La prédiction du moment de sa propre mort par Sainte Marguerite-Marie Alacoque [1]

Monseigneur François-Léon Gauthey, archevèque de Besançon

(textes sélectionnés par le Dr Bernard Auriol, pour illustrer le travail de recherche concernant

la prédiction de la date de la propre mort, rapportée par l'hagiographie, quant à certains saints)

 

273

 

D'après le Père Croiset, Marguerite Marie Alacoque a déclaré "je mourrai assurément cette année, parce que je ne souffre plus rien, et pour ne pas empêcher les grands fruits que mon divin Sauveur prétend tirer d'un livre de la dévotion au sacré Cœur de Jésus, que le père N. fera imprimer au plus tôt. Elle parlait de celui-ci [le présent ouvrage] dont cependant elle ne pouvait avoir naturellement nulle connaissance, puisque non seulement on ne pensait pas, pour lors, à y travailler, mais qu'on lui avait même écrit positivement qu'on ne serait en état d'y penser que dans quelques années". (in P. Croiset, "Abrégé de la vie d'une religieuse de la Visitation de Sainte-Marie, de laquelle Dieu s'est servi pour l'établissement de la dévotion au sacré Cœur de Jésus-Christ, décédée en odeur de sainteté, le 17 octobre de l'année 1690").

 


 

291 – 292


Elle prit mal la veille qu'elle se disposait pour entrer en solitude. Une Sœur [2] lui demandant si elle pourrait y aller, elle lui dit : « Oui, mais ce sera la grande retraite. » Elle s'alita neuf jours avant sa mort, qu'elle employa à se disposer à la venue de l'Epoux. Quoique son mal parût peu de chose, l'on fit appeler Monsieur Billet, notre ancien médecin, qui l'avait en grande estime et qui nous avait dit plusieurs fois, dans ses maladies, qu'étant causées par l'amour, il n'y avait point de remède. Il examina celui dont, notre précieuse Sœur se plaignait et l'assura que cela ne serait rien ; et, le jour même de sa mort, il assura qu'il avait nulle apparence qu'elle en dût mourir, si peu sa maladie paraissait dangereuse. Mais elle persista toujours à dire qu’elle en mourrait. Cette grande certitude qu'elle en avait lui fit demander avec beaucoup d'instances le saint viatique; et sur ce qu'on lui dit qu'on ne le jugeait pas à propos, elle pria que, du moins, on la fît communier, puisqu'elle était encore à jeun. On le lui accorda et elle reçut le saint Sacrement en forme de viatique, sachant bien que c'était pour la dernière fois qu'elle le recevait. (…).

Une Sœur s'étant aperçu qu'elle souffrait extraordinairement s'offrit de lui procurer quelque soulagement ; mais elle l'en remercia, disant que tous les moments qui lui restaient à vivre étaient trop précieux pour n'en pas profiter; qu'à la vérité elle souffrait beaucoup, mais que ce n'était pas encore assez pour contenter son désir, tant elle trouvait de charmes dans les souffrances; qu'elle recevait un si grand contentement à vivre et mourir sur la croix que, quelque ardent que fût le désir qu'elle avait de jouir de son Dieu, elle en aurait encore un plus grand de demeurer en l'état où elle était jusqu'au jour du jugement, si c'était le bon plaisir de Dieu, tant elle y goûtait de délices.

Toutes celles qui lui rendaient visite dans sa maladie, admiraient la joie extraordinaire que lui causait la pensée de la mort. Mais Dieu voulut interrompre pour quelque temps cette abondance de douceurs intérieures dont elle était comblée, en lui inspirant une si grande crainte de sa justice qu'elle entra tout à coup en des frayeurs étranges, à la vue des redoutables jugements de Dieu. Ce fut par cette voie que Dieu voulut purifier cette sainte âme. On la voyait trembler, s'humilier et s'abîmer devant son crucifix. On lui entendait répéter avec des profonds soupirs ces paroles: « Miséricorde! mon Dieu, miséricorde! ». Mais, quelque temps après, toutes ces frayeurs se dissipèrent, son esprit se trouva dans un grand calme et dans une grande assurance de son salut. La joie et la tranquillité parurent de nouveau sur son visage, s'écriant : « Misericordias Domini  in aeternum cantabo [3] ! »  d'autres fois : « Que veux-je au Ciel ou que désiré-je en terre, que vous seul, ô mon Dieu ? [4]  »

Elle était si oppressée que, ne pouvant demeurer au lit, il fallait la soutenir pour lui donner plus de facilité à respirer, disant souvent : « Hélas ! je brûle, je brûle, mais si  c'était de l'amour divin, quelle consolation! Mais je n'ai  jamais su aimer mon Dieu parfaitement. » Et, s'adressant à celles qui la soutenaient, elle disait: « Demandez-lui-en pardon pour moi et l'aimez bien de tout votre cœur, pour réparer tous les moments que je ne l'ai pas fait. Quel bonheur d'aimer Dieu ! ah ! quel bonheur! aimez donc cet Amour, mais aimez-le parfaitement! » Ce qu'elle disait dans des transports qu'il paraissait bien que son cœur en était vraiment pénétré. Elle s'étendit ensuite sur l'excès de l'amour d'un Dieu pour ses créatures et du peu de retour qu'elles lui rendent. Demandant : « Irai-je encore loin ? » et comme on lui dit que, selon le sentiment du médecin, elle n'en mourrait pas, elle s'écria pour lors : « Ah ! Seigneur quand me retirerez-vous donc de ce lieu d'exil ? » (lisant plusieurs fois ces versets : « Ad te levavi oculos meos [5]  »,  etc., » et: « Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi [6]  », etc. « Oui, J'espère que, par la miséricorde du Sacré Cœur, nous irons en la maison du Seigneur, » priant qu'on dît auprès d'elle les litanies de ce Cœur adorable et celles de la sainte Vierge, pour se la rendre favorable à son dernier moment, et d'invoquer pour elle nos saints Fondateurs, son saint Ange, saint Joseph, pour demander de l'assister de leur protection.


Comme l'amour des humiliations et le désir d'être dans un éternel oubli dans le monde, l'a accompagnée jusqu'à son dernier soupir, peu d'heures avant sa mort elle fit
promettre à sa supérieure qu'elle ne parlerait jamais de tout ce qu'elle lui avait dit en confiance, qui pût lui être avantageux. Et, ayant fait appeler une de nos Soeurs, qui avait été sa novice, et qu'elle estimait singulièrement pour sa haute vertu : « Je vous prie, lui dit-elle, ma chère Soeur, · d'écrire incessamment au R. Père Rolin, pour le prier de · brûler mes lettres et de me garder inviolable ment le secret · que je lui ai souvent demandé [7] . »


Une heure avant qu'elle expirât, elle fit appeler sa supérieure, à laquelle elle avait promis qu'elle ne mourrait point sans la faire avertir. Elle la pria de lui faire donner
l'extrême-onction. Cela fait, elle la remercia de tous les petits soulagements qu'on s'empressait de porter à son mal, disant qu'il ne lui en fallait plus, n'ayant plus rien à faire en ce monde qu'à s'abîmer dans le sacré Cœur de Jésus Christ pour y rendre le dernier soupir. Après quoi, elle demeura quelque temps dans un grand calme, et ayant proféré le saint Nom de Jésus, elle rendit doucement son esprit, par un excès de cet ardent amour pour Jésus-Christ qui avait jeté, dès le berceau, de si profondes racines dans son âme. Le médecin étant arrivé au moment qu'elle venait d'expirer parut très surpris, disant qu'il ne lui avait trouvé aucun signe dans sa maladie qui menaçât d'une si prompte mort - qu'il avait été souvent dans l'admiration, pendant sa vie, comment un corps aussi exténué que le sien pût supporter toutes les maladies qu'elle avait eues; mais comme c'était l'amour qui les lui causait, qu'il ne doutait pas que ce ne fût aussi le même amour qui l'avait fait mourir dans un temps où il y avait si peu d'apparence ; que c'était ce qui nous devait consoler dans la grande perte que nous Lisions, qui méritait bien nos larmes, puisque nous perdions la plus parfaite religieuse qu'il eût connue et une des grandes saintes à qui Dieu eût fait plus de grâces; qu'il la croyait toute-puissante auprès du sacré Coeur, où elle nous serait une puissante avocate. Cette sainte Fille mourut le 17 octobre 1690, âgée de 43 ans [8] , professe de 18, environ les huit heures du soir [9] , entre les bras de deux Soeurs qui avaient été ses novices et à qui elle l'avait prédit plusieurs années auparavant [10] . Ce fut en présence de la Communauté qu elle expira, qui s'y étant rendue pour faire la recommandation de l'âme, eut la douleur et la consolation tout ensemble de voir comme meurent les saints.

 

307 - 308

 

Après l'élection de la très honorée Mère de Châteaumorand, elle nous assura qu'elle mourrait bientôt, parce qu'elle n'avait plus de croix et que sa mort était nécessaire à l'exaltation de la dévotion du Sacré Cœur, ce qui s'est vérifié par les progrès qu'elle a faits partout.

Elle s'alita le huitième octobre et ne resta que jusqu'au 17. Elle reçut le saint viatique à Jeun la veille de sa mort, comprenant bien que l'on ne la croyait pas assez malade pour lui donner autrement. Monsieur notre médecin assura que sa maladie n'aurait pas de suite. Elle lui dit qu'il valait mieux qu'un séculier mentît qu'une religieuse et qu'il le verrait; ce qui se vérifia sur les huit heures de ce jour même, qu'il entra comme on lui donnait les saintes huiles. Elle avait passé tout le temps de sa maladie en colloque avec Notre-Seigneur, même les nuits, ce que remarquèrent celles qui la visitèrent ou la veillèrent. On ne lui vit pas faire une imperfection dans sa maladie. Elle fut peinée, les premiers jours, de la crainte des jugements de Dieu ; mais dès qu'elle fut confessée, sa crainte se changea en confiance, et son amour et son désir d'aller à Dieu la consommait.

Elle sentait un feu si grand dans sa poitrine qu'elle avait peine à rester au lit. Toujours appliquée à Dieu et à donner des marques de sa charité pour le prochain, elle dit à la Sœur qui la veillait, la veille de sa mort, que rien ne lui faisait peine que de laisser les écrits qu'elle avait faits par l'ordre du R. P. Rotin, jésuite, et qu'elle avait ordre de ne les pas brûler qu'il ne les eût examinés et elle pria cette Sœur de le faire. Mais la Sœur lui répondit que c'était peut être le dernier sacrifice que Dieu demandait d'elle et lui conseillait de les remettre à la supérieure, ce qu'elle fit le jour même, quoiqu'il lui en coûtât beaucoup. Elle mourut, comme elle l'avait prédit, entre les bras de deux de ses novices.

 

 

311 - 3 15

 

Six semaines avant sa mort, elle assura une Sœur qu'elle mourrait bientôt, à cause qu'elle n'avait plus de croix ; parce que notre très honorée Mère ne voulut plus souffrir qu'on la désapprouvât en sa conduite, et prenait soin de l'excuser dans toutes les occasions. Elle disait ne pouvoir vivre sans souffrir ; et quoique son cœur en fût comme accablé, elle ne comptait (sic) de le faire, a moins que les créatures ne s'en mêlassent. Elle a toujours regardé celles qui lui en ont fourni l'occasion comme les instruments de la Providence et ses meilleures amies. C'était le sujet de ses actions de grâces. Dieu qui savait qu'ils (sic) étaient de son goût les lui a fournis jusqu'à sa mort.

Elle ne s'alita que neuf jours, qu'elle employa à se préparer à la venue de l'Epoux. Le dimanche elle nous dit qu'elle mourrait de cette maladie. Elle nous pria de l'aller voir, quoi que l'on en pût dire. Les huit premiers jours elle fut pénétrée de la rigueur des jugements de Dieu, et son aspiration ordinaire était: « Miséricorde, Seigneur ! Miséricorde !» ou le verset : « Cor mundum, etc. » Cette disposition, après sa confession, se changea en une amoureuse confiance en Dieu. On ne l'allait point voir qu'on ne lui trouvât son crucifix à la main. Elle faisait une oraison continuelle, souvent tout haut. Comme elle était dans une chambre seule, elle n'avait guère d'entretien qu'avec Notre-Seigneur et celles qui l'allaient voir en passant. On ne croyait pas qu’elle fût si proche de sa fin. Le dimanche, elle pria une de nos Sœurs de lui mettre une image du sacré Cœur de Jésus sur la tête, pour qu'elle ne mourût pas sans ses sacrements. Elle fit instance à ce qu'on lui apportât le saint Sacrement à jeun, le lundi : ce qu'elle obtint de notre très honorée Mère. Elle nous dit qu'elle avait pris l'intention de le recevoir en viatique et nous pria de dire un Laudate d'actions de grâces et un de profundis aux âmes du purgatoire. Ces trois derniers jours se passèrent, et même les nuits, en colloque d'amour et de désir de se réunir à Dieu comme à sa dernière fin, quoiqu'elle s'offrît de souffrir jusqu'au jour du jugement si c'était son bon plaisir.

Elle souhaitait de faire brûler les écrits qu'elle avait faits par l'ordre du Révérend Père Rolin, jésuite ; mais comme il lui avait défendu de le faire avant qu'il les eût examinés, la Sœur à qui elle en parla, lui dit d'en faire le sacrifice et de les remettre à notre chère Mère ; ce qu'elle fit. Elle assura la même Sœur que sa mort était nécessaire à l'exaltation du sacré Cœur de Jésus et la consola, en nous assurant que, si le Seigneur lui faisait miséricorde, nous en sentirions les effets. Je lui demandai trois choses, dont nous croyons avoir ressenti les effets. Le lendemain, jour de sa mort, le médecin l'ayant assurée qu'elle n'en mourrait pas, elle lui répondit qu'il valait mieux qu'il ne dît pas vrai qu'elle. L'après - vêpres, l'étant allée voir, elle s'entretenait avec Notre-Seigneur et sa sainte Mère et les saints de sa dévotion, qui étaient en grand nombre. Elle nous pria de lui lire la Passion; mais je lui dis les litanies des anéantissements, ce qui la contenta. Elle nous dit qu'elle sentait un feu qui la consumait et qu'elle ne pouvait pas aller loin. Elle passa presque tout le temps assise sur son lit. Elle disait souvent ce verset du psaume - « Domine misericordias [11] etc., » et « In te speravi [12] , etc. » Elle nous dit qu'elle ne verrait pas ses frères, qui étaient venus ici pour la voir, qu'elle en avait fait à Dieu le sacrifice. Sur les sept à huit heures du soir, il lui prit une défaillance et la Sœur qui était près d'elle, voyant qu'elle avait peine à en revenir, crut qu'elle entrait dans l'agonie et voulut faire appeler notre Mère. Une autre Sœur voulant l'empêcher, la chère mourante dit qu'il en était temps. Notre chère Mère dit, en l'abordant, qu'il fallait faire venir le médecin. Elle répondit qu'elle n'avait plus besoin que de la miséricorde du sacré Cœur de Jésus. Elle pria la Sœur qui était près d'elle de ne la pas quitter. Elle perdit la parole ; mais elle faisait signe qu'elle entendait les actes qu'elle lui suggérait ; et, un prêtre de nos voisins étant entré, on lui administra les saintes huiles. Elle mourut à la quatrième onction, entre deux Sœurs, à qui elle l'avait dit au Noviciat, y étant leur maîtresse. Elle était dans sa 42° année [13] et 18 de profession.

(…)

AMOUR HÉROÏQUE DE LA SERVANTE DE DIEU

 

POUR LA SOUFFRANCE [14]

Cette chère Sœur aimait si ardemment la souffrance qu'elle demanda à Notre-Seigneur d'accorder à sa supérieure, lorsqu'elle l'aurait mortifiée et humiliée fortement, la même récompense qu'il donnerait à ceux qui, d'un cœur plein de charité, donneraient par aumône du pain à un pauvre affamé : ce qu'il lui accorda. Elle lui demanda encore la même grâce pour toutes les personnes qui lui feraient la même charité, pour lesquelles elle avait une si grande reconnaissance, qu'elle assure que, de grand cœur elle aurait sacrifié sa vie pour les rendre agréables à Dieu. Elle les considérait comme des instruments don il se servait pour achever son ouvrage. Elle ajoute que, comme elle se voyait ne rien souffrir, elle n'estimait heureux et ne portait envie qu'à ceux qu'elle voyait souffrir par le seul motif de plaire à Dieu.



 

IV


Obéissance de la servante de Dieu au sujet de l’heure sainte [15]

Cette chère Sœur a toujours continué de veiller l'heure de la prière de la nuit, du jeudi au vendredi, jusqu'à l'élection [16] , de notre très honorée Mère [17] , que, lui ayant demandé de continuer, et la voyant si exténuée et infirme, elle lui défendit et toutes autres sortes d'austérités, ne croyant pas qu'elle en pût supporter de si grandes. Cette vertueuse défunte prit ces refus avec une soumission admirable, lui disant que Notre-Seigneur demandait cela d'elle, mais puisque l'obéissance ne le jugeait pas à propos, elle demeurait en paix : ce qui édifia extrêmement Sa Charité [18] , qui appréhendait qu'elle ne fût attachée à ces sortes de pratiques. Elle reçut une grande consolation et édification, admirant la franchise et ouverture avec laquelle elle lui avait parlé [19] , qui augmenta l'estime qu'elle en avait. Cette chère Sœur nous disait souvent : «Je ne vivrai plus guère, car je ne souffre rien, notre chère Mère a trop de soin de moi. » Ce qui n'a été que trop véritable, n'ayant vécu qu'environ quatre mois du depuis. Elle nous a promis d'être une bonne avocate pour nous auprès de Dieu.

 

465 (1711)

330 Qu'elle a eu beaucoup de connaissances surnaturelles et prophétiques de ce qui se passait dans les cœurs, ou de ce qui devait arriver à plusieurs personnes ; que ces prophéties ont été accomplies : ce qui est public, &c.

33l, Qu'en l'année 1690, elle eut connaissance qu'elle mourrait cette année-là, ce qu'elle a dit à plusieurs personnes et à deux desquelles elle assura que ce serait entre leurs bras qu'elle rendrait les derniers soupirs ; ce qui arriva comme elle l'avait prédit. Sur la fin de cette même année, il lui prit une petite fièvre, qui parut si peu considérable que le médecin ne put point se persuader, jusqu'à son dernier soupir, qu’elle en dût mourir, quoiqu'elle assurât toujours le contraire, se sentant pressée de vives douleurs et d'un feu intérieur qui la consumait.

 

 

490

la Vénérable Sœur Marguerite-Marie Alacoque, en qui on a connu toujours une piété fidèle et plus qu'ordinaire; étant témoin de l'estime générale que l'on avait pour elle pendant son vivant ; l'ayant vue plusieurs fois dans la maison comme médecin ordinaire, soit dans ses maladies, où il a admiré sa patience à souffrir sans se plaindre et sa soumission et abandon à la volonté de Dieu et de ses supérieurs. Dit, de plus, ledit déposant qu'ayant trouvé un jour le R. P. Jannon [20] , supérieur ci-devant de la résidence des Jésuites dudit Paray, il lui dit qu'il y avait une fille extraordinaire dans la maison de la Visitation dudit Paray et qui ferait un jour parler d'elle, ce que ledit déposant a toujours interprété être dit de la Vénérable Sœur Alacoque. Déclare, de plus, ledit déposant qu'il a consulté ladite Vénérable Sœur Alacoque, par la confiance et l'estime qu'il avait en sa piété singulière, sur plusieurs choses qui concernaient l'établissement de l'hôpital de cette ville, et qu'elle l'assura que Dieu bénirait ledit hôpital et que les entreprises que l'on en formait réussiraient ; ce que l'on a vu dans la suite. A ajouté, qu'en l'année mil six cent quatre-vingt et dix, elle assura audit déposant qu'elle ne passerait pas l'année, ce que ledit déposant ne pouvant croire, vu qu'elle n'était attaquée alors que d'une petite fièvre, sans accident fâcheux, et qui paraissait si peu considérable, il fut surpris qu'elle passât de cette vie à une meilleure si promptement et lorsqu'on s'y attendait le moins, après néanmoins avoir reçu tous ses sacrements, avec une piété exemplaire, qu'on différait de lui donner, par le peu d’apparence qu’elle en dût sitôt mourir. (…)

 

 

507 (PROCÉDURE DE 1715)

Dit de plus, que quatre ans avant la mort de la Vénérable Sœur Alacoque, elle lui dit : « Ma chère sœur, vous craignez bien de voir mourir ; mais comptez que je mourrai moi-même entre vos bras et entre ceux de ma sœur de Farges ». Ce qu'elle lui a confirmé plusieurs fois et surtout la dernière année de sa vie, et encore plus dans le temps de sa dernière maladie, où malgré la répugnance que ladite déposante avait à voir les personnes à l'agonie, elle assista la moribonde avec un courage qu'elle n'aurait osé se promettre auparavant ; ladite Vénérable Sœur étant décédée entre ses bras et ma Sœur de Farges étant de l’autre côté, sans que rien eût été prémédité ce qui a fait juger à ladite déposante de la vérité de la prédiction de la Vénérable Sœur Alacoque.

Ajoute que pendant toute la maladie de ladite Servante de Dieu, elle parut dans des ardeurs pour Dieu qui répondaient parfaitement à celles qu'elle avait eues pendant sa vie ; mais surtout pendant le dernier jour, où elle marqua une joie extraordinaire de s'aller unir à Dieu, disant plusieurs versets des psaumes qui marquaient ce désir (…).

514

Dit encore la déposante avoir appris de ladite Servante de Dieu qu'elle avait demandé à. Dieu que la migraine que sa supérieure soutirait assez ordinairement, lui arrivât plutôt à elle-même, parce que, disait-elle, sa supérieure était nécessaire et non pas elle. Qu'en effet la supérieure en fut délivrée pendant trois mois et qu'elle en souffrit toute la douleur; ce que ladite supérieure ayant appris, dit à ladite Vénérable Sœur : « Ma chère Sœur, s'il y a de l'avantage à souffrir, comme nous n'en doutons pas, j'en veux profiter aussi bien que vous. » Et, quelque temps après, ladite supérieure ressentit son mal comme auparavant, et ladite Vénérable Sœur en fut délivrée.

Ajoute, de plus, qu'aussitôt que ladite Vénérable Sœur Alacoque proposa l'établissement de la dévotion au sacré Cœur de Jésus, elle fut une des premières et des plus opposées à la recevoir, disant qu'elle ne voulait point de nouveautés, et que nonobstant tout ce qu'on lui pût dire pour l'en détourner, elle persista toujours à dire que c'était la volonté de Dieu.

Dit aussi que peu de jours avant que ladite Vénérable Sœur mourût, elle trouva ladite déposante à qui elle dit : « Voici mon rang pour entrer en solitude, mais ce sera dans la grande solitude » ce que la déposante a cru être de sa mort prochaine, à quoi alors il n'y avait point d'apparence, de la vue même du médecin qui, le jour de sa mort, assurait toujours qu'elle ne mourrait pas de cette maladie, quoique ladite Sœur ait toujours dit et assuré le contraire à toutes ses Sœurs et au médecin, qui avait fait une gageure qu'elle ne mourrait point. (…)

 

526

Dit, enfin, ladite déposante, qu'elle couchait dans la chambre où était malade ladite Vénérable Sœur Alacoque, et quoique sa maladie ne parût pas être mortelle, dans la pensée de la Communauté et des médecins, elle assura toujours qu'elle n'en reviendrait point. Elle pressait les infirmières, du nombre desquelles était la déposante, pour prier la supérieure de lui faire apporter le saint viatique. Elle eut assez de peine d'apprendre cette nouvelle et n'y voulut point consentir, ne croyant pas ladite Sœur malade à la mort, sur l'assurance qu'en avait donnée le médecin; ce qui donna occasion à la malade de dire : « J'ai reçu cet adorable Sacrement en viatique, la dernière fois que j'ai communié; Dieu disposera de moi comme il lui plaira, » Et effectivement, elle se trouva si mal qu'on n'eut que le temps de lui donner l'extrême-onction, qu'elle reçut en expirant, ayant eu, avant ce temps, des sentiments d'amour de Dieu, Marquant son empressement et joie de voir finir sa course, pour rendre son âme à Celui qui avait donné la sienne pour elle.

Sœur Anne-Alexis DE MARESCHALE.

 

DOM DE BANSIÈRE, CHALON

 

Commissaire. Greffier.

 

439 - 440

Quoique le médecin et toutes celles qui étaient autour d’elle lui dissent  qu’il n’y avait rien à craindre, que sa maladie ne paraissait pas mortelle, elle assura toujours le contraire et pria qu'on lui administrât les derniers sacrements ; et comme on était persuadé qu'elle n'était point encore assez malade, on différa tant, qu'elle ne se trouva plus en état de recevoir le viatique. Elle dit néanmoins à ladite déposante : « J'ai prévenu heureusement ; je me doutais bien qu'on ne me croirait pas si mal, c'est pourquoi, la dernière fois que J'ai communié, Dieu m'a fait la grâce de le recevoir en viatique » qui fut la veille de sa mort. Qu'elle s'est souvenue, après la mort de ladite Sœur Alacoque, qu'elle lui avait dit, aussi bien qu'à une autre de ses Sœurs, environ cinq ans auparavant : « Mes enfants, je mourrai entre vos bras » ce qui arriva effectivement, car quoique ladite déposante ne fût qu'une des dernières, dans la chambre de la moribonde, elle se trouva à son côté pour l'assister et lui rendre ses derniers services, sans l'avoir prémédité, aussi bien que l'autre des Sœurs à qui elle en avait dit autant et qui était de l'autre côté. (…)

Sœur Claude-Rosalie DE FARGES.

 

DOM DE BANSIÈRE, Commissaire

CHALON, Greffier.

 

.


547

(…)

Dit enfin ladite déposante que ladite Sœur Marguerite-Marie, étant tombée malade de la maladie dont elle mourut, l'assura, nonobstant tout ce que le médecin et les autres dirent, qu'elle en mourrait. (…)

 

 

550

(…) Qu'elle a passé la dernière nuit jusqu'au lendemain, les huit heures, jour de la mort de la Vénérable Sœur; que, pendant tout ce temps, elle est témoin de l'ardeur qu'elle marquait d'aller à Dieu, par ses oraisons jaculatoires, implorant continuellement les miséricordes divines et récitant plusieurs versets des psaumes et d'autres endroits de l'Écriture; ce qu'elle fit jusqu'à ce qu'elle rendît son âme à son Créateur, contre l'attente du médecin et de celles qui la voyaient, qui assuraient toujours qu'elle ne mourrait point de cette maladie. Elle, au contraire, dès le premier jour qu'elle tomba malade, envoya quérir la déposante et lui dit : « Venez-moi voir, ma chère Sœur, car je mourrai de cette maladie et nous n'aurons pas longtemps à demeurer ensemble. »

 

Sœur Marie-Nicole DE LA FAIGE DES CLAINES.

                                                                                

DOM DE BANSIÈRE, Commissaire.

 

CHALON, Greffier.

 

554

Ajoute, ladite déposante, que la Révérende Mère supérieure l'ayant trouvée, quelque temps avant la mort de la Vénérable Sœur, elle lui dit: « Ma Sœur, vous estimez bien ma Sœur Marguerite Alacoque, mais ce sera bien autre chose, quand je vous aurai dit ce que je viens de lui faire ; je lui ai ordonné, » dit-elle, « de m'apporter tous ses instruments de mortification, disciplines, haires, cilices, &c; elle a été sur le champ les chercher et me les a apportés et les voilà dans mon armoire, mais je ne les lui rendrai plus. » Ce qui fit dire à la déposante : « Nous vous sommes toutes obligées, ma chère Mère, car c'est cela qui la rend toujours malade. » Qu'elle fut surprise de voir avec quelle assurance la Vénérable Sœur disait qu'elle mourrait de la maladie où elle était pour lors, qui fut effectivement la dernière, quoique le médecin soutint toujours qu'il n'y avait rien à craindre, dont il se tenait si certain qu'il fit gageure qu'elle en reviendrait.

 

580

Nous avons sujet de croire que le dessein pour lequel le ciel l'avait choisie étant heureusement exécuté, Dieu a voulu mettre le comble à tant de faveurs qu'il lui avait faites, l'appelant à une plus heureuse vie. Il est à croire qu'elle en avait eu des pressentiments. Longtemps avant qu'elle tombât malade, elle dit positivement qu'elle mourrait cette année, ajoutant qu'elle ne servait plus que d'obstacle à l'exaltation du sacré Cœur de Jésus-Christ.

Dès le commencement, son mal parut si peu dangereux, que ce même jour qu'elle mourut, les médecins assurèrent qu'il n'y avait rien à craindre ; mais elle persista a dire qu'elle en mourrait. Cette certitude de sa fin lui fit demander avec Instance le saint viatique et, sur ce qu'on lui dit qu'elle n'était pas si mal, elle pria que du moins, puisqu'elle était encore à jeun, que l'on la communiât. Elle reçut le saint Sacrement avec une dévotion extraordinaire, sachant que c'était pour la dernière fois, les vertus qu'elle a fait paraître pendant sa maladie répondant à la haute idée de perfection que l'on avait eue d'elle pendant sa vie.

Une de nos Sœurs s'étant aperçue qu'elle souffrait beaucoup par l'ardeur de sa fièvre, s'offrit à lui procurer quelques soulagements ; elle l'en remercia, disant que les moments qui lui restaient étaient trop précieux pour n'en pas profiter; qu'à la vérité, elle souffrait beaucoup, mais qu'elle trouvait tant de plaisir à vivre et mourir sur la croix, que quelqu'ardent que fût le désir qu'elle avait de mourir, elle consentirait cependant très volontiers de demeurer dans l'état où elle était jusqu'au jour du jugement, si tel était le bon plaisir de Dieu, tant elle trouvait de charmes dans les souffrances. Jamais personne ne témoigna, ce semble, plus de désir de mourir -, mais Dieu voulut interrompre pour quelque temps l'abondance des douceurs intérieures, lui inspirant une si grande crainte de sa divine justice, qu'elle entra tout à coup dans des frayeurs étranges des jugements de Dieu. On la voyait trembler, s'humilier et s'abîmer devant son crucifix et on lui entendait répéter avec profonds soupirs : « Miséricorde, mon Dieu, miséricorde!... »

Quelque temps après, ces frayeurs se dissipèrent, la joie et la tranquillité paraissant sur son visage. Une heure avant sa mort, elle fit appeler notre très honorée Mère; elle la pria de lui faire donner l'extrême-onction et la remercia des soulagements que l'on s'empressait de lui donner. Elle dit qu'elle n'avait plus rien à faire que de s'abîmer dans le sacré Cœur de Jésus-Christ pour y rendre les derniers soupirs . Ayant jeté les yeux sur son crucifix, elle expira pendant qu'on faisait la dernière onction, le 17 d'octobre de l'année passée, âgée de 43 ans [21] professe de 18. (…)

 



Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

dernière mise à jour le

19 Février 2006

 

 



[1] Tout cet article se base sur « Vie et Œuvre de Sainte Marguerite-Marie Alacoque, par Mgr Gauthey, Tome I, II et III, Ancienne Librairie Poussielgue, J. de Gigord éditeur, 1920 ». Les passages où il est fait allusion à la prédiction de sa propre mort seront reproduits ici. Les pages où ils se trouvent sont les suivantes (toutes se trouvent dans le Tome 1) : 273, 291-292, 307-308, 311-315, 465, 490, 507, 514, 526, 539-540, 547, 550, 554, 580.

[2] Soeur Catherine-Augustine Marest, qui en déposa, au procès de 1715.

[3] Ps. LXXXVIII, 2.

[4] Quid enim mihi est in coelo ? et a le quid volui super terrant ? Ps. LXXII, 25.

[5] Ps. CXXII, 1.

[6] Ps. CXXI, 1.

[7] Dans le procès de 1715, Sœur Péronne-Rosalie de Farges n'oublia pas de déposer que la Servante de Dieu lui avait (lit dans la maladie de sa mort : « Je vous prie, ma chère Sœur, de brûler le cahier qui est dans une telle armoire, écrit de ma main, par ordre (le mon confesseur, le B. P. Rolin, jésuite ; car il m'a défendu de le faire moi-même avant qu'il l'eût examiné. » Ce que la déposante ne crut pas devoir faire ; mais elle la pria d'en remettre la clef entre les mains de la supérieure et d'en faire un sacrifice à Dieu, à quoi elle consentit, quoique cela lui coûtât beaucoup. Ce cahier n'était autre que sa Vie écrite par elle-même. Il est bien à croire que ce fut la même Sœur de Farges qui reçut la commission de la mourante pour le P. Rolin.

[8] Les Contemporaines ont écrit 42 ans. Cela devait être, puisqu'elles avaient mis la naissance de Marguerite-Marie en 16118 au lieu de 1617, ainsi qu'il a été dit et rectifié en son lieu.

[9] Le registre mortuaire conservé dans nos Archives porte : « environ les sept heures du soir. »

[10] C'étaient Sœur Françoise-Rosalie Verchère et Sœur Péronne-Rosalie de Farges.

[11] Misericordias Domini in aeterrnum cantabo, ps. LXXXVIII, 2.

[12] Ps. XXX, 2, et LXX, 1 : In te Domine speravi, non confundar in aeternum

[13] C'est toujours la même erreur, provenant de ce que les Contemporaines s'étaient trompées d'un an, sur la naissance de la sainte ; ce qui fait qu'elles lui ont donné 42 ans au lieu de 43 qu'elle avait réellement à sa mort.

[14] Ms. 3, p. 68. Cf. Mémoire des Contemporaines, n, 288.

[15] Ms. 4, p. 77. et Recueil de Nevers, p. 110.

[16] Ms. D 1, (Déchelette): « jusqu'à l'élection d'une nouvelle supérieure, qui fut quatre mois avant sa mort. »

[17] Catherine-Antoinette de Lévy-Châteaumorand.

[18] Id. « la supérieure ».

[19] Id. « et que cette supérieure depuis longtemps ne l'aimait pas, lui avant causé des petits chagrins, quoiqu'elle l'estimât. »

[20] D'après la liste authentique de la Compagnie de Jésus, communiquée par le B. P. Charrier, auteur de « l'Histoire du B. P. de la Colombière, » le P. Jacques Jannon fut supérieur à Paray, de la fin de l'année 1665 à 1667. Il n'a donc pas pu connaître la Servante de Dieu pendant sa résidence à Paray, puisqu'elle n'y est venue elle même qu'en,16 î 1. Ou bien le Dl Billet a confondu son nom avec celui d'un autre supérieur, ou bien il a eu la conversation qu'il rapporte, avec le P. Jannon, plus tard, alors que celui-ci, ne résidant plus à Paray, s'y trouvait de passage.

[21] Le texte porte 42 ans. C'est toujours la même erreur de plusieurs documents contemporains, qui ayant reculé sa naissance d'une année, diminuent d'autant son âge, à la fin.