Traduction autorisée du texte original de
SUSAN BLACKMORE
par le Dr Bernard Auriol
Published in 1992, in Skeptical
Inquirer 16 367-376 |
Pourquoi tant de monde croit aux phénomènes parapsychologiques ? Parce qu’ils ont des expériences parapsychologiques. Et pourquoi ont-ils ces expériences ? Parce que de telles expériences résultent inévitablement de leur façon de penser. Je fais l’hypothèse que, comme pour les illusions perceptives visuelles, c’est là le prix à payer pour contracter une relation efficace avec un monde d’une énorme complexité.
Un sondage des années 1990 (Gallup et Newport 1991) montre qu’un tiers des américains croient à la télépathie et qu’un quart déclarent l’avoir personnellement expérimentée. Beaucoup moins ont l’expérience de la clairvoyance ou de la psychokinèse (PK), mais leur nombre n’est malgré tout pas négligeable et ne décroît pas avec les années. Des enquêtes antérieures ont donné des résultats analogues et donnent, comme raison la plus courante de croyance au paranormal, l’expérience personnelle (Palmer 1979; Blackmore 1984).
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On utilisera ici le terme « expérience parapsychologique » pour désigner une expérience que le sujet interprète comme impliquant quelque chose de paranormal ou parapsychologique. On ne cherchera pas à déterminer s’il est en effet réellement nécessaire de recourir à cette interprétation. Nous essaierons plutôt de comprendre comment cette interprétation survient même si aucun phénomène paranormal n’est en jeu. Notons que bien des études expérimentales du « psi » (comme de deviner de longues séries de cibles) ne produisent pas d’expériences parapsychologiques dans ce sens, alors même qu’elles mettent en évidence du parapsychologique. D’autres en produisent (tels que le ganzfeld et peut être la vision à distance), mais le vécu de l’expérience est une question indépendante de la signification statistique en tant qu’indice du « psi ». Dans la présente étude, nous nous intéressons à l’expérience vécue et à la croyance, et non à la mise en évidence statistique d’un phénomène « psi ».
Mon hypothèse est que les expériences parapsychologiques sont comparables aux illusions visuelles. L’expérience est bien réelle, mais son origine gît dans des processus internes et non dans des particularités du monde observable. De même que les illusions visuelles, elles sont le produit de processus cognitifs qui sont habituellement appropriés mais qui, dans certaines occasions donnent naissance à une conclusion erronée. En d’autres termes, ils constituent le prix à payer pour bénéficier d’heuristiques efficaces.
Dans le cas de la vision, des illusions sont engendrées quand le relief est représenté sur des figures planes, alors des mécanismes de constance nous donnent des réponses qui seraient correctes par rapport à une profondeur réelle. Un équivalent pour les expériences parapsychologiques serait l’illusion qu’une cause est à l’œuvre et qu’il faut en donner une explication, alors que de fait, il n’en est rien. Autrement dit, les expériences parapsychologiques sont des illusions de causalité. Je discuterai ici cinq types d’illusion.
1. Illusion de connexion
Les expériences de télépathie, clairvoyance, et précognition impliquent une coïncidence qui est « trop bonne pour n’être que au hasard ». C’est le cas lorsqu’on rêve de la mort d’une personne et que cette personne meurt dans un délai de quelques heures, quand on a le sentiment pressant d’avoir à aller à la gare chercher son partenaire et que, de fait, il se trouvait coincé et avait besoin d’aide, ou si on parie sur un cheval et puis qu’il gagne.
La réaction de certaines gens à de tels événements sera de dire « c’est une coïncidence » ; mais pour d’autres « cela ne peut être dû au hasard ». Dans ce dernier cas, la personne cherchera alors une explication causale de cette coïncidence. Si elle n’en trouve pas, elle pourra invoquer comme « cause », par exemple l’ESP. Ou bien, un type de connexion signifiante quoique non causale peut être invoquée comme le « principe de lien acausal » (Jung 1973). On peut faire ici deux sortes d’erreur :
- Premièrement, on peut traiter comme de pures coïncidences des événements connectés, ne saisissant pas certains liens réels entre des événements et se rendant inapte à en rechercher l’explication.
- En second lieu, on peut penser que des événements survenant par hasard sont connectés et chercher une explication qui n’est pas nécessaire. Dans le monde réel ou l’information est inadéquate et les interactions sont complexes on peut s’attendre à ce que ces deux types d’erreur interviennent. Je fais l’hypothèse que l’erreur du deuxième type est à l’origine des expériences de perception extra-sensorielle.
C’est comparable à la théorie classique de détection du signal. La figure 1 présente deux distributions. Pour une force donnée quelconque du stimulus, il pourrait n’y avoir que du bruit, ou du bruit mêlé au signal. Pour des rapports signal/bruit faibles, on ne peut construire de détecteur parfait. Il y aura immanquablement des fautes qui peuvent être soit de manquer un signal qui est présent soit de prendre pour un signal quelque chose qui n’en est pas. Je propose l’idée que ceux qui croient au paranormal (qualifiés techniquement de « « moutons »») sont davantage portés à des erreurs du deuxième type que ceux qui n’y croient pas (les « « chèvres » »).
Dans la théorie de détection du signal, on décrit cette opposition en terme de critère variable. Quand les motivations changent, les gens peuvent employer un autre critère, et ils prendront un plus grand risque pour un type d’erreur que pour l’autre. Leur sensibilité peut rester inchangée alors que le critère se modifie (fig. 2). Ce n’est pas une question de « juste » ou de « faux » mais de quel type d’erreur vous préfèreriez faire, si vous ne pouvez éviter d’en faire.
Une prédiction donnée par cette approche est que ceux des gens qui plus fréquemment cherchent des explications quant aux coïncidences du hasard auront plus facilement des expériences parapsychologiques. Par conséquent, les « moutons »devraient être de ceux qui sous estiment la probabilité des coïncidences du hasard.
On sait depuis longtemps que les jugements de probabilité peuvent être extrêmement inexacts. Kahneman et Tversky (1973) ont exploré quelques unes des heuristiques, telles que « représentativité » et « disponibilité », de ce que les gens considèrent comme des coïncidences surprenantes (Fall 1982; Falk et McGregor 1983). Ajouter un détail spécifique quoique superflu peut rendre la coïncidence plus surprenante ; les choses qui arrivent au sujet lui-même lui paraissent plus surprenantes que si ces mêmes choses arrivaient à d’autres. Diaconis et Mosteller (1989) ont passé en revue quelques façons d’étudier la psychologie des coïncidences et ont établi des modèles pour le calcul de leurs probabilités.
Mais il y a peu de recherches pour mettre en relation ces erreurs de jugement avec la croyance au paranormal ou le fait d’avoir des expériences parapsychologiques. Blackmore et Troscianko (1985) ont découvert que les « moutons » s’en sortent moins bien que les « chèvres » dans diverses tâches de probabilité. Par exemple, dans les questions testant la prise en compte de la dimension d’un échantillon, les « moutons » ont répondu significativement plus mal que les chèvres. On a posé la question bien connue sur la date de naissance : « combien faudrait-il de personnes dans une soirée pour avoir une chance sur deux que deux d’entre elles aient la même date de naissance ? » (Voir Diaconis et Mosteller 1989 pour un modèle général de ce type de problème). Comme prédit par notre modèle, les « chèvres » donnèrent la bonne réponse significativement plus souvent que les moutons.
On a fait jouer les sujets à un jeu de pile ou face (informatisé) et on leur a demandé combien ils devraient avoir de succès par l’effet du simple hasard. Sur 20 tentatives, la bonne réponse est évidemment de 10. Pourtant, les « moutons » donnèrent en moyenne une estimation significativement inférieure (7,9) alors que les « chèvres » furent plus proches de ce qui est correct (9,6).
Il serait intéressant de tester si « moutons » et brebis diffèrent quant à la probabilité qu’ils assignent à diverses sortes de coïncidences survenant dans des tests de laboratoire par rapport à la probabilité évaluée dans la vie quotidienne.
2. Illusions de contrôle
Quand une coïncidence survient entre l’action propre d’une personne et un événement qui lui est extérieur, un effet semblable peut se manifester avec la différence que la cause invoquée sera celle d’un contrôle personnel ; ou bien, dans le cadre parapsychologique, ce sera la psychokinèse (« illusion de contrôle » de Langer - 1975). On a trouvé que les « moutons » se montrent plus sujets à cette illusion que les chèvres, dans le cadre d’une tâche parapsychologique (Ayeroff et Abelson 1976, Jones et al. 1977; Benassi et al. 1979).
On pourrait objecter que, si de la psychokinèse a lieu, alors la perception d’un contrôle personnel dans de telles tâches, ne serait pas illusoire. Ceci est peu probable étant donné qu’on n’a pas mis en évidence de psychokinèse dans ces expériences. Pour évacuer cette explication, Blackmore et Troscianko (1985) ont utilisé une tâche parapsychologique cachée. Il n’y eut aucun indice de psychokinèse et plus d’illusion de contrôle chez les « moutons » que chez les chèvres.
3. Illusions de configuration et hasard
On ne peut trancher sans ambiguïté entre configuration et hasard. Dans une série assez longue d’événements, une combinaison ou un enchaînement, quel qu’il soit, d’événements est susceptible d’arriver par l’effet du hasard. Mais, l’extraction du signal à partir du bruit est au centre de tous les processus sensoriels. De même que dans le cas des coïncidences, deux sortes d’erreur peuvent intervenir. La première est l’échec de la détection d’une configuration présente, la seconde est de croire trouver une configuration alors qu’il n’y en a pas. Nous gageons que le second type d’erreur conduira les gens à rechercher une cause et que, puisqu’il n’y a pas de cause ils peuvent se tourner vers des explications paranormales. On peut alors prédire que les gens qui font ce type d’erreur sont susceptibles d’avoir des expériences parapsychologiques (ou d’avoir des expériences qu’ils interprètent comme telles) et à partir de là, de croire au paranormal.
Il est bien connu que les gens sont mauvais pour juger du caractère aléatoire d’un événement. En particulier, quand on leur demande de créer un enchaînement de nombres au hasard (génération aléatoire subjective, GAS) ils donnent typiquement beaucoup moins de répétitions d’un même chiffre que ne le voudrait le hasard (Cf. Budescu 1987 et Wagenaar 1972). On rapporte cela à l’illusion du joueur de roulette qui croit qu’une longue série de rouges doit être suivie d’un noir. Les expériences d’ESP sont souvent équivalentes à une Génération Aléatoire Subjective et en partagent alors le biais.
Blackmore et Troscianko (1985) n’ont pas trouvé de différence entre « moutons » et « chèvres » quant à la Génération Aléatoire Subjective pour des chaînes de chiffres de 1 à 5, ni quant à l’aptitude à distinguer les séquences au hasard de séquences biaisées. Mais, pour Brugger, Landis, et Regard (1990) une différence existe. Pour eux, les mêmes variables déplacent dans la même direction les scores ESP et la Génération Aléatoire Subjective – ils citent des variables comme la durée de la tâche, les drogues stimulantes et calmantes ainsi que l’âge. Ils pensent même que bien des recherches de laboratoire sur l’ESP peuvent s’expliquer par des correspondances entre séquences cibles et biais humains. Même si les études avec feedback immédiat peuvent leur servir d’argument (Gatlin 1979; Tart 1979), cela n’expliquerait pas facilement les résultats observés en l’absence de feedback et avec une randomisation correcte des cibles.
Ils ont réalisé trois expériences :
1) La Génération Aléatoire Subjective fut étudiée dans une expérience de télépathie où il fallait choisir une parmi cinq cibles possibles. Les brebis produisirent moins de répétitions que ne le firent les chèvres. Les sujets de croyance intermédiaire donnèrent un nombre de répétitions intermédiaire. Il n’y eut ni effet ESP, ni effet « chèvre-mouton ».
2) Dans une seconde expérience, la Génération Aléatoire Subjective fut étudiée en mimant un jet de dés. On découvrit le même effet.
3) En troisième lieu, on montra aux sujets des séquences de dés avec un nombre varié de répétitions et on leur demanda lesquelles apparaîtraient le plus probablement en premier sous l’effet du hasard. Naturellement, tous ces enchaînements étaient équiprobables, mais les sujets eurent tendance à choisir l’enchaînement qui comportait le plus petit nombre de répétitions. Les « moutons » plus encore que les « chèvres », avec une valeur moyenne pour le groupe intermédiaire.
On le voit, ces résultats sont très cohérents et montrent comme nous l’attendions, un biais plus grand chez les moutons.
Pour explorer cela plus avant, Katherine Galaud, de l’Université de Bristol, a réalisé une expérience
afin de comparer la Génération Aléatoire Subjective pour différents nombres de choix. On pourrait discuter
en disant que la plupart des gens ne pourraient prédire ou calculer des séquences
probables que s’il n’y a que deux choix possibles alors que dans le monde
réel il existe généralement de nombreux choix possibles avec de faibles probabilités.
Peut être la Génération Aléatoire Subjective serait même moins au hasard quand il y a plus de choix
disponibles. En allant plus loin, la différence entre « moutons » et « chèvres
» pourrait s’accroître avec le nombre des choix disponibles. Cette expérience
a étudié la variation des résultats en fonction de différents nombres de choix
disponibles.
On administra à 120 étudiants l’échelle de croyance au paranormal (BPS) (Jones, Russell et Nickel 1977), un questionnaire de Génération Aléatoire Subjective et un questionnaire de probabilité. Lequel consistait en trois questions basées sur le « problème du taxi » (Kahneman and Tversky 1972) manipulé pour qu’il donne des réponses correctes dans 20, 40 et 80 % des cas. Le questionnaire de Génération Aléatoire Subjective demandait aux sujets de créer des enchaînements de nombres au hasard, en choisissant soit les chiffres de 1 à 2, de 1 à 4, ou de 1 à 8, avec des nombres attendus de répétitions de 12, 6 et 3 respectivement. Aucune différence n’apparut entre « moutons », « chèvres » et intermédiaires (Blackmore, Galaud et Walker, sous presse).
Il y a deux différences qui pourraient expliquer que les résultats aient été contradictoire entre cette dernière expérience et celle de Brugger. Tout d’abord, Brugger et al. ont rythmé la création des chiffres avec un métronome. Il se pourrait que, étant donné le temps pour penser à l’aspect aléatoire, les gens puissent, à un certain degré, se débrouiller pour compenser leurs biais et que des réponses non fixées dans le temps, données sans subir de pression, comme celles de notre expérience ne puissent mettre en évidence ces biais. Mais on pourrait objecter que dans les situations de la vie quotidienne, il n’y a justement pas de pression temporelle particulière. Une autre différence est qu’ils n’ont utilisé qu’une seule question pour répartir les sujets en « moutons », « chèvres » et intermédiaires. Nous entreprenons maintenant à Bristol de nouvelles expériences pour tenter de découvrir si ces facteurs sont en jeu.
4. Illusions de forme
La reconnaissance d’objet peut entraîner les deux mêmes types d’erreur. Une approche timorée fera manquer des formes intéressantes alors qu’elles sont présentes. Une approche moins prudente conduira à voir des choses qui n’y sont pas. On peut supposer que cette deuxième attitude peut rendre plus probable de voir des apparitions, des fantômes ou de chercher des explications paranormales quand elles ne sont pas requises.
Dans une deuxième expérience menée à Bristol par Catherine Walker (Blackmore, Galaud, et Walker, sous presse), nous avons testé cela ainsi qu’une question subsidiaire. Si les « moutons » sont plus enclins à discerner des formes sur un écran « bruité », sont ils dans l’erreur par rapport aux chèvres, ou bien les « chèvres » auront-ils une tendance accrue à manquer des formes pourtant présentes ? C’est la question classique du critère en regard de la précision. Les « moutons » pourraient tout simplement utiliser un critère pour voir des formes, moins exigeant que les chèvres, tout en étant aussi précis quant à la discrimination des formes, ou bien ils peuvent en même temps faire davantage d’erreurs.
On administra à 50 sujets l’échelle de croyance au paranormal et on les testa sur une tâche d’identification d’objet. Les stimuli consistaient en quatre ensembles de sept gravures chacun ; allant de nuages difficilement identifiables à des formes de contour bien dessiné (cf. figure 3). Les formes définitives étaient : deux feuilles, un oiseau, un poisson et une hache. On les présentait chacun pendant 10 millisecondes, avec un masque de points noirs sur fond blanc entre les présentations. On montrait d’abord les quatre stimuli les moins identifiables puis on progressait. Les quatre figures étaient randomisées à chaque niveau, quant à l’ordre de présentation.
La prédiction donnée par notre modèle était que les « moutons » déclareraient voir des formes plus tôt dans la série que les « chèvres », mais qu’ils ne seraient pas plus exacts dans leur identification des formes. En d’autres termes, ils auraient un critère d’identification moins rigoureux. C’est exactement ce que nous avons trouvé. Les scores de croyance au paranormal (BPS) n’étaient pas corrélés avec le nombre de figures correctement identifiées mais étaient très corrélés avec le nombre d’identifications incorrectes et la tendance à déclarer qu’il y avait une forme sans pouvoir l’identifier. C’est à dire que les « moutons » avaient tendance à deviner des réponses fausses sans pour autant se montrer moins bons pour détecter les gravures qui étaient là. Les chèvres, quoiqu’ils souhaitassent dire qu’il y avait une forme, étaient moins enclins que les « moutons » à l’identifier par devinette.
Ceci confirme donc la tendance des « moutons » à revendiquer la vue de formes identifiables dans un stimulus ambigu ; mais il y a plusieurs raisons possibles à cela. Par exemple, la créativité pourrait être corrélée d’une part avec la croyance au paranormal et d’autre part avec la tendance à voir des formes. Quoi qu’il en soit des origines de cette tendance, nos découvertes vont avec l’idée que la croyance au paranormal pourrait être favorisée chez ceux qui voient plus souvent des formes dans un stimulus ambigu.
5. Illusions de Mémoire
En plus de tous les processus ci-dessus, une mémoire sélective peut faire apparaître plus souvent des coïncidences. Hintzman, Asher, et Stern (1978) ont démontré qu’on se souvient de manière sélective des événements très significatifs. Fischhoff et Beyth (1975) ont montré que les gens se souviennent mal de leurs prédictions antérieures pour mieux coller aux événements survenus réellement.
Nous pourrions prédire que les gens qui sont particulièrement portés à de tels effets mémoriels soient également plus portés à rechercher des explications paranormales et par conséquent à avoir des expériences parapsychologiques et à croire au paranormal. S’il en était bien ainsi, cet effet serait supérieur chez les « moutons » par rapport aux chèvres, mais cela n’a pas été testé.
La popularité des diseurs de bonne aventure peut aussi dépendre dans une certaine mesure de la mémoire sélective. Le souvenir sélectif de coïncidences signifiantes et d’affirmations vraies concernant la personne elle même s’ajoutera à l’effet Barnum [1] , ou tendance à accepter pour vraies certains types d’affirmations adressées au sujet lui-même sans se rendre compte qu’elles seraient aussi acceptables pour autrui (Dickson et Kelly 1985). S’il en est bien ainsi nous devons nous attendre à ce que les personnes qui vont voir les voyant(e)s soient plus enclins à ce type de mémoire sélective. Mais, encore une fois, cela n’a pas été testé et reste encore en projet d’exploration, à Bristol.
Conclusions
Nous avons exploré cinq types d’illusion parapsychologique. Elles peuvent être à la base de bien des expériences parapsychologiques spontanées qui engendrent la croyance au paranormal. La tendance des « moutons » à présenter ces effets à un degré nettement plus grand que les « chèvres » tend à confirmer cette hypothèse.
Cette conclusion ne peut s’appliquer à bien des catégories d’expérimentation parapsychologique, notamment celles dans lesquelles on ne donne pas de feedback et où on emploie des techniques sérieuses de randomisation. Cela ne concerne donc pas la question de savoir si telle ou telle expérience de laboratoire prouve l’existence du « psi ». Mais hors du laboratoire, dans la vie quotidienne, ces processus peuvent opérer pour produire des expériences parapsychologiques et une croyance au paranormal de manière parfaitement indépendante du fait de savoir si des phénomènes paranormaux authentiques ont jamais existé.
Ces découvertes ne nous donnent donc pas tant des preuves contre la survenue de phénomènes paranormaux que l’idée que nous devons nous attendre à une haute incidence des expériences parapsychologiques et une croyance répandue au paranormal (que des phénomènes parapsychologiques réels existent ou non).
La
Nature du Scepticisme
Toute la base de cette approche est que les êtres humains,
en essayant de donner du sens à leur monde, ne peuvent éviter de faire des
erreurs. D’un côté, ils négligent
des choses qui sont présentes, et de l’autre inventent des choses qui n’y
sont pas. Ceci s’applique aussi bien aux corrélations complexes qu’aux
signaux simples et aussi bien aux interprétations perceptives qu’aux théories
scientifiques. J’ai essayé
d’en donner quelques exemples dans la figure 4.
Dans
la vie de tous les jours, l’équivalent des brebis, c’est quelqu’un qui verra
en tout ce qu’il observe quelque chose d’intéressant. Le problème est qu’il
peut même voir des choses qui n’y sont pas. L’équivalent de la chèvre, c’est
quelqu’un qui a besoin d’un grand nombre de preuves avant de voir ou d’expérimenter
quoi que ce soit. Il manquera sans doute des tas de choses passionnantes.
De
même, dans le domaine scientifique, l’équivalent d’un « mouton »,
c’est quelqu’un qui se passionne pour toute théorie insensée et suit tout
courant de pensée manquant de rigueur. Le problème est qu’il peut facilement
faire fausse route. L’équivalent d’une « chèvre », c’est quelqu’un
qui ne s’intéresse en rien aux théories farfelues et n’adhère qu’à ce qui
est conventionnel. Il se met ainsi à l’abri mais prend le risque de louper,
quand il la rencontre, une théorie nouvelle réellement excitante. Avec le
choix, ses conséquences : amusement ou ennui, peur de l’échec ou attrait
pour la nouveauté.
Mais
quid du scepticisme ? Je ne pense pas que le vrai sceptique soit « chèvre ».
Le vrai sceptique ne colle pas en permanence à une des extrémités du spectre
mais peut changer de critère quand les circonstances le demandent. Il sera
sceptique tout autant à l’égard de la « chèvre » qui refuse tout
qu’à l’endroit du mouton qui gobe tout (c’est, comme le dit John Palmer [1986]
un « sceptique progressiste »). Les vrais sceptiques peuvent laisser
choir leur peur de paraître stupide ou réfréner leur amour de la nouveauté
selon ce qui est approprié ; ils peuvent user de prudence ou s’engager
à fond selon la compréhension des problèmes qu’ils ont. Le vrai sceptique
n’est pas la « chèvre absolue » mais plutôt un
« cheval ailé » (Pégase inspirateur de haut-vol).
References
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précédent |
9 Mars 2003 (pour la traduction)
(C)
Susan Blackmore (1992)
[1] « La plupart des gens tendent à accepter une vague description de personnalité comme s'appliquant de manière singulière à eux-mêmes sans se rendre compte que la même description pourrait s'appliquer aussi bien à n'importe qui » Ce phénomène utilisé par certains prestidigitateurs et acteurs de cirque est connu sous le nom « d’effet Barnum » ou « effet Forer ».