[traduction
française par Nancy Matis de " HALLUCINOID EXPERIENCES
ASSOCIATED WITH SLEEP PARALYSIS,
Relations among Hypnagogic and Hypnopompic Experiences Associated with Sleep
Paralysis ]
(1999). Journal of Sleep Research, 8, 313-317
Pour toute information ou réaction relative à cet article, veuillez contacter le Dr. J. Allan Cheyne, Département de Psychologie, Université de Waterloo, Waterloo (Ontario - Canada). E-mail : acheyne@watarts.uwaterloo.ca
Cette étude a reçu l'approbation sur le plan éthique du Bureau des Recherches Humaines de l'Université de Waterloo.
Résumé : L'échelle de gradation des expériences du sommeil de l'Université de Waterloo a été mise au point dans le but de déterminer la prévalence de la paralysie du sommeil et d'analyser diverses expériences hallucinatoires hypnagogiques et hypnopompiques qui lui sont associées : impressions de présence, sensations de pression et de flottement, hallucinations visuelles et auditives, peur. Les résultats de notre étude sont en accord avec d'autres études menées récemment : parmi les 870 étudiants universitaires interrogés, 30 % ont rapporté avoir vécu au moins un cas de paralysie du sommeil. Environ trois quarts d'entre eux ont indiqué avoir également connu une expérience hallucinatoire, et un peu plus de 10 % en ont connu trois, voire plus. Un sentiment de peur était dans la plupart des cas lié aux expériences hallucinatoires, avec très souvent une nette impression de présence. Les analyses de régression tendent à soutenir l'hypothèse selon laquelle les sensations de présence et la peur sont des sentiments primitifs associés à la paralysie du sommeil qui contribuent au développement d'expériences hallucinatoires, particulièrement sur le plan visuel.
Mots clés : Paralysie du sommeil — Hypnagogique — Hypnopompique — Hallucinations — Peur
|
Les phénomènes de paralysie du sommeil surviennent juste avant l'assoupissement ou lors du réveil. Les personnes sont alors conscientes de leur environnement et parviennent à ouvrir les yeux, mais elles sont totalement incapables de bouger (Hishikawa, 1976). Un sentiment de peur intense et diverses expériences hypnagogiques et hypnopompiques accompagnent souvent la paralysie du sommeil. Il existe malheureusement peu de preuves systématiques de la prévalence de chacune des différentes expériences lors d'un épisode de paralysie du sommeil. Ce dernier peut survenir au début ou à la fin du sommeil paradoxal (Fukuda, 1994 ; Hishikawa & Shimizu, 1995), et les expériences hallucinatoires peuvent provenir d'événements neurologiques associés à la formation d'images lors des rêves au cours de cette phase du sommeil (Hishikawa & Shimizu, 1995). Les hallucinations peuvent être visuelles ou auditives ; le sujet peut éprouver une impression de présence ou encore des sensations corporelles inhabituelles, comme la sensation de flottement ou d'une pression exercée sur son corps (Hishikawa, 1976 ; Hufford, 1982).
Les taux enregistrés lors des premières études en environnement clinique et non clinique varient de façon importante, allant de seulement 3 % jusqu'à 62 % (Goode, 1962 ; Ness, 1978 ; Penn et al., 1981). Des études plus récentes ont abouti à des résultats légèrement plus homogènes, de 25 à 40 % (Cheyne, et al., sous presse ; Fukuda, et al., 1987, 1998 ; Spanos, et al., 1995 ; Wing, et al., 1994). Cependant, il est fréquent que les chercheurs associent les expériences hallucinatoires et la paralysie du sommeil dans une même question. Beaucoup de questions restent en suspens si, d'une part on dénombre les cas d'épisodes de « simple » paralysie du sommeil et si, d'autre part on analyse l'association de tels épisodes à diverses combinaisons d'expériences. Dans combien de cas ne constate-t-on qu'une « simple » paralysie ? Dans combien de cas la paralysie s'accompagne-t-elle d'expériences supplémentaires ? Quelle est la prévalence des expériences hallucinatoires les plus rapportées ? Peut-on dégager des groupes (constellations) d'expériences particulières généralement concomitantes ? Cette dernière question est relativement intéressante. Elle laisse en effet entrevoir la possibilité fascinante d'explorer la structure et la dynamique des expériences hallucinatoires. En outre, la compréhension de problèmes de base tels que la prévalence et la nature de la paralysie du sommeil requiert une évaluation plus détaillée et plus systématique à la fois de la paralysie du sommeil ET des expériences qui lui sont associées. L'échelle de gradation des expériences du sommeil de l'Université de Waterloo a été mise au point dans le but de déterminer la prévalence de la paralysie du sommeil et de ses expériences connexes, ainsi que de permettre l'analyse des relations entre ces dernières. Une étude effectuée à l'aide de cet instrument a permis de découvrir une structuration de haut niveau dans la typification des expériences hypnagogiques et hypnopompiques (Cheyne, et al., sous presse). Cette structuration s'inscrit dans la lignée des récits culturels de la « Vieille sorcière » (Old Hag), du phénomène du « kanashibari » et d'oppression par des « fantômes », qui ont été liés à la paralysie du sommeil et aux expériences associées (Fukuda, 1994 ; Hufford, 1982 ; Ness, 1978 ; Wing, et al., 1994). La présente étude analyse la dynamique des interactions au sein d'un sous-ensemble de ces expériences.
En général, les évaluations en matière de paralysie du sommeil sont effectuées en donnant une courte description du phénomène, description suivie d'une question demandant aux personnes interrogées si elles ont déjà connu une expérience similaire (Fukuda et al., 1998 : Spanos, et al., 1995). Cette description relate plusieurs hallucinations connues et mentionne en outre que le sujet peut ouvrir les yeux et scruter la pièce dans laquelle il se trouve. Une telle approche risque de donner aux participants l'impression que ces traits sont caractéristiques de la paralysie du sommeil. Or, lors de cet épisode, certaines personnes peuvent être tout à fait incapables d'ouvrir les yeux et peuvent même s'en empêcher. En outre, la description de symptômes supplémentaires peut donner à ces expériences un aspect plus « extrême » que celles réellement éprouvées par les personnes interrogées, ce qui risque par conséquent d'inhiber certaines réponses positives. Norton, Cox et Malan (1992) abordent un problème semblable dans le cadre de l'évaluation des crises de panique, en affirmant que toute description réduit fortement la tendance d'un individu à expliquer son propre sentiment de panique. D'une part, l'on peut prétendre que l'ajout d'une description permet aux personnes interrogées de fournir une réponse mieux éclairée. De l'autre, lorsqu'une description paradigmatique complète est fournie, les personnes ayant connu des formes partielles ou atténuées de l'expérience en question risquent de ne pas parler du tout. Par ailleurs, une description détaillée pourrait pousser certaines personnes à ajouter des détails, voire même à inventer, de sorte que leur propre expérience se rapproche le plus possible de ce qu'ils pensent être un récit « correct » du phénomène. Dans notre étude, l'état de paralysie n'est associé à la paralysie du sommeil que dans l'énoncé accompagnant la première question :
Parfois, au moment de l'endormissement ou du réveil, certaines personnes peuvent, pendant un bref moment, être incapables de bouger, même si elles sont tout à fait conscientes et éveillées.
Nous avons évité l'emploi du mot « paralysie » souvent utilisé dans ce contexte, car les connotations de gravité qui lui sont associées risqueraient de diminuer fortement le taux de réponse. D'autres questions portent sur l'impression de présence ainsi que les sensations de pression sur la poitrine ou sur d'autres parties du corps, de flottement ou d'apesanteur, les impressions auditives et visuelles, ainsi que la manifestation de certaines émotions : colère, joie, peur, douleur et tristesse. Toutes ces questions ont été formulées en évitant soigneusement de suggérer un type d'expérience bien particulier. Par exemple, la question concernant les sensations auditives mentionne simplement la perception possible de sons. Une zone libre supplémentaire a été prévue pour permettre aux participants de fournir des détails sur leurs propres expériences. En posant les questions relatives aux expériences hallucinatoires de façon distinctive, nous avons pu analyser leur prévalence et les relations les liant les unes aux autres.
L'analyse a été effectuée sur trois grandes classes d'étudiants en première année de psychologie, et ce sur trois trimestres. 870 cas valides ont été retenus (488 du sexe féminin et 382 du sexe masculin). Quatorze cas ont été rejetés : les participants concernés n'avaient pas rempli le questionnaire complètement, ne s'étaient pas correctement identifiés et/ou avaient manifestement mal compris certaines questions. Les participants ont lu la description de la paralysie du sommeil fournie plus haut et ont indiqué la fréquence approximative de leur(s) expérience(s) (Jamais, Une seule fois, Deux à cinq fois, Plus de cinq fois). Une échelle de fréquence a également été utilisée pour chaque expérience hallucinatoire. Lors d'une question ultérieure, nous avons également demandé aux participants s'ils avaient déjà parlé de leur expérience à un tiers.
Sur 870 participants, 254 (29 %) ont indiqué avoir connu au moins un cas de paralysie du sommeil. Aucune différence d'âge significative n'a été remarquée entre les personnes de l'échantillon ayant expérimenté une paralysie du sommeil (âge moyen : 19,91 ans ; écart type : 2,60 ans) et celles qui n'en ont jamais connue (âge moyen : 19,62 ans ; écart type : 2,56 ans). De même, il n'y a pas de différence marquante quant à leur sexe (31 % de femmes ont signalé avoir vécu une telle expérience, contre 28 % d'hommes). Les données relatives aux sujets ayant répondu positivement ont été sélectionnées pour une analyse plus approfondie. Le tableau 1 ci-dessous, présente la fréquence de chaque expérience hallucinatoire et du sentiment de peur.
Tableau 1
Fréquences et proportions des personnes sujettes à une paralysie du sommeil et des expériences hallucinatoires qui lui sont associées
Fréquence |
Proportion |
|
Immobilité Jamais Une seule fois 2 à 5 fois 5 fois |
616 70 109 75 |
0,71 0,08 0,13 0,09 |
Expériences hallucinatoires |
||
Impression de présence |
130 |
0,15 |
Pression sur le corps |
106 |
0,12 |
Flottement |
93 |
0,11 |
Sons |
99 |
0,12 |
Forme visible |
75 |
0,09 |
Peur |
117 |
0,14 |
Remarque. N= 870
L'expérience la plus fréquente est l'impression de présence et la moins fréquente, les hallucinations visuelles. La peur est de loin l'émotion la plus fréquemment signalée. Environ la moitié des personnes ayant vécu un ou plusieurs épisodes de paralysie du sommeil ont indiqué avoir ressenti de la peur au moins une fois. Quant aux autres émotions, chacune d'entre elles a été ressentie par au maximum 6 % de celles-ci.
Seuls 45 % de ces participants ont déclaré avoir déjà raconté leur expérience à un tiers, presque toujours à des amis ou à un membre de leur famille. Deux d'entre eux ont déclaré en avoir parlé à un médecin. La plupart ont par contre avoué ne jamais en avoir fait part à personne, de crainte de passer pour « fou ». Un grand nombre des personnes s'étant confiées à des amis ont déclaré avoir dû effectivement faire face à de telles réactions.
Un résultat a été calculé par participant pour chaque expérience en attribuant respectivement les notes 0, 1, 2 ou 3 aux réponses Jamais, Une seule fois, Deux à cinq fois, Plus de cinq fois. Le tableau 2 illustre les relations entre les diverses expériences. Toutes étaient positives et significatives. Les cinq expériences hallucinatoires présentent une cohérence interne modérée, a = 0,75.
Tableau 2
Corrélations produit-moment de Pearson entre les mesures de fréquence des expériences hallucinatoires pour les personnes interrogées ayant témoigné d'au moins un épisode de paralysie du sommeil
Expérience |
Impression de présence |
Visuelle |
Auditive |
Pression |
Flottement |
Peur |
Impression de présence |
1,06 (1,26) |
0,43 |
0,42 |
0,37 |
0,25 |
0,56 |
Visuelle |
0,50 (0,88) |
0,40 |
0,42 |
0,37 |
0,47 |
|
Auditive |
0,77 (1,12) |
0,38 |
0,25 |
0,37 |
||
Pression |
0,86 (1,19) |
0,32 |
0,34 |
|||
Flottement |
0,67 (1,04) |
0,20 |
||||
Peur |
0,47 (0,50) |
Remarques : Toutes les corrélations sont significatives lorsque p < 0,05. Les moyennes (soulignées) et les écarts types (entre parenthèses) apparaissent en diagonale, N= 254.
Un résultat global a été calculé pour les expériences hallucinatoires en additionnant les résultats des différentes expériences prises séparément. Le résultat total était lié de façon significative à des témoignages de peur, r(252) = 0,56, p < 0,001. En outre, chaque expérience individuelle était également liée de façon significative à la peur (voir tableau 2). Une régression multiple effectuée en entrant les expériences hallucinatoires comme variables prédictives de la peur a cependant montré que seules l'impression de présence (b = 0,40, t(248) = 6,85, p < 0,001) et les hallucinations visuelles (b = 0,24, t (248) = 3,95, p < 0,001) étaient associées de manière unique à la peur.
Une interprétation possible des résultats de cette régression multiple est que l'impression de présence et les hallucinations visuelles entraînent la peur de façon indépendante. Par ailleurs, l'impression de présence peut entraîner une sensation de peur qui conduit la personne à essayer de clarifier (parfois tout à fait inconsciemment) la source de la présence invisible. Ce dernier modèle semble particulièrement plausible au vu de la corrélation comparativement forte qui existe entre l'impression de présence et le sentiment de peur (voir tableau 2). Cette association est restée significative lors du contrôle de toutes les autres expériences, pr (248) = 0,44, p < 0,001. Si une impression de présence entraîne une réaction émotionnelle de peur qui, à son tour, déclenche des hallucinations, alors un test statistique considérant la peur comme médiateur de la relation entre l'impression de présence et les hallucinations qui s'ensuivent est approprié. Baron et Kenny (1986) ont défini trois critères pour établir la médiation. Premièrement, la variable indépendante (impression de présence) doit prédire la variance au niveau du médiateur (la peur) : cet aspect a été démontré. Deuxièmement, la variable indépendante doit permettre d'expliquer la variation de la variable dépendante (les hallucinations visuelles). Cet aspect a lui aussi été démontré. Finalement, lorsque la variable indépendante et le médiateur sont intégrés simultanément dans une analyse de régression, le médiateur doit permettre d'expliquer toute variance significative au niveau de la variable dépendante. Une analyse de régression a démontré à la fois un effet direct de l'impression de présence , b0,25, t(251) = 4,96, p < 0,001, et une médiation partielle par la peur, b0,33, t(251) = 3,83, p < 0,001.
Si le modèle ci-dessus est correct, l'impression de présence devrait se manifester au début de la séquence d'événements et les hallucinations visuelles devraient intervenir plus tard, la peur apparaissant entre les deux. Bien qu'il soit impossible de reconstituer directement la séquence des événements, le nombre d'éléments présents dans un compte rendu donné peut nous donner certains indices. Différents épisodes de paralysie du sommeil consistent en différentes combinaisons d'expériences. S'il existe une séquence hiérarchique des événements, alors les événements apparaissant au début devraient pouvoir être regroupés avec un petit nombre d'autres événements de début de séquence. Ainsi, si l'impression de présence survient dès le début, la majorité des témoignages devraient faire état d'un nombre réduit d'autres expériences au même moment. Par exemple, quelle est la fréquence de l'impression de présence selon que l'individu a connu une, deux, trois, quatre ou cinq expériences ? Inversement, les hallucinations visuelles, si elles interviennent plus tard dans la séquence, devraient s'accompagner plus souvent d'un grand nombre d'autres expériences. Pour tester ces hypothèses, une analyse du khi-carré a été menée sur le tableau croisé de la fréquence de certaines expériences bien spécifiques et du nombre d'expériences différentes rapportées. Cette analyse a montré que toutes les expériences individuelles n'augmentaient pas de façon identique à mesure que le nombre total d'expériences augmentait, c2(20, N = 455) = 38,38, p< 0,008. Conformément à l'hypothèse émise, l'impression de présence pour des combinaisons de cinq expériences était beaucoup moins fréquente qu'elle n'avait de probabilités de l'être (z = -2,14, p < 0,01) et les hallucinations visuelles étaient par contre nettement plus fréquentes (z = 2,83, p < 0,01, voir figure 1).
Figure 1. Fréquence de chacune des six expériences hallucinatoires
signalées lors d'épisodes comprenant d'une à cinq des autres expériences hallucinatoires
Au cours de notre étude, un quart des personnes ayant répondu positivement à la question de base sur la paralysie n'ont rapporté aucune hallucination complémentaire. Environ 5 % de l'échantillon complet a déclaré avoir vécu l'ensemble des expériences hallucinatoires comme liées à des phénomènes culturels tels celui de la « Vieille sorcière » (Old Hag). Ce dernier résultat suggère que certains instruments n'évaluant pas les expériences hallucinatoires en parallèle avec les taux de prévalence de la paralysie du sommeil risquent d'induire en erreur. Par exemple, des taux de 30 à 40 % signalés dans ce qui a été écrit à ce propos, peuvent donner l'impression erronée qu'une grande partie de la population s'est retrouvée un jour face à un phénomène équivalent à celui de la « Vieille sorcière » (Hufford, 1982 ; Ness, 1978).
Les résultats montrent également que le sentiment de peur est associé au signalement d'expériences hallucinatoires, bien plus qu'à celui du phénomène de paralysie du sommeil en soi. Par conséquent, dans une certaine mesure, la peur est une réaction à autre chose de plus intense que la paralysie elle-même. Des preuves indirectes ont été apportées pour un modèle selon lequel l'impression de présence au cours de la paralysie du sommeil est associée à une réaction de peur, pouvant être associée à l'activation du lobe temporal et amygdalien (Cheyne et al., sous presse) qui, à son tour, déclenche des expériences supplémentaires. L'impression de présence et la peur qui lui est liée peuvent accroître la vigilance, la détection et l'interprétation d'événements environnementaux à la fois exogènes et endogènes (comprenant peut-être une activation corticale sensorielle primaire, une activation de l'oreille moyenne, une activation oculomotrice et une activation liée au sommeil paradoxal). L'impression de présence liée à un sentiment de peur peut également déclencher la recherche d'une menace externe et attirer l'attention du sujet sur une information perçue par les systèmes auditif et visuel. Les expériences visuelles en particulier peuvent « étoffer » l'impression de présence et lui donner une substance et une forme apparentes. La sensation d'une présence sans corps peut par la suite s'affaiblir et donner lieu à des expériences de perception plus tangibles. Cela peut expliquer pourquoi, à l'inverse de certaines autres expériences hallucinatoires, l'impression de présence était quelque peu moins fréquente dans les comptes rendus plus détaillés que dans les témoignages plus succincts.
En résumé, notre instrument isole les aspects de la paralysie du sommeil et fournit des moyens systématiques d'une grande cohérence interne permettant d'établir des taux de prévalence de la paralysie du sommeil et de diverses combinaisons d'expériences hallucinatoires. En outre, les résultats corroborent l'hypothèse selon laquelle les expériences hallucinatoires débutent par des réactions de base, qui prennent de l'ampleur du fait de l'activité d'interprétation consécutive impliquant les mêmes processus que ceux suggérés pour le modèle d'activation-synthèse de la génération des rêves (ex., Hobson & McCarley, 1977). Ce processus d'élaboration peut par conséquent générer une grande complexité et une forte variabilité des expériences vécues.
Dans les zones libres proposées après chaque item, les participants ont fourni une grande diversité d'informations détaillées sur les expériences spécifiques. Les expériences auditives relatées vont des petits coups et des bruits de pas jusqu'aux voix marmonnant quelques mots. En matière d'expériences visuelles, le panel s'étend de silhouettes floues jusqu'à des formes démoniaques très impressionnantes. Les expériences de flottement vont de sensations d'élévation à des envolées vertigineuses au travers de tunnels en enfilade. De telles différences peuvent être liées à des différences d'ordre physiologique, à des variations au niveau des croyances personnelles (Newby-Clark, et al., 1998) ou à des facteurs liés à la personnalité comme la prédisposition à une imagination créatrice ou aux croyances surnaturelles (Rueffer, et al., 1997).
Les résultats de notre étude sont basés sur un échantillon d'étudiants, composé de personnes jeunes et probablement plus enclines à la réflexion que la majeure partie de la population. Récemment, nous avons recueilli des données sur la base d'échantillons très diversifiés au niveau démographique et nous avons découvert des structures de covariance fortement semblables au sein des variables d'expériences (Cheyne, et al., sous presse). On pourrait penser que les résultats actuels sont influencés également par la nature rétrospective de l'évaluation. À l'analyse de données plus récentes, il semble cependant que les résultats ne diffèrent pas sur une large plage de temps (un jour à plusieurs années) entre l'épisode et le compte rendu des expériences (Cheyne, et al., sous presse).
Moins de la moitié des participants ont déclaré avoir parlé de leurs expériences à des amis ou à des membres de leur famille. Un grand nombre d'entre eux, y compris ceux qui se sont confiés, ont fait part de leur crainte face à des réactions négatives de la part de leurs interlocuteurs. Cette crainte s'est en fait révélée fondée dans certains cas. De nombreux participants ont avoué également qu'ils avaient pensé vivre une expérience unique et ont montré un grand soulagement en découvrant qu'il s'agissait en réalité d'un phénomène connu.
Il se pourrait que, si des épisodes de paralysie du sommeil « élaborés » étaient aussi courants que l'expérience de base, le phénomène serait bien mieux connu dans notre culture et, par conséquent, étudié avec beaucoup plus d'attention. Un épisode passager et modéré de paralysie du sommeil, dénué de toute autre source de stress, est probablement vite oublié, sans que la personne y accorde beaucoup d'importance. Une expérience plus élaborée et plus pénible, comme lorsque apparaît la « Vieille sorcière », est suffisamment rare pour que l'intéressé pense être l'un des seuls à l'avoir vécue et, dans certains cas, se montre réticent à l'exposer publiquement. Chacun de ces effets contribue à limiter les témoignages et, par conséquent, à créer l'illusion de la rareté d'un phénomène somme toute assez courant et souvent terrifiant.