience qu'il a du rapport de ces causes à leurs effets. Cette connaissance des événements futurs que l'homme possède par sa nature, on peut l'entendre de deux manières :

1° En ce sens que l'âme serait immédiatement capable de connaître l'avenir, en vertu du sens inné qu'elle possède ; ainsi, remarque Saint Augustin " certains prétendaient que l'âme humaine avait en elle-même une puissance de divination ". Ce fut, semble-t-il, l'opinion de Platon : d'après lui les âmes ont une connaissance de toutes choses par la participation aux idées ; mais cette connaissance est obnubilée du fait que les âmes sont unies à un corps, et plus ou moins d'après les individus, suivant que leur corps est plus ou moins pur. En cette hypothèse, on pourrait soutenir que les hommes dont l'âme n'est pas très enténébrée par suite de l'union avec leur corps sont capables de connaître certains événements futurs, en vertu de leur propre science. (...) Saint Grégoire écrit que l'âme, à l'approche de la mort, " prévoit certains événements futurs, grâce à la subtilité de sa nature ", parce qu'elle perçoit alors les moindres impressions. (...)
2° Mais, selon Saint Thomas, "il semble plus vraisemblable que l'âme acquière ses connaissances par l'intermédiaire des réalités sensibles, d'après l'enseignement d'Aristote (...). Il est préférable d'adopter l'opinion suivante : les hommes n'ont pas la connaissance de ces événements futurs ; mais ils peuvent l'acquérir par voie expérimentale ; ils sont alors aidés par leurs dispositions naturelles, suivant que leur puissance imaginative est plus parfaite, et leur intelligence plus lucide".

La connaissance des événements futurs diffère de celle qui relève de la révélation divine sur deux points.

1° Celle-ci peut porter sur n'importe quel événement, et elle est infaillible ; au contraire, la connaissance acquise naturellement ne vise que les effets qui sont du ressort de l'expérience humaine.
2° La prophétie surnaturelle possède une " vérité immuable " ; l'autre au contraire peut être sujette à l'erreur.

 

2. La prescience de l'avenir que l'on a dans les songes provient, soit d'une révélation des substances spirituelles, soit d'une cause corporelle, comme nous l'avons dit au sujet de la divinations. Ces modes de connaissance sont plus actifs pendant le sommeil que pendant la veille ; car l'âme de celui qui veille est occupée par des réalités extérieures et sensibles ; elle est donc moins apte à percevoir les impressions subtiles des substances spirituelles, ou même des causes naturelles. (...)

3. Les bêtes elles-mêmes ne prévoient pas les événements futurs, sinon dans les causes de ceux-ci, qui mettent en branle leur imagination. A ce point de vue, elles sont supérieures aux hommes ; car l'imagination des hommes, surtout dans l'état de veille, agit plus d'après la raison que d'après l'impression des causes naturelles. (...)

 

Y a-t-il une prophétie d'origine démoniaque ?

Cette question revient à se demander si toute précognition est pour Saint Thomas liée à une intervention divine particulière, ou si elle pourrait exister dans un cadre naturel ou praeternaturel. Il admet cette éventualité mais avec quelque embarras, même dans le cas des esprits malfaisant (démons).

Une Glose sur le livre des Nombres (22, 20) remarque : " Balaam était devin, par le ministère des démons et l'art de la magie il connaissait parfois les réalités futures. " (...) On lit (1 R 18,19) " Rassemble tout Israël auprès de moi, à la montagne du Carmel, ainsi que les trois cent cinquante prophètes de Baal et les quatre cents prophètes d'Astarté, qui mangent à la table de Jézabel. " Or ces cultes étaient ceux des démons ; il semble donc qu'une certaine prophétie puisse venir aussi des démons. (...) "Ceux à qui les démons font une révélation ne reçoivent-ils pas le nom de prophètes tout court, mais on leur adjoint un qualificatif ; on dit, par exemple, " faux prophètes " ou " prophètes des idoles ". (...)" Il en est, dit Saint Jean Chrysostome, qui prophétisent par l'esprit du diable, comme les devins. Nous les reconnaissons à ceci : le diable, dit parfois des choses fausses ; l'Esprit Saint, jamais. " (...)

La révélation prophétique se fait-elle par infusion de certaines représentations, ou seulement par infusion d'une lumière ?

D'après Saint Jérôme en effet, les prophètes utilisent les images du milieu dans lequel ils ont vécu. (...) Lorsque dans la révélation prophétique Dieu ordonne les images précédemment reçues par les sens, afin de les rendre aptes à révéler une vérité, la vie menée antérieurement apporte quelque chose à ces analogies ; il n'en est pas de même lorsqu'elles sont entièrement imprimées de l'extérieur. (...)

D'après Saint Augustin " la connaissance prophétique a surtout pour siège l'esprit ". Or, au sujet de la connaissance de l'esprit humain, il y a deux choses à considérer : le mode de réception ou de représentation des réalités, et le jugement sur les réalités représentées. Les réalités sont représentées à l'esprit humain par des idées (ou species) ; normalement, il est nécessaire que ces représentations passent par les sens, puis par l'imagination, et aboutissent à l'intellect (...). Or l'imagination ne fait pas que recevoir les formes des choses sensibles telles qu'elles viennent des sens, elle subit aussi diverses transformations ; soit par suite de modifications corporelles, comme il arrive dans le sommeil ou la folie, soit par suite d'une intervention de la raison, qui dispose les images en vue de ce qu'il faut comprendre. En effet, quand on change l'ordre des lettres dans un mot, le sens diffère ; de même aussi, si l'on dispose de diverses manières les images, il en résulte dans l'intelligence des idées intelligibles différentes. (...)

Les réalités sont manifestées par Dieu à l'esprit du prophète tantôt par l'intermédiaire des sens extérieurs, au moyen de formes sensibles ; par exemple Daniel vit des inscriptions sur la muraille. Tantôt c'est au moyen de formes imprimées dans l'imagination, soit que Dieu les imprime directement, sans qu'elles soient reçues par les sens ; tel serait le cas d'un aveugle-né dans l'imagination duquel s'imprimeraient les images des couleurs ; soit aussi que Dieu arrange de façon spéciale les formes reçues par les sens : tel le cas de Jérémie (1, 13), qui vit " bouillir une chaudière venant du nord ". Tantôt enfin, c'est au moyen d'idées imprimées dans l'esprit du prophète ; c'est le cas de ceux qui reçoivent la science ou la sagesse infuses, comme Salomon et les Apôtres.  (...)

Si quelqu'un est gratifié par Dieu de la vision de certaines réalités à l'aide de similitudes imaginatives, comme le furent Pharaon et Nabuchodonosor, ou encore à l'aide de similitudes corporelles, comme Balthazar, il ne faut pas le considérer comme un prophète, à moins que son esprit n'ait reçu une lumière qui le rende capable de porter un jugement ; cette vision sans jugement est une espèce imparfaite dans l'ordre de la prophétie ; aussi certains l'appellent-ils " une prophétie fortuite, involontaire ", comme l'est la divination des songes. Mais il sera prophète, celui dont l'intelligence seule aura été éclairée pour juger même ce que d'autres ont vu dans leur imagination : ainsi Joseph qui expliqua le songe de Pharaon. (...)"

 

La vision prophétique est-elle toujours accompagnée de l'aliénation des sens ?

On trouvera ici l'évocation des états modifiés de conscience : sont-ils toujours nécessaires à la manifestation de l'ESP ?

On lit dans les Nombres (12, 6) : " S'il y a parmi vous un prophète, je lui apparaîtrai dans une vision ou je lui parlerai dans un songe. " Et la Glose dit sur le début du Psautier : " L'apparition qui se fait dans les songes et dans les visions n'est qu'une apparence. " Or, s'il n'y a qu'apparence là où il devrait y avoir réalité, c'est qu'il s'est produit une aliénation des sens. La prophétie requiert donc une aliénation des sens.

Ces textes parlent des prophètes qui reçoivent de nouvelles formes dans l'imagination ou un nouvel arrangement de formes antérieurement acquises, soit pendant le sommeil, d'où le terme de " songe ", soit pendant la veille, d'où le terme de " vision ".

Lorsqu'une puissance s'applique avec intensité à son opération, les autres puissances suspendent leur exercice ; par exemple, ceux qui apportent une grande attention à écouter quelque chose sont incapables de voir ce qui se passe devant eux. (...) Lorsque l'esprit applique son attention à saisir des réalités absentes, qui sont cachées aux sens, l'intensité de cette application produit une aliénation des sens.

La révélation prophétique, se fait de quatre manières : par l'influx d'une lumière intelligible ; par octroi d'idées nouvelles ; par impression ou nouvelles combinaisons de formes dans l'imagination ; par la représentation de formes sensibles. Or il est évident qu'il n'y a pas abstraction des sens lorsqu'une réalité est présentée à l'esprit du prophète par des formes sensibles, soit que Dieu les forme spécialement à cette fin, tels le buisson montré à Moïse ou l'inscription montrée à Daniel ; soit même que d'autres causes les produisent, mais avec un dessein voulu par la providence divine ; ainsi l'arche de Noé symbolisant l'Église.

Il n'est pas davantage nécessaire qu'il y ait aliénation des sens extérieurs lorsque le prophète est éclairé par une lumière intellectuelle ou doté d'idées nouvelles ; car en nous le jugement de l'intelligence exige pour sa perfection un retour vers les réalités sensibles, qui sont à l'origine de notre connaissance (...).

Au contraire, lorsque la révélation prophétique se fait à l'aide de formes de l'imagination, l'abstraction des sens est nécessaire pour que cette apparition des images ne soit pas confondue avec les réalités perçues par les sens extérieurs. En ce cas, l'abstraction des sens peut être parfaite ou imparfaite : elle est parfaite lorsque l'on n'a plus aucune perception sensible ; elle est imparfaite lorsque l'on continue de percevoir par les sens, sans toutefois discerner complètement les objets extérieurs de ce que l'on voit par l'imagination. Aussi Saint Augustin écrit-il : " On voit les images des corps qui sont produites dans l'âme comme on perçoit les corps en réalité, de sorte que l'on ne fait pas de différence entre un homme présent et un homme absent que l'on considère en imagination comme avec les yeux. " Toutefois, cette aliénation des sens n'est pas, chez les prophètes, l'effet d'un désordre de nature, comme chez les possédés et les fous, (...) ainsi que le prétendaient Priscille et Montan. (...), mais le résultat d'une cause ordonnée, soit naturelle comme le sommeil, soit spirituelle comme l'intensité de la contemplation (...) Lorsque les prophètes annoncent ce qu'ils ont vu, c'est de leur propre gré, et non avec un esprit troublé comme les possédés,


La prophétie comporte-t-elle toujours la connaissance de ce qui est prophétisé ?

Dans cette question Saint Thomas admet d'une certaine façon que les connaissances parapsychologiques peuvent exister chez un sujet qui n'est pas en mesure de s'en rendre compte ou de les comprendre; il invoque une forme d'inconscient, non par un processus de refoulement mais par un manque de "lumière" qui permettrait le jugement.

(...) On lit en Saint Jean (11, 5 1) " Caïphe ne dit pas cela de lui-même, mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour le peuple, etc. " Or Caïphe ne comprit pas ce qu'il disait. Tous ceux qui prophétisent ne connaissent pas ce qu'ils annoncent.

Dans la révélation prophétique l'esprit du prophète est mû par l'Esprit Saint comme un instrument déficient par rapport à l'agent principal. Or le Saint-Esprit pousse l'esprit du prophète, soit à comprendre, soit à annoncer, soit à faire quelque chose ; tantôt à ces trois actes ensemble, tantôt à deux d'entre eux, tantôt à un seul. Et il peut se produire, dans chacun de ces cas, qu'il y ait chez le prophète un défaut de connaissance. (...)

 

Bibliographie

Ernout A. et Meillet A., Dictionnaire étymologique de la langue latine, Klincksieck ed., 4°ed, 1985.

Thomas d'Aquin (Saint), Somme Théologique, traduction française, éditions du Cerf.


Sancti Thomae de Aquino, Corpus Thomisticum, Summa Theologiae, secunda pars secundae partis a quaestione CLXXI ad CLXXVIII, Textum Leoninum Romae 1899 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit.

 

Back to Time and causality



Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

dernière mise à jour le

13 Décembre 2003